2. Un nouveau contexte communautaire : la réforme de la PAC

La réforme des modalités d'application de la politique agricole commune (PAC) a véritablement débuté en 1992 avec la mise en oeuvre de trois types de mesures visant à réduire le coût budgétaire de la PAC et à résorber les excédents : la baisse des prix garantis à la production afin d'amoindrir les incitations à produire et développer les débouchés ; le mécanisme de mise en jachère et de gel des terres pour stériliser une fraction des capacités de production, variable selon les évolutions du marché ; des aides directes aux agriculteurs, destinées à compenser les conséquences des baisses des prix sur leur revenu.

Ainsi, la progression des dépenses de la PAC a été contenue : en 2002, ces dépenses représentaient la moitié du total des dépenses du budget européen, soit environ 40 milliards d'euros pour l'Europe des Quinze. En outre, plus de la moitié des dépenses de la PAC (21 milliards d'euros) était versée sous forme de paiements directs aux agriculteurs.

En France, sur un total d'aides publiques à l'agriculture de 16,4 milliards d'euros en 2004 (hors protection sociale agricole), les financements communautaires s'élevaient à 10,1 milliards d'euros, soit 61,2 % de l'ensemble des concours publics.

Depuis 1992, la PAC a donc évolué d'une politique de soutien par les prix à une politique d'aides directes aux agriculteurs, de plus en plus indépendantes de la nature et des quantités de denrées produites. Un nouveau cap a été franchi avec les accords de Luxembourg de juin 2003 sur la « nouvelle PAC ». Cette réorientation de la PAC a été largement dictée par les négociations internationales à l'OMC .

a) Les principaux aspects de la réforme actée le 26 juin 2003 à Luxembourg

Le Conseil européen des ministres de l'agriculture du 26 juin 2003 a décidé une réforme approfondie de la PAC dans le cadre des accords dits de Luxembourg.

L'entrée en vigueur sera progressive : certains éléments interviennent dès 2004 (notamment réforme des organisations communes de marché lait et céréales), les aspects horizontaux (découplage, modulation, conditionnalités des aides) entrent en vigueur à partir de 2005, avec possibilité de différer la mise en place du découplage à 2007.

Ainsi, la nouvelle politique agricole commune introduit deux mesures principales, d'une part le découplage des aides, d'autre part, la conditionnalité des aides désormais soumises au respect des règles essentielles de la législation européenne, notamment en matière d'environnement et de bien être des animaux . Le découplage introduit le principe de « droit à paiement unique » d'aides par exploitation, fixé sur la base d'une période de référence 2000 à 2002. L'année 2005 permettra une simulation en grandeur réelle de la réforme.

Ainsi, chaque agriculteur connaîtra précisément les caractéristiques de son exploitation au regard des droits à paiement qu'il pourra faire valoir pour bénéficier des aides uniques. A cet égard, la France a choisi de conserver la référence historique par exploitation afin de permettre à chaque agriculteur de continuer à bénéficier d'un niveau équivalent d'aides. L'envoi des références historiques à chaque agriculteur a eu lieu de 15 octobre 2005 et le découplage partiel des aides s'appliquera à compter de 2006.

La mise en oeuvre des principaux aspects de la réforme de la PAC

1- L'impact de la réforme de la PAC sur les politiques sectorielles

Céréales, oléagineux, protéagineux

Le prix d'intervention et les instruments de régulation de marché sont maintenus à deux exceptions : le seigle est exclu du régime d'intervention, la correction saisonnière du prix d'intervention (majorations mensuelles) est diminuée de moitié.

Contrairement à la demande de la Commission de dissocier complètement les montants des aides directes du niveau de production - découplage total -, l'accord de Luxembourg prévoit un découplage partiel à hauteur de 75 % pour les cultures céréalières. Les pays qui souhaitent opérer un découplage total peuvent cependant le faire. L'obligation de jachère est maintenue.

Le supplément actuel pour les protéagineux est transformé en paiement spécifique fondé sur la superficie, à raison de 55,57 euros/ha.

Le supplément pour le blé dur sera réduit progressivement de 313 euros/ha en 2004 à 285 euros/ha à compter de 2006. Une nouvelle prime sera introduite pour améliorer la qualité du blé dur servant à produire des semoules et des pâtes alimentaires. Hors des zones traditionnelles de production, l'aide spécifique sera progressivement éliminée.

Autres productions végétales

Pour encourager les cultures énergétiques (cultures arables servant à produire des bio-carburants...), un crédit carbone de 45 euros/ha est institué.

Le prix d'intervention du riz est réduit à 150 euros/tonne pour une quantité maximale d'achat communautaire de 75.000 tonnes. En compensation, l'aide à l'hectare est revalorisée.

La fécule de pomme de terre est maintenue couplée à hauteur de 60 %. L'aide aux fourrages est en partie intégrée dans l'aide découplée et en partie maintenue à hauteurs de 33 euros par tonne.

