C. LE POINT SUR QUELQUES DOSSIERS

1. La situation des veuves

A côté du régime du droit à réparation des veuves, la question du régime de la réversion des pensions militaires d'invalidité, que votre commission avait soulevée en février dernier, continue de se poser.

Les mesures utilement adoptées depuis plusieurs années afin d'augmenter le montant des pensions de veuves

- l'indice de l'allocation spéciale pour enfants - prévue à l'article L. 54, alinéa 6, du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et rattachée à la pension de veuve jusqu'aux vingt et un ans de l'enfant - a été porté de 270 à 333 points à compter du 1 er janvier 1994 par l'article 102 de la loi de finances pour 1994 ;

- l'article 103 de la loi de finances pour 1996 a abaissé, au bénéfice des veuves infirmes ou âgées de plus de cinquante ans, l'âge d'ouverture du droit au taux spécial de pension de veuve (indice 667), lorsque les revenus imposables des intéressées ne dépassent pas, par part, la somme au-dessous de laquelle les bénéficiaires de revenus du travail salarié ne sont pas soumis à cotisation ;

- l'article 127 de loi de finances pour 2002 a augmenté de 120 points la majoration des pensions servies aux veuves des grands invalides. La mesure a concerné 1.200 veuves pour un coût budgétaire de 2,29 millions d'euros ;

- l'article 132 de la loi de finances pour 2002 a rouvert les droits à pension des veuves d'anciens combattants des anciennes colonies dont les droits avaient été cristallisés ;

- la loi de finances pour 2004 a prévu l'augmentation uniforme de quinze points d'indice de toutes les pensions de veuves à compter du 1 er juillet 2004. La mesure a concerné 130.000 veuves. Désormais réalisée en année pleine, elle est inscrite dans le projet de loi de finances pour 2007, pour un coût budgétaire d'environ 25,45 millions d'euros compte tenu de la revalorisation du point de pension.

A la suite de la proposition de loi relative au partage de la réversion des pensions militaires d'invalidité adoptée par le Sénat le 22 février 2006, la question se pose de la reconnaissance aux anciens conjoints des titulaires de pension militaire d'invalidité du droit à la pension de réversion concurremment avec le conjoint survivant.

Le premier objectif de la proposition de loi était de réparer une entorse au principe d'équité en ce qui concerne l'accès à la réversion. Un second objectif, le plus pressant, était de contribuer à porter remède à la situation précaire de nombreux anciens conjoints d'invalides de guerre 1 ( * ) .

En ce qui concerne le principe d'équité, Nicolas About, auteur et rapporteur de la proposition de loi, a noté lors de l'examen de ce texte que les anciens conjoints divorcés de titulaires de pensions militaires d'invalidité ne bénéficient pas du droit à réversion.

Actuellement en effet, en application des articles L. 1 er ter et L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, seuls les conjoints ou partenaires liés à un ayant droit, au moment de son décès, par le mariage ou par le pacte civil de solidarité, ont droit à une pension de réversion. Les anciens conjoints ou partenaires sont ainsi écartés. Pour s'en tenir au cas du mariage, seule la veuve est ainsi en droit de demander la réversion de la pension, quand bien même la première épouse aurait assisté le défunt pendant de très longues années, quand bien même, ayant été empêchée d'exercer une activité professionnelle du fait de sa présence auprès du mari invalide, elle se trouverait seule et sans ressources, après le décès de son ancien mari.

Le code de la sécurité sociale et le code des pensions civiles et militaires de retraite mettent en oeuvre des solutions plus conformes à ces réalités :

- l'article L. 353-3 du code de la sécurité sociale dispose en effet que le conjoint divorcé est assimilé à un conjoint survivant pour l'application des dispositions relatives à la pension de réversion, et que lorsque l'assuré est remarié, la pension de réversion est partagée entre le conjoint survivant et le précédent conjoint divorcé, au prorata de la durée de chaque mariage ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit en son article L. 44 que le conjoint séparé de corps et le conjoint divorcé ont droit à la pension de réversion.

En ce qui concerne la situation précaire de nombreuses ex-conjoints, le rapporteur s'est référé aux difficultés des veuves elles-mêmes, auxquelles la réversion des pensions du code et les aides de l'Onac, en constante progression, apportent une ressource indispensable. Les anciens conjoints se trouvent par construction dans des situations bien souvent plus dramatiques encore.

