III. RÉFORMER LE BREVET COMMUNAUTAIRE

Sans s'étendre trop longuement sur un sujet déjà largement évoqué par votre commission dans le rapport d'information « Stratégie du brevet d'invention » 14( * ) , il importe toutefois de mentionner l'important chantier en cours, au niveau communautaire, de mise en place d'un brevet communautaire.

A. UN PROJET AUX RACINES LOINTAINES

Le système des brevets actuellement en vigueur en Europe fait coexister les brevets nationaux et le brevet européen délivré par l'Office Européen des Brevets de Munich (OEB), qui est valable de plein droit dans les pays visés par la demande de brevet, et soumis au contrôle des juridictions de chaque Etat, dans les mêmes conditions que les brevets nationaux.

Envisagée dans les années 1970, la création d'un brevet communautaire a été fixée comme une priorité à atteindre avant la fin de l'année 2001 lors des Conseils européens de Lisbonne et de Feira, priorité rappelée lors des Conseils de Stockholm et de Göteborg. La Commission européenne a d'ailleurs publié, le 28 juillet 2000, une proposition de règlement sur le brevet communautaire selon laquelle :

- le brevet communautaire serait un brevet européen qui désigne la Communauté Européenne , délivré par l'OEB (dans le cadre du régime linguistique de l'OEB, fondé sur trois langues de travail : anglais, allemand et français) et publié intégralement dans la langue d'examen, les revendications du brevet étant traduites dans les deux autres langues de travail de l'OEB ;

- le brevet communautaire serait unitaire (c'est-à-dire valable de plein droit sur tout le territoire de la Communauté Européenne), et soumis à un contrôle juridictionnel unifié et spécialisé . Il s'agit d'une différence essentielle par rapport aux instruments existants. Le schéma ci-après illustre les innovations qu'apporterait le brevet communautaire par rapport aux systèmes actuellement en vigueur :

BREVETS : DEGRÉ DE CENTRALISATION DES PHASES DE PROCÉDURE

 

Brevet national

PCT I 15( * )

PCT II 1

Brevet européen

Brevet communautaire envisagé

Dépôt

 
 
 
 
 

Examen de forme

 
 
 
 
 

Recherche d'antériorité

 
 
 
 
 

Publication de la demande

 
 
 
 
 

Examen de brevetabilité

 
 
 
 
 

Délivrance

 
 
 
 
 

Publication brevet délivré

 
 
 
 
 

Opposition
(éventuelle)

 
 
 
 
 

Entretien (annuités, registre transfert)

 
 
 
 
 

Contentieux

 
 
 
 
 

Tronc commun

Procédure centrale

Phase nationale

Procédure nationale

Passage du tronc commun aux phases nationales

Schéma figurant dans « Stratégie du brevet d'invention », rapport d'information de M.  Francis Grignon au nom de la Commission des Affaires économiques, Sénat 2000-2001, et inspiré de l'ouvrage « Brevets d'invention, marques et propriété industrielle », Que Sais-je, Frédéric et Jean-Michel Wagret .

B. UNE NÉGOCIATION DÉLICATE

Les négociations au Conseil, qui ont commencé sous présidence française, ont confirmé l'ampleur des divergences qui existent entre les Etats membres sur les différentes questions posées par la proposition de règlement de la Commission, notamment celles des rôles respectifs de l'OEB et des offices nationaux des brevets dans le traitement des demandes de brevet communautaire, ainsi que celle du régime linguistique applicable. Il paraît donc très difficile de parvenir à réunir l'unanimité des Etats membres (qui est nécessaire) sur un texte de compromis, surtout dans le délai imparti par les Conseils européens.

