Avis n° 114 (2010-2011) de M. David ASSOULINE , fait au nom de la commission de la culture, déposé le 18 novembre 2010

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N° 114

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2010

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2011 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME VI

Fascicule 2

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
PRESSE

Par M. David ASSOULINE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade , Jean-Claude Carle vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mmes Mireille Oudit, Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert , René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 2824, 2857, 2859 à 2865 et T.A. 555

Sénat : 110 et 111 (annexe n° 17 ) (2010-2011)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le programme 180, auparavant uniquement consacré à la presse, inclut, dans la version initiale du projet de loi de finances pour 2011, les crédits consentis à la politique de l'État dans les domaines du livre et des industries culturelles entendues au sens large. Votre rapporteur pour avis s'interroge sur le sens et l'opportunité d'un tel regroupement.

En effet, le soutien financier de l'État en faveur de la presse est justifié par la nécessité de garantir un débat citoyen et démocratique dynamique, nourri par une information libre, indépendante et pluraliste. En revanche, les subventions accordées aux secteurs de l'édition et des industries culturelles obéissent à des impératifs propres à la création culturelle et à la protection de l'écrit et des patrimoines.

La décision de regrouper ces politiques pourtant distinctes au sein d'un même programme ne lui semble pas, par conséquent, aller nécessairement dans le sens d'une meilleure lisibilité de la dépense publique.

Il se réjouit donc qu'en première lecture, l'Assemblée nationale ait substitué au programme 180 « Presse, livre et industries culturelles » trois nouveaux programmes intitulés « Presse », « Livre et lecture » et « Industries culturelles ».

L'État maintient globalement son effort financier exceptionnel en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2011. Ce plan de soutien vise à favoriser l'adaptation du secteur aux bouleversements de son environnement technologique et à la concurrence de nouveaux supports et sources d'information, et à accompagner les mutations du modèle économique des entreprises de presse.

Toutefois, la mission confiée à M. Aldo Cardoso, en 2010, sur la gouvernance des aides publiques à la presse a permis de disposer d'une vision plus globale du soutien public accordé à la presse. Celui-ci est évalué à près d' 1,4 milliard d'euros , addition faite des diverses aides publiques directes et indirectes à la presse, réparties sur plusieurs programmes budgétaires, mais aussi des dépenses non inscrites au budget général de l'État et, le cas échéant, consenties par d'autres organismes publics (comme La Poste, par exemple).

Or, le système d'aides publiques à la presse, qui remonte à une loi du 4 thermidor de l'an IV posant le principe d'une aide au transport postal de la presse, se caractérise traditionnellement par son extrême fragmentation et l' absence d'une véritable stratégie cohérente assortie d'indicateurs d'évaluation régulièrement actualisés .

En conséquence, derrière l'affichage d'une politique publique particulièrement généreuse à l'endroit de la presse, il faut constater l'indigence de l'effort en termes de cohérence stratégique, qui nuit profondément à l'efficacité des aides publiques accordées à la presse.

Car il est trop aisé de prétendre accorder 12 millions d'euros au renforcement du pluralisme de la presse, alors que la presse quotidienne d'information politique et générale, en particulier locale, se caractérise par un degré de concentration sans précédent . En réalité, rien n'est véritablement fait face à la fusion croissante des titres pour préserver la diversité et l' indépendance des rédactions . Toute initiative parlementaire qui s'inscrit dans le sens d'un encadrement de la concentration dans le secteur des médias est balayée sans autre forme de procès par le Gouvernement et sa majorité, au seul motif qu'elle émane de l'opposition. Le simple fait de proposer la reconnaissance juridique des rédactions est injustement perçu comme un brûlot révolutionnaire susceptible de semer l'anarchie au sein des titres de presse.

Il y a pourtant des questions fondamentales concernant la liberté, l'indépendance et le pluralisme de la presse que l'injection de millions d'euros ne saurait résoudre à elle seule.

Il faut avoir le courage de partir d'un diagnostic honnête et rigoureux pour élaborer des réformes responsables et ambitieuses, dans le plus large consensus possible compte tenu de la très grande sensibilité du secteur concerné.

Votre rapporteur pour avis souligne, ainsi, que des avancées peuvent être réalisées, dans une démarche constructive, en matière de réforme de la gouvernance dans le secteur de la presse , notamment en ce qui concerne la distribution de la presse (dans le respect des principes fondamentaux de la loi « Bichet ») et l' Agence France-Presse (AFP) (en préservant l'économie du statut fondateur de 1957). Votre rapporteur pour avis s'emploiera dès lors, dans le cadre du présent rapport, à déterminer les voies possibles de réforme sur chacun de ces sujets, dans une réflexion constamment guidée par les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information.

I. LE SYSTÈME DES AIDES PUBLIQUES À LA PRESSE PÂTIT DE L'ABSENCE D'UNE COHÉRENCE D'ENSEMBLE

A. 2011 SERA LA DERNIÈRE ANNÉE DE MISE EN oeUVRE DU PLAN DE SOUTIEN EXCEPTIONNEL DE L'ÉTAT EN FAVEUR DE LA PRESSE

Les moyens du plan de soutien exceptionnel de l'État en faveur de la presse sont maintenus en 2011, conformément aux engagements pris par le chef de l'État à la suite des États généraux de la presse écrite de l'automne 2008. Le montant total des crédits consentis au secteur de la presse s'établit, sur le programme 180 dans le projet de loi de finances pour 2011, à 420,5 millions d'euros en crédits de paiement, dont 115,4 millions seront affectés aux abonnements de l'État à l'AFP et 305,1 millions seront dédiés aux aides à la presse .

L'année 2011 constituera la dernière année de mise en oeuvre du programme de modernisation et d'investissement, d'un montant total annoncé en janvier 2009 de 600 millions d'euros sur la période 2009-2011 , auquel s'était engagé l'État pour accompagner les réformes structurelles du secteur de la presse préconisées par les États généraux.

La santé financière des entreprises de presse demeure fragile. Les mesures exceptionnelles intervenues dans le prolongement des États généraux de la presse écrite étaient principalement justifiées par une crise structurelle profondément ancrée du secteur, doublée d'un effondrement spectaculaire du marché publicitaire en 2009. Après avoir reculé de près de 10,5 % en 2009, le marché publicitaire mondial devrait, néanmoins, progresser de façon significative en 2010, entre + 3,5 % 1 ( * ) et 4,8 % 2 ( * ) selon les estimations de divers instituts, ce qui laisse espérer une embellie des recettes publicitaires de la presse. Toutefois, l'augmentation des investissements publicitaires dans le média presse devrait profiter principalement à la presse magazine , qui table en France sur une tendance comprise entre 5 % et 10 % selon les secteurs, et à la presse en ligne portée par la progression de la publicité sur Internet, évaluée à + 13,5 % au niveau mondial.

La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture, dans son étude annuelle sur l'état de la presse écrite pour l'année 2009, estime que « les mesures mises en place dans la logique des États généraux de la presse, et plus particulièrement les soutiens à la diffusion et à la vente, auront sans doute protégé le secteur d'une plus grande dégradation encore des résultats » 3 ( * ) .

Les constats dressés par cette étude n'en demeurent pas moins préoccupants. La presse éditeur emploie plus de 50 000 salariés pour un chiffre d'affaires global évalué, en 2009, à 9,65 milliards d'euros , soit une perte de - 7,7 % en euros courants . En euros constants, la dégradation est encore plus prononcée puisque la décennie 2000 pourrait s'achever sur la perte d'un quart de sa valeur indiciaire en euros constants (indice 76 pour le chiffre d'affaires total en 2009 sur base 100 en 2000) !

La DGMIC souligne que « jamais depuis la création de cette enquête la totalité des postes de recettes n'avaient été en évolution négative sur l'année précédente ».

Source : État de la presse en 2009 - Enquête annuelle de la direction générale des médias et des industries culturelles.

B. UN SYSTÈME D'AIDES PUBLIQUES À LA PRESSE ARCHAÏQUE, EN MAL DE STRATÉGIE ET DE COHÉRENCE

1. Une aide massive évaluée à plus d'1,4 milliard d'euros

Dans le cadre de ses précédents avis budgétaires, votre rapporteur pour avis a régulièrement dénoncé la fragmentation singulière de notre système d'aides publiques en faveur de la presse. Les catégories d'aides sont segmentées à tel point que certaines d'entre elles s'apparentent à du saupoudrage. En l'absence de toute réactualisation de leurs objectifs stratégiques et de leurs indicateurs d'évaluation et de contrôle, ces aides semblent de moins en moins adaptées aux mutations du modèle économique des entreprises de presse.

Les aides indirectes en faveur de la presse devraient s'élever à près de 401 millions d'euros en 2011 et sont constituées principalement par les dépenses fiscales résultant de l'application aux publications de presse d'un taux de TVA super réduit de 2,1 % , à hauteur de 190 millions d'euros, et de l' exonération de la contribution économique territoriale 4 ( * ) dans le secteur de la presse, à hauteur de 210 millions d'euros. La réduction de l'impôt sur les sociétés pour souscription au capital des sociétés de presse (article 220 undecies du code général des impôts), d'un coût de l'ordre d'un million d'euros, et la déduction d'impôt spéciale prévue en faveur des entreprises de presse (articles 39 bis et 39 bis A du code général des impôts), d'un coût inférieur à 0,5 million d'euros, constituent, pour leur part, des dépenses fiscales relativement marginales.

À ces aides indirectes, s'ajoutent des aides versées directement aux éditeurs et à d'autres organismes ou personnes chargées de la fabrication, de la distribution et de la diffusion de la presse , d'un montant total de 305,1 millions d'euros inscrits en crédits de paiement sur le programme 180 de la mission « Médias, livre et industries culturelles », dans le projet de loi de finances pour 2011. Il convient également de tenir compte des 159 millions d'euros de l'aide au transport postal de la presse dans les zones peu denses au titre du programme 134 « Développement des entreprises et de l'emploi » de la mission « Économie ».

Enfin, les aides directes en faveur de la presse comprennent également les abonnements de l'État à l'AFP , qui s'établiront, en 2011, à 115,4 millions d'euros.

Au total, on peut évaluer l'effort inscrit au budget général de l'État en faveur de la presse écrite à près de 980,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2011.

Néanmoins, il convient d'y inclure des dépenses directes ne figurant pas dans les maquettes budgétaires : on évalue ainsi l'effort de La Poste en matière de transport de la presse à 400 millions d'euros ; les effets du nouveau plan de modernisation sociale des imprimeries de presse dont le volet « IMPRIME » entre en vigueur en 2010, à 25 millions d'euros ; et les effets du plan de restructuration du niveau 2 (dépositaires) des messageries, à 15 millions d'euros par an pendant cinq ans.

Ainsi, le soutien public global consenti à la presse s'établirait à 1,42 milliard d'euros.

On pourrait également tenir compte du renforcement , conformément aux engagements du Président de la République à la suite des États généraux de la presse écrite, des dépenses publicitaires de l'État dans la presse qui correspondent désormais, en 2010, à 32 % de l'ensemble des investissements médias de l'État.

2. Des aides fragmentées, peu incitatives et parfois concurrentes
a) Des aides insuffisamment incitatives

À la suite des États généraux de la presse écrite, les ministres du budget et de la culture ont confié à M. Aldo Cardoso une mission dans le but de proposer des recommandations dans le sens d'une gestion « irréprochable et équilibrée » des aides à la presse.

Le rapport de M. Cardoso, en date du 8 septembre 2010, part du constat que le dispositif d'aides publiques se singularise par sa très grande complexité, liée, en particulier, à la multiplicité des bénéficiaires (éditeurs, messageries de presse, La Poste, SNCF, diffuseurs, lectorat), à la dissociation entre destinataires théoriques et bénéficiaires finaux dans le cas de certaines aides 5 ( * ) et d'une extrême fragmentation qui limite considérablement la lisibilité de l'effort budgétaire consenti par l'État. Le système des aides publiques en faveur de la presse pâtit également de sa profonde sédimentation , dans la mesure où « les canaux d'intervention de l'État se sont additionnés sans jamais provoquer une révision globale et approfondie de l'édifice juridique touffu auquel ils ont donné naissance ».

M. Cardoso souligne, en particulier, la capacité très insuffisante du régime d'aides publiques à susciter le changement, en raison de la part largement prépondérante des aides de fonctionnement . Moins d'un quart des aides versées aux éditeurs peut être identifié comme des aides à l'investissement. Dans ces conditions, la mission de M. Cardoso conclut que « la capacité d'un tel dispositif à répondre aux besoin structurants du secteur et à favoriser sa transition vers un modèle économiquement viable peut donc être remise en cause ».

Par ailleurs, en l'absence de stratégie cohérente et de hiérarchisation entre les objectifs poursuivis, les effets de la montée en puissance de certaines aides sont susceptibles de se neutraliser, dans la mesure où elles viennent en soutien de dispositifs concurrents. C'est le cas, notamment, des deux modes de distribution que constituent le transport postal de la presse et le portage.

