B. LE POIDS DES ANNULATIONS DE DETTES DANS L'APD EXPLIQUE LES VARIATIONS ANNUELLES DE L'APD FRANÇAISE.

L'évolution du volume total de l'APD française depuis 2002 est marquée par le rôle essentiel de la comptabilisation des annulations de dettes.

La France est en effet l'un des principaux contributeurs de l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). Ainsi, après avoir largement contribué à la hausse de l'APD française jusqu'en 2006, la chute de l'APD en 2007 s'expliquait essentiellement par la baisse des allègements de dettes.

La hausse de l'APD annoncée en 2009 s'explique à nouveau par la comptabilisation d'importants allègements de dettes qui s'élèvent en effet à 1,123 milliard d'euros en 2009, soit 12,6 % de l'APD.

Ces annulations de dettes sont, pour une grande partie, négociées dans le cadre du Club de Paris, notamment la contribution de la France à l'initiative PPTE. La France est en effet le premier contributeur à l'initiative PPTE, sous laquelle des montants très importants ont été annulés entre 2002 et 2004.

La comptabilisation de ces annulations est, à certains égards, légitime.

Ces annulations de la dette des pays les plus pauvres sont une condition de leur développement. L'assainissement de leurs finances a d'ailleurs probablement contribué à leur relative résistance à la crise financière. Elles constituent par ailleurs une perte de créance pour l'Etat français et les contribuables français.

Cependant, dans de nombreux cas, ces annulations portent sur des créances impayables, qui n'auraient jamais pu être remboursées. Elles relèvent donc, dans ce cadre, plus d'un jeu d'écriture comptable que d'une véritable contribution au financement du développement.

Le poids relatif des opérations sur dettes

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

% des opérations sur dettes

17 %

14 %

9 %

32 %

23 %

35 %

35 %

17 %

10 %

APD

4 454,0

4 687,6

5 821,4

6 419,7

6 819,6

8 067,1

8 445,5

7 220,0

7 562,2

Dans son estimation de l'APD « réelle », Coordination SUD, la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale, déduit 90 % du montant total des allègements de dettes de l'APD officielle. Elle se base sur la recommandation d'une étude réalisée par Daniel Cohen sur les annulations de dettes des PPTE. Estimant que la grande majorité des allègements de dettes constituent un effacement comptable de créances impayables, il recommande en effet que seuls 10 % de ces annulations soient comptabilisés en APD, les 90 % restants devant être inscrits en pertes sur allègements 9 ( * ) .

C. LE POIDS CROISSANT DES PRÊTS

L'évolution de l'APD française est enfin marquée par le poids des prêts.

Les prêts en direction des pays en développement sont en effet déclarés comme APD au moment du décaissement et viennent au moment des remboursements en soustraction des dépenses d'APD, de sorte que, sur le long terme, seul le coût brut du prêt pour le prêteur est comptabilisé au titre de l'aide, comme l'illustre le graphique suivant.

Les prêts nets représentent le volume des décaissements réalisés desquels est déduit le volume des remboursements de prêts perçus la même année.

En 2006, le volume des remboursements était supérieur au montant des décaissements, d'où un impact global négatif sur l'APD française. A partir de 2008, cependant, cet impact est redevenu positif, du fait de la très forte augmentation des décaissements des nouveaux prêts.

Montant des prêts bruts et nets comptabilisés dans l'APD française en 2007, 2008, 2009

Prêts bilatéraux
(hors rééchelonnements) en M€

2007

2008

2009

Montants bruts

694

1  246

1 276

Remboursements dans la déclaration APD

874

824

1 755

Montants nets

-145

472

-513

Au total, les flux net liés aux prêts représentent 1,1 milliard d'euros dans l'APD nette de la France, soit 12,3 %.

Par ailleurs, ces prêts, qui doivent comporter un degré de bonification pour être notifiés, constituent de l'aide au développement dans la mesure où ils financent des projets développement.

Il y a un débat sur le degré de concessionnalité à partir duquel on considère qu'un prêt relève de l'APD.

L'APD de la France a augmenté de 7,6 milliards d'euros en 2008 (0,39 % du RNB) à 9 milliards d'euros en 2009 (0,47 % de son RNB). Cette augmentation correspond en grande partie à un accroissement des prêts concessionnels.

Or comme l'a souligné la revue à mi-parcours de la France par le CAD : « Certains de ces prêts ont des taux d'intérêt proches du niveau du marché (en comparaison par exemple avec le taux d'actualisation différencié), même si leur élément de libéralité atteint le minimum requis de 25 %. »

La France a maintenu qu'elle considérait bien ces prêts comme concessionnels en caractère : d'une part, les pays bénéficiaires n'obtiendraient pas ces fonds à de telles conditions sur le marché, et, d'autre part, les risques encourus par le prêteur ne sont pas facturés aux bénéficiaires.

