EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 29 mars 2011 sous la présidence de M. Josselin de Rohan, président, la commission a examiné le présent rapport.

A l'issue de l'exposé de M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis, un débat a précédé l'examen des amendements.

M. Josselin de Rohan, président . - Je remercie le rapporteur, qui s'est beaucoup investi, qui a beaucoup auditionné, et recueilli des avis concordants.

M. Robert Badinter . - Ce débat me ramène loin en arrière, il y a trente ans... « Le propre des notables vieillissants est de confondre leurs discours et leurs souvenirs » disait Churchill ; j'essaierai de vous épargner ! (Sourires)

Le débat à l'Assemblée nationale sur la réforme de 1982 fut d'une rare violence. Je revois M. Messmer m'accusant de commettre rien de moins qu'un crime contre la Nation ! Cela me semblait excessif... À l'époque de la conscription, en temps de paix, ceux que nous jugions étaient des civils habillés en militaires, n'attendant que le moment où ils quitteraient l'uniforme ! Je souhaitais en finir avec une institution qui n'a de sens qu'en temps de guerre.

L'autre raison, qui ne fut pas comprise à l'époque, tenait à la levée, le 3 octobre 1981, des réserves interdisant au justiciable français de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Avec l'abolition de la peine de mort, c'est la mesure la plus importante que j'ai à mon actif. La justice française a progressivement abandonné les règles et procédures contraires à la convention européenne des droits de l'homme. Ceci commandait cela. Si nous maintenions la justice militaire, juridiction d'exception, tous les militaires poursuivis auraient saisi la Cour européenne !

Restait le problème des militaires français stationnés en Allemagne. L'accord conclu entre les puissances occupantes en 1946 prévoyait une juridiction militaire dans chaque zone ; pour supprimer les tribunaux militaires jugeant en Allemagne les militaires français, il aurait fallu modifier le traité. En pleine crise des SS-20, le président Mitterrand s'y refusa, et le tribunal militaire de Landau eut un répit...

Il est normal de recourir à une juridiction de droit commun spécialisée. Le statut des membres du parquet, désignés par le ministre de la défense, était contraire à la fois à la Constitution et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Je félicite le rapporteur. Cette réforme est positive. Elle met fin à une grande institution, qui ne correspondait plus à la France moderne et à l'état de droit républicain.

M. Josselin de Rohan, président . - Merci pour ce rappel historique. Il est vrai que l'évolution a pris du temps...

M. Robert Badinter . - Comme le disait Edgar Faure : « On a toujours tort en France d'avoir raison trop tôt ! » ( Sourires )

Mme Bernadette Dupont . - Je m'interroge sur l'impossibilité pour la victime d'une infraction commise par un militaire de faire citer directement ce militaire devant la juridiction de jugement. Quelle est la justification de cette dérogation ?

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur . - A la différence de la plainte devant le parquet ou le juge d'instruction, la citation directe, qui ne joue qu'en matière de contraventions et de délits, permet de faire convoquer directement l'auteur présumé d'une infraction, par le biais d'une citation à comparaître, devant un tribunal, sans phase d'enquête préalable et sans qu'une instruction ait été ouverte.

On voit bien les dérives que cette procédure pourrait entraîner si elle était applicable aux militaires.

En outre, cela ferait échec à l'avis préalable du ministre de la défense.

En revanche, la victime ou la partie lésée peut porter plainte contre personne dénommée ou contre personne non dénommée et se constituer partie civile, selon les règles de droit commun.

M. Robert Badinter. - Il ne s'agit pas d'interdire à la victime l'accès à la juridiction militaire, mais sans le filtre de l'instruction, certains antimilitaristes viscéraux multiplieraient les citations directes dans le seul but de démoraliser ou désorganiser des unités ! C'est ce que les militaires redoutent. N'oublions pas que le code pénal est riche, et l'invention des avocats considérable ! (Sourires)

M. Didier Boulaud . - Les désertions ont-elles augmenté depuis la professionnalisation ? Quid de leur incidence en Opex ?