Le développement de ces deux circuits d'acheminement est, certes, indispensable afin de renforcer la diffusion de la presse par abonnement, qui demeure encore le meilleur moyen de fidéliser le lectorat et de stabiliser les recettes de la presse en réponse à l'érosion des ventes au numéro. Néanmoins, le portage et le transport postal sont potentiellement concurrents si les aides qui leur sont consenties s'accroissent de façon significative simultanément et indépendamment l'une de l'autre. En effet, comme le rappelle M. Cardoso, le fort taux de subvention dont bénéficie la distribution postale de la presse quotidienne d'information politique et générale est susceptible de réduire l'avantage comparatif du portage .

Toutefois, en dépit du risque de neutralisation des effets poursuivis par ces deux dispositifs, les aides accordées au portage et au transport postal de la presse ont été augmentées simultanément en 2009 pour atteindre respectivement 70 et 269 millions d'euros.

b) Des aides insuffisamment ciblées

Le rapport de M. Cardoso souligne que « la presse magazine grand public, les presses quotidiennes nationale, régionale et départementale captent, à elles seules, près des trois quarts des interventions de l'État ». En outre, la presse magazine apparaît clairement comme la famille de presse la plus aidée , et de très loin, puisqu'elle accapare, à elle seule, 35 % des contributions publiques en faveur de la presse. Elle concentre, ainsi, entre 40 et 50 % des aides indirectes (régimes fiscaux de TVA réduite et d'exonération de la contribution économique territoriale, ex-taxe professionnelle) et 34 % des aides au transport postal.

Une enquête de l'Inspection générale des finances de 2009 sur l'efficacité des aides à la presse relève, dans le même esprit, que « 46 % de l'avantage tarifaire total [au titre de l'aide au transport postal de la presse] demeure attribué, en 2008, à des titres hors presse d'information politique et générale, dont 20 % pour huit magazines télévisés qui bénéficient donc de 53 millions d'euros d'avantage tarifaire postal, soit un montant supérieur au total des aides à la modernisation sociale (50 millions d'euros) ». Le projet annuel de performances du projet de loi de finances pour 2011 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » souligne, pour sa part, que le bénéfice des aides indirectes (principalement le taux réduit de TVA et l'exonération de contribution économique territoriale) est sensiblement moins concentré sur la presse d'information politique et générale, à hauteur d'un taux stable d'environ 37 %.

Nuançant le chiffre de 1,4 milliard d'euros avancé dans les analyses précitées comme montant cumulé des aides publiques consenties à la presse (soit près de 12 % du chiffre d'affaires du secteur), le Syndicat professionnel de la presse magazine et d'opinion (SPPMO) reconnaît lui-même, néanmoins, que « la seule aide à presse d'information politique et générale ne représente que 6 % du chiffre d'affaires global des éditeurs en cause - ce qui ne permet ni d'investir ni de développer réellement une publication » 6 ( * ) .

Dans ces conditions, la mission conduite par M. Cardoso préconise le ciblage des aides publiques sur la presse d'information politique et générale . Cette proposition est vigoureusement combattue par le SPPMO qui considère que cette politique « ferait disparaître la solidarité qui existe entre les titres de la presse quotidienne, nationale, régionale ou d'opinion en générale, et le reste de la presse magazine » et « romprait avec la notion de neutralité qui prévalait jusqu'à présent dans l'attribution des aides » 7 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis estime, néanmoins, que l'égalité de traitement entre les différentes familles de presse commande précisément de rétablir, au nom de l'intérêt général, un équilibre plus favorable à la presse d'information politique et générale. Le ciblage des aides en faveur des titres de presse s'adressant au « lecteur citoyen », proposé par notre collègue député, M. Michel Françaix 8 ( * ) , est pour le moins séduisant : ce concept permet, en effet, de mieux mettre en avant la nécessité de réorienter le soutien public vers la presse concourant au pluralisme des opinions et à l'exercice de la démocratie .

La mission de M.  Cardoso rappelle, à cet égard, que le Conseil d'État a confirmé, en 1999, la légalité de la démarche de ciblage des aides en faveur des titres d'information politique et générale engagée par l'État. En 2001, le Conseil constitutionnel a validé cette lecture.

c) Un pluralisme en panne ?

Votre rapporteur pour avis dénonce, de longue date, le mouvement de concentration qui caractérise traditionnellement le secteur de la presse en France, particulièrement visible en ce qui concerne la presse quotidienne régionale. Le rapport précité de M. Cardoso corrobore ce constat, en soulignant que la presse regroupe plus de 4 700 titres (dont environ 4 000 payants), et que seulement « une vingtaine de groupes possèdent l'essentiel des titres de la presse française :

- cinq groupes dominent le secteur de la presse grand public : Hachette-Lagardère, Prisma Presse, Mondadori France, le groupe Bayard presse et le groupe L'Express-L'Expansion ;

- la presse quotidienne nationale compte trois acteurs majeurs : le groupe Figaro Socpresse, le groupe Amaury et le groupe Le Monde ;

- la presse quotidienne régionale a pour principaux leaders les groupes SIPA Ouest-France, EBRA, Sud-Ouest, GHM, La Voix du Nord ;

- la presse gratuite d'information est structurée autour des activités de Bolloré Médias (Direct Matin/Soir), 20 Minutes et Metro ;

- la presse technique et professionnelle est dominée par la présence de trois groupes : Wolters Kluwer, Reed Elsevier, Le Moniteur ».

Le pluralisme de la presse d'information politique et générale est encore plus significativement limité dans la mesure où ce segment de presse ne comporte que 548 titres, dont 333 pour la seule presse hebdomadaire régionale, 69 pour la presse quotidienne régionale (PQR) et départementale (PQD), 10 pour la presse quotidienne nationale et 5 magazines « news ».

Le montant total des aides au pluralisme s'est établi, en 2010, à 11,8 millions d'euros et devrait se maintenir à ce niveau en 2011. Ces aides se décomposent entre l'aide destinée aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces (1,4 million d'euros), l'aide destinée à la presse hebdomadaire régionale (1,4 million d'euros) et le fonds d'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires (9,2 millions d'euros).

La dotation de ce fonds a fait l'objet d'une revalorisation au cours de l'année 2009, à la suite des États généraux de la presse écrite, afin de prendre en compte les difficultés engendrées par l'effondrement du marché publicitaire. En 2010, cette aide a également bénéficié d'abondements exceptionnels si bien que le montant total des crédits disponibles s'est élevé, cette année, à 16,15 millions d'euros.

En 2010, les critères d'attribution des aides en direction des quotidiens à faibles ressources publicitaires en ont limité l'octroi à six titres et entreprises de presse ( La Croix , France Soir , L'Humanité , Libération , Présent et les publications destinées à la jeunesse de la société Play Bac Presse). Or, le rapport de M. Cardoso souligne que ces aides peuvent représenter 30 % du chiffre d'affaires des publications concernées et que la part des contributions publiques peut dépasser 60 % pour certaines d'entre elles ( France Soir ).

Le faible nombre de titres soutenus dans le cadre de ce fonds et leur extrême dépendance vis-à-vis des concours publics ne permettent pas, à l'évidence, d'identifier ce dispositif comme propre à garantir le redressement financier et le pluralisme de la presse d'opinion. Au contraire, lorsque la part du soutien public atteint de tels niveaux, il y a lieu de s'inquiéter d'un risque de dépendance structurelle par rapport à l'État , étant entendu que les contraintes qui pèsent sur l'indépendance financière des publications minent leur indépendance rédactionnelle.

En outre, votre rapporteur pour avis observe que le nombre de quotidiens d'information politique et générale a diminué de 4 % depuis 2005. Cette érosion est précisément due à l' augmentation des fusions de titres , qui sont particulièrement préjudiciables à la diversité des rédactions. Or, la diversité et l'indépendance des rédactions constituent précisément des garanties du pluralisme de l'information.

En conséquence, votre rapporteur pour avis estime que l'enjeu du pluralisme de la presse doit conduire les pouvoirs publics à élaborer une véritable stratégie qui permette aussi bien de sécuriser la santé financière des titres les plus fragiles que de diversifier l'offre de publications d'opinion. Cela suppose de revoir en profondeur les critères d'attribution de certaines aides.

Car saupoudrer 12 millions d'euros entre un nombre très limité de titres ne saurait être assimilé à une stratégie ambitieuse et responsable en faveur du pluralisme de la presse d'opinion. L'augmentation des aides au pluralisme depuis 2009 ne fait qu'ajouter l'inflation à un dispositif déjà fortement critiqué pour ses incohérences. Cette logique d'affichage ne peut autoriser les pouvoirs publics à se dédouaner de leur lourde responsabilité vis-à-vis du degré de concentration préoccupant qui caractérise désormais, depuis trop longtemps, la presse écrite, et en particulier la presse quotidienne régionale.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis considère, au nom du pluralisme et de l'indépendance rédactionnelle des titres de presse, qu'une réflexion sérieuse, sur la base d'un diagnostic honnête et rigoureux, doit s'engager sur les possibilités de :

- conditionner l'attribution des aides publiques aux entreprises de presse à leur degré de concentration ;

- plafonner la détention, par un groupe privé vivant de la commande publique, de la propriété d'un grand groupe de médias.

Sur ces sujets, les parlementaires de l'opposition ont formulé, sur le fondement de l'article 34 de la Constitution 9 ( * ) , plusieurs propositions destinées à garantir l'indépendance et nourrir le pluralisme de la presse. Le groupe socialiste du Sénat a, en effet, déposé, au cours des deux dernières sessions, une proposition de loi relative à la concentration dans le secteur des médias ainsi qu'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les liens existant entre le pouvoir exécutif et les organismes de presse et de la communication audiovisuelle , et leurs conséquences pour l'indépendance et le pluralisme de la presse et des médias.

Ces textes ont été, toutefois, repoussés par le Gouvernement et sa majorité 10 ( * ) . Pour autant, votre rapporteur pour avis considère que les pouvoirs publics ne peuvent faire l'économie d'une réflexion sérieuse sur les moyens de préserver la diversité et l'indépendance des rédactions, compte tenu des regroupements capitalistiques qui s'opèrent dans la presse quotidienne régionale .

C. LES ENJEUX DE LA MODERNISATION TECHNOLOGIQUE, ÉDITORIALE ET SOCIALE DE LA PRESSE

Les aides à la modernisation devraient s'établir à 95,8 millions d'euros de crédits de paiement en 2011 , contre 91,7 millions d'euros accordés en loi de finances pour 2010, soit une augmentation de 4,5 %. Ces aides ont été considérablement renforcées à la suite des États généraux de la presse écrite afin d'accompagner le secteur de la presse écrite (dans toutes ses dimensions : fabrication et impression, distribution et diffusion, développement de la presse en ligne, modernisation des rédactions, etc.) sur la voie d'un modèle économique performant adapté aux mutations de son environnement technologique et en mesure de répondre aux nouvelles attentes de ses lectorats.

1. La montée en puissance de l'aide au développement des services de presse en ligne
a) Généraliser les rédactions pluri-médias

À ce titre, l'aide au développement des services de presse en ligne a été considérablement renforcée depuis l'ouverture de crédits exceptionnels dans la loi de finances rectificative du 20 avril 2009. D'un montant de 20,2 millions d'euros en crédits de paiement, consentis en loi de finances pour 2010, cette aide s'établit désormais, dans le projet de loi de finances pour 2011, à 18 millions d'euros.

La DGMIC indique que les effets de la montée en puissance de cette aide sont, pour l'heure, principalement visibles dans le cas de la presse technique et professionnelle et de la presse gratuite d'annonces qui réalisent plus de 50 % de leur chiffre d'affaires dans l'activité « hors presse écrite » (Internet, édition, salons et services, etc.).

En outre, la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (dite loi « Création et Internet ») comporte deux articles (27 et 28) relatifs à la presse en ligne. L'article 27 complète, ainsi, l'article 1 er de la loi n° 86-897 du 1 er aout 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, en introduisant une définition des services de presse en ligne :

« On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d'une activité industrielle ou commerciale. ».

À ce jour, plus de 250 services de presse en ligne ont été reconnus par la Commission paritaire des publications et agences de presse.

Le décret n° 2009-1379 du 11 novembre 2009, pris en application de l'article 27 de la loi précitée, prévoit ainsi que l'ensemble des services de presse en ligne homologués par la Commission paritaire des publications et agences de presse peuvent bénéficier du fonds d'aide au développement des services de presse en ligne, qu'ils soient ou non une déclinaison d'une publication papier.

La moitié des projets retenus consistent en une refonte globale du service du site, les autres portant sur des thématiques ciblées : rédaction pluri-médias et système éditorial, web participatif, développement commercial, information hyper-locale, développement d'une offre ou numérisation d'archives.

