IV. AIDER LA PRESSE PAYANTE À SORTIR DE LA CRISE

La presse quotidienne payante est en crise ! L'information paraît tellement banale qu'elle ne provoque plus que regards fatigués et sourires entendus. Si le message semble avoir perdu sa force mobilisatrice, les chiffres sont là : les quotidiens nationaux d'information politique et générale sont victimes d'une diminution conjuguée de leur lectorat et de leurs recettes publicitaires.

Cette situation contraste avec la santé éclatante affichée par les principaux gratuits. En quelques années, ces titres ont réussi à imposer un nouveau modèle économique et à fidéliser un lectorat qui dédaignait jusqu'alors la presse d'opinion.

Dans ce contexte, le Gouvernement propose un nouvel effort en faveur de la presse payante. Le montant des aides progresse en effet de près de 4 % en 2008 pour atteindre la somme de 283 millions d'euros. Votre rapporteur s'en félicite mais il ne perd pas de vue que, quelles que soient les sommes mises en oeuvre, le « régime économique de la presse » peine à faire la preuve de son efficacité.

Soupçonné d'accompagner la presse quotidienne dans la crise au lieu de l'en sortir, accusé de ralentir la modernisation de la presse au lieu de l'accélérer, ce régime illustre en tous cas notre difficulté - nous, les pouvoirs publics - à définir une stratégie cohérente et efficace destinée à soutenir efficacement un média indispensable à l'information des citoyens et à la diffusion des courants de pensées et d'opinions.

A. L'INEXORABLE DÉCLIN DES QUOTIDIENS PAYANTS

Il suffit de parcourir les titres d' Info-Médias , analyse annuelle du secteur de la presse écrite établie par la Direction du développement des médias, pour prendre la mesure des difficultés du secteur : « La presse écrite en 2005 : encore une année difficile » ; « La presse écrite en 2004 : une reprise plus apparente que réelle ... ».

Ces difficultés se sont confirmées en 2006 puisque le chiffre d'affaires des quotidiens nationaux d'information politique et générale a de nouveau diminué de 0,6 % par rapport à 2005.

1. Un effet de ciseau qui s'amplifie

La presse quotidienne payante d'information politique et générale est victime d'un effet de ciseau provoqué par la contraction de ses recettes et le maintien de coûts fixes élevés.

a) Une réduction drastique des recettes de la presse quotidienne

Les Français ont pour la presse quotidienne un bien maigre appétit. Cela peut paraître paradoxal pour un pays qui a joué un rôle de première importance dans l'histoire de ce secteur et, plus généralement, dans le combat pour la liberté d'expression et de l'information.

Qu'il semble loin le temps où, à l'aube de la première guerre mondiale, les Français pouvaient se vanter d'être les plus gros consommateurs de quotidiens au monde !

Mais c'est ainsi : lecteurs et annonceurs, séduits par d'autres médias, désertent progressivement une presse quotidienne dont les « grandes heures » semblent définitivement appartenir au passé.

(1) Des lecteurs de plus en plus rares

La patrie d'Emile Girardin, qui introduisit la « réclame » dans la presse, et de Polydore Millaud, créateur du journal populaire à un sou, voit la diffusion de sa presse quotidienne se réduire telle une peau de chagrin.

Trente et unième à l'échelle mondiale, notre pays se situe seulement au douzième rang européen pour la diffusion des quotidiens. Avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants, il se classe derrière la Belgique mais - maigre consolation - devant l'ensemble des pays du sud du continent.

Notre pays ne compte par ailleurs plus aucun quotidien payant atteignant ou dépassant le million d'exemplaires diffusés, alors que le Royaume-Uni, de population équivalente, en compte cinq. A l'échelle mondiale, Ouest France , ne se classe qu'à la 76 e place du classement, à des « années lumière » des principaux quotidiens japonais.

En termes de diffusion, le tableau-ci-dessous permet de constater que seul L'Humanité et Aujourd'hui en France ont réussi à augmenter leurs chiffres entre 2002 et 2006.

ÉVOLUTION DE LA DIFFUSION FRANCE PAYÉE DES QUOTIDIENS NATIONAUX
D'INFORMATION POLITIQUE ET GÉNÉRALE

Pour la période juillet 2006 - juin 2007, en dépit de la ferveur populaire entourant l'élection présidentielle et du regain d'intérêt de la population pour le débat d'idées à l'occasion de cette échéance politique majeure, l'évolution de la diffusion des principaux quotidiens nationaux est contrastée.