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - La désertion a considérablement progressé depuis la fin de la conscription : le nombre d'actes de désertion a augmenté de 500% en dix ans ; il y en avait 2400 en 2006, contre moins de 500 en 1997. Cela tient à ce que nombre de militaires s'engagent, sur contrat de cinq ans, pour des raisons avant tout alimentaires. Ils ont tendance à considérer l'armée comme n'importe quel employeur ; ne pas rentrer au casernement ne leur paraît pas plus grave que de ne pas se présenter sur son lieu de travail ! Cette progression tient également à ce qu'au-delà d'un nombre donné de jours, tout retard est qualifié de désertion.

Examen des amendements

Article 23

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - L'article 23 modifie de nombreuses dispositions du code de procédure pénale et du code de justice militaire. Mon amendement n°1 apporte des modifications de forme.

L'amendement n°1 est adopté à l'unanimité.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - L'amendement n°6 du gouvernement précise qu'en cas d'attentats terroristes commis par ou à l'encontre des forces armées en dehors du territoire, c'est le pôle anti-terroriste de Paris qui sera compétent. Cela me paraît logique, étant donné que le terrorisme est un domaine spécifique qui demande une forte spécialisation et des moyens importants. J'émets donc un avis favorable, tout en m'interrogeant sur la rédaction : « les actes de terrorisme commis par des forces armées françaises »...

M. Josselin de Rohan, président . - Nous interrogerons le gouvernement en séance publique sur cette formulation.

L'amendement n°6 est adopté.

L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles additionnels après l'article 23

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur . - Lorsque des infractions sont commises à bord des navires de la marine nationale ou des aéronefs militaires dans les eaux territoriales, la juridiction compétente sera celle du lieu d'affectation ou de débarquement - en pratique, les formations spécialisées du TGI de Marseille et du TGI de Brest. Toutefois, le Tribunal aux armées de Paris s'estime compétent pour les infractions commises à l'étranger, ce que contestent les formations spécialisées du lieu d'affectation. Ces conflits donnent lieu à des difficultés procédurales et à des arbitrages du ministère de la justice.

Mon amendement n°2 précise que la juridiction compétente sera celle du lieu d'affectation. Cette clarification est très bien accueillie tant par la marine nationale que par le ministère de la justice et les magistrats.

L'amendement n°2 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - Depuis la loi du 21 juillet 1982, la mise en mouvement de l'action publique relève du procureur de la République. La loi prévoit toutefois un avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée, sauf en cas de dénonciation ou de flagrance. Cette dérogation avait alors été justifiée par la nécessité de tenir compte de la spécificité militaire. Or les juges ne sollicitent pas toujours l'avis du ministre de la défense lorsqu'il apparaît qu'un militaire est susceptible d'être poursuivi à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile ou d'une plainte contre X. Dans un arrêt du 16 juillet 1997, la chambre criminelle de la cour de cassation a en effet estimé que l'article 698-1 du code de procédure pénale ne s'appliquait pas au juge d'instruction. Il en va de même en cas de découverte de faits nouveaux au cours de la procédure.

Mon amendement n°3 prévoit donc l'obligation de demander un avis du ministre de la défense en cas de poursuites contre un militaire, y compris à la suite d'une plainte contre X, d'une plainte avec constitution de partie civile ou d'un réquisitoire supplétif. Cet avis préalable, qui ne lie pas le procureur de la République, constitue un aspect essentiel de la prise en compte de la spécificité militaire. Il permet d'éclairer des situations opérationnelles parfois très complexes, en particulier en opérations extérieures. Le Sénat avait tenté en 1999 d'inscrire cette obligation dans la loi, mais l'Assemblée nationale s'y était opposée.

M. Robert Badinter . - L'autorité militaire risque, pour des raisons corporatistes, de différer très longtemps son avis...

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - L'article 698-1 du code de procédure pénale prévoit que l'avis doit être rendu dans un délai d'un mois, qui peut être réduit en cas d'urgence.

M. Robert Badinter . - Alors il n'y a pas de problème.

M. Josselin de Rohan, président. - Cet avis devrait ainsi être l'occasion pour le ministère de la défense d'expliquer les circonstances de l'embuscade d'Ouzbine, en Afghanistan, affaire dans laquelle il y a constitution de parties civiles.

