III. LA DÉCENTRALISATION : LA NÉCESSITÉ DE FRANCHIR UNE NOUVELLE ÉTAPE

Les trois dernières années se caractérisent à la fois par une recentralisation croissante des ressources des collectivités locales et l'accélération de la réflexion sur l'avenir de la décentralisation.

Le rapport établi par notre collègue Michel Mercier au nom de la mission d'information présidée par notre collègue Jean-Paul Delevoye, a dressé un bilan complet et clairement mis en évidence les pistes qui devraient être poursuivies pour permettre l'émergence d'une « République territoriale ».

A la suite des conclusions du rapport de la commission pour l'avenir de la décentralisation , présidée par notre collègue Pierre Mauroy, le Gouvernement a, pour sa part, annoncé la mise en chantier d'un certain nombre de réformes par la voie législative ou réglementaire. Lors du débat d'orientation sur la nouvelle étape de la décentralisation, organisé à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001, le Premier ministre a ainsi affirmé six priorités : la rénovation des institutions locales, l'approfondissement de la démocratie locale, un meilleur partage des compétences, la modernisation des finances locales sur la base d'un rapport à paraître avant la fin de l'année, la réforme de la fonction publique territoriale, et l'approfondissement de la déconcentration.

Le Gouvernement a déposé un projet de loi relatif à la démocratie de proximité, adopté par l'Assemblée nationale au mois de juin dernier. Ce texte sera examiné par le Sénat au mois de janvier prochain.

Le Sénat et l'Assemblée nationale avaient, sans attendre, adopté des propositions de loi visant à relancer la décentralisation. La proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, signée par le Président Christian Poncelet et nos collègues Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin, adoptée par le Sénat le 26 octobre 2000, propose d'inscrire dans la Constitution le principe d'un financement majoritaire des collectivités locales par la fiscalité. Celle présentée par M. Pierre Méhaignerie et adoptée par l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001, vise à instituer un droit à l'expérimentation au bénéfice des collectivités locales.

Dans le cadre du présent avis, votre commission des Lois examinera trois questions essentielles pour la décentralisation : les conditions d'exercice des mandats locaux pour lesquelles certains progrès, enregistrés sous l'impulsion du Sénat, doivent être amplifiés, la réforme de l'intercommunalité et l'avenir du système de financement local.

A. L'AMÉLIORATION PROGRESSIVE DES CONDITIONS D'EXERCICE DES MANDATS LOCAUX

Depuis plusieurs années, le Sénat a fait de la sécurité juridique des mandats un thème prioritaire de ses réflexions et a pris dans ce domaine des initiatives. Mettre en place un environnement juridique sûr apparaît, en effet, indispensable pour éviter un découragement de beaucoup d'élus locaux, périlleux pour notre démocratie locale.

Avant d'évoquer brièvement la question du « statut » de l'élu, qui sera à nouveau examinée par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, votre rapporteur souhaite jeter un regard sur deux réformes importantes survenues en 2001. La première, réglementaire, est l'entrée en vigueur d'un nouveau code des marchés publics ; la seconde, législative et à laquelle le Sénat a apporté une contribution décisive, concerne les chambres régionales des comptes.

1. L'entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics

Le nouveau code des marchés publics, fruit d'une réflexion engagée en 1995 et d'une large concertation avec les associations d'élus et les entreprises, est entré en vigueur le 9 septembre 2001.

Le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 auquel il est annexé prévoit, en effet, qu'il entrera en vigueur six mois après sa publication, sauf pour les dispositions afférentes à la computation des seuils, qui ne prendront effet qu'à compter du 1 er janvier 2002.

L'ensemble de la réforme a une portée considérable puisque les dépenses d'achat des administrations publiques (Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale) s'élevaient en 1999 à 746,1 milliards de francs soit 15,7 % des dépenses des administrations publiques et 8,5 % du produit intérieur brut. Dans cet ensemble, le montant des marchés publics s'élève à 191 milliards de francs , 60 % étant passés par les collectivités locales .