Si la diffusion payée d' Aujourd'hui en France a bondi de 9 %, la courbe de progression des ventes des autres quotidiens payants généralistes est plus nuancée : la diffusion du Monde a ainsi progressé de 2,1 % (soit 6 600 exemplaires supplémentaires par jour seulement sur la période), celle du Figaro de 3,2 % (soit 10 400 exemplaires supplémentaires), celle de La Croix de 2,3 % alors que celle de Libération a reculé de 2,2 % et celle de l'Humanité de plus de 1,5 %.

(2) Des recettes publicitaires qui fuient vers d'autres médias

Frappée par une lente mais inexorable décrue de sa diffusion payée, la presse quotidienne française connaît également une diminution régulière de ses ressources publicitaires. Il convient en ce domaine de distinguer l'évolution des annonces commerciales de celle des petites annonces.

§ La presse quotidienne payante : un média délaissé par les annonceurs ?

Concernant les annonces commerciales, la presse quotidienne, comme les autres médias, est dépendante d'un marché étroit qui, depuis 2000, peine à retrouver le chemin de la croissance. Deux remarques principales peuvent être tirées de l'analyse des données chiffrées collectées par l'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP).

D'une part, la presse en général et la presse quotidienne nationale en particulier restent à l'écart de la reprise publicitaire constatée en 2006. Contrairement à la progression enregistrée par la télévision, le cinéma, la presse gratuite ou encore Internet, les recettes publicitaires de la PQN ont diminué de 3,5 % au cours de l'année passée dans un contexte pourtant favorable aux médias dans leur ensemble (+ 3,9 % en moyenne).

D'autre part, la lecture des données internationales permet de mettre en évidence le faible intérêt des annonceurs pour la presse quotidienne française. Si ce média représente dans la plupart des pays industrialisés plus de 13 % de la totalité des investissements publicitaires nets, la France est loin d'atteindre de tels niveaux puisque les investissements nets dans la presse quotidienne hexagonale ne dépassent pas les 9 % de l'ensemble.

Autant dire qu'en matière de publicité commerciale, la presse quotidienne française cumule trois handicaps majeurs :

- elle évolue sur un marché publicitaire de taille réduite : les dépenses nettes des annonceurs dans les médias français ne représentent que 0,65 % du produit intérieur brut ;

- elle doit partager cette ressource limitée avec des concurrents nombreux et dynamiques : la presse gratuite et, dans une moindre mesure, Internet ont ainsi réussi en très peu de temps à prendre des positions très fortes auprès des annonceurs ;

- en comparaison de ses principaux homologues européens, elle ne capte plus qu'une faible part des investissements publicitaires nets, phénomène qui réduit mécaniquement ses marges de manoeuvre en cas de retournement du marché publicitaire ou de poursuite du transfert constaté vers les autres médias.

§ Vers la disparition des petites annonces des colonnes de la PQN ?

L'évolution des recettes de petites annonces est plus contrastée entre les différentes catégories de presse quotidienne d'information politique et générale.

S'agissant de la presse quotidienne nationale, les résultats de l'enquête statistique annuelle sur la presse écrite menée par la Direction du développement des médias révèlent que les recettes de petites annonces se sont contractées de 4,6 % en 2006. Si celles-ci comptaient pour 320 millions d'euros dans les recettes de la presse nationale d'information en 1990, elles ne représentent plus aujourd'hui que 70 millions d'euros soit à peine 5 % du chiffre d'affaires total de cette catégorie de presse.

A contrario , les résultats obtenus par la presse locale incitent à l'optimisme. Celle-ci a su en effet maintenir et même renforcer la part des petites annonces dans ses recettes commerciales. Ces annonces ont progressé de 42 % depuis 1990 et représentent désormais près de 17 % de ses recettes.

On peut en conclure que le support des journaux locaux est mieux adapté aux petites annonces que les quotidiens nationaux généralistes. Les petites annonces publiées autrefois dans ces derniers ont massivement migré vers les journaux gratuits et Internet, ce qui conduit à s'interroger sur l'avenir de cette catégorie d'annonces et de recettes dans les pages et les bilans de la presse quotidienne nationale payante.

b) Des coûts qui demeurent élevés

Si les recettes de la presse quotidienne diminuent du fait de la réduction progressive du nombre de lecteurs et du développement de la concurrence sur le marché publicitaire, les coûts du papier, de fabrication et de distribution peinent à suivre la même voie.