Au titre de la session 2009 du fonds, les dépenses soutenues ont concerné l'achat de matériels (6 %), des développements informatiques (26 %), la numérisation d'archives (10 %), l'hébergement (13 %), des études (4 %), les développements de site sur terminaux mobiles (3 %), la promotion-marketing (14 %) et la prise en charge partielle des salaires des journalistes (24 %).

b) Achever la mise en oeuvre du principe de neutralité technologique

L'article 28 de la loi « Création et Internet » a également étendu aux services de presse en ligne le bénéfice des déductions d'impôt au titre des provisions pour investissement prévues par l'article 39 bis A du code général des impôts.

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de le souligner à maintes reprises : la neutralité entre les supports de diffusion de la presse ne sera pleinement effective que lorsque le régime fiscal applicable à la presse en ligne sera aligné, autant que faire se peut, sur celui de la presse papier. Or, cela implique d'étendre à la presse numérique le bénéfice du taux de TVA super-réduit de 2,1 % (ou, à tout le moins, le taux réduit de 5,5 %) jusqu'ici réservé aux seules publications imprimées.

Une avancée partielle a été réalisée dans le sens d'un traitement fiscal plus équilibré entre presse papier et presse numérique depuis l'adoption d'une disposition, dans la loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre 2009, modifiant l'article 298 septies du code général des impôts et prévoyant de forfaitiser la ventilation entre le taux réduit de TVA (à raison de la publication de presse papier) et le taux normal (à raison du service fourni par voie électronique) qui doit être appliquée par les éditeurs qui proposent une offre mixte de diffusion de leurs contenus éditoriaux.

Une offre composite ou couplée fait l'objet d'une facturation globale et forfaitaire pour des produits et/ou prestations soumis à des taux de TVA distincts. La règle en la matière veut que le professionnel procède à une ventilation de ses recettes et applique à chacune d'elles le taux de TVA adéquat (article 268 bis du code général des impôts). À défaut d'une telle ventilation, les recettes sont soumises dans leur totalité au taux normal de TVA. La ventilation proposée (90 %/10 %) envisagée par les services fiscaux correspond à la réalité moyenne actuelle des situations des différents éditeurs de presse.

Toutefois, si elle constitue une solution provisoire, cette disposition ne suffit pas et ne nous autorise pas à faire l'économie d'une harmonisation des taux de TVA applicables à la presse en ligne et aux publications imprimées, suspendue à une décision de l'Union européenne.

2. La nécessité de prendre en compte les nouvelles attentes du lectorat

L'évolution des supports de diffusion de l'information influe de façon significative sur les habitudes de lecture des différents publics, notamment chez les jeunes qui se montrent particulièrement enclins à la consultation des médias d'information via les technologies numériques et mobiles.

Un des enjeux majeurs pour la presse écrite consiste aujourd'hui à inverser la tendance du vieillissement du lectorat 11 ( * ) et d'enrayer la désaffection des jeunes vis-à-vis de la presse écrite payante, au profit de l'audiovisuel d'Internet et de la téléphonie mobile 12 ( * ) . L'attraction des jeunes vers ce type de presse doit donc passer par l'innovation des éditeurs en termes de contenus, de formats, de présentation des titres, mais aussi par l'adaptation de leurs titres à la diversification des supports.

La lecture de la presse écrite a baissé globalement de 7 % entre 1994 et 2003, mais elle a chuté de 17 % sur la même période chez les 15-24 ans. Selon une enquête Audipresse, le nombre de lecteurs de journaux chez les 15-24 ans a chuté de près de 20 % depuis 1994 pour atteindre 1,272 million en 2007, soit 17 % seulement de cette tranche d'âge.

Le rapport de M. Bernard Spitz sur « Les jeunes et la lecture de la presse quotidienne d'information politique et générale », en date du 6 octobre 2004, a identifié trois problèmes expliquant la désaffection des jeunes vis-à-vis de la presse écrite : le prix des quotidiens, un contenu de moins en moins adapté à leurs attentes et une insuffisante prise en compte de leurs modes de vie et de leur exposition croissante aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.

En conséquence, les pouvoirs publics se sont engagés, dans le cadre de diverses opérations, à accompagner les éditeurs dans la mise en oeuvre de stratégies destinées à rapprocher les contenus éditoriaux de leurs publications avec les attentes du public jeune. En particulier, à la suite des États généraux de la presse écrite, le projet « Mon journal offert », qui doit s'étendre sur la période 2009-2011, consiste à proposer un abonnement gratuit, un jour par semaine pendant un an, à tout jeune âgé de 18 à 24 ans à l'un des quotidiens de son choix. Les abonnements sont ainsi pris en charge à hauteur de 50 % par les éditeurs de presse au moyen d'une réduction de 50 % du prix moyen du titre, et de 50 % par l'enveloppe « jeunesse » du fonds de modernisation, pour un montant de 8,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2011.

Après un peu plus d'un an d'application, le bilan est positif puisque l'objectif d'abonner gratuitement 200 000 jeunes a été atteint et une étude de satisfaction en 2009 montre que 85 % des jeunes interrogés sont satisfaits de l'opération. Reste, cependant, à déterminer, à la fin de l'année 2011, l' incidence réelle de cette opération sur la fidélisation des jeunes vis-à-vis des titres de la presse quotidienne d'information politique et générale une fois que la gratuité aura été levée .

De toute évidence, ces opérations ne doivent pas se limiter à faire découvrir la presse par les jeunes. Elles doivent également pousser les publications à renouveler leurs contenus pour les faire mieux correspondre aux attentes du public jeune, le cas échéant en développant une nouvelle présentation, une plus grande interaction entre les supports imprimés et numériques pour favoriser la participation des jeunes (recueil des réactions et des commentaires des jeunes lecteurs), et en approfondissant des contenus susceptibles de susciter leur intérêt (activités culturelles, musique, cinéma, sports, etc.).

3. Quel « nouveau contrat social » dans les imprimeries ?

En application de l'article 135 de la loi de finances rectificative pour 2004, l'État apporte un soutien à la résorption des sureffectifs observés dans les services de fabrication des journaux quotidiens au travers d'une aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale, mise en place dans le cadre de négociations collectives qui ont impliqué tous les acteurs du secteur de l'imprimerie en 2004 et 2005. Le principe cardinal de l' obligation de non-embauche a été identifié comme condition de la réussite du plan de modernisation sociale, doté de 27,2 millions d'euros dans le projet de finances pour 2011.

Un décret du 2 septembre 2005 détermine les caractéristiques du dispositif spécifique de cessation d'activité mis en place pour les salariés de la presse parisienne, dit « RECAPP » (régime exceptionnel de cessation d'activité de la presse parisienne).

Au 1 er septembre 2010, 25 conventions d'entreprises et huit avenants ont été signés pour un effectif total concerné par les départs de 490 personnes dans le cadre de ce dispositif, soit près de 84 % de l'effectif total du plan de modernisation sociale. Les départs effectivement enregistrés par l'organisme gestionnaire sont au nombre de 437, y compris quelques cadres qui peuvent entrer dans le dispositif jusqu'à la fin de l'année 2011.

Un décret du 2 juin 2006 détermine les caractéristiques du dispositif spécifique de cessation d'activité mis en place pour la presse quotidienne en régions. Presse quotidienne régionale et départementale confondues, le nombre maximum de personnes à prendre en charge sur la durée du plan est fixé à 1 800 personnes (contre 586 pour la presse parisienne). Comme pour la presse parisienne, l'État prend en charge 46,4 % du coût total du plan, le coût pour l'État ne devant pas excéder 116 millions d'euros (contre 75,4 millions d'euros pour la presse parisienne).

Au 1 er septembre 2010, 39 conventions d'entreprises et neuf avenants ont été signés pour un effectif total concerné par les départs de 1 577 personnes, soit 88 % de l'effectif total du plan. Les départs effectivement enregistrés par les organismes gestionnaires sont, en fait, de 1 367 personnes, y compris quelques cadres qui peuvent entrer dans le dispositif jusqu'à la fin de l'année 2011.

Le coût moyen individuel de chaque bénéficiaire en PQN est estimé à 155 380 euros pour une durée moyenne dans le plan de 62,7 mois, alors que le coût moyen individuel de chaque bénéficiaire en PQR et PQD est estimé à 86 301 euros pour une durée moyenne dans le plan de 48 mois.

À l'issue des États généraux de la presse écrite, les éditeurs ont réclamé la mise en place de nouvelles mesures de réduction d'effectifs dans les entreprises de presse afin de contribuer à la réduction du coût de fabrication des journaux. Cette revendication a été reprise par le chef de l'État qui a souhaité la discussion d'un « nouveau contrat social » dans les imprimeries de presse.

L'objectif fixé par le Gouvernement consiste à réduire de 40 % les coûts de production de la presse parisienne :

- 30 % des économies devant résulter du départ des sureffectifs ;

- et 10 % des économies devant résulter d'une négociation sur l'organisation du travail, dont les avantages périphériques aux salaires de base (pour mémoire : 60 000 euros/an pour les ouvriers, 90 000 euros pour les cadres).

Les négociations, entamées en février 2009, ont décliné deux volets principaux :

- sur le volet de l' organisation du travail , une économie de 30 % est prévisible grâce à la suppression du système du « bureau de placement » du Syndicat général du Livre et de la communication écrite-CGT (dit le « Livre ») pour les nominations dans les postes, à la fin du remplacement automatique, la diminution de l'absentéisme (passer de 40 % à 30 %) et à un meilleur encadrement des vacations syndicales ;

- sur le volet du reclassement des sureffectifs , les éditeurs annoncent le départ d'environ 350 salariés (sur 950 ouvriers du Livre). La masse salariale représente 70 % en moyenne des dépenses de production. Selon les estimations avancées par le Gouvernement, une diminution de 15 % de la masse salariale par la réduction des sureffectifs représenterait une économie globale de 10 %.

Un accord a été signé le 19 octobre 2009 entre le Syndicat de la presse quotidienne nationale, les représentants de la presse gratuite et des syndicats professionnels réunis dans le comité intersyndical du Livre parisien (SIP, Info'com-CGT, Syndicat des correcteurs et SPPS). Seul le SGLCE-CGT a refusé de signer l'accord mais la discussion n'a pas été interrompue avec le SPQN (Syndicat de la presse quotidienne nationale) puisqu'une « minute de discussion » a pu être signée à l'issue d'un mouvement social qui a bloqué la parution des journaux nationaux le 28 octobre 2009.

Le dispositif « IMPRIME » , validé dans l'accord du 19 octobre 2009, se décompose en trois volets :

- le premier volet redéfinit l'organisation quotidienne du travail dans les centres d'impression (procédures d'affectation, grilles de travail, organisation et temps de travail) dans le respect des accords précédents de 2004 et 2005.

Cet accord rappelle la compétence de l'employeur dans la définition des postes et des grilles de travail et fixe pour les ouvriers une grille indiciaire des rémunérations par groupe d'emplois. Le Gouvernement indique, par ailleurs, que le remplacement automatique par les permanents du bureau de placement devrait être progressivement abandonné par les entreprises qui détermineront par quels moyens, les plus appropriés, elles feront face aux variations de charges de travail et d'absentéisme. Enfin, ce volet rappelle quel est le temps de travail annuel conventionnel qui doit être appliqué dans les entreprises et annonce une réduction des vacations syndicales négociée et une réflexion devant permettre de réduire les disparités de taux d'arrêts maladie d'une entreprise à l'autre ;

- le second volet dit « IMPRIME » est un dispositif type EDEC (engagement de développement de l'emploi et des compétences) de trois ans qui prend la forme d'un congé de conversion à l'issue d'un licenciement. Cette mesure de soutien à la reconversion professionnelle étendue à 36 mois s'inscrit dans le cadre des articles L. 1233-61 et suivants du code du travail. Le reclassement dans la branche est encouragé, sur la base d'une liste d'emplois vacants que le SPQN s'engage à communiquer en temps réel, y compris en cas de transfert d'activité vers des imprimeries régionales. La rémunération perçue pendant le congé de conversion est de 85 % du salaire annuel précédent la 1ère année, 80 % la seconde année et 75 % la troisième année. Une entreprise extérieure est chargée de l'accompagnement des salariés, de la définition de leur projet professionnel et de la mise en place des formations ;

- les personnels nés avant 1960, et non reclassées à la sortie de ce premier dispositif, entrent dans le volet « SENIOR ». Dans ce dispositif, soit ils retrouvent un emploi, soit ils sont maintenus à 80 % du salaire jusqu'à l'obtention de leur retraite à taux plein.

Ce dernier volet du dispositif concerne 185 personnes ; il ne devrait pas être soutenu par l'État qui a écarté tout soutien à des plans de pré-retraite.

Le coût total de cet accord est estimé à un peu plus de 140 millions d'euros et la participation de l'État calculée sur la moitié du coût total (75 millions d'euros) ne sera versée que sur le volet IMPRIME (conversion professionnelle).