En fonction de ces justifications, le Sénat a proposé le dispositif suivant :

- un nouvel article L. 48-1 est inséré dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre afin d'ouvrir le droit à la pension de réversion au conjoint divorcé non remarié d'un pensionné. Cet article prévoit le partage de la réversion entre les différents conjoints ou ex-conjoints survivants, au prorata de la durée de chaque mariage calculée à compter de la date d'origine de l'invalidité indemnisée ;

- lors du décès d'un des bénéficiaires, sa part de la réversion accroît celle de l'autre bénéficiaire ou des autres bénéficiaires, tout en réservant les droits des éventuels orphelins mineurs du bénéficiaire décédé, conformément à la solution adoptée par l'article L. 46 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour les orphelins du conjoint survivant ;

- les enfants de moins de vingt et un ans issus d'un mariage antérieur possédant dans le droit en vigueur un droit sur la réversion concurremment avec la veuve, le droit à réversion nouvellement ouvert au profit de l'ancien conjoint survivant est substitué à celui de ses enfants mineurs, ceux-ci n'acquérant dorénavant un droit à la réversion que dans le cas où l'ancien conjoint survivant meurt ou devient inéligible du fait d'un remariage, d'un nouveau pacte civil de solidarité ou d'un concubinage notoire ;

- ces dispositions ne sont pas rétroactives, elles ne s'appliquent qu'aux pensions servies après l'entrée en vigueur de la loi. Toutefois, dans le cas du décès du conjoint survivant titulaire d'une pension de réversion, cette pension est partagée entre les éventuels anciens conjoints dès la promulgation de la loi. Cette précision a pour objectif de permettre aux anciens conjoints de bénéficier sans retard inutile du dispositif institué à leur intention, sans porter atteinte aux droits acquis des veuves en possession de l'ensemble de la réversion.

L'Assemblée nationale n'a pas encore inscrit l'examen de cette proposition de loi à son ordre du jour.

2. La campagne double

Les éléments nécessaires pour formuler une orientation sur ce dossier seront disponibles quand sera rendu public le contenu du rapport remis en mai 2005 au ministre délégué aux anciens combattants par Christian Gal, inspecteur général des affaires sociales. Ce document a été remis au conseil d'Etat pour examen juridique.

Il est utile, dans cette attente, de rappeler l'arrière-plan social et juridique de ce dossier.

Dans le secteur public, le temps passé sous les drapeaux est pris en compte pour la constitution du droit à pension. En outre, il ouvre droit au « bénéfice de campagne » lorsque les services ont été accomplis en temps de guerre. Ce bénéfice consiste en une bonification d'annuités égale à la moitié (demi-campagne), à l'équivalent (campagne simple) ou au double (campagne double) de la période validée.

Les anciens combattants d'Afrique du Nord, auxquels le bénéfice de la campagne simple a d'ores et déjà été reconnu, revendiquent l'attribution de la campagne double dans la mesure où les anciens combattants des conflits précédents en ont bénéficié sous certaines conditions.

Jusqu'à présent, le ministère délégué avait repoussé cette revendication en avançant que, outre son coût très élevé, l'attribution de la campagne double ne bénéficierait qu'aux agents ayant un statut public (militaires, fonctionnaires), alors que les anciens combattants du secteur privé s'en trouveraient exclus, tout en reconnaissant par ailleurs que, du point de vue du principe de l'égalité des droits, les anciens combattants d'AFN ne bénéficient pas des avantages reconnus en matière de retraite aux anciens combattants des guerres 1914-1918 et 1939-1945. Un certain nombre de spécificités du conflit en cause, telle que l'absence de front, ont aussi été évoquées.

De son côté, votre commission a observé à plusieurs reprises que l'attribution de la campagne double ne bénéficierait qu'aux agents publics, alors que les anciens combattants du secteur privé ont souvent été placés dans une situation sociale bien plus précaire au retour de leur mission.

3. Les incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes n'ayant pas participé à des combats

Rappelons qu'une fondation « Entente franco-allemande », créée par un accord international du 31 mars 1981, a reçu la mission de percevoir et répartir les sommes versées par l'Allemagne pour indemniser l'enrôlement de force dans l'armée allemande des ressortissants français du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Elle a aussi été chargée de développer des projets intéressant la coopération entre la France et l'Allemagne.