(1) La progression du prix du papier

Parmi les postes de dépenses des entreprises de presse, le prix du papier est celui qui connaît l'évolution la plus inquiétante.

Orienté à la hausse depuis 2002, le cours du papier au niveau mondial retrouve progressivement les valeurs observées au début de la décennie.

Au niveau national, après plusieurs années de croissance à un rythme soutenu, d'un peu plus de 3 % l'an, la consommation de papier met un terme au mouvement de baisse entamé en 2001, régression due aux effets de la dégradation de la conjoncture du marché publicitaire sur la pagination. La tendance récente de la demande en matière de papier de presse est tributaire de l'apparition de la presse gratuite d'information générale et politique dans l'économie de la presse.

Il convient toutefois de rappeler que c'est finalement la demande internationale qui dictera l'évolution future des prix et de la consommation de papier de presse, en particulier celle de la Chine dont les quotidiens ont d'ores et déjà ravi la première place au Japon dans le classement des pays publiant le plus grand nombre de titres sur les 100 plus importants tirages de la planète.

(2) Des coûts de fabrication et de diffusion parmi les plus élevés d'Europe

La plupart des études publiées sur la presse au cours des dernières années ont souligné, pour le regretter, le niveau élevé des coûts fixes d'impression et de distribution imposés à la presse quotidienne. Ils représentent en effet près de la moitié du prix de vente d'un titre français.

En matière d'impression , la France se caractérise toujours par des coûts de production plus élevés que la moyenne européenne. Cette situation résulte moins du niveau des salaires individuels que des sureffectifs négociés par le syndicat de Livre au cours des différents conflits sociaux ayant accompagné la modernisation du secteur.

En matière de distribution , la situation doit être nuancée. Elle est en effet plus favorable que certains éditeurs veulent bien le laisser entendre. En effet, le coût d'intervention des messageries a considérablement diminué sous l'effet des plans successifs de restructuration des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) et se situe aujourd'hui dans la moyenne des autres pays européens.

(3) Les quotidiens les moins rentables de l'OCDE

La baisse des ventes, la stagnation des recettes publicitaires et le niveau relativement élevé des coûts fixes contribuent à faire des quotidiens français des titres peu rentables.

La rentabilité opérationnelle 17 ( * ) des quotidiens français s'est élevée à 3,4 % en moyenne entre 1996 et 2005, ce qui paraît extrêmement faible pour payer les intérêts des emprunts, mener de nouveaux investissements et rémunérer les capitaux investis. De fait, depuis 2002, le secteur de l'édition de journaux enregistre des pertes comprises entre 56 et 175 millions d'euros par an.

Ces résultats financiers inquiétants ont une double conséquence pour la presse quotidienne française.

Ils obèrent, d'une part, la capacité des quotidiens français à réaliser les investissements nécessaires à la modernisation de leur outil de production. C'est ce que M. Jérôme Seydoux, alors patron du groupe Chargeurs, exprimait en déclarant : « si la presse quotidienne française est constamment en crise, c'est en raison de sa pauvreté. Une affaire ne peut pas se moderniser dans la pauvreté. »

Ils ne sont pas de nature, d'autre part, à inciter des investisseurs à apporter des capitaux propres supplémentaires pourtant indispensables au financement des projets de développement des sociétés de presse, notamment dans le numérique.

2. Des difficultés qui concernent la quasi-totalité des quotidiens nationaux

Afin d'évaluer l'ampleur de la crise, votre rapporteur vous propose une rapide analyse des principaux titres de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale.

La situation de cette presse d'opinion est évidemment contrastée. Elle met néanmoins en évidence une constante : la fragilité financière de ses principaux représentants.

a) Le Monde

Le chiffre d'affaires du groupe La Vie/Le Monde s'est élevé en 2006 à 631 millions d'euros et le résultat d'exploitation à 4,18 millions d'euros. Pour 2007, l'objectif est d'atteindre 8 millions d'euros.

Le résultat net est déficitaire à - 14,3 millions d'euros en 2006 (contre -27,9 millions d'euros en 2005). Le groupe devrait connaître en 2007 sa septième année de pertes, avec un déficit prévu de 11 millions d'euros.

