II. LA PROGRAMMATION PLURIANNUELLE 2011-2014, UN RISQUE DE LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT ?

Les projections pluriannuelles annexées au présent projet de loi de financement laissent entrevoir une amélioration du solde des régimes obligatoires de base et du FSV de 10 milliards d'euros, à l'horizon 2014 . Celui-ci sera ainsi ramené de -29,1 milliards d'euros en 2010 à -26,5 milliards d'euros en 2011,  -24,4 milliards d'euros en 2012, -22,4 milliards d'euros en 2013 et -19,1 milliards d'euros en 2014.

Evolution du solde de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV (2010 / 2014)

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

Ensemble des régimes obligatoires de base

-24,8

-22,7

-20,8

-19,3

-16,7

FSV

-4,3

-3,8

-3,6

-3,1

-2,4

Total

-29,1

-26,5

-24,4

-22,4

-19,1

Source : annexe B du présent projet de loi de financement

Cependant, les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles ces projections reposent paraissent optimistes et les efforts d'économies demandés aux branches vieillesse et maladie, particulièrement volontaristes .

A. LE « BIAIS OPTIMISTE » DES HYPOTHÈSES MACRO-ÉCONOMIQUES RETENUES

Les hypothèses macroéconomiques retenues cette année n'échappent pas au « biais optimiste » qui caractérise désormais l'exercice de programmation . Les hypothèses de croissance du PIB, d'évolution de la masse salariale, et du taux de chômage dans le cadre de la réforme des retraites, paraissent une nouvelle fois particulièrement difficiles à atteindre et vident ainsi de son sens l'exercice de programmation.

1. L'hypothèse de croissance du PIB et de la masse salariale
a) Une révision très importante des soldes pour 2010

La base « 2010 », meilleure que prévu, constitue un facteur d'optimisme. En effet, la prévision de déficit du régime général pour 2010 a été revue à la baisse, par la commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de septembre, de 3,6 milliards d'euros par rapport à la prévision de juin.

Soldes par branche du régime général en 2010
avant et après révision des hypothèses macro-économiques

(en milliards d'euros)

2010

(prévisions juin)

2010

(prévisions septembre)

Ecart

Maladie

-13,1

-11,5

-1,6

AT-MP

-0,6

-0,5

-0,1

Vieillesse

-9,3

-8,6

-0,7

Famille

-3,8

-2,6

-1,2

Total - Régime général

-26,8

-23,2

-3,6

Source : rapports de juin et septembre 2010 de la commission des comptes de la sécurité sociale

Cependant, votre rapporteur pour avis tient à souligner que cette révision, pour encourageante qu'elle soit, résulte d'un plus grand dynamisme spontané des recettes , lié à la plus forte croissance de la masse salariale (2 % au lieu de 0,3 %), et non d'une meilleure maîtrise des dépenses . Le produit sur les revenus d'activité, qui a augmenté de 3,3 milliards d'euros, explique ainsi en quasi-totalité la nette amélioration des soldes.

b) Une hypothèse moins élevée de croissance du PIB et de la masse salariale : une condition de la crédibilité
(a) L'hypothèse de croissance du PIB

En ce qui concerne la programmation pluriannuelle 2011-2014 annexée au présent projet de loi, elle repose, comme les précédentes, sur une hypothèse de croissance du PIB de 2,5 % de 2012 à 2014 , taux traditionnel retenu par les programmes de stabilité depuis la fin des années 1990, alors que le taux de croissance potentiel de l'économie est de l'ordre de 2 % et que la politique budgétaire retenue déprimera vraisemblablement l'activité.

Comme le rappelait votre rapporteur général lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 13 ( * ) , la croissance du PIB n'a été supérieure ou égale à 2,5 % que deux fois depuis le début des années 2000 (en 2000 et en 2004). Elle n'a été supérieure ou égale à 3 % qu'une seule fois (en 2000).

(b) L'hypothèse de croissance de la masse salariale

Quant à l'estimation de la croissance de la masse salariale, elle fait, elle aussi, l'objet d'une sur-évaluation quasi-systématique. A cet égard, votre rapporteur pour avis note que la prévision d'évolution de la masse salariale pour 2011, fixée à 5 % en loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, a été ramenée à 2,9 % dans la programmation pluriannuelle annexée au présent projet de loi. Il avait souligné le caractère irréaliste de cette évaluation l'automne dernier.

L'annexe B du présent projet de loi fixe, quant à elle, la prévision de croissance de la masse salariale pour 2011 à 2,9 % et à 4,5 % à compter de 2012 . Cette projection paraît, cette année encore, très optimiste. Le taux de progression proposé à partir de 2012 n'a en effet été atteint ou dépassé que trois fois au cours de ces dix dernières années, à savoir en 2000, 2001 et 2007.

L'hypothèse selon laquelle la masse salariale augmenterait, à partir de 2012, à un rythme plus rapide que son taux de croissance moyen entre 1998 et 2008 (4 %) paraît en effet difficile à tenir. Un retour sur les années qui ont suivi la récession de 1993 peut nous donner une idée de la prudence qu'il convient d'avoir. En 1993, le PIB a régressé en volume de 0,9 %, la masse salariale 14 ( * ) enregistrant, pour la première fois depuis 1960, une diminution de 0,52 % par rapport à l'année précédente, diminution qui s'est poursuivie en 1994 (- 0,14 %) alors que le PIB augmentait à nouveau en volume (+ 2,2 %). Entre 1995 et 1998, la croissance annuelle moyenne de la masse salariale était de 1,74 %, soit un taux qui n'était pas supérieur à son taux de croissance moyen entre 1978 et 1992.