D. POUR DES AIDES PUBLIQUES À LA PRESSE PLUS OPÉRATIONNELLES

Compte tenu de l'ensemble des analyses reprises ci-dessus, le rapport de M. Cardoso formule quinze recommandations en vue d'améliorer la gouvernance des aides publiques à la presse, articulées autour de quatre axes stratégiques :

- clarifier les objectifs de l'État et renouveler ses modalités d'intervention ;

- intensifier les actions en faveur du lectorat ;

- renforcer la régulation d'ensemble des marchés de la distribution et de la diffusion ;

- refonder les structures de pilotage de l'ensemble des aides à la presse.

Votre rapporteur pour avis retire des conclusions de la mission de M. Cardoso trois idées clés qui semblent aller dans le bon sens et qui devraient faire l'objet d'un examen plus approfondi pour contribuer à l'amélioration de l'efficacité du système des aides à la presse :

- conditionner l'octroi des aides à la conclusion d'une convention entre l'État et l'entreprise de presse sur la base d'une stratégie globale de redressement assortie d'engagements évaluables. Selon votre rapporteur pour avis, une démarche accrue de contractualisation devrait mettre l'accent sur les investissements structurels et d'avenir , en favorisant l' innovation et la formation , et sur la mise en place d'indicateurs pertinents et régulièrement réactualisés ;

- créer un fonds stratégique pluriannuel en faveur de la presse d'information politique et générale qui regrouperait l'ensemble des aides à l'éditeur et qui serait consacré à la restructuration du secteur de l'édition de la presse dans ses version papier et numérique. Votre rapporteur pour avis y voit là une proposition ambitieuse qui permettrait de réintroduire une cohérence d'ensemble dans la gestion des aides à l'éditeur , jusqu'ici éparpillées et parfois même contradictoires. Néanmoins, il note que M. Cardoso chiffre le montant idéal de ce fonds à 900 millions d'euros sur cinq ans pour la période 2011-2016. Or, les normes de réduction drastiques imposées par le Gouvernement dans le triennum budgétaire pour 2011-2013 laisse douter de la volonté réelle du Gouvernement de sanctuariser un tel effort sur la période considérée ;

- renforcer les mécanismes de contrôle et d'évaluation , en mettant l'accent sur la vérité des coûts . Selon votre rapporteur pour avis, ces mécanismes n'auront de sens que si le ministère de la culture se dote d'une structure indépendante pour les mettre en oeuvre, en faisant appel, le cas échéant, à des fonctionnaires de l'Inspection générale des finances et des magistrats de la Cour des comptes.

II. CONCILIER RESPECT DES FONDAMENTAUX DE LA LOI « BICHET » ET GOUVERNANCE OPÉRATIONNELLE DANS LE SECTEUR DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

Le montant total des aides à la distribution et à la diffusion de la presse peut être évalué, dans le projet de loi de finances pour 2011, à 386,6 millions d'euros, soit 83,3 % des aides publiques non fiscales versées à la presse (hors abonnements à l'AFP). Elles comprennent :

- l'aide au transport postal pour un montant de 268,5 millions d'euros (répartie sur le programme 180 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et le programme 134 de la mission « Économie ») ;

- l'aide au portage pour un montant de 67,9 millions d'euros ;

- l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse pour un montant de 14 millions d'euros ;

- la réduction du tarif SNCF pour le transport de la presse pour un montant de 5,5 millions d'euros ;

- l'aide à la distribution et à la promotion de la presse française à l'étranger pour un montant de deux millions d'euros ;

- l'aide à la modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale pour un montant de 18 millions d'euros ;

- l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse pour un montant de 10,7 millions d'euros.

Ces sommes sont investies par l'État en soutien aux axes de réforme décrits ci-dessous :

ÉVOLUTION DES PROBLÈMES DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE ET EFFORTS DE L'ÉTAT ET DES PROFESSIONNELS POUR LES SURMONTER

I - Un déficit structurel qui se dégrade du fait du contexte économique


• La distribution des quotidiens : une activité structurellement déficitaire

L'activité de distribution de la presse quotidienne nationale, assurée uniquement par Presstalis (SARL détenue à 51 % par cinq coopératives d'éditeurs de presse et à 49 % par Hachette SA, qui assure par ailleurs la direction générale de l'entreprise), est structurellement déficitaire depuis plusieurs années. Pour l'essentiel, ce déficit résulte de coûts spécifiques associés à ce type de presse : travail de nuit, emploi d'ouvriers relevant de la convention collective des ouvriers du Livre et coûts de transport liés à la desserte de l'ensemble du territoire métropolitain.


• Une situation s'aggravant du fait de la conjoncture économique

L'année 2009 a vu une forte accélération de la baisse des ventes de presse (- 6,3 % pour les publications, - 3,3 % pour les quotidiens et - 14 % pour le hors-presse) et a provoqué un recul du chiffre d'affaires de Presstalis ; cette dégradation a entraîné en fin d'année de très fortes tensions de trésorerie, une aggravation des déficits et une diminution des capitaux propres.

La fragilité des ressources de Presstalis en cette période de crise rendait très difficile l'absorption du déficit structurel lié à la distribution des quotidiens, ainsi que la prise en charge des actions menées au service du réseau de distribution dans son ensemble (développement et modernisation du réseau, adaptation de l'offre titres dans les points de vente, gestion et rénovation du système d'information du niveau 2, etc.).

Le déficit lié à la distribution des quotidiens était jusque-là financé par le résultat positif de la filière de distribution des autres publications. Or, cette filière accusant elle-même un déficit de 48 millions d'euros en 2009, elle ne pouvait compenser la perte de la filière des quotidiens.

La baisse des ventes pèse également sur les comptes financiers des dépositaires. Ceux du réseau Presstalis hors Paris et région Parisienne (Société d'agences et de diffusion - SAD - et Soprocom) ont annoncé une perte de 5 millions d'euros en 2009 et anticipent pour 2010 et 2011 des pertes à venir de 7 millions d'euros et 14 millions d'euros. De même, les pertes de SPPS (Société presse Paris services, qui assure l'activité de dépositaire pour Paris et onze communes limitrophes) sont estimées à 25 millions d'euros.

Pour faire face à des difficultés récurrentes, Presstalis a initié, en conséquence, plusieurs plans de modernisation portant sur le niveau 1 de la distribution (messageries de presse), détaillés dans la suite du présent du rapport.

II - Le nouveau plan de réforme des dépositaires (niveau 2)

Le réseau des dépositaires de presse (qualifié de « niveau 2 » de la distribution) constitue l'échelon intermédiaire entre les messageries de presse (niveau 1) et le réseau des diffuseurs (niveau 3). Les dépositaires sont des grossistes, chargés d'une part de recevoir les exemplaires des publications envoyés par les messageries de presse, et d'autre part de distribuer aux diffuseurs la presse qui leur est confiée, soit par les messageries, soit directement par certains éditeurs.


• Le cas de SPPS, filiale de Presstalis

La filiale SPPS, qui traite la distribution à Paris et en proche banlieue des quotidiens et des publications, concentre 75 % des pertes de Presstalis en 2009 et près de 100 % des pertes prévisionnelles pour 2010. La fermeture des trois centres de cette filiale et le transfert de leur activité sur d'autres plateformes permettrait une économie annuelle récurrente s'élevant à 24 millions d'euros.

Le 24 juin dernier, Presstalis a annoncé envisager la fermeture de sa filiale SPPS.


• Le schéma directeur de la réforme du niveau 2

De son côté, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) a mis en place un premier groupe de travail dédié au niveau 2, à la suite des recommandations des états généraux de la presse écrite.

Ce groupe de travail a été notamment chargé d'une réflexion portant sur les missions des dépositaires et sur l'évolution de leur réseau. Il est composé de huit éditeurs, représentant le pluralisme des quotidiens et des publications, ainsi que du directeur délégué du CSMP.

Le groupe de travail a organisé des auditions des acteurs du niveau 2 : Presstalis, Transport-Presse, Messageries lyonnaises de presse, Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP).

L'assemblée générale du CSMP, tenue le 5 novembre 2009, a adopté les premières mesures importantes ayant trait à la réforme du niveau 2. Un schéma directeur du réseau de niveau 2 a ainsi été entériné : il permettra d'optimiser celui-ci autour de 114 dépôts à horizon 2015. Une commission du réseau a été instituée au sein du Conseil Supérieur, ayant pour mission d'assurer la mise en oeuvre du schéma directeur du réseau de niveau 2.

Le CSMP a poursuivi ce travail sur la réforme du niveau 2 en procédant à l'évaluation des investissements, des coûts et des bénéfices de cette démarche d'optimisation du réseau de niveau 2. Ces travaux ont permis d'évaluer les coûts d'acquisition liés aux regroupements de dépôts dans le cadre du schéma directeur à 27 millions d'euros, hors opérations intra-groupe, sur la base de la méthodologie d'évaluation élaborée par le cabinet RICOL-LASTEYRIE.

Enfin, ces travaux ont permis d'évaluer à 15 millions d'euros par an les économies liées aux synergies récurrentes, prenant en compte les impacts positifs ou négatifs à attendre de la mise en oeuvre du schéma directeur.

III - La situation des diffuseurs de presse (niveau 3)


• La rémunération des diffuseurs

La rémunération des diffuseurs de presse dépend de leur niveau de qualification, de leur implantation géographique et du type de produit vendu :

- la rémunération liée à la vente des quotidiens varie de 15 % à 20 %, celle liée à la vente des publications varie de 15 % à 25 % ;

- la rémunération des diffuseurs exerçant à Paris et dans les grandes villes (Lyon, Marseille, Bordeaux) est supérieure à celle des diffuseurs exerçant dans d'autres zones géographiques ;

- l'implantation en galerie marchande de supermarché peut contribuer à augmenter le taux de rémunération du diffuseur de 3 à 4 points.

Dans le cadre du plan stratégique « Défi 2010 », Presstalis (ex-NMPP) ont aidé les points de vente à développer leurs techniques commerciales et à mieux tirer profit de l'informatisation. Le plan prévoyait que cette valorisation des ventes s'accompagne d'une rémunération plus incitative des diffuseurs de presse spécialisés, en complément des dispositifs de qualification existants. Ces revalorisations sont fondées sur des critères ouverts et transparents, destinés à souligner la performance des diffuseurs spécialistes de presse.

Le coût total de cette rémunération complémentaire, prévu par le second plan de revalorisation de la rémunération des diffuseurs de presse signé par Presstalis en juin 2007 et entré en vigueur le 1 er septembre 2007, s'élèvera à 34 millions d'euros en 2010. Son financement a été assuré par les éditeurs à hauteur de 19,6 millions d'euros, et le complément pris en charge par Presstalis.

Avec le nouvel accord interprofessionnel signé en décembre 2008, 5 millions d'euros supplémentaires ont été débloqués en juillet 2009 par Presstalis afin de continuer à consolider le réseau des spécialistes de presse et d'améliorer leur rémunération. L'objectif est toujours de parvenir à une rémunération de 25 % pour les spécialistes (kiosques, enseignes « Maison de la presse » et « Mag presse », etc.), contre en moyenne 17 % avant le lancement du plan « Défi 2010 ».

Le financement des mesures de qualification du réseau représente au global 34 millions d'euros annuels, financés à hauteur de 20 millions d'euros par les éditeurs, Presstalis et Transport-Presse (par des évolutions de barèmes) et pour 14 millions d'euros directement sur les comptes de Presstalis.


• L'aide exceptionnelle de l'État aux diffuseurs de presse pour surmonter la crise

Le 23 janvier 2009, à la suite de la remise du Livre vert des états généraux de la presse écrite, le Président de la République a annoncé le versement d'une aide exceptionnelle aux diffuseurs de presse spécialistes et indépendants, dans l'attente d'une meilleure répartition de la valeur dans la chaîne de distribution.

L'objectif consiste à porter la rémunération du réseau des diffuseurs spécialistes au niveau des rémunérations pratiquées en Europe, soit au-delà de 20 %. Le décret n° 2009-856 du 8 juillet 2009 a institué une « aide exceptionnelle » aux diffuseurs de presse. Elle donne lieu à un versement unique de 4 000 euros, montant qui correspond, en moyenne, à une compensation de 30 % des cotisations sociales personnelles des diffuseurs de presse. Les bénéficiaires potentiels de la mesure étaient estimés, sur la base des éléments fournis par les organisations professionnelles du secteur, à environ 14 450 diffuseurs spécialistes, soit les exploitants de kiosque à journaux, les diffuseurs de presse spécialistes en petite surface et les diffuseurs qualifiés au titre du 1 er plan de qualification professionnel.


• L'aide à la modernisation des diffuseurs

Instituée par l'article 134 de la loi de finances rectificative pour 2004, l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse est une subvention directe, accordée sous certaines conditions aux diffuseurs qui souhaitent informatiser ou moderniser le mobilier de leur point de vente.

