IV. UN PRÉALABLE À LA RÉINSERTION : LA DIFFÉRENCIATION DES STRUCTURES DE DÉTENTION

Les détenus sont loin de constituer une population homogène ; l'infraction commise, la peine prononcée, les antécédents pénaux, l'âge ou l'état de santé, autant de facteurs qui déterminent des comportements spécifiques et justifient aussi une prise en charge diversifiée.

Cette différenciation permet de mieux préparer les détenus à leur sortie et, en définitive, de lutter contre la récidive mais elle n'est réellement possible que dans le cadre de structures de détention distinctes.

Sans doute ces principes de différenciation sont-ils aujourd'hui reconnus par l'administration pénitentiaire. Il n'en reste pas moins que la surpopulation pénale et l'inadaptation des infrastructures ne permettent pas toujours d'en tenir compte, en particulier dans les maisons d'arrêt -où prévenus et condamnés par exemple sont souvent mélangés.

Il existe en pratique des différenciations de fait liées à la nature de l'infraction commise. En outre, des structures plus spécifiques apparaissent :

- les quartiers courtes peines dont l'objectif est d'accueillir à l'écart du reste de la population pénale les primo délinquants condamnés à une courte peine et de leur offrir un programme permettant une réinsertion rapide ;

- les établissements pénitentiaires pour mineurs appelés pour partie à se substituer aux quartiers mineurs des établissements pénitentiaires.

Votre rapporteur a choisi de porter cette année une attention plus particulière aux premiers EPM ainsi qu'aux établissements pénitentiaires accueillant une très grande majorité de délinquants sexuels.

A. L'OUVERTURE DES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES POUR MINEURS

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a prévu la création de 420 places réparties dans 7 nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Placés sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire, bénéficiant de l'intervention permanente de la protection judiciaire de la jeunesse, les EPM cherchent à renforcer la dimension éducative de la prise en charge des mineurs détenus en s'appuyant sur un encadrement accru.

Le programme de livraison et d'ouverture des EPM s'étend sur 2007 et 2008 selon le planning suivant :

Dates de livraison

Dates de mise en service

Lavaur (81)

13.04.2007

11.06.2007

Rhône Meyzieu (69)

20.04.2007

11.06.2007

Quiévrechain (51)

23.05.2007

17.09.2007

Marseille (13)

2.07.2007

5.11.2007

Orvault (44)

5.11.2007

Semaine du 4.02.2008

Porcheville (78)

Fin décembre 2007

Fin février 2008

Meaux-Chauconin (77)

Juin 2008

Septembre 2008

Ce programme d'ouverture s'accompagne de la fermeture corrélative de 21 quartiers mineurs sur les 75 existants, dont 6 partiellement, correspondant au total à la fermeture de 430 places. Celle-ci s'étalera sur 2007 et 2008, en lien avec l'ouverture des EPM -9 quartiers mineurs ont déjà été fermés. La capacité d'accueil dans les quartiers mineurs est actuellement de 1176 places (dont 860 remises aux normes) réparties dans 66 établissements pénitentiaires. Comme l'a indiqué Mme Rachida Dati lors de son audition par votre commission le 13 novembre dernier, le maintien des liens familiaux justifie de préserver certains quartiers mineurs.

Au 29 novembre 2007, quatre établissements pénitentiaires pour mineurs parmi les sept programmes étaient ouverts : celui de Meyzieu dans le Rhône, Lavaur dans le Tarn, Quiévrechain dans le Nord et Marseille dans les Bouches-du-Rhône.

Chaque EPM comprend 7 unités d'hébergement (1 unité « arrivants » de 6 places, 1 unité « filles » de 4 places, 5 unités « garçons » de 10 places chacune), un quartier disciplinaire, un plateau sportif complet, une unité médicale, un secteur scolaire, et une zone socio-culturelle (salles d'activités, bibliothèque, salle de spectacle). L'établissement a un mur d'enceinte mais pas de miradors : la forte présence du personnel constitue un des éléments essentiels de la sécurité pénitentiaire.