La fondation a ainsi procédé à l'indemnisation des incorporés de force, qui ont perçu une allocation unique de 1.387,29 euros.

Elle a, dès l'origine, considéré que l'accord du 31 mars 1981 réservait le droit à l'allocation aux seuls incorporés de force dans l'armée allemande. Le conseil d'Etat, dans un arrêt Kocher du 16 novembre 1973, avait cependant jugé que les services accomplis par un Alsacien ou Lorrain incorporé de force dans une unité de la Polizei-Waffenschule, ne faisant pas organiquement partie de la Wehrmacht mais placée sous commandement militaire, et ayant été engagé dans les combats sur le front russe, doivent être regardés comme accomplis dans l'armée et la gendarmerie allemandes et doivent être validés comme services militaires. En application de cette décision, les personnes requises pour servir les batteries de DCA de la Luftwaffe, en particulier, ont pu recevoir le certificat d'incorporé de force et percevoir l'allocation de 1.387,29 euros.

En revanche, les personnes incorporées de force dans des formations paramilitaires allemandes qui n'ont pas participé à des combats n'ont perçu aucune indemnisation, l'accord de 1981 ne visant que les membres des forces combattantes. Un certificat d'incorporé de force dans les formations paramilitaires allemandes a été créé à leur profit. Cependant il n'ouvre droit à aucun avantage particulier.

La fondation, s'appuyant sur l'accord de 1981 et sur ses statuts, rédigés en fonction des stipulations de l'accord, oppose un refus persistant aux demandes d'indemnisation présentées par ces personnes. Par ailleurs, les associations d'anciens incorporés de force, dont beaucoup siègent au comité directeur de la fondation, sont généralement opposées à l'emploi des ressources encore disponibles en faveur des incorporés de force dans des formations paramilitaires allemandes qui n'ont pas participé à des combats, considérant que cette utilisation équivaudrait à un détournement de fonds publics.

Les associations ne seraient cependant pas entièrement hostiles au principe de l'octroi d'une indemnisation des personnes incorporées de force dans des formations paramilitaires n'ayant pas participé à des combats, dès lors qu'une telle initiative n'assimilerait pas ces personnes aux combattants ayant subi les rigueurs du combat et parfois celles de la détention en camp soviétique. De son côté, et dans le même sens, le Gouvernement serait disposé à recenser les anciens du Reichsarbeitsdienst (RAD) n'ayant pas participé à des combats afin de leur verser une indemnité équivalente à la moitié de celle versée aux patriotes résistants à l'occupation des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, soit 693,64 euros. Le coût budgétaire d'une telle mesure serait d'environ 5,9 millions d'euros. Selon le Gouvernement, ce règlement devrait avoir lieu dans le cadre de la mission de la fondation Entente franco-allemande, dont les statuts devraient alors être modifiés en conséquence.

En fonction de ces éléments, votre commission avait proposé l'année dernière qu'une négociation soit lancée entre les associations intéressées pour dégager une solution. Il convient de rappeler qu'une réunion avait déjà été tenue à Strasbourg en mai 2003, à l'initiative du ministre délégué aux anciens combattants, associant les parlementaires locaux et la fondation. Elle n'avait pas abouti à un accord. Aucun progrès n'a eu lieu depuis.

4. Le régime des pupilles de la Nation

Se référant au nom du principe d'égalité à l'indemnisation instituée par le décret du 13 juillet 2000 en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, et à l'indemnisation instituée par le décret du 27 juillet 2004 en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale, des représentants des pupilles de la Nation demandent la création d'une indemnité équivalente prolongeant le régime de protection spécifique mis en place à partir de 1917.

La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, saisie par une association du caractère discriminatoire, au détriment des pupilles de la Nation, des deux décrets évoqués, a rejeté cette demande au motif que les deux décrets avaient eu pour objectif d'indemniser le préjudice subi par les orphelins de parents décédés dans le cadre d'une politique de collaboration et d'extermination. La situation de ces orphelins diffère de celle des pupilles de la Nation et justifie par conséquent la mise en oeuvre de mesures spécifiques.