Par ailleurs, deux éléments peuvent nuancer l'hypothèse de croissance retenue par le PLFSS pour 2011 :

- d'une part, il n'est pas certain que la crise soit suivie d'un très fort rebond économique qui permettrait de rattraper le niveau de PIB tendanciel et entraînerait un important ressaut de la masse salariale ;

- d'autre part, comme le soulignait à juste titre le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre 2009, il est possible que les entreprises tardent à ajuster leur niveau d'emploi et leurs rémunérations quand la croissance repartira, ce qui de facto sous-entend une évolution de la masse salariale moins « brutale » que celle retenue dans le présent PLFSS.

Source : Agence centrale des organismes de sécurité sociale

Or la croissance de la masse salariale impacte sensiblement les recettes du régime général qui sont, pour plus de la moitié d'entre elles, constituées des cotisations et de la CSG sur les revenus d'activité du secteur privé. Selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2010, la variation d'un point de la masse salariale impacte le régime général à hauteur de 1,94 milliard d'euros.

Ainsi, si entre 2012 et 2014, la croissance de la masse salariale du secteur privé s'élevait en moyenne à 3,5 %, le déficit du régime général pourrait s'aggraver de 13 milliards d'euros sur cette période - 17,7 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes obligatoires de base - par rapport aux projections actuelles et en l'absence de mesures nouvelles.

Croissance de la masse salariale et solde du régime général 2012-2014

(en milliards d'euros)

Solde 2012

Solde 2013

Solde 2014

Solde cumulé

Ecart par rapport au PLFSS 2011

Masse salariale :

+ 4,5 % (PLFSS 2011 - avant vote à l'Assemblée nationale)

-19,5

-18,0

-15,3

-52,8

Masse salariale :

+ 4,5 % (PLFSS 2011 - après vote à l'Assemblée nationale)

-19,2

-18,7

-16,2

-54,1

- 1,2

Masse salariale :

+ 3,5 %

-21,2

-23,0

-22,9

-67,1

- 13

Hypothèse : un point de variation de masse salariale impact le solde du régime général à hauteur de 1,94 milliard d'euros toute chose égale par ailleurs

Source : annexe B du présent projet de loi de financement

(c) En finir avec le « double discours »

Il est vrai que ces hypothèses sont cohérentes avec les prévisions réalisées par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité et de croissance 2010-2013 présenté par la France à la Commission européenne, en janvier 2010.

Mais votre rapporteur pour avis souligne que les prévisions associées aux pactes de stabilité et de croissance sont régulièrement révisées . C'est déjà le cas pour 2010. A la suite de nombreuses critiques (de votre commission des finances, de la Cour des comptes, de la Commission européenne, du FMI), le Gouvernement a révisé à la baisse, le 20 août dernier 15 ( * ) , l'hypothèse de croissance pour la seule année 2011. A titre de comparaison, selon le consensus des conjoncturistes 16 ( * ) , la croissance du PIB serait de 1,5 % en 2011 (après 1,4 % en 2010).

Comme le souligne Mireille Elbaum dans un article consacré au pilotage des comptes sociaux 17 ( * ) , les contraintes afférentes au Pacte de stabilité et de croissance « conduisent les gouvernements à afficher des projections de moyen terme à la fois peu réalistes et fortement normées , [ce qui] empêche la tenue d'un réel débat... fondé sur l'expertise comparée de différents scenarios économiques et choix collectifs possibles en matière de politiques économiques et sociales. Le paradoxe veut donc que les efforts d'amélioration de la programmation financière entrepris pour passer du court au moyen terme ne se soient pas traduits par davantage de clarté et de mise en débat, si on les compare aux travaux menés jusqu'à la fin des années 90 . »

Le caractère extrêmement volontariste des hypothèses retenues dans le cadre du présent projet de loi de financement risque à nouveau de fausser le débat parlementaire en ne permettant pas de prendre l'exacte mesure de l'ampleur des efforts à fournir pour parvenir à rééquilibrer la situation des comptes sociaux .

Pour améliorer la sincérité de la programmation, un scenario alternatif de croissance de la masse salariale de 3,5 % à compter de 2012 aurait pour le moins été souhaitable . En effet, le maintien d'un scenario unique d'une hypothèse de croissance de 4,5 % de la masse salariale jamais vérifiée sauf en 2000, 2001 et 2007 n'est plus possible si l'on veut donner une certaine crédibilité à la programmation.

C'est pourquoi, votre rapporteur pour avis vous propose un amendement à l'article 29 modifiant l'annexe B du présent projet de loi tendant à ajouter un scénario alternatif d'évolution des soldes des régimes obligatoires sur la base d'un taux d'évolution de la masse salariale de 3,5 % à compter de 2012 (amendement à l'article 29 - annexe B ).


* 13 Rapport n° 78 (2010-2011).

* 14 Au sens de l'INSEE.

* 15 Communiqué publié à l'issue de la réunion de travail au Fort de Brégançon.

* 16 Consensus Forecasts, août 2010.

* 17 Lettre n° 319 de l'OFCE, « Quel pilotage pour les comptes sociaux ? » - 4 juin 2010.

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