Votre rapporteur s'est rendu, le 27 septembre dernier, dans l'EPM de Meyzieu et, le 15 novembre, avec M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis du budget de la protection judiciaire de la jeunesse, dans celui de Lavaur.

Une montée en charge progressive

A la date de la visite de votre rapporteur, l'EPM de Meyzieu comptait une trentaine de garçons et celui de Lavaur vingt-sept garçons et une fille (âgée de 13 ans). Si les filles disposent d'une unité spécifique, elles partagent, en principe, les mêmes activités que les garçons. Dans la mesure où les mineurs incarcérés étaient quasi exclusivement des garçons, l'intérêt de la mixité n'a pas pu réellement être expérimenté -et cette mixité peut être délicate à gérer lorsque, comme à Lavaur, l'établissement ne compte qu'une fille détenue.

Les mineurs, dont la moyenne d'âge est de 17 ans, sont très majoritairement prévenus (environ les 2/3) impliqués dans des affaires correctionnelles (environ les 3/4). En principe, prévenus et condamnés sont séparés. Mais la direction de Lavaur, tenant compte du fait que les uns et les autres sont soumis aux mêmes règles de vie, a fait le choix inverse.

Chaque établissement dispose ainsi d'une marge d'adaptation par rapport aux normes initialement envisagées pour le fonctionnement des EPM Cette liberté est en effet très souhaitable pour ajuster les principes d'action aux réactions des mineurs face à un système de détention nouveau.

Une prise en charge fortement individualisée

La journée de détention s'étend de 7 h 30 à 21 h 30. Chaque mineur se voit proposer un emploi du temps personnalisé dans le cadre d'un groupe de quatre à six détenus, comprenant des heures d'enseignement général et technique à raison d'un vingtaine d'heures par semaine, ainsi que des heures d'activités socio-culturelles et sportives, réparties tout au long de la semaine, y compris les samedis et dimanches.

Si l'hébergement de nuit est toujours individuel sauf avis médical contraire, les temps collectifs prévalent dans la journée ; les repas sont pris en commun, les temps de récréation se font ensemble au sein de l'unité de vie.

Le régime de détention semble inspirer des sentiments contradictoires chez les mineurs.

L'obligation d'activité et l'occupation du temps en continu peut être une contrainte forte, en particulier pour ceux qui ont été transférés des quartiers mineurs classiques où ils sont plus souvent laissés à eux-mêmes. La coexistence peut être source de tensions entre les mineurs eux-mêmes et entre ceux-ci et le personnel d'encadrement. Comme l'a expliqué à votre rapporteur la directrice de l'EPM de Lavaur, le refus de participer aux activités est sanctionné de manière progressive (par exemple, le refus renouvelé trois jours consécutifs de se lever à l'heure réglementaire le matin est passible du conseil de discipline).

Néanmoins, l'attention dont ils sont l'objet, la qualité des activités et du cadre de vie sont aussi ressentis par les mineurs comme une chance. Plusieurs, à leur majorité, souhaitent rester dans l'EPM (ils le peuvent, au cas par cas, et pour une période limitée) ; d'autres souhaitent y retourner.

La détention doit présenter un caractère de sanction tout en maximisant les possibilités de réinsertion : la réussite des EPM se jouera sur ce point d'équilibre.

Le maintien des liens familiaux est l'un des objectifs prioritaires du projet éducatif. Les parents sont informés très régulièrement des progrès comme des difficultés de leurs enfants. Néanmoins, souvent, les liens familiaux sont très distendus : ainsi, à Lavaur, la moitié des mineurs n'utilise pas les parloirs pour rencontrer leurs parents.