En moyenne annuelle, sur la période 1995-1998, les collectivités locales ont ainsi passé 188.600 marchés, d'un montant moyen de 700.000 francs, et l'Etat 39.900 marchés, d'un montant moyen de 2,3 millions de francs.

Il convient de souligner que le nouveau code des marchés publics pourrait subir des modifications prochaines, en raison de la refonte des directives communautaires tendant à la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, services et travaux 15( * ) .

La réforme du code des marchés publics s'est opérée autour de deux axes majeurs : la clarification des textes et la simplification des procédures.

a) La clarification des textes

Sur le plan formel, les règles du nouveau code des marchés publics sont désormais présentées suivant l'ordre chronologique de la passation d'un marché, à savoir de la définition des besoins à son exécution. Par ailleurs, les dispositions afférentes à la passation des marchés de l'Etat et des collectivités locales ont été fusionnées, ce qui a permis de réduire le nombre d'articles à 136 au lieu de 399.

Sur le fond, les dispositions de ce texte définissent aussi précisément que possible tant le champ d'application du code que les procédures de passation à mettre en oeuvre. De telles définitions sont de nature à lever les interrogations et les interprétations divergentes générées par l'imprécision des articles du précédent code. Les marchés d'entreprise de travaux publics sont supprimés.

De plus, les modalités de computation des seuils, jusqu'alors sources de nombreuses contestations, sont désormais précisées par l'article 27 du nouveau code des marchés publics. La notion de fournitures ou de prestations de services homogènes étant au coeur de l'appréciation de tous les seuils fixés dans le code, il est indiqué que ce caractère homogène sera apprécié par référence à une nomenclature définie par arrêté interministériel.

Le code vise ainsi à fournir aux élus locaux un recueil clair et synthétique des principales règles applicables à la passation et à l'exécution d'un marché public.

b) La simplification des procédures

Les modalités de passation des marchés publics sont fonction, soit du montant du marché, soit de sa nature.

S'agissant des modes de passation des marchés en raison de leur montant, le code adopte désormais une structure simple à trois étages. Il prévoit le relèvement du seuil des achats passés sans formalisme à 90.000 euros HT au lieu de 300.000 francs TTC. Au-delà de ce seuil s'applique une procédure simplifiée qui combine la transparence de l'appel d'offres et les avantages du marché négocié 16( * ) . A partir des seuils communautaires, c'est-à-dire 200.000 euros HT pour les collectivités locales, il convient de recourir à l'appel d'offres. Dès lors, la superposition entre appels d'offres au plan communautaire et au plan national disparaît. Cette mesure de simplification est de nature à limiter les contraintes de procédure qui pesaient jusqu'alors sur les petits marchés des collectivités locales.

Il sera cependant toujours possible de recourir à la procédure du marché négocié, notamment en cas d'urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles telles que celles rencontrées lors des tempêtes de fin décembre 1999.

Par ailleurs, en ce qui concerne les modalités de passation des marchés en raison de leur nature, les dispositions du nouveau code prévoient que les services récréatifs, culturels et sportifs, sociaux, sanitaires, d'éducation, de qualification ou d'insertion professionnelle peuvent être passés selon une procédure allégée de tout formalisme.

Désormais, il sera possible de prendre en compte les conditions sociales et environnementales de l'exécution d'un marché public (mais non les utiliser comme critère de choix des candidats) 17( * ) . La règle du choix du « mieux disant » plutôt que du « moins disant » est affirmée (principe du choix de l'offre économiquement la plus avantageuse). Dans l'objectif d'une ouverture à l'innovation, les entreprises candidates pourront proposer des variantes de nature à améliorer le projet de l'administration.

Afin d'ouvrir les marchés aux petites et moyennes entreprises et aux artisans, le contrôle de la régularité de la situation sociale et fiscale des sociétés est simplifié et la retenue de garanties allégée. Les collectivités publiques devront s'engager contractuellement sur des délais de paiement globaux auprès de leurs fournisseurs, tout retard de paiement étant sanctionné automatiquement par le versement d'intérêts moratoires. Enfin, l'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique devrait être facilité par l'encouragement du recours à l'allotissement et au groupement des offres.

c) La nécessité d'une réforme législative

Votre commission des Lois se félicite de l'entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics, tout en regrettant que le Parlement n'ait pas été associé à cette réforme essentielle.

