C. VERS UN PILOTAGE CRÉDIBLE DES DÉPENSES SOCIALES

Une action sur les dépenses serait, cependant, incomplète sans une amélioration du pilotage des comptes sociaux . De ce point de vue, les propositions des groupes de travail animés respectivement par Raoul Briet, sur le pilotage des dépenses d'assurance maladie et Michel Camdessus, sur l'élaboration d'une règle constitutionnelle d'équilibre des finances publiques, devraient apporter des éléments de réponse.

Nombre d'entre elles sont mises en place dans les différents projets de loi que votre commission des finances a eu à examiner cet automne : projet de loi organique relative à la gestion de la dette sociale, projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 et le présent projet de loi de financement.

1. Les règles actuelles, des intentions louables mais un bilan mitigé

En 1996, les enjeux financiers de la sécurité sociale ont fait leur apparition dans le débat parlementaire grâce à la réforme de la Constitution et à « l'organicisation » de dispositions relatives aux lois de financement de la sécurité sociale. Ce nouvel outil législatif devait permettre de placer le pilotage financier de la sécurité sociale au coeur du débat public et de rationaliser la prise de décision politique dans le domaine sanitaire et social.

Toutefois, quatorze ans après le vote de la première loi de financement de la sécurité sociale, force est de constater que le cadre organique des lois de financement défini en 1996, puis en 2005, n'a pas répondu à toutes les attentes en termes de programmation des dépenses sociales.

Cette situation résulte des limites de plusieurs instruments destinés à piloter les dépenses d'assurance maladie : la programmation pluriannuelle, l'ONDAM et la procédure d'alerte.

a) La programmation pluriannuelle, un exercice à ce jour peu concluant

Conformément à la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale 30 ( * ) , tous les projets de loi de financement présentent des projections pluriannuelles .

Chaque année, la loi de financement laisse ainsi entrevoir une réduction des déficits, voire un retour à l'équilibre, des régimes obligatoires de base. Mais, cet exercice s'avère en réalité très formel puisque d'année en année, ces horizons sont repoussés .

Le cas de la branche maladie du régime général est, de ce point de vue, le plus remarquable. Alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 évoquait un retour à l'équilibre financier de la branche en 2007 grâce à la loi du 13 août 2004 portant réforme de l'assurance maladie, celui-ci a ensuite été systématiquement reporté :

- à 2009, en loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ;

- à 2010, dans l'hypothèse macroéconomique haute proposée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ;

- à 2012, dans l'hypothèse macroéconomique haute proposée par loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, après la révision des hypothèses macroéconomiques apportée par le Gouvernement au cours de l'examen du texte par le Parlement, a finalement fait apparaître un déficit prévisionnel de la branche de 2 milliards d'euros en 2012.

Enfin, pour la première fois lors de l'examen du projet de loi de financement pour 2010, tout retour à l'équilibre a été durablement perdu de vue : le PLFSS pour 2010 ne prévoyait en effet qu'une stabilisation du déficit de la branche maladie autour de 11,6 milliards d'euros à l'horizon 2013.

Le présent projet de loi de financement ne laisse entrevoir qu'un retour à l'équilibre de la branche accidents du travail-maladies professionnelles l'an prochain.

Projections pluriannuelles de l'évolution du déficit des régimes de base et du FSV

( en milliards d'euros )

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

LFSS pour 2006

Maladie

-11,6

-8,3

-6,1

-3,5

-1,7

0,6

AT-MP

-0,2

-0,5

-0,2

-0,1

0,1

0,1

Famille

-0,4

-1,1

-1,2

-1,2

-0,8

-0,3

Vieillesse

0,3

-2,0

-1,4

-1,7

-1,8

-2,2

Régime général

-11,9

-11,9

-8,9

-6,5

-4,2

-1,8

Régimes de base

-11,5

-12,9

-10,1

-7,9

-5,8

-3,5

FSV

-0,6

-2,0

-1,5

-1,4

-1,1

-0,5

LFSS pour 2007 - Hypothèse haute

Maladie

-8,0

-6,1

-3,9

-1,5

1,4

3,9

AT-MP

-0,4

0,0

0,1

0,2

0,5

0,9

Famille

-1,3

-1,3

-0,8

0,3

1,6

2,9

Vieillesse

-1,9

-2,4

-3,5

-4,1

-3,8

-3,3

Régime général

-11,6

-9,7

-8,0

-5,0

-0,3

4,5

Régimes de base

-11,4

-8,8

-7,5

-5,0

-0,4

4,2

FSV

-2,0

-1,2

-0,6

-0,4

0,0

0,0

LFSS pour 2008 - Hypothèse haute

Maladie

-5,9

-6,2

-4,2

-4,0

-2,8

-1,4

0,0

AT-MP

-0,1

-0,4

0,3

0,5

0,7

0,9

1,2

Famille

-0,9

-0,5

0,3

1,7

3,2

4,6

6,0

Vieillesse

-1,9

-4,6

-5,2

-6,0

-6,8

-7,9

-8,8

Régime général

-8,7

-11,7

-8,8

-7,9

-5,8

-3,8

-1,6

Régimes de base

-7,8

-11,4

-7,7

-7,9

-6,1

-4,3

-2,2

FSV

-1,3

-0,3

0,6

0,9

1,4

1,9

2,4

LFSS pour 2009 après modifications des hypothèses macroéconomiques apportées par le Gouvernement