Un fort encadrement

En plein régime, l'EPM devrait fonctionner avec quelque 150 personnels (parmi lesquels soixante-seize personnels pénitentiaires, quarante-trois personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, quatre à six enseignants, une équipe médicale de quatre équivalents temps plein et des animateurs d'activité intervenant ponctuellement).

Actuellement, l'effectif compte une centaine de personnes (parmi lesquelles une trentaine de personnels de la protection judiciaire de la jeunesse).

Chaque unité de vie, qui compte 10 mineurs maximum, est animée par un binôme composé d'un surveillant et d'un éducateur assurant le lien avec l'équipe pédagogique et les parents 21 ( * ) .

Ensuite, le travail pluridisciplinaire est privilégié. L'équipe pluridisciplinaire inclut réglementairement le chef d'établissement, un personnel de surveillance, un représentant de la protection judiciaire de la jeunesse et un représentant de l'Education nationale. Elle se réunit au moins une fois par semaine pour partager les informations et coordonner les actions de prise en charge des mineurs.

La nouveauté du dispositif implique l'adaptation des références professionnelles et des modes d'intervention. Pour les personnels de surveillance, en particulier, tous volontaires, cette affectation requiert un très fort investissement personnel. Le rythme de travail retenu à Lavaur (deux jours travaillés/trois jours de récupération) constitue un point d'équilibre qui mérite d'être préservé 22 ( * ) .

Les contraintes spécifiques du travail en EPM doivent conduire à rendre le statut de ces postes plus attractif. A défaut, les candidatures pourraient manquer.

Le coût

Selon les indications communiquées à votre rapporteur par le directeur de l'administration pénitentiaire, le coût de la journée de détention en EPM serait compris entre 210 et 220 euros 23 ( * ) . Cependant, ce coût ne prend en compte que les financements assurés par le ministère de la justice et n'inclut pas la part qui revient à l'éducation nationale et au ministère de la santé.

Les moyens budgétaires consacrés à la mise en oeuvre des EMP sont répartis comme suit :

- construction : 110 M€, y compris l'équipement mobilier, pour les 7 EPM ;

- dépenses initiales accompagnant l'ouverture : 470.000€ par EPM, comprenant les équipements immobiliers complémentaires non prévus au marché de construction, les acquisitions initiales (ex : véhicules, moyens de défense) ;

- dépenses reconductibles, en année pleine : 1,3 M€ par an et par EPM, comprenant les crédits de fonctionnement, les coûts moyens liés à la programmation des activités (PJJ) et le coût de la gestion déléguée ;

- coûts de personnel AP (hors PJJ) : 3,5 M€ par an et par EPM.

L'évaluation

L'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse ont mis en place un dispositif de retour d'expérience alimenté par des tableaux de bord mensuels ainsi que par des audits effectués in situ par les services de l'inspection des deux administrations. Cette méthodologie doit permettre notamment de rendre compte à échéance régulière de l'avancement de la mise en oeuvre des EPM et d'évaluer leur « performance » au regard de l'objectif de prévention de la récidive.

Cette évaluation est indispensable. En effet, le coût pour la collectivité de ces nouveaux établissements trouvera sa justification dans les résultats obtenus en matière de réinsertion.

Les premiers constats sont encourageants . Si le niveau des entrants est globalement très bas, la prise en charge soutenue des mineurs peut donner des résultats très rapides. A Lavaur, votre rapporteur a ainsi rencontré un mineur qui, en trois mois, avait appris à lire et écrire. Cet exemple permet de mesurer le potentiel de ces nouvelles structures et d'augurer heureusement de leur avenir.

* 21 Le partenariat entre l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse était déjà opérationnel dans les quartiers des mineurs des maisons d'arrêt depuis 2003.

* 22 Par dérogation, l'EPM de Lavaur autorise un personnel masculin à prendre en charge des mineures détenues, ce qui semble un élément de souplesse très appréciable.

* 23 Le coût de la journée de détention en établissement pénitentiaire est estimé à 75/85 € et en CEF à 550/600 €).

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