III. L'ÉQUIPEMENT DES FORCES TERRESTRES

L' effort financier important engagé depuis le début de la loi de programmation militaire a permis aux programmes d'équipement des forces terrestres d'avancer globalement selon les échéanciers prévus. Si le niveau des ressources annoncé pour 2006 est légèrement inférieur à celui attendu en application de la loi de programmation, ce tassement aura peu de conséquences visibles car les crédits d'équipement des forces terrestres sont répartis sur un très grand nombre de programmes et la plupart d'entre eux ne s'en trouvent pas affectés. Ainsi, des programmes comme le VBCI, les équipements FELIN ou les systèmes d'information et de commandement se poursuivent normalement. De même, pour l'essentiel, les commandes et les livraisons prévues pour 2006 demeurent cohérentes avec l'échéancier de la loi de programmation.

Il n'en demeure pas moins que la modernisation des équipements des forces terrestres entre dans une phase délicate . Dans bien des cas, les échéances de remplacement par des équipements neufs apparaissent tardives au regard de l'âge moyen élevé de beaucoup de matériels et de leur utilisation désormais intensive en opérations extérieures . Les tensions sont déjà perceptibles sur les crédits d'équipement et le respect de ces échéances exigera en outre, et notamment sur la prochaine loi de programmation, un niveau de ressources supérieur à celui actuellement consacré aux forces terrestres, alors que dans le même temps les coûts de maintien en condition opérationnelle risquent de demeurer très élevés.

Il s'agit là d'un défi majeur pour une armée engagée quotidiennement sur les théâtres d'opérations.

A. UN FORT BESOIN DE RENOUVELLEMENT

Le besoin de renouvellement des équipements des forces terrestres résulte à la fois de l'âge moyen élevé de beaucoup de matériels et de leur usure accélérée dans le contexte nouveau qui est celui d'un emploi intensif sur les théâtres de crise.

Le niveau actuel des dotations financières correspond à des échéanciers de renouvellement qui n'ont qu'imparfaitement anticipé la réalité d'aujourd'hui. Ainsi, malgré les efforts entrepris, des difficultés sont prévisibles dans les prochaines années sur certaines capacités, notamment les hélicoptères et les blindés moyens et légers.

1. Des matériels vieillissants trop souvent indisponibles

Les matériels les plus récents en service dans l'armée de terre sont le char Leclerc et son dépanneur. Suivront l'hélicoptère de combat Tigre, réceptionné cette année, puis le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) attendu pour 2008, l'hélicoptère de transport NH90 en 2011, puis, à plus longue échéance, une nouvelle génération d'engins blindés moyens ou légers, l'engin blindé médian (EBM), vers 2020.

D'après les prévisions actuelles, le nombre de ces matériels neufs en service sera encore peu élevé en 2008 (28 Tigre et 37 VBCI). Il deviendra plus significatif en 2015, avec une soixantaine de Tigre, plus de 600 VBCI et une quarantaine de NH 90. Pour autant, un grand nombre d'équipements dont l'âge moyen est déjà élevé sont appelés à demeurer en service pour de nombreuses années , le cas échéant après avoir subi des opérations de rénovation. C'est notamment le cas des chars à roues AMX 10 RC et ERC 90 Sagaie. S'agissant des hélicoptères, en dépit de l'arrivée du Tigre puis du NH 90 une partie encore importante du parc sera constituée de Gazelle et de Puma à l'horizon 2015.

AGE MOYEN DES PRINCIPAUX MATÉRIELS
DES FORCES TERRESTRES

Type

Matériel

Age moyen

Retrait envisagé

Chars à

roues

AMX 10 RC

21

après 2015

ERC 90 Sagaie

19

après 2015

Véhicules

Légers

blindés

VBL et VB2L

11

après 2015

VAB tous types

26

après 2015

AMX 10P

25

2010 à 2018

AMX 10 PC

27

2010 à 2014

Hélicoptères

GAZELLE

29

après 2015

PUMA SA 330

25

après 2015

COUGAR

15

après 2015

Artillerie

155 AUF1

18

après 2015

Armes

antichar

Postes de tir MILAN

26

2013

HOT (VAB)

18

2015

Systèmes

Sol-air

ROLAND et CAROL

35

vers 2008

HAWK

34

2013

MISTRAL

10

après 2015

Le maintien d'un taux de disponibilité technique opérationnelle satisfaisant exige des efforts considérables. La priorité est donnée aux opérations extérieures, dans lesquelles la disponibilité est supérieure à 92 % en moyenne, pour un seuil plancher fixé à 90 %.

Le tableau ci-dessous retrace l'évolution de la disponibilité technique opérationnelle pour les principaux matériels. Les difficultés rencontrées sur certains parcs peuvent résulter à la fois d'opérations de valorisation en cours, entraînant l'indisponibilité des matériels, ou de problèmes plus structurels provenant par exemple d'obsolescences lourdes ou d'impossibilité de se réapprovisionner rapidement en rechanges.