Maladie

-4,6

-4,2

-4,6

-4,2

-3,2

-2,0

AT-MP

-0,5

0,3

-0,1

0,2

0,5

0,9

Famille

0,2

0,3

-0,5

-0,3

0,1

1,1

Vieillesse

-4,6

-5,77

-5,3

-4,2

-2,5

-3,1

Régime général

-9,5

-9,3

-10,5

-8,6

-5,0

-3,1

Régimes de base

-9,1

-9,0

-11,4

-10,4

-7,4

-5,4

FSV

0,2

0,8

-1,0

-1,0

-0,6

-0,2

PLFSS pour 2010

Maladie

- 4,6

- 4,4

- 11,5

- 14,6

- 13,7

- 12,5

- 11,6

AT-MP

- 0,5

0,2

- 0,6

- 0,8

- 0,5

- 0,2

0,0

Famille

0,2

- 0,3

- 3,1

- 4,4

- 4,3

- 3,7

- 3,1

Vieillesse

- 4,6

- 5,6

- 8,2

- 10,7

- 11,6

- 13,0

- 14,5

Régime général

- 9,5

- 10,2

- 23,5

- 30,6

- 30,1

- 29,4

- 29,2

Régimes de base

-9,1

-9,7

-24,7

-31,5

-31,4

-30,6

-30,3

FSV

0,2

0,8

-3,0

-4,5

-4,0

-3,7

-3,1

PLFSS pour 2011

Maladie

-4,4

-10,6

-11,4

-11,5

-9,8

-8,3

-6,8

AT-MP

0,2

-0,7

-0,5

0,1

0,3

0,6

0,9

Famille

-0,3

-1,8

-2,6

-3,0

-2,6

-2,3

-1,7

Vieillesse

-5,6

-7,2

-8,6

-6,9

-7,4

-8,0

-7,7

Régime général

-10,2

-20,3

-23,1

-21,3

-19,5

-18,0

-15,3

Régimes de base

-9,7

-21,7

-24,8

-22,7

-20,8

-19,3

-16,7

FSV

0,8

-3,2

-4,3

-3,8

-3,6

-3,1

-2,4

Source : commission des finances, d'après les lois et projets de loi de financement de la sécurité sociale

b) L'ONDAM, un objectif une seule fois respecté

Depuis 1997, le Parlement est en outre amené à voter, chaque année, en loi de financement de la sécurité sociale, un objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Or, à l'exception de 1997, première année d'application du cadre organique défini en 1996, l'ONDAM n'a jamais été respecté ( cf. graphique). L'ONDAM 2010 ne sera vraisemblablement pas dépassé grâce à des mesures de gel de crédits à hauteur de 500 millions d'euros ( cf . commentaire de l'article 8).

Deux principaux éléments expliquent cette tendance : d'une part, l'évaluation peu réaliste des mesures d'économies qui sous-tendent la construction de l'ONDAM et donc son respect et, d'autre part, les phénomènes dits de « rebasage » qui contribuent à consolider les dépassements au lieu d'appeler un effort de maîtrise supplémentaire des dépenses.

Réalisation et dépassements de l'ONDAM depuis 1997

(en milliards d'euros)

Source : direction de la sécurité sociale, graphique cité dans le rapport du groupe de travail, présidé par Raoul Briet, sur le pilotage des dépenses d'assurance maladie, avril 2010

Note de lecture : en abscisses figure le niveau de dépenses constaté et en ordonnées le taux d'évolution associé ; la taille des bulles représente l'ampleur du dépassement ou de la sous-consommation. Ainsi, en 2007, les dépenses dans le champ de l'ONDAM ont atteint 147,7 milliards d'euros compte tenu d'un dépassement de 2,8 milliards d'euros, soit un taux d'évolution à périmètre constant de 4,2 %.

(1) Une construction peu transparente de l'ONDAM

Le respect de l'ONDAM repose en effet tout autant sur la sincérité de sa construction que sur la rigueur de son exécution.

Or, comme le rappelait votre rapporteur dans son avis sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 31 ( * ) , la fiabilité des chiffrages sur lesquels repose la construction de l'ONDAM doit être améliorée. Si l'évaluation de l'évolution tendancielle des dépenses apparaît meilleure, tel n'est en revanche pas le cas des mesures d'économies qui sous-tendent le respect de l'objectif de dépenses.