Le 23 janvier 2009, à la suite de la remise du Livre vert des états généraux de la presse écrite, le Président de la République a annoncé que « l'aide à la modernisation des points de vente sera renforcée et délivrée plus rapidement ». Les modalités de calcul et d'attribution de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse ont ainsi été modifiées.

En cohérence avec cette réforme, la dotation budgétaire relative à l'aide à la modernisation des diffuseurs a été majorée de 11,3 millions d'euros par la loi de finances rectificative pour 2009. Elle s'élève à 11,8 millions d'euros.

Le cabinet DELOITTE, organisme privé gestionnaire, a mis en évidence une progression entre 2005 et 2007 du chiffre d'affaires des diffuseurs ayant bénéficié de l'aide, dans un contexte de baisse moyenne du marché :

Source : Note de la direction générale des médias et des industries culturelles.

A. LA SITUATION DE PRESSTALIS

MM. Bruno Mettling et David Lubek se sont vu confier par le Premier ministre, en janvier 2010, la charge d'élaborer un « plan de sauvetage » de Presstalis (ex-Nouvelles messageries de la presse parisienne - NMPP) dont les difficultés de trésorerie étaient particulièrement préoccupantes à la fin de l'année 2009.

Le groupe, qui assure la distribution de près de 80 % de la presse en France et emploie 1 200 salariés, affichait une prévision de déficit structurel d'exploitation de plus de 28 millions d'euros en 2010, après avoir enregistré un résultat net de - 39,5 millions d'euros en 2009, et des fonds propres négatifs de - 50,8 millions d'euros à la fin de l'année 2009.

L'entreprise Presstalis a dû faire face, en effet, à un contexte économique douloureux en 2009 : son volume d'affaires (à savoir, le nombre de journaux vendus multiplié par le prix de vente) a atteint 2,4 milliards d'euros, en repli de 6,6 % par rapport à 2008. Les ventes de quotidiens ont baissé, en valeur, de 3,3 %, celles des hebdomadaires et des bihebdomadaires de 6,6 %, et celles des mensuels de 10 %. Ces difficultés sont intervenues alors même que Presstalis s'était engagée, dans le cadre du plan « Défi 2010 » avec le soutien de l'État, dans la mise en oeuvre d'une stratégie de redressement destinée à répondre au déclin du marché de la vente au numéro et qui s'articulait autour des trois axes majeurs suivants :

- la participation à la reconquête des ventes, par le développement du réseau de points de vente, la hausse de la rémunération des diffuseurs, l'adaptation de l'offre des titres de presse dans les points de vente et la mise en oeuvre d'une politique très volontariste d'animation du réseau ;

- la réalisation d'économies significatives, notamment par une réforme en profondeur de l'organisation de la distribution ;

- la mise en valeur du savoir-faire de Presstalis en matière de logistique par une politique de diversification des activités.

Les conclusions des travaux de MM. Mettling et Lubek ont fait l'objet d'un rapport remis au Premier ministre en mars 2010. Le rapport distingue des mesures de court terme , à mettre en place dès 2010, et des mesures plus structurelles destinées à rétablir durablement l'équilibre financier de l'entreprise Presstalis.

Les mesures de court terme sont principalement de trois ordres :

- la réalisation d'un plan global d'économies : le rapport préconise la fermeture de la filiale Société de presse Paris service (SPPS), chargée des missions de dépositaire sur Paris et sa banlieue. Selon les analyses de MM. Mettling et Lubek, SPPS concentrerait 75 % des pertes de Presstalis en 2009 et près de 100 % des pertes prévisionnelles 2010. La mission propose un transfert de l'activité de la filiale sur d'autres plateformes. Un plan d'économies est également préconisé au niveau du siège social de Presstalis, sur les dépenses de personnel et de fonctionnement.

Toutefois, votre rapporteur pour avis souligne que les personnels de Presstalis ont déjà consenti, dans le cadre du plan Défi 2010, à des efforts considérables en termes de réductions des effectifs . Dès lors, la fermeture de la SPPS suscite très légitimement des inquiétudes de la part de ses salariés qui se sont investis avec succès dans l'amélioration de la qualité de ses services , désormais certifiée par l'obtention du label ISO 9001. Pour l'heure, le « Plan stratégique 2012 » présenté par la direction de Presstalis précise que la modernisation de l'entreprise permettra de restructurer le niveau 2 (dépositaires de presse) et d' « éclaircir la situation de la SPPS ». Le 24 juin dernier, Presstalis a ainsi annoncé envisager la fermeture de sa filiale SPPS.

Par ailleurs, selon les informations communiquées par les organisations syndicales, les réductions d'effectifs envisagées au niveau du siège de Presstalis, qui compte environ 500 personnes, devraient concerner une centaine de salariés pour un montant de huit millions d'euros ;

- une refonte des barèmes appliqués aux éditeurs : le rapport propose une refonte de la tarification actuelle ad valorem , qui s'effectue au prorata de la valeur faciale du titre. Ce mode de tarification présente l'inconvénient d'être déconnecté des coûts réels de traitement des titres et de favoriser des stratégies de baisse des prix de vente des titres. Le rapport propose, dès lors, la mise en place de nouveaux barèmes pour les quotidiens et les magazines, ainsi que l'augmentation provisoire des barèmes pour tous les titres afin de couvrir la hausse des frais de transport dans les dépôts de presse.

La principale organisation syndicale du secteur de la distribution a indiqué à votre rapporteur pour avis que la logique tarifaire jusqu'ici mise en oeuvre par Presstalis consistait à fidéliser les clients les plus importants en leur appliquant des barèmes en deçà du prix de revient, complètement déconnectés de la péréquation des coûts . Le syndicat du Livre souligne, dès lors, la nécessité de fixer un barème couvrant la rémunération de l'ensemble des prestations fournies aux éditeurs. MM. Mettling et Lubek ont chiffré, en effet, à sept millions d'euros le montant des travaux réalisés auprès des éditeurs et qui ne sont pas rémunérés ;

- une augmentation de l'aide à la modernisation de la distribution de la presse consentie par l'État : MM. Mettling et Lubek recommandent une augmentation de l'aide de l'État en faveur de la distribution des quotidiens nationaux, pour la porter de 12 à 18 millions d'euros.

Globalement, la mission évalue le besoin global de financement, nécessaire au redressement durable des comptes de Presstalis, à 125 millions d'euros . Cette somme se décompose de la façon suivante : 50 millions d'euros pour la réduction des surcoûts sociaux et liés à la mise en oeuvre d'un plan social dans la filiale SPPS ; 55 millions d'euros pour la reconstitution des fonds propres, permettant de restaurer la trésorerie et de doter la société d'un nouveau capital social de 5 millions d'euros ; 20 millions d'euros pour la couverture du déficit 2010.

Sur ces 125 millions d'euros, la mission estime que 35 millions d'euros pourraient être apportés par des cessions d'actifs de Presstalis, notamment de filiales à l'étranger. L'État pourrait apporter une aide ponctuelle de 20 millions d'euros, dédiée à la couverture du déficit 2010. Enfin, la mission recommande un partage de la charge entre les parties prenantes (hors État) en ce qui concerne les 70 millions d'euros restants.

Nombreux sont les éditeurs qui estiment qu'au titre de ces 70 millions d'euros nécessaires, le groupe Lagardère (dont la filiale Hachette est opérateur et actionnaire à hauteur de 49 % de Presstalis) devrait restituer les 49 millions d'euros qu'il a perçus de redevance au cours de la période pendant laquelle Presstalis bénéficiait d'une relative prospérité. Les 21 millions d'euros nécessaires restants pourraient être apportés via une augmentation de capital à laquelle les éditeurs participeraient.

À la suite de la remise du rapport, une mission de coordination de la mise en oeuvre du plan a été confiée par le Premier ministre à M. Roch-Olivier Maistre. Elle a abouti à la conclusion d'un accord entre les différentes parties prenantes (Presstalis, Hachette et les coopératives d'éditeurs), portant notamment sur le mode de financement du redressement de Presstalis.

Selon les informations communiquées par le Gouvernement, parmi les mesures prises, Hachette a décidé de transférer à Presstalis les 49 % détenus dans sa filiale Mediakiosk, représentant un apport équivalent à un minimum de 20 millions d'euros. Hachette contribuerait, en outre, au besoin de financement de façon additionnelle à hauteur de 25 millions d'euros en 2010 et 2011, dont environ 2,5 millions au titre de sa contribution d'éditeur. Une contribution additionnelle au besoin de financement de Presstalis, égale à 1 % du chiffre d'affaires de Presstalis et évaluée à un montant d'environ 17,5 millions d'euros, sera financée par les adhérents des coopératives, proportionnellement à leurs flux d'activité respectifs dans le chiffre d'affaires de distribution de la presse de Presstalis. Cette contribution sera réalisée au moyen d'une augmentation de capital en fin d'année 2010. Une contribution complémentaire, également sous forme d'augmentation de capital, d'un montant égal à 0,5 % du chiffre d'affaires de Presstalis pour l'exercice 2010, pourrait intervenir d'ici 2012, si nécessaire.

S'agissant des hausses de barèmes, un point de barème supplémentaire a été appliqué à tous les éditeurs le 1 er juillet 2010 pour répondre à l'accroissement des frais de transport des dépôts de presse. La mise en place des nouveaux barèmes pour les publications a eu lieu le 1 er octobre 2010. La mise en place du nouveau barème pour les quotidiens interviendra le 1 er janvier 2011.

Enfin, une réforme de l'organisation de Presstalis a été lancée. Pour simplifier la gouvernance et faciliter les décisions, deux nouvelles coopératives - une pour les quotidiens, une pour les publications - seront créées en décembre 2010 en remplacement des huit coopératives associées aux deux messageries (Presstalis et Transport-Presse).

Toutefois, le syndicat du Livre regrette l'absence de véritable politique industrielle. Les réductions d'effectifs sont, encore une fois, privilégiées au détriment du renforcement des capacités industrielles du secteur de la distribution et de la formation de ses personnels.

B. RENFORCER LA CAPACITÉ D'AUTORÉGULATION DU SECTEUR DE LA DISTRIBUTION DANS LE RESPECT DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA LOI « BICHET »

1. Les conclusions du rapport de M. Bruno Lasserre

Dans son rapport remis en mai 2009 au Gouvernement sur la réforme du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, a mis en exergue l' opacité de certaines procédures en matière de régulation du secteur de la distribution de la presse en France et a proposé, en conséquence, la création, par la loi, d'une autorité publique indépendante dénommée « Conseil supérieur de distribution de la presse » qui se substituerait à l'actuel CSMP.

Cette nouvelle instance se serait vu confier des missions de régulateur économique du secteur de la distribution, en intervenant notamment en matière de définition de normes professionnelles et techniques, de contrôle des rémunérations et de médiation et règlement des différends.

Néanmoins, cette autorité publique indépendante n'aurait pas eu un caractère d'instance professionnelle équivalent à celui dont jouit aujourd'hui le CSMP dont les membres sont directement concernés par la distribution de la presse au titre de leurs activités et de leurs mandats. Dans ces conditions, les professionnels et, en particulier, les membres actuels du CSMP s'étaient exprimés majoritairement contre la transformation pure et simple du CSMP en autorité publique indépendante.

2. Les expérimentations conduites dans le secteur de la distribution de la presse

Depuis 2006, le CSMP a mis en place plusieurs groupes de travail consacrés à la réforme de la distribution de la presse, notamment le comité de suivi dédié à la rémunération des diffuseurs et des kiosquiers (2006) et le groupe de travail dédié au plafonnement des quantités et à l'assortiment des titres servis aux points de vente (2007).

Le comité de suivi des expérimentations en matière de modernisation de la distribution de la presse, mis en place à la suite des États généraux de la presse écrite et présidé par M. Arnaud de Puyfontaine, a remis au Gouvernement, en juillet 2009, un rapport intitulé « Bilan et perspectives. Six mois de modernisation de la distribution de la presse ». Il a ainsi dressé un bilan positif de la mise en oeuvre des expérimentations destinées à plafonner les quantités et assortir les titres servis aux points de vente.

Néanmoins, votre rapporteur pour avis souligne que ces expérimentations s'inscrivent, pour l'heure, dans un cadre dérogatoire à la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi « Bichet ». Si le principe d'une meilleure autorégulation du secteur de la distribution est partagé par la plupart des éditeurs, le CSMP doit continuer, néanmoins, à veiller à ce que les principes fondamentaux de la loi « Bichet », en particulier l'égalité de traitement entre les titres quelque soit leur force économique, demeurent effectifs .

En 2009, un groupe de travail dédié au niveau 2 (dépositaires de presse) a été créé afin de conduire une réflexion sur l'avenir du métier et l'évolution du réseau des dépositaires. L'assemblée générale du CSMP du 5 novembre 2009 a, ainsi, adopté le nouveau schéma directeur du réseau de niveau 2, qui devrait permettre d'optimiser celui-ci autour de 114 dépôts de presse.