Certes, le code des marchés publics était une construction entièrement réglementaire en vertu, d'ailleurs, de textes forts anciens 18( * ) , tous antérieurs à la Constitution de la V ème République qui instaure un partage constitutionnel entre domaine de la loi et domaine réglementaire .

Comme le soulignait notre collègue Pierre Jarlier dans son rapport pour avis sur le projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, l'un des aspects les plus importants d'une véritable réforme de la commande publique eût été le reclassement des règles entre les principes fondamentaux, qui sont du ressort de la loi , les mécanismes d'application d'ordre public, qui relèvent du décret , et les règles supplétives, qui peuvent trouver place dans de simples recommandations.

La réforme du code des marchés publics, comme l'a montré le projet de loi déposé en 1997 par le Gouvernement de M. Alain Juppé, était l'occasion de donner une valeur législative aux principes qui gouvernent l'achat public par l'Etat et ses établissements publics, par parallélisme avec ce qui était constitutionnellement nécessaire pour les marchés des collectivités territoriales.

En effet, le Conseil d'Etat a jugé, dans un arrêt du 29 avril 1981 19( * ) , que les dispositions du code des marchés publics applicables aux collectivités locales relevaient du domaine de la loi.

Ce changement de fondement juridique pouvait sembler justifié car la réglementation des marchés constitue, en pratique, une organisation de la liberté du commerce et de l'industrie. Ainsi, par exemple, des principes d'appel public à la concurrence et d'égalité de traitement des candidats, dont il pouvait sembler utile que la loi les explicitât pour l'Etat, comme elle doit le faire pour les collectivités locales.

Le Gouvernement n'en a pas jugé ainsi, qui a simplement proposé, lors de l'examen du projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, de reprendre dans la loi la définition jurisprudentielle de la notion de délégation de service public et de qualifier d'administratifs tous les contrats soumis au code des marchés publics.

Ce projet de loi, adopté définitivement par l'Assemblée nationale le 20 novembre dernier, prévoit également d'autoriser les présidents des conseils généraux et régionaux, par délégation de l'assemblée délibérante, à passer des marchés d'un montant inférieur à 90.000 euros HT et, d'autre part, de ne plus rendre obligatoire la transmission au préfet, dans le cadre du contrôle de légalité, les marchés publics des collectivités locales d'un montant inférieur à 90.000 euros HT, en cohérence avec la nouvelle définition des modes de passation et des seuils.

Votre commission regrette, enfin, l'absence d'une réforme d'ensemble de la commande publique qui eût permis de rassembler dans un même code l'ensemble des règles dans ce domaine qu'il s'agisse, par exemple, des dispositions relatives aux délégations de service public ou des dispositions de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée.

2. La réforme des chambres régionales des comptes

Les chambres régionales des comptes ont été créées par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, en contrepartie du renforcement des pouvoirs dévolus aux collectivités locales et de la suppression de la tutelle préfectorale sur leurs actes.

Elles remplissent une triple mission : le jugement des comptes , qui est leur seule attribution juridictionnelle, le contrôle des actes budgétaires et l'examen de la gestion des collectivités territoriales. Corollaire indispensable de la décentralisation, ce contrôle représente également un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale.

Toutefois, la charge croissante de travail pesant sur les magistrats financiers et l'imperfection des procédures applicables devant les chambres régionales des comptes ont suscité, au fil des années, incompréhensions, défiances et crispations.

a) Une gestation difficile

Prenant très tôt conscience du malaise des magistrats et des élus, le Sénat avait décidé, en avril 1997, la création d'un groupe de travail commun à la commission des Lois et à celle des Finances, présidé par notre collègue Jean-Paul Amoudry et dont le rapporteur était notre collègue Jacques Oudin.

Sur la base de ces travaux, il avait adopté, le 11 mai 2000, une proposition de loi tendant à réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes.