Le Conseil « Marché intérieur » des 30 et 31 mai 2001 a toutefois adopté une « approche commune », à l'unanimité , portant sur une rédaction très prudente, qui laisse, en réalité, dans le flou les questions les plus difficiles :

- sur le rôle des offices nationaux : l'affirmation du rôle central de l'OEB dans la délivrance du brevet communautaire est tempérée par la reconnaissance d'un rôle pour les offices nationaux pour « certaines activités, comme la recherche » dans le traitement d'un « nombre de demandes » ;

- sur le régime linguistique : sans retenir de solution définitive, l'approche commune précise que le régime linguistique devra respecter le principe de « non discrimination », principe que chacun interprète de manière divergente ;

- sur le système juridictionnel, si les Etats membres sont unanimes pour souhaiter la centralisation de l'appel au niveau du tribunal communautaire de première instance, ils divergent en ce qui concerne la première instance ; l'approche commune reste prudente sur ce dernier point, en reportant le débat quant au choix entre une première instance centralisée à Luxembourg ou éclatée entre plusieurs juridictions communautaires décentralisées, voire attribuée aux tribunaux nationaux ;

- le Conseil a donné mandat à la présidence pour engager la procédure nécessaire à la convocation, en juin 2002, par le Conseil d'administration de l'OEB, d'une conférence diplomatique destinée à permettre la révision de la Convention sur le brevet européen, en vue d'y intégrer le brevet communautaire.

Par ailleurs, alors que les industriels étaient favorables à la création d'un brevet communautaire centralisé, les utilisateurs du brevet européen expriment désormais une position très réservée quant à l'architecture du brevet communautaire telle qu'elle se dégage de l'approche commune . Ils craignent en effet que la création du brevet communautaire ne se traduise par une remise en cause du principe de centralisation du traitement des demandes de brevets européens à l'OEB, qu'ils considèrent comme essentiel pour assurer un traitement uniforme des demandes et un brevet de qualité.

Dans son rapport 16( * ) « Stratégie du brevet d'invention » , votre commission avait fait part de la même inquiétude.

C. DES PRIORITÉS À AFFIRMER

Le brevet communautaire constitue l'une des priorités de la présidence belge, qui organisera une conférence sur le brevet communautaire à Liège le 29 novembre 2001.

La France est, depuis le début de la négociation, l'un des Etats les plus favorables au brevet communautaire, pour doter l'Europe d'un instrument bénéficiant des qualités du brevet européen (traitement uniforme des demandes, examen de qualité par l'OEB) sans subir ses faiblesses (absence de caractère unitaire du titre, absence d'un contentieux unifié).

Toutefois, votre commission estime qu'elle doit être attentive à ce que la mise en place du brevet communautaire ne se fasse pas au détriment du brevet européen, qui est une exceptionnelle réussite.

La position officielle du Gouvernement préserve l'essentiel en la matière. Elle est en effet la suivante :

1) Sur la question du rôle des offices nationaux , la France ne peut accepter que la mise en place du brevet communautaire s'effectue au détriment du rôle unificateur de l'OEB. Il est souhaitable que l'attribution d'activités inhérentes au traitement des demandes de brevet communautaires respecte les conditions suivantes : le déposant conserve le choix de faire traiter sa demande de brevet par l'OEB ; l'attribution d'activités doit être soumise à une limite qualitative (la recherche seulement) et quantitative très basse en nombre de demandes de brevet. La France estime que l'ensemble de ces conditions doivent figurer dans le texte de la Convention sur le brevet européen.

2) Sur le régime linguistique , la France refuse toute solution qui favorise l'anglais, afin de ne pas porter atteinte au régime linguistique actuel de l'OEB (3 langues de travail : anglais, français, allemand) tout en évitant d'alourdir le coût des traductions.

3) Sur l'organisation juridictionnelle : la France a pris position en faveur d'une juridiction communautaire centralisée dès la première instance qui permet de garantir l'uniformité du traitement du contentieux relatif au brevet communautaire tout en limitant le nombre d'affaires faisant l'objet d'un appel, mais il est envisagé de se rallier à un système dans lequel la première instance serait confiée à des juridictions communautaires décentralisées.

Une proposition de résolution 17( * ) de la commission des lois du Sénat portant sur la proposition de règlement de la Commission s'associe à l'ensemble des préoccupations soulevées par votre commission dans son rapport d'information précité, montrant la convergence de vues des différents organes du Sénat sur cette question.

Votre commission s'en félicite. Elle suivra avec attention l'évolution de ces négociations.

*

* *

Lors de sa réunion du 6 novembre 2001, et sur la proposition de son rapporteur, la Commission des Affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'industrie dans le projet de loi de finances pour 2002.


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