Parmi les matériels les plus sollicités en opérations , on peut signaler que la valorisation de l' AMX 10 RC se heurte à des difficultés d'approvisionnement sur les moteurs et les boites de vitesse. La disponibilité de l' ERC 90 Sagaie a elle aussi chuté dans les derniers mois. Elle s'est bien améliorée pour les VBL , malgré les délais d'approvisionnement très longs pour certains rechanges critiques, ce qui est également le cas pour les VAB . Enfin, le parc d' hélicoptères Puma demeure extrêmement sollicité dans les engagements et son entretien s'alourdit avec le temps.

ÉVOLUTION DE LA DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS EN 2005

Catégorie

Moyenne 2002

Moyenne 2003

Moyenne 2004

Moyenne 2005

Blindés lourds :

LECLERC

48 %

52 %

54 %

51 %

Blindés légers :

AMX 10 RC

ERC 90

VAB

AMX10P

VBL

62 %

71 %

72 %

56 %

82 %

51 %

72 %

73 %

51 %

71 %

52 %

61 %

68 %

58 %

68 %

46 %

59 %

69 %

68 %

76 %

Artillerie

AUF1

53 %

52 %

35 %

49 %

Génie

Engin blindé du génie

45 %

47 %

40 %

44 %

Hélicoptères

GAZELLE

PUMA

COUGAR

54 %

59 %

62 %

59 %

50 %

72 %

67 %

54 %

63 %

66 %

52 %

71 %

NB Les données 2005 concernent le 1 er semestre

La réorganisation de la chaîne de maintenance, la passation de contrats globaux avec les industriels pour obtenir des garanties d'approvisionnement en pièces de rechanges, le recours a un opérateur logistique unique pour la livraison de ces pièces aux unités, déjà mis en place pour les hélicoptères et prochainement envisagé pour les matériels terrestres, sont autant de mesures qui doivent permettre d'optimiser le maintien en condition opérationnelle. Les contraintes liées à l'ancienneté de beaucoup de matériels demeureront cependant encore très lourdes dans les prochaines années.

2. Une tension sur les crédits d'équipement qui se traduit par des abandons de programme ou des décalages

On constate depuis deux ans une tension sur les crédits d'équipement qui trouve son origine dans plusieurs phénomènes : le report de charges au moment de l'entrée dans la loi de programmation, une forte augmentation des crédits destinés à l'entretien des matériels qui pèse sur les dotations prévues pour les acquisitions, un volume important de crédits reportés et la nécessité de définir des plans d'engagement réalistes au regard des perspectives de consommation et des plafonds de dépenses imposés au budget militaire.

Dans ces conditions, et malgré la notable augmentation des crédits d'équipement des forces terrestres passés de 2,7 milliards d'euros en 2002 à 3,1 milliards d'euros en moyenne depuis 2004, certaines révisions ont du être opérées .

Il a ainsi été décidé cette année de réduire le parc d'hélicoptères Gazelle antichar en service et d' abandonner le programme de rénovation de 45 hélicoptères de transport Puma qui constituait pourtant l'une des mesures palliatives annoncées depuis plusieurs années pour faire face à la réduction de nos capacités aéromobiles en l'attente de la livraison du NH90 à compter de 2011.

Par ailleurs, le programme de poseurs de ponts pour le génie (Système de pose rapide de travures - SPRAT) voit sa cible réduite de 18 à 10 engins.

Enfin, des réductions ciblées sont opérées sur les dépenses de flux, notamment l'infrastructure et l'entretien programmé de certains matériels.

Si l'impact de ces tensions est aujourd'hui encore limité, il apparaît qu'elles ne peuvent que s'accentuer avec le temps. En effet, la fin de la loi de programmation actuelle et les années ultérieures, jusqu'en 2015 au moins, seront caractérisées par une augmentation très importante des besoins financiers générés par les principaux programmes d'équipement terrestre : Tigre, NH 90, VBCI, équipements FELIN, programme sol-air futur (FSAF). Les échéances de livraison de la plupart de ces équipements ne sauraient en outre être décalées sans préjudice pour notre capacité opérationnelle, compte tenu notamment des besoins sur les théâtres d'engagement qui seront de moins en moins satisfaits par les équipements de la génération actuelle. Par ailleurs, ces tensions font peser un risque sur les programmes dits de « cohérence opérationnelle », qui accompagnent les grands programmes et en sont un complément indispensable.

3. Deux capacités critiques : l'aéromobilité et les blindés légers

Les enseignements tirés des engagements opérationnels auxquels les forces terrestres participent en permanence depuis plusieurs années conduisent à rechercher un nouvel équilibre entre des moyens de coercition lourds et fortement protégés, qui demeurent nécessaires pour faire face à certains types de conflits, et les moyens plus légers et plus mobiles largement utilisés dans la plupart des opérations. Ce nouvel équilibre est à la base des choix effectués dans le modèle 2015, mais pour l'heure, la transition vers ce modèle est toujours en cours.