De son côté, l'Assemblée nationale votait, le 30 mars 2000, non sans l'avoir enrichi de deux articles tendant à réformer les conditions d'examen de la gestion locale, un projet de loi élaboré par le Gouvernement afin de revaloriser le statut des magistrats des chambres régionales des comptes, en prenant pour exemple celui de leurs homologues des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Finalement, au terme d'une longue procédure législative, les deux assemblées sont parvenues à un accord sur un texte qui permet de répondre tout à la fois aux attentes légitimes des magistrats financiers de jouir d'un meilleur déroulement de carrière et au souhait des élus d'une réforme des procédures applicables devant les chambres régionales des comptes qui leur offre une plus grande sécurité juridique.

b) Une avancée réelle

Le texte adopté par le Sénat le 21 novembre 2001, sur les conclusions de la commission mixte paritaire, donne une définition législative de l'examen de la gestion locale , affirmant clairement que celui-ci ne peut porter sur l'opportunité des objectifs fixés par les collectivités territoriales. Il améliore également la procédure de contrôle. Les documents provisoires des chambres régionales des comptes seront soumis à la règle de non communication déjà en vigueur pour les mêmes documents de la Cour des comptes. Les élus seront désormais en mesure d'apporter une réponse écrite aux observations des juridictions financières, qui sera publiée en même temps que le rapport d'observations définitives. En cas d'élections, celles-ci ne pourront être publiées ou communiquées dans un délai de trois mois précédant le renouvellement de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée. En cas d'erreur matérielle ou d'erreur manifeste, les personnes mises en cause disposeront d'un droit à rectification du rapport d'observations.

En revanche, la proposition du Sénat de considérer les observations définitives des chambres régionales des comptes comme des actes faisant griefs, susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, n'a pas été retenue en commission mixte paritaire.

S'agissant du jugement des comptes , le texte confie à l'apurement administratif, c'est-à-dire aux comptables supérieurs du Trésor, les comptes des quelque 15.000 associations syndicales autorisées et des associations de remembrement, ce qui allégera considérablement la tâche des chambres régionales et leur permettra de concentrer leurs travaux sur les collectivités locales. Il relève également les seuils démographiques et financiers en dessous desquels le jugement des comptes des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des établissements publics de coopération intercommunale sera confié aux comptables publics.

Il ramène de trente à dix ans la durée de la prescription en matière de gestion de fait et met fin à la sanction automatique d'inéligibilité, applicable aux comptables de fait. Lui sera substitué un mécanisme de suspension des exécutifs locaux de leurs fonctions d'ordonnateur à l'issue d'un jugement définitif. Ce dispositif n'aura toutefois pas pour effet d'écarter toute sanction élective : de telles sanctions subsisteront pour les gestions de fait dont le caractère frauduleux conduirait à la mise en oeuvre d'une procédure pénale, au terme de laquelle des peines complémentaires d'inéligibilité peuvent, le cas échéant, être prononcées.

Enfin, le projet de loi tend à rénover le statut des magistrats des chambres régionales des comptes, à accroître leurs liens avec la Cour des comptes et à mettre en place une gestion plus concertée du corps.

3. Des progrès à amplifier

Ces progrès incontestables, qui portent sur la sécurité juridique des mandats, doivent être amplifiés par des mesures destinées à améliorer le « statut » des élus locaux dans un contexte marqué par une diversification de plus en plus grande de leurs tâches.

Le Livre blanc élaboré au sein de l'Association des Maires de France, qui a été présenté lors du 82 è congrès de l'association, a formulé de manière très pertinente divers éléments de réflexion.

La mission sénatoriale d'information a fait de cette question du « statut » de l'élu un autre thème prioritaire de ses réflexions. Son rapport d'étape précité souligne l'inadaptation du cadre juridique en vigueur -très largement issu de la loi du 3 février 1992- lequel ne garantit plus l' égal accès de tous les citoyens à un mandat local , comme en témoigne la forte représentation des retraités et des agents de la fonction publique parmi les maires.