La Cour des comptes indiquait à cet égard, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2007 qu' en 2006, les économies réalisées n'ont représenté que 58 % du montant attendu.

(2) L'effet cliquet du « rebasage »

A ce manque de sincérité s'ajoute ensuite l'effet cliquet de la technique dite du « rebasage ». Le processus de détermination de l'ONDAM consiste en effet chaque année à appliquer à une base, après prise en compte du ou des changements de périmètre de l'ONDAM, un taux d'évolution prévisionnel qui synthétise les effets contraires de l'évolution tendancielle des dépenses et des économies attendues.

Or une difficulté permanente pour la fixation de l'ONDAM réside dans la détermination des bases auxquelles sont appliqués les taux d'évolution . Ces bases sont définies en fonction :

- d'une part, des réalisations prévues pour l'année en cours, puisqu'elles ne peuvent pas être connues exactement au moment du vote de la loi de financement. Les prévisions utilisées s'avèrent donc plus ou moins éloignées de la réalité constatée ensuite dans les comptes ;

- d'autre part, du choix des pouvoirs publics de prendre en compte en tout ou partie le dépassement prévu de l'ONDAM de l'année qui se termine.

Cette technique du « rebasage » fausse l'appréciation de l'évolution des dépenses d'assurance maladie d'une année sur l'autre et peut ainsi conduire à neutraliser les dépassements en les incluant dans la base de l'ONDAM de l'année suivante, créant un effet cliquet par rapport aux dépenses constatées.

Le dépassement de l'ONDAM 2007 - 2,8 milliards d'euros - s'explique ainsi en partie par cet effet « base » : à la fin mars 2007, la direction de la sécurité sociale évaluait à 700 millions d'euros l'effet de base ce qui rendait impossible, dès cette date, le respect de l'objectif de dépenses fixé pour 2007.

Les effets de base perturbent également l'appréciation du respect ou non des taux des différents sous-objectifs de l'ONDAM . Ainsi, par exemple, le dépassement de l'ONDAM hospitalier 2008 à hauteur de 150 millions d'euros était-il « sous-estimé ». En effet, ce dépassement a été constaté en dépit d'une surévaluation de la base retenue pour la construction de l'ONDAM 2008 de 200 millions d'euros et d'un gel de crédits destinés au fonds de modernisation des établissements publics et privés (FMESPP) de 100 millions d'euros. Ces deux éléments n'auraient dû rendre que plus aisé le respect du sous-objectif relatif aux établissements de santé.

Concrètement, les dépenses de l'assurance maladie augmentent chaque année dans une proportion plus importante que la programmation votée par le Parlement, non seulement en raison de l'évolution des dépenses réelles, plus élevée que la prévision , mais aussi en raison de la variation annuelle des bases de l'ONDAM. Cela conduit à consolider les dérapages et à ne jamais les remettre en cause.

c) Une procédure d'alerte bienvenue mais qui peut-être améliorée

La loi précitée du 13 août 2004 portant réforme de l'assurance maladie a créé une procédure d'alerte en cas de risque de dépassement de l'ONDAM. Bien que constituant un progrès significatif, la mise en place de ce comité d'alerte a montré ses limites :

- il n'a pas répondu à son objectif en 2007, première année de mise en oeuvre de la procédure . Les mesures de redressement sont en effet intervenues trop tardivement et ont eu un effet très limité puisqu'elles ont eu un impact de 250 millions d'euros en 2007 - avec un effet report de 700 millions d'euros en 2008 - pour un dépassement effectif de 2,8 milliards d'euros ;

- effet pervers du système, la référence à la « bonne gestion » s'est ensuite en quelque sorte déplacée du strict respect de l'ONDAM vers le non-franchissement du seuil d'alerte qui représente une marge de dépassement de près de 1,2 milliard d'euros 32 ( * ) ;

- enfin, le Gouvernement peut être tenté d'exclure certaines dépenses du champ de la procédure d'alerte . Ainsi, en dépit des initiatives de votre rapporteur pour avis, la loi de financement pour 2010 prévoit qu'à titre exceptionnel, les dépenses supplémentaires liées à la grippe A (H1N1)v ne sont pas prises en compte pour l'évaluation du risque de dépassement de l'ONDAM 2010 par le comité d'alerte. Cette mesure a créé un précédent préjudiciable pour la crédibilité de cet outil de régulation.


* 30 Article LO-111-4 du code de la sécurité sociale : « Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année est accompagné d'un rapport décrivant les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses par branche des régimes obligatoires de base et du régime général, les prévisions de recettes et de dépenses des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour les quatre années à venir ».

* 31 Rapport pour avis n° 73 (2007-2008).

* 32 Estimation sur la base de l'ONDAM voté pour 2010.

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