Le CSMP s'est également intéressé à la question de la levée de la clause d'exclusivité des coopératives de messageries de presse sur le contrat de groupage .

La vente au numéro s'effectue, en effet, conformément aux dispositions de la loi « Bichet », qui pose trois principes fondamentaux : la liberté de distribution pour l'éditeur ; l'impartialité de la distribution ; l'égalité économique entre les différents titres.

L'éditeur a la liberté soit d'assurer directement le groupage et la distribution de ses titres, soit de se regrouper avec d'autres éditeurs au sein d'une coopérative de distribution, dite messagerie de presse. Ces sociétés coopératives peuvent remplir elles-mêmes la fonction de messagerie en assurant par leurs propres moyens le groupage et la distribution de la presse éditée par leurs adhérents. Elles peuvent également confier à des sociétés commerciales l'exécution des opérations de groupage et de distribution des titres de leurs adhérents.

Or, une recommandation formulée dans le cadre dans le Livre vert des États généraux de la presse écrite consiste à donner la possibilité aux éditeurs de s'organiser par eux-mêmes pour livrer certains points de vente. Pour certains services demandés par les éditeurs, et que les messageries ne seraient pas en mesure de leur proposer, les éditeurs seraient alors autorisés à se distribuer dans un cadre dérogatoire à la loi « Bichet ».

En effet, de nombreux éditeurs identifient certains réseaux de commerce existants (comme les grandes surfaces spécialisées) comme une opportunité de diffusion complémentaire de leurs titres. Or, ces points de vente ne figurent pas sur les tournées des dépositaires. Il a donc été imaginé d'offrir la possibilité aux éditeurs d'organiser eux-mêmes la livraison de ces réseaux complémentaires.

Afin de respecter les dispositions de la loi « Bichet », et notamment d'éviter un contournement des messageries, le type de service concerné et le cadre dérogatoire doivent, cependant, être précisés. Ces règles doivent être définies par le CSMP, qui serait également chargé de contrôler leur application. Une telle approche suppose que les messageries de presse soient systématiquement sollicitées et aient un « droit de premier refus ». Après le droit de premier refus de cette prestation logistique, les messageries seraient réputées accepter une rupture du lien d'exclusivité qui lie l'éditeur et la messagerie (cas de Presstalis et de Transport-Presse), ou devront consentir par écrit à cette souplesse lorsque leur contrat le prévoit (cas des Messageries lyonnaises de presse).

Le CSMP a procédé au lancement d'une étude destinée à évaluer la faisabilité d'une distribution hors groupage coopératif. Cependant, les éditeurs ne se sont pas encore mobilisés pour expérimenter ce nouveau dispositif, notamment en raison des conditions de marché actuelles qui leur dictent d'autres priorités pour maintenir leur diffusion et leurs revenus publicitaires.

Ces expérimentations s'inscrivent bien dans le droit fil des recommandations du Livre vert des États généraux de la presse écrite qui rappelle que « la loi Bichet n'exige pas de relation d'exclusivité entre une coopérative et une société de messagerie de presse. Cette exclusivité découle des contrats de groupage signés ». Une de ces préconisations consiste, dès lors, à autoriser les éditeurs, dans deux cas bien définis, de se distribuer en dehors du cadre des messageries :

- pour faciliter l'accès des quotidiens nationaux au réseau de vente au numéro de la presse quotidienne régionale . Dans cet esprit, Presstalis pourrait déléguer aux entreprises de la PQR la distribution des quotidiens nationaux ;

- pour permettre aux éditeurs de se distribuer dans un cadre dérogatoire et aux conditions de marché, sous le contrôle du CSMP , lorsque les messageries ne sont pas à même de proposer sans raison valable un service.

3. Pour une autorégulation responsable du secteur de la distribution de la presse

Afin de concilier le renforcement de la capacité d'autorégulation du secteur de la distribution de la presse et le respect des principes posés par la loi « Bichet », votre rapporteur pour avis estime que certains aspects de la réforme de la gouvernance du secteur, sur laquelle les éditeurs semblent s'être mis d'accord, vont dans le bon sens et méritent d'être approfondis.

Il convient, en effet, d'envisager la transformation du CSMP en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d'un pouvoir normatif d'autorégulation du secteur . En contrepartie, il est indispensable de créer une « Autorité de régulation de la distribution de la presse » , autorité publique indépendante distincte du CSMP, appelée à régler les différends que les normes édictées par le CSMP ne seraient pas parvenues à résoudre.

Dans cette logique, la composition du CSMP devrait être substantiellement modifiée pour lui conférer le caractère d'instance professionnelle représentative. À ce titre, l'État et les transporteurs (SNCF, Air France et transporteurs de route) ne devraient plus être représentés au sein du CSMP. Celui-ci ne devrait compter, en toute logique, que des membres représentant les différentes professions concernées (éditeurs, sociétés coopératives et commerciales de messageries de presse, dépositaires, diffuseurs, personnels des messageries, etc.).

Le CSMP devrait également se voir doté de la personnalité morale afin de lui garantir une autonomie de fonctionnement et lui conférer la pleine responsabilité de ses actes dans l'exercice de ses missions. Son financement demeurerait entièrement assuré par les sociétés coopératives de messageries de presse.

Le CSMP, qui ne dispose aujourd'hui que d'un simple pouvoir d'avis ou de recommandation dépourvu de force exécutoire, se verrait alors confier un pouvoir normatif d'autorégulation en vue d' édicter des normes permettant de mettre en oeuvre la loi « Bichet » .

Une autorité de régulation de la distribution de la presse serait alors chargée de régler les différends en l'absence de résolution à l'amiable dans le cadre d'une procédure de conciliation conduite devant le CSMP. Cette autorité disposerait également d'un délai de six mois pour remettre en cause ou non le caractère exécutoire des décisions à caractère réglementaire du CSMP. Au-delà de ce délai, les décisions du CSMP non remises en cause par l'autorité seraient réputées homologuées.

Le principal syndicat du Livre s'est prononcé, pour sa part, en faveur d'une réforme de la gouvernance du CSMP qui permettrait aux entreprises de distribution de veiller à ce que le tarif de distribution ne soit pas inférieur au prix de revient, dans le respect le plus strict des fondamentaux de la loi « Bichet ».

III. DONNER À L'AGENCE FRANCE-PRESSE LES MOYENS DE SES AMBITIONS

Votre commission s'est engagée, de très longue date, dans une réflexion approfondie sur les moyens de garantir un développement optimal et durable de l'Agence France-Presse dans un environnement international fortement concurrentiel et profondément bouleversé par l'évolution des technologies de l'information et de la communication.

Dès l'année 2000 , elle s'est préoccupée de la capacité de l'Agence à financer des projets de développement ambitieux afin de ne pas manquer le rendez-vous du multimédia et de se maintenir parmi les trois principales agences mondiales d'information, aux côtés de Associated Press et Thomson-Reuters . À l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à l'Agence France-Presse de notre ancien collègue, M. Louis de Broissia, votre commission avait élaboré un texte conférant à l'AFP de nouvelles marges de manoeuvre, notamment sur le plan financier, sans pour autant remettre en cause l'économie du statut fondateur de 1957 .

Ce texte prévoyait, en particulier, d'ouvrir la faculté pour l'AFP de prendre des participations dans des sociétés françaises ou étrangères constituées ou à constituer, et de préciser les conditions dans lesquelles elle peut recourir à l'emprunt, via notamment l'émission de titres participatifs et d'obligations. Il visait également à porter le mandat du président-directeur général de trois à cinq ans, dans une logique de renforcement de la stabilité de son exécutif et de continuité de ses projets de développement.

Toutefois, ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Dès lors, votre rapporteur pour avis a reposé la question de la capacité de financement de l'AFP et de la clarification, au regard du droit communautaire, de ses relations avec la puissance publique, lors de l'examen des crédits de la presse dans le projet de loi de finances pour 2010.

À la demande de votre rapporteur pour avis, votre commission a organisé une table ronde consacrée à l'avenir de l'AFP , au mois de janvier 2010 et dont les conclusions ont conforté les observations de votre rapporteur :

- l'avantage compétitif de l'AFP réside dans une réputation solidement ancrée, au niveau international, de respect scrupuleux de l'indépendance et du pluralisme de l'information. Cette identité génétique de l'Agence est inscrite dans les articles 1 er et 2 de la loi de 1957 ; modifier ces dispositions reviendrait à remettre en cause la crédibilité de l'Agence et donc la confiance que lui accordent ses clients ;

- l'AFP est un organisme sui generis qui, sans être une société dotée d'un capital, obéit aux règles commerciales. Au-delà de ses activités commerciales auprès de clients privés qui constituent désormais près de 60 % de son revenu, l'Agence assume également des missions d'intérêt général qui trouvent leur fondement dans les articles 1 er et 2 de son statut. Celles-ci ouvrent le droit à une compensation financière de la part de l'État dans des conditions déterminées par un contrat d'objectifs et de moyens. Toutefois, cet aspect n'est pas suffisamment explicite aux yeux du droit communautaire et donne lieu, en conséquence, à une forme d' insécurité juridique . Il convient donc de clarifier sans délai les relations de l'AFP avec la puissance publique afin de sécuriser la part de son financement public justifié par l'accomplissement de missions d'intérêt général qui lui incombent en vertu de la loi ;

- les difficultés rencontrées par l'AFP sont principalement d'ordre financier : elle ne dispose plus, en effet, d'une marge de manoeuvre suffisante pour assurer son développement et demeurer compétitive dans un environnement international de plus en plus concurrentiel. Or, la perspective de doter l'AFP d'un capital, que celui-ci repose ou non entièrement sur des capitaux publics, est de nature à susciter des soupçons quant à l'indépendance de l'Agence vis-à-vis d'intérêts aussi bien étatiques que privés ;

- la configuration du conseil d'administration de l'AFP et ses principes de gouvernance semblent désormais obsolètes . La surreprésentation de la presse française, qui ne constitue plus le premier client de l'Agence, au sein du conseil d'administration ne se justifie plus. Au contraire, elle soulève des interrogations quant aux risques de conflits d'intérêt qui pèseraient sur la gestion de l'Agence, dès lors qu'un certain nombre de clients sont à même de déterminer, en conseil d'administration, des tarifs qu'ils sont prêts à remettre en cause par la suite.

Après avoir entendu les représentants de l'intersyndicale de l'AFP et s'être entretenu avec son nouveau président-directeur général, votre rapporteur pour avis a souhaité réexaminer les observations précédentes à la lumière des orientations définies par la nouvelle direction, et étudier les aménagements qu'il conviendrait d'apporter au statut de 1957 afin de garantir un développement ambitieux et responsable de l'Agence.

Votre rapporteur pour avis se félicite, en particulier, que le nouveau président-directeur général ait écarté toute transformation de l'AFP en une société dotée d'un capital. M. Emmanuel Hoog a déclaré, en effet, préférer travailler à la réforme de la gouvernance de l'Agence et à la diversification de ses sources de financement dans le respect du statut actuel.

Les articles 1 er , 2 et 14 de la loi de 1957, qui constituent l'ADN de l'Agence, ne doivent donc pas être modifiés.

Toutefois, votre rapporteur pour avis relève les inquiétudes des organisations syndications qui disent regretter le manque d'information et l'absence de consultation sur les projets, aussi bien stratégiques que statutaires, envisagés par la direction . Dans une logique de responsabilité, et vu le passif hérité du débat passé sur la réforme du statut, la transparence et la concertation sur l'avenir de l'AFP sont des nécessités absolues. Pour rappel, le statut de 1957 avait fait l'objet d'un très large consensus tant au sein du Parlement qu'entre les organisations syndicales concernées. Toute modification de la loi de 1957 perdrait alors en légitimité si ces conditions n'étaient pas de nouveau réunies.

A. LES PRIORITÉS STRATÉGIQUES DE DÉVELOPPEMENT

Le nouveau président-directeur général de l'AFP a dégagé cinq priorités stratégiques de développement, qui nécessiteraient un investissement total évalué à 55 millions d'euros :

- le développement de la vidéo . L'AFP bénéficie déjà d'un soutien de l'État, à hauteur de 20 millions d'euros sur la période 2009-2013, dans la mise en place d'un système de rédaction unique de production multimédia (texte, photo, vidéo, infographie), dans le cadre du projet intitulé « Agence multimédia/4XML ». Les 10 millions d'euros restants nécessaires devront être apportés par l'Agence sur son exploitation. Toutefois, au-delà de ce projet, des montants supplémentaires devront nécessairement être investis à l'avenir dans le développement de la capacité vidéo de l'AFP car celle-ci a vocation à constituer son coeur de métier ;

- le développement du fil arabe de l'Agence ;

- la numérisation des archives de l'Agence , le projet « 4XML » pouvant constituer un outil utile dans ce domaine. Un partenariat avec la Réunion des musées nationaux pourrait être envisagé pour développer les archives sur le support photo ;

- faire de l'AFP une agence incontournable dans la couverture de l'information sportive , qui constitue un service potentiellement très rémunérateur. À terme, compte tenu de son expérience et de son excellente réputation en la matière, il convient de garantir à l'AFP le leadership de l'information sportive internationale, à l'image de la position dominante dont jouit Reuters dans le domaine de l'information financière ;

- développer la présence de l'AFP sur les interfaces mobiles . À cet égard, l'AFP doit se mettre au niveau de ses concurrents, AP et Reuters .