La mission d'information a formulé un ensemble de propositions pour favoriser l'accès des citoyens aux fonctions électives et rééquilibrer la représentation sociologique des élus. Ces propositions tendent à concilier plus aisément une activité professionnelle et l'exercice d'un mandat local et à faciliter l'exercice à plein temps du mandat local. Tout en exprimant son attachement au principe de gratuité du mandat, la mission d'information a néanmoins préconisé une revalorisation des indemnités de fonction . Enfin, elle a souhaité que l'exigence de formation de l'élu soit mieux reconnue et généralisée.

Sur le rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye, au nom de la commission des Lois, le Sénat a adopté, le 18 janvier 2001, une proposition de loi relative à la démocratie locale qui s'inscrit dans le droit fil de ces orientations et servira de base pour l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité.

B. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Votre commission des Lois souhaite que se poursuive le mouvement indispensable d' approfondissement de la coopération intercommunale, dont elle a souligné l'ampleur. Aussi nécessaires soient-elles, les incitations financières ne pourront aboutir que si elles se conjuguent avec une véritable volonté des élus de travailler ensemble autour de projets communs.

1. Assouplir le cadre juridique de la coopération intercommunale

Dans ce but, la mission d'information sur la décentralisation a, à juste titre, souhaité, d'une part, que soit poursuivie la simplification du cadre juridique de l'intercommunalité et la rationalisation des structures , d'autre part, que le rôle de la commission départementale de la coopération intercommunale soit renforcé ( proposition n° 8 ).

Cette proposition traduit l'idée majeure selon laquelle la coopération intercommunale devant reposer sur la libre volonté des communes, la loi ne doit pas prétendre régler dans les moindres détails les problèmes qui peuvent se poser au quotidien mais, au contraire, faire confiance aux élus locaux pour trouver les meilleures solutions correspondant au contexte local. Ainsi, comme l'avait voulu le Sénat, le législateur n'a pas donné une définition uniforme de la notion d'intérêt communautaire des compétences transférées, préférant laisser une marge de discussion aux acteurs locaux.

En outre, des assouplissements du cadre juridique doivent être envisagés chaque fois qu'une règle mal adaptée constitue une entrave au renforcement de l'intercommunalité.

Comme l'a parfaitement souligné la mission d'information sur la décentralisation, ce développement de la coopération intercommunale ne doit pas se faire au détriment de l'identité communale . Niveau d'administration de proximité, les communes doivent jouer un rôle essentiel dans la prise en charge d'un certain nombre de besoins relevant de la vie quotidienne de nos concitoyens. Cette dimension devra être prise en compte dans les réflexions sur la désignation au suffrage universel direct des délégués intercommunaux, perspective ouverte tant par la mission sénatoriale d'information que par la commission pour l'avenir de la décentralisation, et introduite par l'Assemblée nationale dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité.

2. Rénover le cadre financier de la coopération intercommunale

La politique consistant à financer en partie l'intercommunalité par des concours extérieurs à la dotation globale de fonctionnement, afin de ne pas pénaliser la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale, atteint ses limites et ne parvient d'ailleurs pas toujours à garantir à ces dotations une progression convenable.

Pour remédier à cette difficulté, la création d'une enveloppe spécifique destinée au financement de l'intercommunalité au sein de la dotation globale de fonctionnement constitue une piste de réflexion souvent évoquée. Il convient cependant d'avoir en mémoire le lien existant entre les dépenses des communes et celles des établissements publics de coopération intercommunale dont elles sont membres. Il pourrait donc être envisagé de remplacer le lien actuel entre la dotation d'intercommunalité et les dotations de solidarité urbaine et rurale par un lien entre la dotation forfaitaire des communes et celle des établissements publics de coopération intercommunale .

