II. LA « RECENTRALISATION RAMPANTE » DES FINANCES LOCALES A CONDUIT À INTRODUIRE DES GARANTIES

A. UNE RECENTRALISATION NÉFASTE POUR LES FINANCES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE L'ETAT

Au cours des vingt années qui ont suivi le « premier acte » de la décentralisation, le lien fiscal entre les collectivités territoriales et les contribuables locaux s'est nettement détérioré , conduisant le contribuable national à devenir progressivement le premier financeur des collectivités territoriales. L'introduction dans la Constitution de dispositions visant à préserver l'autonomie financière des collectivités territoriales a été motivée par le constat du recul de celle-ci, en particulier, sous la précédente législature, compte tenu du remplacement de nombreuses recettes fiscales locales par des dotations de l'Etat .

On citera notamment :

- la suppression de la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) d'immeubles, prévue par l'article 39 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998), compensée par une dotation indexée sur l'indice de progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ;

- la suppression progressive de la part « salaires » des bases de la taxe professionnelle , engagée par l'article 44 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998). Cette réforme a fait l'objet d'une compensation aux collectivités territoriales sous la forme d'un prélèvement sur recettes, calculé à partir des bases de taxe professionnelle afférentes à l'année 1997, et indexé sur l'indice de progression de la DGF ;

- la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation , prévue par l'article 11 de la première loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-656 du 13 juillet 2000), compensée par une dotation calculée à partir des valeurs locatives constatées pour l'année 2000 et indexée sur l'indice de progression de la dotation globale de fonctionnement ;

- la suppression partielle de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur (« vignette »), prévue par l'article 6 de la loi de finances pour 2001 (n° 2000-1352 du 30 décembre 2000) et complétée par l'article 24 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001). Ces allègements ont été compensés par des attributions de dotation générale de décentralisation.

Votre commission des finances avait contesté le bien fondé de la plupart de ces dispositions , s'agissant, par exemple, de la suppression partielle de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur. Elle avait par ailleurs contesté de manière constante les modalités de compensation de ces allègements, considérant que celles-ci n'étaient pas respectueuses de l'autonomie financière des collectivités territoriales, et conduisaient à une mise sous tutelle progressive de leurs ressources .

Il convient certes de reconnaître que la recentralisation des ressources fiscales locales, dénoncée ci-avant, résulte notamment de l'archaïsme de la fiscalité locale et de l'obsolescence de ses bases : la fiscalité locale est largement déconnectée de la réalité et injuste, compte tenu de la vétusté des bases d'imposition, en particulier, de celle des valeurs locatives. C'est donc également parce que l'on a pas réformé les impôts locaux que l'Etat a pris à sa charge une part croissante de ceux-ci afin de limiter les inégalités qui en résultent, et rendre ainsi la fiscalité locale plus supportable. En effet, on peut considérer que les impôts locaux ne correspondent guère à la définition du « bon impôt » retenue par le Conseil des impôts, qui l'assimile aux impôts larges dans leurs assiettes, modérés dans leur taux, proportionnés aux capacités contributives des contribuables, compréhensibles par ces derniers et aisément recouvrables par l'administration.

Toutefois, le souci de corriger les inégalités résultant de l'obsolescence des bases de la fiscalité locale ne saurait expliquer, à lui seul, l'importance du processus de recentralisation des ressources locales. En particulier, la suppression de la part « salaires » des bases de la taxe professionnelle témoigne davantage d'une volonté d'utiliser la fiscalité directe locale à des fins de pilotage de l'activité économique.

Votre commission des finances a dénoncé de manière constante les effets pervers de la recentralisation des ressources fiscales locales, tant pour les collectivités territoriales que pour l'Etat lui-même . Ainsi, notre ancien collègue Alain Lambert, alors président de votre commission des finances, avait souligné, lors de la discussion générale de la proposition de loi constitutionnelle n° 432 (1999-2000) de nos collègues Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières : « En deux années, 1999 et 2000, les dépenses en faveur des collectivités locales auront augmenté de 37 milliards de francs. Sur ces 37 milliards de francs, 30 auront servi non pas à accroître les ressources des collectivités locales mais à remplacer d'anciennes recettes fiscales par des dotations de l'Etat. Autrement dit, ces 30 milliards de francs n'auront en rien servi à réduire la pression fiscale dans notre pays : ils auront été l'objet d'un simple jeu d'écriture par lequel un prélèvement du contribuable local aura été transféré vers le contribuable national. (...) La question qui nous est posée (...) est donc de savoir si tous ces jeux successifs auxquels on nous demande de nous livrer chaque année en valent la chandelle. Eh bien, s'agissant de l'Etat, y compris pour lui-même, j'en doute.

« Vous le savez, au sein de la commission des finances, nous espérons qu'un jour l'Etat ne financera plus ses dépenses de fonctionnement par l'emprunt. C'est pourquoi nous nous inquiétons tant de voir gonfler ses dépenses de fonctionnement dites « incompressibles ».

« J'ajoute que je ne comprends pas la logique qui pousse le Gouvernement à persévérer dans la voie du remplacement des ressources fiscales locales par des dotations budgétaires. Je suis sûr, d'ailleurs, que, pour les collectivités locales elles-mêmes, c'est une orientation malsaine, voire dangereuse.

« Le mouvement de suppression des impôts locaux constitue une remise en cause incontestable du principe de libre administration des collectivités locales et de l'esprit de décentralisation qui prévaut dans notre pays : c'est un retour en arrière, contrairement à ce que l'on a pu tenter de dissimuler.

« Cela ne revient-il pas, au fond, à rétablir une tutelle sur les recettes ? » 2 ( * ) .

* 2 In JO Débats Sénat, compte rendu intégral de la séance du 26 octobre 2000.

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