Les projets de développement de l'outil vidéo et la numérisation des archives sont susceptibles de bénéficier d'un soutien financier dans le cadre du grand emprunt qui pourrait constituer un effet de levier opportun. Le fonds stratégique d'investissement pourrait également être sollicité pour accompagner le financement des autres projets de développement de l'Agence, dans une logique de co-investissement et de financements croisés avec des organismes publics et privés divers.

B. POUR UNE GOUVERNANCE DYNAMIQUE ET RESPONSABLE DE L'AFP

1. Renforcer l'indépendance du conseil d'administration afin de garantir l'autonomie de gestion de l'AFP
a) La composition actuelle du conseil d'administration soulève des interrogations quant à des risques de conflits d'intérêt

Aux termes de l'article 8 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l'Agence France-Presse, le conseil d'administration « est investi des pouvoirs les plus étendus pour la gestion et l'administration de l'Agence ». Or, la composition actuelle du conseil d'administration laisse entrevoir des rapports de force déséquilibrés entre les intérêts qui y sont représentés et inadaptés aux nouvelles réalités commerciales de l'Agence .

Le conseil d'administration de l'Agence ne compte, en dehors de son président-directeur général et des représentants du personnel, que des représentants de ses clients potentiels. La presse y est surreprésentée (huit directeurs de publications sur un total de seize membres), l'audiovisuel disposant de deux représentants et les représentants des services publics usagers de l'Agence (représentants de l'État) étant au nombre de trois.

Ainsi, plus de 81 % des membres du conseil d'administration sont des représentants des clients potentiels de l'Agence . En raison de leur origine et de leurs activités, ils ne peuvent être considérés comme à même d'incarner et de défendre l'intérêt supérieur de l'Agence. On est en droit de penser que les décisions du conseil d'administration, en particulier s'agissant de la détermination des tarifs de l'Agence, sont susceptibles d'être biaisées dans un sens favorable aux intérêts financiers des clients potentiels de l'Agence. Or, les intérêts de ses clients ne sont pas, par définition, toujours conformes aux intérêts propres de l'Agence. Bien au contraire, les intérêts servis par la plupart des membres du conseil d'administration peuvent diverger, voire entrer en concurrence avec ceux de l'Agence .

Ces conflits d'intérêt pèsent, ainsi, lourdement sur l' autonomie de gestion de l'AFP .

Les réactions particulièrement négatives de la presse quotidienne nationale, à la suite de l'annonce par le nouveau président-directeur général de l'AFP de son intention d'ouvrir au grand public l'accès à une partie de ses services d'information, sont édifiantes à cet égard. Sans se prononcer sur l'opportunité et la pertinence d'un tel projet, votre rapporteur pour avis relève qu'au-delà de l'enjeu de la détermination de ses tarifs, l'AFP est susceptible de voir ses projets de développement contrecarrés par son propre conseil d'administration, dès lors que ceux-ci peuvent entrer en concurrence avec les intérêts commerciaux de certains de ses membres .

b) Le conseil d'administration doit être à même d'incarner l'intérêt supérieur de l'AFP

Les recettes commerciales de l'AFP hors abonnements de l'État représentent désormais 60 % du chiffre d'affaires total. L'accent a été porté, en particulier, sur la croissance du revenu provenant des marchés à fort potentiel de croissance, à savoir l'Amérique du Nord, l'Amérique latine, le Moyen-Orient et l'Asie. Ces marchés ont représenté près de 33 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2009 et il est prévu que ces recettes atteignent environ 42 millions d'euros en 2011 et 49 millions d'euros en 2013.

En conséquence, les médias d'information étrangers constituent désormais des partenaires commerciaux incontournables de l'AFP . Il semble donc indispensable de garantir la présence, au sein de son conseil d'administration, de personnalités justifiant d'une expérience dans le domaine de l'information internationale et de la vie internationale des entreprises , en cohérence avec le statut d'agence mondiale d'information de l'AFP.

En revanche, le nombre de représentants de la presse quotidienne française mérite d'être revu à la baisse afin de rétablir un rapport de forces plus équilibré entre les différents intérêts en présence au sein du conseil d'administration. Afin également de tenir compte des mutations intervenues dans le secteur de la presse écrite, il est impératif d'assurer la présence d'un représentant de la presse en ligne.

Compte tenu des observations précédentes, votre rapporteur pour avis estime que les éléments de réflexion suivants mériteraient d'être approfondis :

- il pourrait être envisagé de réduire le nombre de représentants des médias d'information (médias audiovisuels inclus), en le ramenant le cas échéant à trois pour prévoir la présence d'un représentant des entreprises éditrices de publications de presse , d'un représentant des entreprises éditrices de services de presse en ligne et d'un représentant des entreprises éditrices des services de communication audiovisuelle . Les deux premiers représentants pourraient être désignés par les organisations professionnelles concernées et le troisième par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

- la représentation des services publics usagers pose des difficultés, notamment en termes d'indépendance. À l'heure actuelle, ces représentants, au nombre de trois, sont assimilables à des « représentants de l'État » (comme on en retrouve traditionnellement dans les conseils d'administration d'établissements publics), en raison de leur désignation par le Premier ministre et les ministres des affaires étrangères et des finances. Or, bien qu'elle bénéficie de concours financiers d'origine publique au titre de missions d'intérêt général qu'elle tire de la loi, l'AFP n'est pas pour autant un établissement public et ne doit jamais être considérée comme tel .

Dès lors, il serait utile de modifier le mode de désignation des représentants des services publics usagers de l'Agence afin de garantir leur indépendance et de les départir de tout soupçon de mandat politique. Il pourrait, ainsi, être envisagé que ces trois représentants soient désignés respectivement par le vice-président du Conseil d'État, le premier président de la Cour des comptes et la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations ;

- afin d'établir une parité entre les différents collèges représentés au sein du conseil d'administration, il pourrait être envisagé :

i) d'augmenter le nombre de représentants du personnel de l'Agence ;

ii) d'introduire des personnalités qualifiées justifiant d'une expérience reconnue, en France ou à l'international, dans les domaines de la francophonie et des médias d'information internationaux . L'indépendance de ces personnalités dépendra de leur mode de désignation et des conditions de leur inamovibilité pendant la durée de leur mandat. La concertation entre les intéressés devrait permettre de dégager un mode de désignation consensuel offrant des garanties d'indépendance suffisantes, aussi bien vis-à-vis du pouvoir exécutif que des puissances financières.

Il existe des structures associatives, notamment au niveau international, qui peuvent constituer d'excellents viviers de personnalités compétentes (de nationalité française ou ressortissantes de l'Union européenne) susceptibles de faire partager leur expérience au sein du conseil d'administration de l'AFP. À cet égard, on peut songer à l' Association mondiale de journaux ( World Association of Newspapers - WAN ) : fondée en 1948, cette organisation non gouvernementale sans but lucratif rassemble 72 associations nationales de journaux, des dirigeants de journaux de 100 pays, 13 agences de presse et neuf associations régionales de presse. Au total, elle représente plus de 18 000 publications des cinq continents.

En tout état de cause, ces personnalités ne sauraient entretenir, au cours de leur mandat, de liens avec l'AFP dans le cadre de leurs activités professionnelles ou d'autres membres de son conseil d'administration de nature à porter atteinte à leur indépendance. En revanche, le fait qu'elles aient exercé, antérieurement à leur désignation, des fonctions au sein d'entreprises ayant entretenu des liens avec l'Agence ne devrait naturellement pas faire obstacle à leur présence au conseil d'administration.

Votre rapporteur pour avis est favorable à une composition resserrée du conseil d'administration de l'AFP qui comprendrait idéalement une douzaine de membres, outre son président-directeur général.

Votre rapporteur pour avis tient à souligner que l'ensemble des observations formulées précédemment ne constituent que des pistes de réflexion et des hypothèses qui mériteraient d'être approfondies dans un esprit de concertation et de négociation, et qui ne sauraient constituer des propositions définitives.

c) Pour une plus grande stabilité et une autonomie renforcée de l'exécutif de l'Agence

Le mandat du président-directeur général, désigné par le conseil d'administration en dehors de ses membres, doit être porté de trois à cinq ans, afin de garantir une plus grande continuité dans la mise en oeuvre des projets de développement de l'Agence. Idéalement, le mandat du président-directeur général devrait correspondre à la durée du contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'État.

Le vice-président de l'Agence devrait être désigné par le conseil d'administration, idéalement parmi les personnalités qualifiées.

2. La nécessaire clarification des relations de l'AFP avec la puissance publique

Votre rapporteur pour avis estime que les missions d'intérêt général qui incombent à l'AFP trouvent déjà leur fondement dans les articles 1 er et 2 de la loi de 1957 .

En effet, aux termes de l'article 1 er , l'AFP a notamment pour objet « de rechercher, tant en France [...] qu'à l'étranger, les éléments d'une information complète et objective ». En outre, l'article 2 précise que l'AFP doit, dans toute la mesure de ses ressources, « développer son action et parfaire son organisation en vue de donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance » et « assurer l'existence d'un réseau d'établissements lui conférant le caractère d'un organisme d'information à rayonnement mondial ».

De la lecture de ces dispositions, il est possible de déduire les missions d'intérêt général suivantes :

- la production continue et sans interruption d'une information nationale et internationale diversifiée et à vocation généraliste, tant en français qu'en langues étrangères ;

- une couverture internationale la plus étendue possible afin, notamment, de contribuer au rayonnement de la langue et de la culture françaises .

En 2009, la direction de l'AFP avait chiffré le montant des coûts fixes liés à l'accomplissement de ses missions d'intérêt général (rayonnement francophone, exhaustivité de la couverture sur le plan mondial, production en langues étrangères) à hauteur de 66 millions d'euros . L'État consentant, dans le projet de loi de finances pour 2011, 115,4 millions d'euros à l'AFP, la différence, d'un ordre compris entre 45 et 50 millions d'euros, doit s'entendre comme le paiement par les services publics usagers (principalement les ministères) des prestations fournies par l'Agence.

Il convient donc désormais de différencier clairement la compensation financière qui doit être versée par l'État au titre des missions d'intérêt général qui incombent à l'AFP, et la rémunération par les services publics usagers des services fournis par l'Agence. Il appartient à l'AFP et à l'État de déterminer ensemble, dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de moyens , le coût des missions d'intérêt général, d'une part, et le montant des abonnements à proprement parler des services de l'État à l'AFP dont les tarifs doivent êtres fixés aux conditions de marché dans le respect des règles de la concurrence .

Afin de clarifier les relations de l'AFP avec la puissance publique, il conviendrait de modifier en ce sens le statut de 1957, en particulier son article 13 , en précisant distinctement les deux aspects évoqués précédemment dans le contenu du contrat d'objectifs et de moyens.

Sur toutes ces questions, votre commission souhaite avancer sans précipitation, en prenant le temps de la nécessaire concertation, guidée par le souci constant de renforcer l'indépendance de l'AFP vis-à-vis de tout pouvoir politique, économique et idéologique .

* *

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Contrairement aux propositions de son rapporteur pour avis, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse au sein du programme 180 « Presse, livre et industries culturelles » dans le projet de loi de finances pour 2011.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 17 novembre 2010, sous la présidence de M. Jacques Legendre, président, la commission examine le rapport pour avis de M. David Assouline sur les crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » dans le projet de loi de finances pour 2011.

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Je souligne d'abord que le programme 180, auparavant consacré à la presse, inclut désormais les crédits affectés au livre et aux industries culturelles. Je ne saisis pas vraiment le sens et l'utilité de ce regroupement... Le soutien financier de l'État à la presse vise à garantir l'effectivité des principes fondamentaux de liberté de l'information et de pluralisme des expressions et opinions. Les subventions à l'édition et aux industries culturelles obéissent à des impératifs spécifiques à la création culturelle et à la protection des patrimoines. Le regroupement ne va pas dans le sens d'une meilleure lisibilité de la dépense publique...

Les moyens du plan de soutien exceptionnel de l'État en faveur de la presse sont maintenus en 2011, conformément aux engagements pris à la suite des États généraux de la presse écrite à l'automne 2008. Les crédits de paiement de la presse s'établiront à 420,5 millions d'euros, dont 115,4 millions pour les abonnements de l'État à l'Agence France-Presse (AFP) et 305,1 millions d'aides à la presse.

M. Aldo Cardoso, dans son rapport sur la gouvernance des aides à la presse, fait un constat simple : le système, très ancien, est caractérisé par la fragmentation, voire le saupoudrage, et il est obsolète par rapport aux mutations du modèle économique des entreprises de presse.