Le Secrétariat de l'OCDE estime que les risques encourus par le prêteur sont déjà couverts dans les statistiques du CAD par la possibilité de notifier en APD, en cas de défaut, les éventuelles annulations de ces prêts. Ceci implique que le niveau de concessionnalité de ces prêts devrait être considéré plutôt du point de vue du donneur (« coût d'opportunité » pour le donneur plutôt qu'« avantage procuré à l'emprunteur »).

La définition de la concessionnalité des prêts devrait donc à nouveau être discutée dans l'enceinte du CAD.

Au-delà de la question de la notification, vos rapporteurs soulignent que les prêts et les dons n'ont évidemment pas, en termes de générosité publique, la même signification, ni la même portée pratique.

Les prêts sont bien adaptés pour intervenir dans les pays et les secteurs les plus dynamiques où leur effet de levier permet d'espérer une influence significative. En revanche, ils ne permettent pas d'intervenir dans les pays les plus pauvres, qui sortent à peine d'un processus de désendettement dans les situations de crises ou dans les secteurs sociaux.

D. L'APD AU SENS DU CAD : UN INDICATEUR QU'IL FAUT COMPLÉTER

Vos rapporteurs ont pu l'observer lors de leurs auditions, la définition de l'aide publique au développement au sens de l'OCDE sert essentiellement à mesurer notre effort pour atteindre les 0,7 % et a perdu beaucoup de sa pertinence pour mesurer les moyens effectivement disponibles sur le terrain pour des projets de coopération.

Dès qu'un interlocuteur veut parler de l'effort réel en faveur d'un pays, ou bien de l'argent effectivement disponible pour financer des projets, il évoque d'autres critères dont l'aide programmable, autrement dit, l'aide dont on a enlevé les annulations de dette, les coûts d'écolage et de prise en charge des réfugiés, et autres éléments moins en rapport avec le développement.

Il y aurait, sur ce critère d'aide programmable au sens du CAD, également beaucoup à redire, puisqu'on y trouve encore l'aide aux TOM, les financements de l'AEFE ou encore la rémunération des dépôts des banques centrales des pays de la Zone franc. Il permet néanmoins de se faire une première idée des financements effectivement disponibles pour l'aide au développement.

Si on se situe au niveau des pays récipiendaires, les études de terrain montrent que les montants vraiment disponibles sont encore plus limités. Une enquête de l'OCDE sur 55 pays a établi que, sur les 8 milliards de dollars d'aide publique au développement brute française, seulement 1,7 milliard de dollars était effectivement disponible pour des projets bilatéraux d'aide au développement.

Ainsi, sur 8 milliards déclarés en 2008 par la France, seulement 5 sont programmables et un peu moins de 2 ont été délivrés de façon bilatérale dans les pays récipiendaires.

C'est dire que les batailles de chiffres auxquelles se livrent les pays désireux d'atteindre leur objectif d'aide publique au développement n'ont pas toujours de sens.

C'est souligner également combien la définition actuelle de l'aide publique au développement mesure mal la réalité qu'elle est supposée appréhender.

Les défauts de cet agrégat ont des conséquences sur la conduite de la politique d'aide au développement et introduisent un biais dans ses orientations.

La pression exercée afin que les Etats remplissent leur engagement en termes de pourcentage d'aide publique au développement dans le revenu national conduit, sur le long terme, les gouvernements à maximiser des dépenses qui rentrent dans l'agrégat, au détriment d'autres types d'interventions qui peuvent s'avérer tout aussi utiles sinon plus.

Il conviendrait d'améliorer et de diversifier les instruments de mesure dans le cadre de l'OCDE.

Le document-cadre prévoit de « promouvoir l'utilisation complémentaire d'un indicateur plus large permettant de mieux rendre compte de l'ensemble des efforts consentis en faveur du financement du développement . ».

Votre commission estime qu'il faut également intégrer dans les documents budgétaires un indicateur plus proche de la réalité des montants vraiment disponibles tel que l'aide programmable, sans forcement reprendre la définition du CAD qui se situe du point de vue du récipiendaire. Il convient, en effet, d'isoler dans les crédits notifiés ceux sur lequel le gouvernement a une maîtrise réelle, peut exercer un pilotage, des arbitrages, une programmation.

Elle demande en conséquence que soit intégré dans le DPT un suivi de l'aide programmable française et de son lien avec le budget.


* 9 Coordination SUD - L'aide publique au développement dans le projet de loi de finances 2011 -Octobre 2010

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