La réforme du financement de la dotation d'intercommunalité doit s'accompagner d'une réflexion sur les critères de péréquation , utilisés pour sa répartition. Aujourd'hui, les budgets et les compétences des structures intercommunales sont tels que celles-ci ne peuvent plus s'accommoder d'attributions de dotation globale de fonctionnement dont le montant peut fluctuer dans des proportions importantes d'une année sur l'autre du fait de l'évolution des coefficients d'intégration fiscale (CIF) des établissements publics de coopération intercommunale au sein d'une même catégorie. La réforme du mode de calcul du CIF devient d'ailleurs prioritaire : les modalités de prise en compte des dépenses de transfert sont devenues d'une extrême complexité et susceptibles de nombreuses contestations.

La question du développement de l'intercommunalité apparaît donc étroitement liée à celle de la réforme des finances locales.

C. L'AVENIR DU SYSTÈME DE FINANCEMENT LOCAL

La nécessité de réformer le système de financement local semble faire l'objet d'un large consensus. L'an passé, votre rapporteur avait exposé les propositions de la mission commune d'information du Sénat sur la décentralisation. La commission pour l'avenir de la décentralisation et le Conseil économique et social ont également apporté des contributions importantes à la réflexion 20( * ) .

Le Premier ministre lui même a annoncé une « grande réforme » des finances locales, avec la présentation, à la fin de l'année 2001, d'un rapport sur les voies et moyens d'une réforme des ressources des collectivités locales. Une note d'étape a été communiquée au Comité des finances locales et aux commissions parlementaires, le 12 juillet 2001. Les membres du comité ont réagi à ce document lors d'un séminaire au mois de septembre.

Ces différentes contributions cernent les mêmes enjeux, sans pour autant toujours aboutir aux mêmes préconisations. A ce stade, votre commission des Lois souhaite simplement souligner que la réforme du système de financement local devra reposer sur deux piliers : l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et la péréquation.

a) L'indispensable autonomie fiscale des collectivités territoriales

L'autonomie financière constitue l'une des conditions, essentielle, de la libre administration des collectivités territoriales, dont le principe est affirmé à l'article 72 de notre Constitution.

D'aucuns, prenant exemple sur la situation d'autres pays européens tels que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, voudraient la réduire à une autonomie de dépenses. Votre commission des Lois estime, au contraire, que l'autonomie fiscale constitue non seulement un facteur d'efficacité de la gestion des collectivités territoriales mais surtout un fondement de la démocratie locale .

La Constitution n'établit aucun lien explicite entre le principe de libre administration et celui d'autonomie fiscale locale, ni d'ailleurs avec celui d'autonomie financière. Elle réserve à la loi (article 34) le pouvoir de fixer « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». C'est de la loi du 10 janvier 1980 que les conseils élus des collectivités territoriales tiennent le pouvoir de voter chaque année les taux des impôts directs locaux.

Toutefois, dans sa décision n° 98-405 du 29 décembre 1998, relative à la suppression de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle, le Conseil constitutionnel a rappelé, selon une jurisprudence bien établie, que les règles posées par la loi « ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités au point d'entraver leur libre administration » . Il a considéré en l'espèce que, « puisqu'en contrepartie de la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle, la loi institue une compensation (...) ces règles n'ont ni pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités locales, ni de restreindre les ressources fiscales au point d'entraver leur libre administration. »

Telle est la raison pour laquelle le Sénat, sur le rapport de notre collègue Patrice Gélard, a adopté le 26 octobre 2000 une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, signée par le Président Christian Poncelet et nos collègues Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin, qui tend à inscrire dans la Constitution le principe d'un financement majoritaire des collectivités locales par la fiscalité.

Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la décentralisation, la réforme de la fiscalité locale suppose, tout d'abord, de réviser les bases des impôts . L'assiette de l'impôt local a vieilli ; elle est à l'origine de nombreuses inégalités, entre les citoyens comme entre les collectivités, et fausse les mécanismes de la péréquation dont elle détermine largement les critères. L'existence de bases d'imposition justes et régulièrement actualisées permettrait, au contraire, de maintenir durablement une fiscalité locale vivante et de réduire les charges incompressibles pesant sur le budget de l'Etat. En la matière, si l'hypothèse du transfert aux communes de la possibilité de réviser les bases locatives paraît séduisante, il convient d'en mesurer toute la complexité, dès lors que les impôts locaux sont partagés entre plusieurs niveaux de collectivités locales.

