N° 29

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 octobre 2003

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile ,

Par M. Paul DUBRULE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 810, 872 , 883 et T.A. 146

Sénat : 340 (2002-2003) et 20 (2003-2004)

Etrangers.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le droit d'asile est en France un droit fondamental profondément ancré dans notre tradition républicaine. Par deux fois déjà, le respect de ce principe à valeur constitutionnelle est entré en conflit avec les progrès de la construction européenne et l'harmonisation des procédures d'accès à l'espace européen de libre circulation des personnes. Par deux fois la France a choisi de modifier sa constitution pour concilier nos engagements européens avec notre obligation morale et constitutionnelle de préserver la possibilité de donner l'asile aux personnes persécutées pour leur action.

Parce qu'il s'agit d'un droit fondamental, le législateur a le devoir de légiférer pour le rendre plus effectif. C'est là, la question fondamentale posée par l'examen du projet de loi présenté par le gouvernement et approuvé par l'Assemblée nationale le 5 juin 2003, visant à modifier la loi de 1952 relative au droit d'asile.

Or, cette réforme est devenue particulièrement nécessaire pour tenir compte du risque d'engorgement des structures chargées de traiter les demandes et de prendre en charge les demandeurs d'asile. En effet, l'augmentation très rapide des demandes, l'allongement des procédure qui en résulte et l'effet d'aubaine dont profitent tous ceux qui n'utilisent cette procédure que pour camoufler une immigration économique, menacent l'effectivité du droit d'asile et, si rien n'était entrepris, le droit lui-même.

Une nouvelle fois, en outre, l'environnement international change. Le HCR évolue dans sa doctrine d'application de la convention de Genève afin de tenir compte des évolutions du monde et notamment des crises dans lesquelles les Etats se disloquent. En Europe, la construction de l'espace de libre circulation des personnes progressant, les pratiques des pays membres se modifient et la Commission européenne négocie avec les Etats une harmonisation des législations. Il fallait donc tenir compte de toutes ces évolutions.

C'est pourquoi, votre rapporteur, après avoir rappelé les principes juridiques nationaux et internationaux dans lesquels s'insère ce projet de loi, présentera les évolutions, en France et en Europe, de la demande d'asile et évaluera les dispositions du texte présenté par le gouvernement.

I. LE DROIT D'ASILE, UN DEVOIR FIXÉ PAR LA CONSTITUTION ET LE DROIT INTERNATIONAL

Le droit d'asile est issu d'une tradition ancienne à laquelle la pratique républicaine et les événements de la seconde guerre mondiale ont donné une place à part. Il a été consacré par les constitutions successives de la IVe puis de Ve République et par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et son protocole du 31 janvier 1967.

A. UN DEVOIR FIXÉ PAR LA CONSTITUTION ET LA TRADITION RÉPUBLICAINE

Le droit d'asile a en France une place toute particulière issue de l'histoire, de notre tradition politique, de notre droit et de la jurisprudence constitutionnelle.

1. Un héritage historique et politique

Le droit d'asile est tout d'abord une pratique très ancienne remontant à des temps immémoriaux, droit sacré se confondant bien souvent avec le devoir d'hospitalité dû au voyageur, à l'étranger ou au proscrit. Ce droit a longtemps eu un fondement religieux et une application très large puisqu'il s'étendait aux crimes et délits civils et pénaux, les personnes poursuivies pouvant trouver refuge auprès des établissements religieux. Ce droit a perduré sous des formes dégradées jusqu'à la Révolution.

En matière politique, le droit d'asile est également une pratique ancienne permettant, de manière discrétionnaire à un monarque, puis à un gouvernement, d'accueillir sur son territoire des opposants à un pays ennemi ou des familles régnantes déchues. Louis XIV l'avait pratiqué pour les Stuart ; les Bourbon ont trouvé refuge en Belgique ou en Angleterre.