Parmi les priorités d'équipement retenues pour les forces terrestres, certaines ont fait l'objet de progrès importants au cours des dernières années. C'est le cas en matière de systèmes d'information et de communication, domaine dans lequel l'armée de terre française possède une avance réelle puisque deux de nos huit brigades interarmes devraient entièrement être numérisées en 2009.

Votre rapporteur souhaiterait attirer l'attention sur deux domaines dans lesquels nos capacités risquent de se situer à un seuil critique ces prochaines années.

Le premier est celui de la protection de l'infanterie et les blindés légers . On constate que ces capacités sont essentielles dans les opérations qui exigent en permanence de nos forces des actions de contact, avec des impératifs de protection (notamment contre les roquettes antichar) et de mobilité. Ces fonctions sont assurées par les chars à roues AMX 10 RC et ERC 90 Sagaie, ainsi que par les véhicules blindés légers (VBL) et les véhicules de l'avant blindés (VAB). Ces matériels font généralement l'objet d'une utilisation intensive en opérations et accusent un âge moyen élevé 1 ( * ) , ainsi que des difficultés récurrentes de maintien en condition opérationnelle, avec des coûts élevés et une disponibilité irrégulière. Par ailleurs, la gamme de blindés chenillés AMX 10 P, dont l'âge moyen est de 25 ans, a connu d'importantes obsolescences, des mesures d'urgence ayant du être mises en oeuvre pour permettre de maintenir la durée de vie d'une centaine d'engins d'ici 2007.

Le retard initialement pris par le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) a décalé d'autant l'échéance du remplacement de l'AMX 10 P, qui ne commencera qu'en 2008, le « point moyen » constitué par l'équipement de trois régiments par ce nouveau blindé n'étant prévu pour que 2012. Par ailleurs, les matériels successeurs des véhicules blindés à roues sont envisagés au plus tôt à partir de 2020 pour l'engin blindé médian (EBM). D'ici là, notre capacité repose sur des opérations de rénovation ou de valorisation des matériels, mais il est clair que leur maintien à un niveau satisfaisant constituera un véritable défi pour les 10-15 ans à venir.

Le second domaine de préoccupation concerne l' aéromobilité , sujet sur lequel votre commission attire régulièrement l'attention depuis plusieurs années. Au plan financier, il faudra assumer une charge particulièrement lourde avec le cumul de la livraison de 7 Tigre chaque année, de la rénovation de 24 Cougar et de la fabrication des premiers NH 90. D'autre part, au plan opérationnel, le déficit capacitaire en matière de transport va s'accentuer.

Nos Puma, au nombre d'une centaine, accusent un âge moyen de 25 ans et leur disponibilité dépasse à peine 50 %. Leur maintien en condition devient de plus en plus difficile. La rénovation des Cougar ne représentera qu'un modeste palliatif alors que le « trou » capacitaire lié à la livraison tardive du NH 90 constituera un handicap au vu du besoin avéré d'hélicoptères de manoeuvre dans une très large gamme d'opérations, tant à l'extérieur que sur le territoire national. On ne peut s'empêcher de regretter que cet hélicoptère, dont la France a pris en charge une part importante du développement, n'équipe les forces terrestres françaises qu'à compter de 2011 alors qu'il fonctionnera dans quelques semaines dans la Bundeswehr.

L' abandon du projet de rénovation de 45 Puma , qui était pourtant présenté jusqu'à ces tous derniers mois comme une mesure destinée à compenser le déficit capacitaire, ne peut qu'apparaître comme un nouveau facteur d'altération de nos capacités aéromobiles, même s'il a été précisé à la commission que les Puma non rénovés pourront tout de même servir en opérations, puisque leur mise à niveau concernait uniquement l'adaptation aux normes de la circulation aérienne civile.

Votre rapporteur souhaiterait toutefois signaler, dans le domaine de l'aéromobilité, deux éléments plus positifs . Tout d'abord, les forces spéciales vont recevoir entre la fin 2005 et l'an prochain 8 Cougar (EC 725 Mk2) adaptés à leurs besoins et dotés des équipements les plus modernes (systèmes pour le vol de nuit, liaisons cryptées, trappe ventrale). Ces appareils seront notamment capables de voler par tout temps en toute zone. Le détachement d'hélicoptères affecté aux forces spéciales, stationné à Pau, sera en outre renforcé, ce qui devrait améliorer considérablement l'appui à ces unités engagées dans des missions délicates. D'autre part, le projet de recours à un partenariat public-privé pour les appareils destinés à la formation initiale des pilotes d'hélicoptères à Dax semble en bonne voie. Cette formation continuerait d'être assurée par les militaires, mais l'école aurait recours à la location d'heures de vol au lieu d'utiliser une cinquantaine d'appareils militaires comme actuellement. Cette solution apparaît plus économique, en fonctionnement et en maintenance.

* 1 20 ans pour les blindés à roues Sagaie et AMX 10 RC ; 26 ans pour les VAB.

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