Il convient de remarquer que l'indemnisation de ces catégories d'orphelins diffère aussi du régime des pupilles de la Nation dans ses modalités de mise en oeuvre. De fait, la solidarité de la Nation à l'égard de ses pupilles s'est manifestée dès 1917 par une prise en charge des intéressés jusqu'à vingt et un ans, en tant que de besoin, comme le précise l'article L. 470 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : « Les enfants adoptés par la Nation ont droit, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, à la protection, au soutien matériel et moral de l'Etat pour leur éducation, dans les conditions et limites prévues par le présent titre. Dans le cas d'insuffisance des ressources de la famille, la Nation assure la charge, partielle ou totale, de leur entretien et de leur éducation ». Les orphelins visés par les décrets de 2000 et 2004 ont pu éventuellement bénéficier de cette prise en charge dans les conditions du droit commun. En revanche, leur situation spécifique a fait l'objet d'une prise de conscience très tardive, ce qui explique les modalités différentes de la réparation mise en place en 2000 et 2004.

Il n'est donc pas tout à fait justifié de construire un parallèle entre, d'une part, les pupilles de la Nation, à l'égard desquels l'Etat aurait incomplètement accompli son devoir de reconnaissance, d'autre part, les orphelins victimes de la politique de collaboration et d'extermination, qui bénéficieraient d'une meilleure attention de la part des pouvoirs publics.

Pour autant la comparaison, inévitable, des deux régimes juridiques est susceptible de créer un authentique sentiment d'injustice chez les pupilles de la Nation. En effet, l'octroi à des orphelins depuis longtemps adultes d'une réparation sous la forme, au choix du bénéficiaire, d'une indemnité en capital de 27.440,82 euros ou d'une rente mensuelle de 457,35 euros, peut apparaître plus avantageuse que le régime des pupilles, au titre duquel l'aide de l'Etat intervient essentiellement sous la forme de subventions d'entretien ou d'éducation, quand la situation le requiert.

En outre, l'extension par le décret du 27 juillet 2004, à des catégories d'orphelins non comprises dans le champ d'application du décret du 13 juillet 2000, constitue un précédent susceptible d'encourager la présentation de demandes reconventionnelles par de nouvelles catégories « oubliées ». Rappelons à cet égard que le décret du 13 juillet 2000 a eu pour objectif de permettre l'indemnisation d'orphelins juifs qui, du fait des conditions de nationalité ou des règles de forclusion applicables au régime d'indemnisation des victimes des persécutions nazies par l'Allemagne, n'avaient jamais été indemnisés. La mesure a concerné les personnes dont le père ou la mère, déporté de France en raison des persécutions antisémites alors qu'elles avaient moins de vingt et un ans, est décédé ou disparu en déportation. Or ce dispositif a suscité un fort sentiment d'injustice parmi les orphelins de déportés et parmi certains orphelins juifs : étaient exclus en effet de l'indemnisation les orphelins dont les parents, morts du fait des persécutions antisémites, avaient été fusillés ou massacrés en France et non en déportation, ainsi que les orphelins dont les parents étaient morts en déportation pour des motifs autres que leurs origines juives, et notamment pour faits de résistance. Le décret du 27 juillet 2004 a répondu à ces critiques en instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale. D'autres demandes restent cependant pendantes, concernant par exemple les orphelins des maquisards tombés les armes à la main au cours d'affrontements armés avec l'occupant nazi et les orphelins des victimes abattues sans sommation, de façon isolée, notamment durant le couvre-feu.

Il n'est pas indifférent de constater enfin que, pour les quelque 240.000 pupilles actuellement recensés, le coût d'un éventuel alignement sur le régime des décrets s'élèverait à plus de 6,58 milliards d'euros (dans l'hypothèse où tous les bénéficiaires feraient le choix de l'indemnité en capital). Ce chiffre peut être comparé avec le coût de l'indemnisation des orphelins : au 31 juillet 2005, la dépense afférente à l'application du décret du 13 juillet 2000 s'élevait à 173,6 millions d'euros pour l'attribution du capital et à 172,4 millions d'euros pour les rentes viagères ; la dépense afférente à l'application du décret du 27 juillet 2004 s'élevait à 97,5 millions d'euros pour l'attribution du capital et à 12,7 millions d'euros pour les rentes viagères.

En fonction de l'ensemble de ces éléments, votre commission estime utile d'examiner la possibilité d'apporter des améliorations au régime des pupilles de la Nation, sans établir pour autant un parallèle injustifié avec les mesures spécifiques prises en 2000 et 2004 en faveur des orphelins de victimes juives du nazisme et des orphelins victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.

* 1 Rapport n° 194 (2005-2006) du 2 février 2006 de M. Nicolas About.

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