Lait

Pour dégager l'horizon des producteurs laitiers, le Conseil a décidé de proroger jusqu'à la campagne 2014-2015 un régime de quotas laitiers réformé, alors qu'il aurait pu disparaître en 2008. L'augmentation des quotas décidée à Berlin est repoussée à 2006, afin de laisser au marché le temps de se stabiliser.

Le Conseil a décidé une réduction supplémentaire de 10 points du prix d'intervention pour le beurre par rapport aux accords de Berlin de 1999. Cette réduction supplémentaire sera compensée à hauteur de 82 % par des aides directes.

Pour mémoire, Berlin a prévu une baisse de prix de 15 % étalée sur 3 ans et compensée à environ 50 %. La baisse des prix débutera en 2004.

Les achats à l'intervention de beurre sont progressivement limités à 70.000 tonnes en 2004/2005 et jusqu'à 30.000 tonnes en 2008/2009.

Les paiements laitiers seront inclus dans le paiement unique par exploitation (aide découplée) après l'application intégrale de la réforme du secteur laitier.

Elevage bovin et ovin

Le système de découplage partiel assure une simplification tout en maintenant le niveau global des aides animales.

Dans le secteur de l'élevage bovin, les Etats-membres ont le choix entre trois options :

- conserver la prime actuelle à la vache allaitante (PMTVA) dans son intégralité et jusqu'à 40 % de la prime à l'abattage,

- conserver l'intégralité de la prime à l'abattage (PAB),

- conserver la prime spéciale aux bovins mâles (PSBM) jusqu'à hauteur de 75 %.

Pour éviter que des distorsions de concurrence ne se créent sur le marché européen du veau, les principaux pays producteurs (France, Pays-Bas, Belgique) se sont engagés à harmoniser le niveau de la prime à l'abattage pour les veaux.

Pour les ovins et caprins, les Etats membres peuvent conserver la prime ovine couplée jusqu'à 50 %.

La gestion des crises

La France a obtenu un accord de principe sur la mise en place d'un instrument de gestion des crises des marchés pour les secteurs non couverts par les aides directes (porcs, fruits et légumes, volailles). La Commission soumettra aux ministres des propositions pour 2004. Le financement de ces mesures pourrait se faire à l'aide d'une partie des sommes dégagées par la modulation.

2- Le découplage partiel des aides

Le découplage partiel s'applique aux agriculteurs qui pendant les années 2000, 2001, 2002 ont touché des aides au titre des régimes grandes cultures, viande bovine, viande ovine ainsi qu'à ceux qui disposent d'une référence laitière.

Il remplace une partie des aides directes perçues jusqu'alors par un paiement unique à l'exploitation déconnecté du volume et des facteurs de production. Celui-ci est subordonné au respect, entre autres (voir conditionnalité) du maintien des surfaces dans un état agronomique satisfaisant.

Pour éviter l'abandon de la production dans les régions plus fragiles, chaque Etat-membre peut conserver un régime mixte d'aides découplées et couplées suivant des pourcentages propres à chaque secteur.

Les régions ultra-périphériques sont exemptées de découplage. Les semences sont également exclues.

La prime est versée aux agriculteurs sur la base des aides perçues dans les années 2000, 2001 2002.

Une réserve nationale de droit à aides est créée pour encourager l'installation des jeunes après 2002. Cette réserve peut être alimentée par un prélèvement sur la vente des droits.

Le marché des droits à ce paiement unique fera l'objet d'une législation communautaire spécifique.

Pour éviter toute distorsion de concurrence, les terres sur lesquelles seraient produits des fruits et légumes ou des pommes de terre de consommation perdront le bénéfice du paiement unique à l'exploitation.

L'entrée en vigueur s'effectue au choix de l'Etat-membre, entre le 1 er janvier 2005 et le 1 er janvier 2007.

3- Une conditionnalité élargie

Les accords de Berlin ont introduit le principe d'éco-conditionnalité des aides. Elles sont versées en fonction du respect des normes environnementales.

Dorénavant, l'octroi du paiement unique par exploitation et des autres paiements directs (paiements couplés ...) tiendra compte du respect des principales règles en matière d'environnement, de sécurité alimentaire, de santé animale et végétale et de bien-être des animaux. Le bénéficiaire des aides européennes doit également respecter les "bonnes pratiques agricoles" à savoir maintenir les terres dans des conditions agronomiques et environnementales satisfaisantes.

La vérification du respect des règles sera effectuée par les organismes de contrôle nationaux et européens. En cas de non respect, l'exploitant ou le producteur verra le montant de ses aides réduit proportionnellement à la gravité du manquement. Le Conseil a prévu une mise en place progressive de la conditionnalité sur 3 ans.

4- La modulation des aides

La modulation des aides vise à écrêter les montants versés aux plus grosses exploitations, permettant ainsi de dégager des ressources pour financer d'autres instruments : elle concerne toutes les exploitations touchant plus de 5.000 euros d'aides directes et de ne peut excéder 5 % du montant de ces aides.

