C. LÉGIFÉRER AVEC PRUDENCE

Sur la question posée par l'arrêt Perruche, des positions diverses s'expriment - éminemment respectables. Une intervention du législateur paraît désormais inévitable, qui ne saurait être interprétée comme une critique à l'égard du travail des juridictions. La Cour de cassation n'a pas failli à sa mission.

La société actuelle n'est pas telle en effet que le juge puisse traiter chaque cas particulier en lui appliquant de manière mécanique la règle générale. Tandis que la loi est parfois imprécise, contradictoire ou silencieuse, le juge est confronté à des situations nouvelles liées notamment aux progrès fulgurants de la science. Toutes les questions qui concernent le début de la vie font partie de ces situations pour lesquelles la loi ne règle pas tout et ne peut sans doute pas tout régler. Face à ces situations, « la sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l'exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle » 13 ( * ) . A cet égard, si les arrêts de la Cour de cassation sont discutables, ils ne sont sûrement pas déshonorants.

Pour autant, il revient au législateur de prendre en compte la blessure provoquée chez certains par la jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi que les inquiétudes fortes qu'elle a suscitées.

Afin de faciliter le travail du Sénat et son débat public, votre commission des Lois, après avoir organisé des auditions publiques sur cette question, a décidé de formuler une proposition sans attendre le dépôt par le Gouvernement d'un amendement reprenant le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Si votre commission approuve les principes posés par l'Assemblée nationale dans la proposition de loi qu'elle a adoptée, elle constate que plusieurs difficultés sérieuses doivent encore être levées.

1. Approuver les principes dégagés par l'Assemblée nationale

Votre commission souscrit à la proposition de l'Assemblée nationale tendant à interdire à une personne, même handicapée, de se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance tout en reconnaissant qu'une action est évidemment possible lorsqu'une faute médicale a créé un handicap in utero.

Il paraît indispensable en effet d'entendre les graves objections formulées à l'égard de l'action d'un enfant qui ne pouvait que naître handicapé ou ne pas naître . Personne ne mesure clairement les conséquences que pourrait avoir dans l'avenir l'admission d'une telle action. Sans doute, l'action d'un enfant reprochant à ses parents de l'avoir laissé naître ne serait-elle pas accueillie aujourd'hui. Il est difficile d'écarter avec certitude cette hypothèse pour l'avenir 14 ( * ) . Que penser de la situation d'un enfant dont la mère aurait accepté de la faire naître handicapé et qui engagerait une action à son encontre ?

Au demeurant, il suffit de constater le caractère contestable du lien de causalité entre la faute et le dommage pour considérer que l'action de l'enfant ne peut prospérer.

Votre commission a également décidé d'approuver le principe -lorsqu'une faute médicale n'a pas permis de déceler un handicap grave au cours d'une grossesse- du versement d'une indemnité correspondant aux charges matérielles particulières découlant du handicap.

Elle est favorable à ce que cette indemnité soit limitée aux seules charges qui ne seraient pas assumées par la solidarité nationale . Ainsi, les progrès futurs de la solidarité nationale pourraient permettre de faire diminuer ou même disparaître l'indemnité accordée par le juge.

Le principe du versement d'une telle indemnité ne met en aucun cas à la charge des médecins échographistes une obligation de résultat. Un handicap non décelé n'est pas à lui seul constitutif d'une faute médicale , la jurisprudence de la Cour de cassation est très claire sur ce point. Certes, dans certaines hypothèses, une discussion peut exister sur la faute, mais ce qui est alors en cause est le mode de preuve - en réalité la qualité de l'expertise. Sur ce point, le présent projet de loi, en réformant les règles relatives au choix des experts médicaux, pourrait apporter de réels progrès.

* 13 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre.

* 14 De telles actions ont été accueillies pendant quelques années aux Etats-Unis, mais ne le sont plus actuellement.

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