Pour améliorer l'efficacité des aides, il me paraît important de conditionner leur octroi à la conclusion d'une convention entre l'État et l'entreprise de presse, sur la base d'une stratégie globale de redressement assortie d'engagements évaluables. L'accent devrait être mis sur les investissements structurels et d'avenir, favorisant l'innovation et la formation. Et nous avons besoin d'indicateurs pertinents et régulièrement réactualisés.

Il convient aussi de créer un fonds stratégique pluriannuel en faveur de la presse d'information politique et générale, qui regrouperait l'ensemble des aides à l'éditeur et qui serait consacré à la restructuration de la presse papier et numérique. Ce choix ambitieux rétablirait une cohérence des aides à l'éditeur, aujourd'hui éparpillées, voire contradictoires. M. Cardoso chiffre le montant idéal de ce fonds à 900 millions d'euros sur cinq ans, de 2011 à 2016. Le Gouvernement en aura-t-il la volonté, en ces temps de réductions budgétaires drastiques ?

Quant à renforcer les mécanismes de contrôle et d'évaluation, en mettant l'accent sur la vérité des coûts, cela n'aura de sens que si le ministère de la culture confie cette tâche à une structure indépendante, en faisant appel, le cas échéant, à l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes.

Le plan de soutien massif annoncé par le Gouvernement à la suite des États généraux de la presse écrite ne s'est pas accompagné d'une révision des objectifs ni des critères d'évaluation. On a ainsi injecté plusieurs centaines de millions d'euros dans un système qui manquait cruellement de cohérence. On a privilégié une logique d'affichage, sans souci de cohérence globale. M. Cardoso dénonce les contradictions entre diverses mesures. Par exemple, l'aide au portage et l'aide au transport postal de la presse ont représenté respectivement 70 et 269 millions d'euros : chaque secteur est servi, mais les aides pourraient se neutraliser puisqu'il s'agit de deux modes de distribution concurrents. Il faut savoir choisir !

Rien n'a été fait jusqu'ici pour s'assurer que les aides à la presse contribuent effectivement à renforcer l'indépendance et le pluralisme. Certaines aides continuent d'être accaparées par des titres ou des familles de presse qui brillent par leur haut degré de concentration. Ne faudrait-il pas moduler l'attribution des aides en fonction du degré de concentration ? Sinon, pourquoi dépenser 12 millions d'euros en faveur du pluralisme ? On verse les aides de façon à faire plaisir à tout le monde mais leurs effets s'annulent.

Ne faudrait-il pas plafonner la détention, par un groupe privé vivant de la commande publique, du capital d'un grand groupe de médias ? Le Gouvernement, qui a déjà écarté la proposition de loi du groupe socialiste sur la concentration dans le secteur des médias, refuse de répondre.

Il y a, cependant, des sujets sur lesquels nous pouvons avancer ensemble, si nous raisonnons à partir d'un diagnostic honnête et rigoureux. Tout le monde souhaite une meilleure autorégulation du secteur, ce qui suppose de transformer le Conseil supérieur des messageries de presse en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d'un pouvoir normatif, avec, en contrepartie, la création d'une « Autorité de régulation de la distribution de la presse » appelée à trancher les différends.

Autorégulation ou non, les principes fondamentaux de la loi « Bichet » doivent s'appliquer, en particulier l'égalité de traitement entre les titres de presse. Soyons vigilants donc sur l'éventuelle pérennisation de certaines dérogations, telles que le plafonnement des quantités et l'assortiment des titres servis aux points de vente.

Enfin, en ce qui concerne l'AFP, là aussi des avancées peuvent être réalisées dans une démarche constructive. Il n'est pas envisageable de toucher aux articles 1, 2 et 14 du statut de 1957, qui fondent l'identité, l'ADN même de l'Agence. Nous pouvons donc nous féliciter que l'actuel président-directeur général (PDG) ait écarté la transformation de l'AFP en une société dotée d'un capital.

Dans un climat plus apaisé, nous pouvons travailler à la réforme de la gouvernance, et à la consécration des missions d'intérêt général de l'AFP afin de justifier au regard du droit communautaire le versement d'une compensation financière par l'État - 115,4 millions d'euros en 2011. Là encore, les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information doivent guider nos réflexions.

Compte tenu de l'absence de réévaluation des objectifs et des mécanismes de contrôle, je ne suis pas en mesure de donner un avis favorable aux crédits de la presse au sein du programme 180.

M. Jacques Legendre , président . - Les délégués syndicaux de l'AFP avec lesquels vous vous êtes entretenu m'ont prêté des intentions sur le capital de l'Agence...

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Dans une dépêche de presse, le ministre vous a mis dans une position difficile en vous attribuant des intentions que vous n'aviez pas : j'ai fait une mise au point et mes interlocuteurs ont été rassurés.

Nous avons voulu suivre les projets de réforme du statut et avons organisé une table ronde ici l'an dernier. Nous avons vu combien le sujet était sensible... Le projet de l'ancien PDG est tombé à l'eau puisque celui-ci est parti ; le nouveau président a tout de suite affirmé qu'il estimait obsolètes certains aspects de la gouvernance inscrits dans la loi fondatrice de 1957. Ce sont les représentants de la presse française qui dominent au sein de l'Agence, ce qui les place dans une situation potentielle de conflits d'intérêt en poussant les prix à la baisse, alors qu'aujourd'hui l'essentiel de la clientèle est constitué par la presse internationale. Les syndicats, les politiques, tout le monde partage le diagnostic : il n'y a pas lieu de doter l'AFP d'un capital mais il n'en faut pas moins actualiser la loi de 1957 et réformer la gouvernance. J'ai demandé à l'intersyndicale de me donner son avis et les représentants syndicaux ont évoqué cette dépêche qui les avait choqués. Nous faisons un travail de dentelle ; mais M. Frédéric Mitterrand lors d'une audition à l'Assemblée nationale a affirmé que M. Legendre et le député M. Michel Herbillon travaillaient à une réforme du statut de l'AFP. Or cela n'est pas complètement vrai.

M. Jacques Legendre , président . - Plus exactement, c'est complètement faux.

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - J'ai rassuré nos interlocuteurs mais je n'ai pas compris la communication ministérielle : peut-être s'agit-il de bloquer toute réforme ?

M. Jacques Legendre , président . - Je vous remercie des précisions que vous avez données : je n'ai jamais travaillé avec M. Herbillon sur le capital de l'AFP, je m'intéresse uniquement à la gouvernance.

M. Ivan Renar . - Monsieur le rapporteur, vous laissez entendre que le climat intérieur à l'AFP s'est apaisé : ce n'est jamais totalement le cas, car l'entreprise est fragile, la concurrence vive, on joue avec le destin d'hommes et de femmes en fermant des bureaux ici ou là. L'arrivée du nouveau PDG, venu de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), a apaisé un peu les choses. Mais dans ce groupe, tout se passe toujours à fleur de peau. Après le vote du budget, il serait bon de se pencher sur ce dossier.

Je signale que la mention « source : AFP » figure bien rarement à la fin des articles. Ouest-France affirme qu'il n'a plus besoin de l'AFP. Et pourtant, combien d'articles de politique générale reprennent les communiqués de l'Agence ! Les titres n'ont plus de correspondants à Paris.

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - J'ai indiqué que le climat avait été un peu plus apaisé à la suite des garanties apportées par le PDG sur la question du capital même si les tensions ont été ravivées par le déménagement. J'ai consacré dans mon rapport des développements à l'AFP pour exercer en quelque sorte un « droit de suite », mais ce n'est pas le sujet principal de ce rapport budgétaire. Nous pourrions aussi parler de déconcentration, car diversité de la presse ne signifie pas seulement diversité politique. La « PQR », presse quotidienne régionale, est garante de la diversité, par sa multiplicité et son enracinement local. Hélas, lorsque c'est un grand groupe qui détient plusieurs titres, les articles tournent et se ressemblent ! La diversité des rédactions tend à disparaître.

Je me réjouis que le montant des crédits promis après les États généraux soit respecté. Des garde-fous sont à imaginer contre la concentration. Si le climat s'est apaisé à l'AFP, c'est aussi que la situation était devenue explosive du temps de l'ancien PDG et que l'arrivée d'un nouveau président, Emmanuel Hoog, a rassuré.

M. Jacques Legendre , président . - Cela me fait penser à cette citation de Marivaux : « peser des oeufs de mouche dans des balances de toiles d'araignée »...

Mme Catherine Morin-Desailly . - Cette année, le bi-média a pris un essor considérable, modifiant le travail des journalistes. L'arrivée des tablettes a contribué à cette mutation. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Et quelles sont les retombées des abonnements offerts aux jeunes ?

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Les aides à la presse en ligne représenteront 18 millions d'euros en 2011. On observe une montée en puissance du support numérique à côté du papier, le sujet devrait être approfondi l'an prochain... Le téléchargement ne constitue encore qu'une part infime des ventes, mais la progression est exponentielle aux États-Unis... Et tant mieux car l'avenir de la presse se trouve là. Le nombre des utilisateurs de tablettes augmente. Cet instrument est pratique, il vous évite de descendre au kiosque le matin pour accéder à la presse... Il y a également la question du taux de TVA applicable à la presse numérique, nous avons préconisé une harmonisation des taux applicables au numérique et au papier.

Les crédits en faveur de la lecture de la presse par les jeunes devraient s'établir à 8,5 millions d'euros en 2011. La mesure destinée à offrir un abonnement gratuit à tout jeune à une publication d'information politique générale a débuté l'année dernière, il serait donc utile d'attendre encore un peu pour réaliser un bilan complet de son application.

Mme Françoise Laborde . - Mais les retombées sont-elles positives ?

M. David Assouline , rapporteur pour avis . - La mesure est reconduite en tout état de cause, donc oui a priori . Mais une année d'application me semble un délai un peu court pour avoir le recul nécessaire.

* *

*

Contrairement aux propositions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET RENCONTREES


• Syndicat du livre CGT, distribution de la presse :

M. Laurent JOURDAS, délégué syndical central (Presstalis).


• Rencontres sur le thème de la distribution de la presse :

- M. Francis MOREL, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale et président du groupe Le Figaro ;

- M. Laurent JOFFRIN, président du directoire et directeur de publication de Libération ;

- Mme Nathalie COLLIN, co-présidente du directoire du journal Libération ;

- Mme Anne-Marie COUDERC, directrice générale de Presstalis.


• Intersyndicale de l'Agence France-Presse :

- CFDT : M. Philippe CAPDEVIELLE, représentant syndical au comité d'entreprise et secrétaire du CHSCT de l'Agence, et Mme Florence PANOUSSIAN, déléguée syndicale journaliste ;

- CGT : Mme Maria CARMONA, déléguée syndicale, M. Bernard DUCAMP, membre du conseil d'administration, M. Philippe FAYE, secrétaire du comité d'entreprise, M. Thierry MASURE, élu au comité d'entreprise ;

- FO : M. Jean-Pierre REJETÉ, délégué syndical ;

- SNJ : M. Dimitri de KOCHKO, délégué syndical ;

- SUD-AFP : M. David SHARP, membre du comité d'entreprise.


• Direction de l'Agence France-Presse :

- M. Emmanuel HOOG, président-directeur général de l'AFP.


• Représentants de la commission du grand emprunt :

- M. Jean-Luc TAVERNIER, commissaire général adjoint à l'investissement ;

- M. Benoît LOUTREL, directeur du programme « Économie numérique ».


* 1 Prévision de l'agence média du groupe Publicis.

* 2 Prévision de ZenithOptimédia.

* 3 Enquête annuelle de la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture sur l'état de la presse en 2009 :

http://www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/Enquete_rapide_2009.pdf

* 4 La taxe professionnelle a été supprimée à compter du 1 er janvier 2010 et a été remplacée par la contribution économique territoriale (CET), qui est composée de la cotisation foncière des entreprises et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (article 1447-0 du code général des impôts).

* 5 M. Cardoso note, ainsi, que « l'aide versée aux éditeurs au titre de la modernisation de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale est in fine reversée à Presstalis sous la forme de majorations de barèmes ».

* 6 Correspondance de la Presse , édition du 22 novembre 2010.

* 7 Ibidem .

* 8 Dans son rapport pour avis budgétaire, au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, sur les crédits de la presse dans le projet de loi de finances pour 2011.

* 9 En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de « fixer les règles concernant [...] la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ».

* 10 La proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions déposée par notre collègue M. Patrick Bloche, député du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, a connu le même sort.

* 11 Le lectorat français de presse quotidienne a la particularité d'être l'un des moins jeunes des pays européens.

* 12 Une étude BVA de 2004 montrait que le mode d'information privilégié est la télévision pour 68 % des jeunes de 15 à 25 ans, Internet pour 17 %, la radio pour 13 % et, en dernière position, la presse pour seulement 1 % d'entre eux.

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