La partie des aides directes ainsi issue de la modulation sera progressivement réorientée en faveur du développement rural et la gestion des crises de production. Le pourcentage d'aides réorientées est fixé à 3 % en 2005, pour passer à 4% en 2006 puis 5 % de 2007 à 2013. 1,2 milliard d'euros de plus seront investis annuellement pour financer une nouvelle politique de développement rural. Cette démarche est obligatoire et harmonisée dans toute l'UE.

Le principe de respect des plafonds a déjà été entériné lors des accords de Berlin. Le règlement sur la discipline budgétaire en date du 26 septembre 2000 impose aux trois instances européennes (Parlement, Conseil et Commission) de respecter les plafonds annuels de dépenses que ce soit à l'occasion d'une nouvelle mesure ou dans le cadre de l'élaboration du budget et de l'exécution budgétaire.

Le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002 a fixé un plafond maximum pour les dépenses de l'Union à 25 au titre de la PAC (aides directes et soutiens de marché). Ce plafond est établi sur la base du plafond 2006 à 25 et est arrêté pour la période 2007-2013.

Le mécanisme de discipline financière prévoit que si les prévisions financières laissent présager un dépassement au cours de l'exercice budgétaire, il sera procédé à une adaptation des aides.

Source : ministère de l'agriculture et de la pêche

b) L'impact budgétaire de la réforme de la PAC sur l'agriculture française

D'après les informations fournies par le ministère de l'agriculture et de la pêche, l'accord de Luxembourg devrait permettre de maintenir le budget affecté aux agriculteurs français.

Avant modulation, le découplage et la réforme des OCM (lait, riz, blé dur...) débouchent sur un accroissement des versements à la France (+ 160 millions d'euros, dû principalement à la revalorisation de la nouvelle aide aux éleveurs laitiers en compensation de la baisse supplémentaire du prix du beurre). La modulation diminue légèrement ce solde positif (réduction des aides : - 325 millions d'euros, retour : + 260 millions d'euros, soit un impact net de la modulation de - 65 millions d'euros). Au total, le retour France se trouve donc légèrement amélioré (+ 100 millions d'euros).

A partir de 2007 (pleine application des décisions), le retour France au titre du 1 er pilier sera d'environ 9.800 millions d'euros (dont 8.400 millions d'euros d'aides directes aux exploitants) avant modulation et 9.500 millions d'euros après modulation. Le taux de retour France est préservé à 22,8 % (contre 23 % sur le 1 er pilier en 2001).

A noter toutefois que le mécanisme de discipline financière aura probablement pour conséquence une légère dégradation des versements à la France.

Impact budgétaire de l'accord de Luxembourg - Années 2007 et suivantes (hors discipline financière)

(en millions d'euros)

Impact sur le 1 er pilier

Lait

Aides directes

254

Soutiens de marché

-31

Découplage

-73

Blé dur

-12

Autres secteurs végétaux

(céréales, riz, fourrages, cultures énergétiques)

27

Total

165

Réduction modulation (5%)

-325

Impact sur le 2 ème pilier

Retour modulation (80% de la réduction)

260

Impact global

100

Source : ministère de l'agriculture et de la pêche

c) Les perspectives financières pour 2007 - 2013

Dans le cadre des négociations communautaires sur les perspectives financières de l'Union européenne pour les années 2007 à 2013, les éléments suivants ont été actés (Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002) :

- le budget consacré au 1 er pilier de la PAC (aides directes et interventions sur les marchés) est stabilisé jusqu'en 2013 pour une Europe à 25 : ainsi l'entrée des dix nouveaux Etats membres n'aurait pas de conséquences sur le niveau des aides perçues par les Quinze 1 ( * ) ;

- la proposition initiale de la Commission concernant les perspectives financières 2007-2013 consistait à relever les plafonds de dépenses agricoles à concurrence de la totalité des dépenses nécessaires au nouvel élargissement prévu en 2007. Dans sa dernière proposition de compromis (juin 2005), la présidence luxembourgeoise ne prévoyait d'augmenter les plafonds de dépenses que d'une partie des dépenses nécessaires à cet élargissement. La proposition n'ayant pas permis un accord, cette question sera débattue dans le courant de l'année 2006 ;

- les enveloppes budgétaires consacrées à l'agriculture française resteraient inchangées : elles sont stabilisées au montant reçu par les agriculteurs français à l'issue de l'Agenda 2000.

* 1 Les dépenses relevant du 1 er pilier de la PAC ont été fixées à un montant annuel exprimé en euros courants (45,3 milliards d'euros prix 2006) prenant en compte un taux annuel d'actualisation de 1 % pour tenir compte de l'inflation. Cet accord concernait une Europe à 25 Etats membres. Aucune décision n'avait alors été prise concernant le financement de l'élargissement de l'UE à la Roumanie et à la Bulgarie en 2007.

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