M. André Vantomme . - Que se passe-t-il si le ministère ne rend pas son avis ? La procédure en est-elle bloquée ?

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - La procédure se poursuit. L'absence de l'avis dans le dossier est un motif de nullité sauf s'il n'a pas été rendu dans le délai d'un mois.

M. Josselin de Rohan, président . - L'avis n'est que consultatif ; le ministère a tout intérêt à le rendre !

L'amendement n°3 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.

Article 24

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - Actuellement, la condamnation à une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis entraîne la perte du grade et donc la radiation des cadres de l'armée. L'automaticité de cette sanction apparaît discutable au regard de la convention européenne des droits de l'homme et de la règle non bis in idem . Elle est également contraire au principe de nécessité des peines, énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

L'article 24 supprime donc le caractère automatique de cette sanction. Le juge pourra toujours prononcer une peine d'interdiction des droits civiques ou une interdiction d'exercer un emploi public s'il estime la condamnation pénale incompatible avec la fonction militaire, et l'autorité militaire pourra toujours engager une procédure disciplinaire. D'autre part, il supprime la possibilité pour le juge de substituer une peine d'emprisonnement à une peine d'amende, disposition désuète qui semble n'avoir jamais été appliquée.

L'article 24 est adopté sans modification.

Article additionnel après l'article 24

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - La désertion, je l'ai dit, a augmenté de 500 % en dix ans ; le phénomène touche essentiellement les militaires du rang, mais commence également à concerner les sous-officiers. Or, le cadre législatif actuel est inadapté.

Le code de justice militaire, qui date de 1965, distingue la désertion à l'intérieur du territoire et à l'étranger, et le régime des peines est différent en temps de paix et en temps de guerre. La peine maximale d'emprisonnement est de trois ans dans le cas d'une désertion à l'intérieur, de cinq ans si elle intervient à l'étranger ou est concertée, mais peut aller jusqu'à dix ans en temps de guerre.

Dans la pratique, les actes de désertion se concluent très majoritairement par un classement sans suite, éventuellement assorti d'un rappel à la loi, sans inscription au casier judiciaire. Les sanctions sont essentiellement des peines d'amendes ou des travaux d'intérêt général. Les peines d'emprisonnement ferme sont rares et, dans 90 % des cas, sont prononcées par défaut. Moins d'1 % des affaires conduisent le déserteur en prison et la peine est toujours inférieure à une année.

Il est par ailleurs difficile de distinguer désertion à l'intérieur et désertion à l'étranger. Quid d'un marin qui s'absente sans autorisation lors d'une escale, d'un militaire qui se réfugie à l'étranger, d'un militaire en opération extérieure qui demeure sans autorisation sur le territoire à l'issue d'une permission ?

Mon amendement n°4 clarifie les choses. La définition de la désertion sera fonction de la formation de rattachement, selon qu'elle est située ou non sur le territoire. Par ailleurs, le délai de grâce accordé au militaire sera réduit afin de tenir compte de l'évolution des moyens de communication et de transport. Le régime des peines n'est pas modifié pour ne pas banaliser l'acte de désertion, qui ne peut être assimilé à une simple absence injustifiée sur le lieu de travail.

L'amendement n°4 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.

Article 26

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis . - Il faut du temps pour opérer une opération de clarification, disait M. Badinter tout à l'heure... Pour la rendre possible, il a fallu une évolution des coeurs, des esprits et des conventions internationales. En outre, le Tribunal aux armées de Paris est installé dans la caserne de Reuilly-Diderot. Par parenthèse, je suis attaché à ce lieu pour y avoir passé un mois, avant mon départ en Algérie, à nettoyer le même camion ! (Sourires) Ce vaste territoire, quasiment vide, sera consacré à la construction de logements sociaux en vertu d'un accord entre la Défense et la ville de Paris. D'où mon amendement n°5 qui avance la date de suppression du Tribunal aux armées de Paris au 1er janvier 2012.

L'amendement n°5 est adopté à l'unanimité .

La commission donne un avis favorable à l'adoption des articles 23, 24 et 26 du projet de loi, tels que modifiés par les amendements qu'elle a adoptés et en tenant compte de l'insertion de trois articles additionnels.

En conséquence, la commission constate que la proposition de loi est satisfaite.

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