La simplification des impôts semble également une nécessité. La fiscalité locale est caractérisée par une grande complexité, en raison notamment du partage du produit des impositions entre plusieurs niveaux de collectivités.

L'idée d'une spécialisation des impôts locaux , reprise à son compte par la commission pour l'avenir de la décentralisation, doit être examinée avec prudence. Appliquée de manière stricte, elle ferait dépendre les ressources d'un niveau de collectivité d'une seule base fiscale, ce qui pourrait compromettre leur stabilité. Par ailleurs, les propositions généralement avancées de répartition des impôts existants entre niveaux de collectivités ne semblent pas compatibles avec le maintien de leurs ressources actuelles.

La spécialisation « de fait », par le biais de mécanismes tels que la taxe professionnelle unique, sur la base de l'adhésion libre des communes, semble à la fois plus souple et plus opérationnelle. De même, l'affectation au profit de certaines collectivités d'impôts spécifiques pourrait les conduire à ne plus souhaiter percevoir l'un des impôts existants.

Enfin, la possibilité d'affecter aux collectivités locales une fraction du produit d'un ou plusieurs impôts d'Etat doit être envisagée à l'aune de deux exigences : une base susceptible d'être territorialisée et un taux susceptible d'être modulé par la collectivité bénéficiaire. Sinon, elle risquerait de s'assimiler à une dotation et de porter atteinte à l'autonomie financière locale.

b) Le renforcement de la péréquation

L'autonomie financière des collectivités territoriales, surtout si elle est très large, ne va pas sans certaines inégalités et certaines distorsions économiques. La péréquation s'avère donc indispensable pour assurer la cohésion du territoire national. Si la solidarité entre collectivités territoriales doit être encouragée, il convient également de rénover les concours financiers que l'Etat leur apporte.

La mise en place d'une enveloppe normée et d'un engagement pluriannuel ont constitué un réel progrès, dans la mesure où ils ont permis aux collectivités territoriales de disposer de ressources stables et prévisibles. Il serait donc souhaitable d'en reconduire le principe, en retenant une indexation qui permette aux collectivités locales de bénéficier davantage des fruits de la croissance : l'indexation devrait être portée de 33 % à 50 % de la croissance du produit intérieur brut. Le maintien de la dotation de compensation de la taxe professionnelle dans le rôle de variable d'ajustement de l'enveloppe normée doit également être réexaminé.

Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la décentralisation, il conviendrait en outre, afin de permettre aux élus locaux d'avoir une vision claire de leurs ressources, de simplifier et de globaliser , autant que faire se peut, les dotations de l'Etat. Une condition nécessaire de la réussite du processus de simplification serait l'interruption de la pratique consistant à financer à partir d'une même enveloppe des actions sans cesse plus nombreuses. Le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et le Fonds national de péréquation en sont les meilleurs exemples.

Enfin, les mécanismes de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement pourraient être améliorés. La dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale représentent moins de 10 % de la dotation globale de fonctionnement des communes. La dotation d'intercommunalité est en revanche très péréquatrice, puisque 85 % de son montant est réparti en tenant compte du potentiel fiscal des structures intercommunales.

Le montant des crédits consacré à la péréquation pourrait être accru en ramenant la part de l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement d'une année sur l'autre consacrée à la dotation forfaitaire à moins de 50 % (contre 50 % à 55 % aujourd'hui).

Assurer une meilleure péréquation entre les collectivités locales nécessite surtout une refonte des critères de répartition des dotations , ceux-ci étant trop nombreux d'une part, et de moins en moins pertinents d'autre part. Ainsi, le potentiel fiscal est calculé à partir de bases d'imposition obsolètes et se trouve considérablement affecté par la croissance des compensations fiscales.

Les pistes de réflexion sont donc nombreuses. En tout état de cause, il conviendra d'instituer des mécanismes de péréquation respectueux de la libre administration des collectivités locales.

*

* *

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'administration territoriale et à la décentralisation, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2002.

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