C'est la Révolution française de 1789 qui va donner au droit d'asile son sens moderne, la constitution montagnarde du 23 juin 1793 déclarant à son article 120 : « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ». L'idée que la France devait être la terre d'asile naturelle de tous les combattants pour la liberté était née.

Les événements des années 1930, la décision de gouvernements français de l'époque de créer des camps d'internement pour les républicains espagnols fuyant le franquisme, les opposants politiques ou les juifs venus d'Allemagne ou d'Italie, préludant pour certains leur renvoi dans leurs pays d'origine, ont profondément marqué les esprits. Ils ont forgé, au sortir de la seconde guerre mondiale, la volonté de faire du droit d'asile un droit constitutionnel.

2. Un droit constitutionnel

Ainsi, le droit d'asile a-t-il été inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. [...] Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : [...] Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République » .

Les principes du préambule de la constitution de 1946 ont été intégrés dans la Constitution du 4 octobre 1958 par son préambule qui dispose : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Ils ont été reconnus comme ayant une pleine et entière valeur juridique par le Conseil constitutionnel qui les considère comme faisant partie du « bloc de constitutionnalité ».

3. Un droit garanti par la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Le droit d'asile a été à de multiples reprises réaffirmé par le Conseil constitutionnel.

Il a notamment décidé qu'il « incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle ; que s'agissant d'un droit fondamental [...] , la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes à valeur constitutionnelle » 1 ( * ) .

De plus, le Conseil a été amené à vérifier la constitutionalité des engagements européens de la France au regard de ce principe . Il a ainsi décidé qu'il était contraire à la Constitution que la France ne puisse examiner une demande d'asile, même si une convention ou un traité international visait à désigner un Etat comme responsable de l'instruction de la demande d'asile, car il s'agit d'un principe à valeur constitutionnelle et donc supérieur à celle des conventions internationales (DC n°91-294 du 25 juillet 1991 relative à la convention d'application de l'accord de Schengen et DC n° 93-325 du 13 août 1993, relative à maîtrise de l'immigration).

Cette décision a entraîné une modification de la Constitution et l'insertion de l'article 53-1 permettant à la France de conclure, avec ses partenaires européens, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile, tout en maintenant la possibilité pour les autorités françaises « de donner asile à tout étranger persécuté pour son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif » (LC n° 93-1256 du 25 novembre 1993).

La valeur constitutionnelle du droit d'asile a, en outre, fait partie des motifs qui ont conduit le Conseil constitutionnel à estimer que les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à la libre circulation des personnes, aux visas et à l'asile, prévoyant notamment le passage au vote à la majorité qualifiée, portaient atteinte aux « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » 2 ( * ) . Cette décision a également entraîné une modification de la Constitution (ajout d'un second alinéa à l'article 88-2 par LC n°99-49 du 25 janvier 1999).

Par ailleurs, il a affirmé que le droit d'asile impliquait que les demandeurs du statut de réfugié puissent bénéficier d'une « protection particulière » . Il en a notamment déduit que « la confidentialité des éléments d'information détenus par l'office français de protection des réfugiés et apatrides relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile » et « qu'il en résulte que seuls les agents habilités à mettre en oeuvre le droit d'asile [...] peuvent avoir accès à ces informations, en particulier aux empreintes digitales des demandeurs », à l'exclusion des agents des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale 3 ( * ) .

Le Conseil a enfin confirmé que le droit d'asile implique que l'étranger qui s'en réclame soit autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, que l'admission au séjour lui est nécessairement consentie, sous réserve de la conciliation de cette exigence avec la sauvegarde de l'ordre public, afin de lui permettre d'exercer effectivement les droits de la défense 4 ( * ) .

* 1 DC n° 93-325 du 13 août 1993, relative à maîtrise de l'immigration.

* 2 DC n° 97-394 du 31 décembre 1997.

* 3 DC n°97-389 du 22 avril 1997.

* 4 DC n° 93-325 du 13 août 1993, relative à maîtrise de l'immigration.

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