La situation financière du groupe se caractérise surtout par un endettement très élevé. Entre 2001 et 2006, le groupe a ainsi accumulé 146,5 millions d'euros de dettes.

DONNÉES FINANCIÈRES DU MONDE

b) Le Figaro

La situation financière du Figaro est plus contrastée.

Toujours déficitaire, le résultat net s'améliore sur les trois derniers exercices au prix de l'augmentation de l'endettement du titre. Depuis 2004, les capitaux propres sont d'ailleurs inférieurs à plus de la moitié du capital social.

On remarque enfin que la recapitalisation intervenue en 2006 n'a pas suffi à mettre en conformité la société avec la législation sur les capitaux propres.

DONNÉES FINANCIÈRES DU FIGARO

c) Libération

A l'image de toute la presse quotidienne nationale, Libération accuse une érosion de ses ventes, et pâtit, plus particulièrement, de la concurrence des quotidiens gratuits ( 20 Minutes, Metro, Matin Plus, Direct Soir ).

Pour l'année 2006, les pertes devraient atteindre 11,3 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires estimé à 55 millions d'euros. Au total, le quotidien affiche une dette cumulée de 27 millions d'euros. Mais, dans le cadre du régime de sauvegarde dont bénéficie le quotidien, les banques créancières ont accepté d'abandonner 7 millions d'euros de créances (sur 10 millions) et d'étaler le remboursement des 3 millions restants sur cinq ans. Le journal subit aussi fortement les effets de la crise du marché publicitaire. Ses recettes de publicité ont reculé de 18 % à 20 % sur l'exercice 2005/2006 et représentent désormais moins de 35 % du chiffre d'affaires total.

Au total, la situation de l'entreprise s'est fortement dégradée ces dernières années au point qu'une procédure de sauvegarde a été ouverte en octobre 2006 reconduite il y a quelques semaines. Un plan de sauvetage de l'entreprise a été adopté en janvier 2007 et prévoit notamment le départ de 81 des 286 salariés du quotidien ainsi qu'une recapitalisation de 15 millions d'euros à l'issue de la procédure de sauvegarde.

DONNÉES FINANCIÈRES DE LIBÉRATION

d) France Soir

Dans la mesure où la création de la nouvelle société éditrice ne remonte qu'au 6 juin 2006, aucun élément comptable ou financier récent n'est connu à ce jour. Le premier exercice comptable d'une durée exceptionnelle de 18 mois sera clos le 31 décembre 2007.

La situation du journal demeure néanmoins critique. Sa diffusion a chuté considérablement (près de 65 % en cinq ans) et les pertes affichées par ses différents éditeurs ont toujours été chroniques : de l'ordre de 7 millions d'euros en 2003 et 2004 et probablement à peu près autant par la suite.

Selon les dirigeants du quotidien, France Soir aurait réalisé un chiffre d'affaires d'environ 7 millions d'euros entre juin 2006 et mars 2007, ce qui place toujours l'entreprise en état de cessation virtuelle de paiement, compte tenu des coûts particulièrement élevés afférents aux conditions de fabrication des quotidiens nationaux et à leur diffusion.

e) L'Humanité

La situation de l'entreprise est extrêmement préoccupante et ne cesse de se dégrader : les résultats sont en déficit constant et chutent fortement, les ratios de gestion se détériorent, l'endettement extérieur double sur trois ans tandis que l'ensemble des dettes augmente de 53 %.

Face aux difficultés du journal, un plan de redressement a été lancé en 2005, passant par des compressions de personnels, la réduction de certains postes de dépenses, la diminution de la pagination ou encore la non parution les jours fériés.

Ces mesures n'ont pas produit tous les effets escomptés et L'Humanité se trouve toujours dans une situation très fragile, présentant tous les signes d'une grave dérive financière.

DONNÉES FINANCIÈRES DE L'HUMANITÉ

f) La Croix

Dans ce paysage morose, La Croix fait figure d'exception. Le chiffre d'affaires, la part de marché et la diffusion de l'entreprise sont en progression constante. Le titre poursuit ainsi la croissance de sa diffusion pour la septième année consécutive.

Déficitaire en 2004, la société est redevenue bénéficiaire en 2005. Sa situation demeure saine, du fait en particulier de son faible endettement.

DONNÉES FINANCIÈRES DE LA CROIX

* 17 Excédent brut d'exploitation (EBE) / chiffre d'affaires (CA).

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