EXPOSE GENERAL

Mesdames, Messieurs,

Notre assemblée est saisie du projet de loi n° 2494 déposé le 5 mai 2010 à l'Assemblée nationale relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Ce projet de loi a été complété par une lettre rectificative n° 3116 déposée le 26 janvier 2011 qui, pour l'essentiel, vise à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 portant sur l'hospitalisation d'office.

Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 22 mars 2011, réforme en profondeur le cadre juridique de l'hospitalisation sous contrainte , hérité de la loi du 27 juin 1990, dite « loi Evin ».

Modifiant essentiellement des dispositions du code de la santé publique, il réécrit quasiment tous les chapitres du titre I er Modalités d'hospitalisation ») du livre II (« Lutte contre les maladies mentales ») de la troisième partie dudit code, avec pour objectif d'aboutir à une meilleure conciliation entre trois principes de même valeur constitutionnelle mais largement antagonistes : le droit à la santé, la sauvegarde de l'ordre public et les libertés individuelles.

Le texte du Gouvernement entend définir un nouvel équilibre afin de tenir compte des progrès des traitements psychiatriques médicamenteux, de renforcer les droits des personnes soignées, de mieux protéger la société mais également de répondre aux exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de contrôle juridictionnel.

Votre commission a souhaité se saisir pour avis du volet judiciaire du texte, qui relève des articles 1 à 5, la commission des affaires sociales ayant été saisie au fond 1 ( * ) .

La saisine de votre commission, que de nombreuses personnes entendues par votre rapporteur ont saluée, est nécessaire en raison des points qui intéressent directement son champ de compétence : les libertés individuelles et les garanties juridictionnelles qui s'attachent à leur privation, les modalités de contrôle de l'autorité judiciaire (audience par visioconférence, délais d'intervention, possibilités d'appel suspensif...), l'impact de la réforme sur l'organisation judiciaire, la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, la protection de l'ordre public...

Votre rapporteur insiste d'emblée sur la nécessité d'éviter tout amalgame entre troubles psychiatriques , délinquance et dangerosité, même si une réforme de l'hospitalisation sous contrainte a pu être envisagée en 2006 dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, ce qui a pu heurter les malades et leur famille.

Même si aucune étude nationale en France n'a été menée sur les actes de délinquance ou de dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux ayant fait l'objet d'une hospitalisation sans consentement, il n'en demeure pas moins que, selon les informations communiquées par le ministère de la santé à votre rapporteur, les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont que rarement impliquées dans des actes de violence commis à l'égard de tiers et que les comportements de violence grave sont exceptionnels chez ces personnes.

En fait, les personnes atteintes de troubles mentaux sont bien plus souvent victimes qu'auteurs d'actes de violence , qu'il s'agisse de violences exercées sur elles-mêmes - automutilation et suicide (12 à 15 % des personnes souffrant de troubles schizophréniques ou bipolaires se suicident) - ou de violences subies : elles sont ainsi 7 à 17 fois plus fréquemment victimes que la population générale. Cette violence s'ajoute à la souffrance de ces personnes.

* * *

*

I. LE PROJET DE LOI : UNE MEILLEURE CONCILIATION ENTRE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE, LA SAUVEGARDE DE L'ORDRE PUBLIC ET LA PROTECTION DE LA SANTÉ

A. LA LÉGISLATION EN VIGUEUR

1. Une législation ancienne et stable...

Les dispositions actuelles du code de la santé publique relatives à l'hospitalisation sous contrainte sont issues d'une législation à la fois ancienne et stable.


• la loi du 30 juin 1838, dite « loi Esquirol »

La loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, dite « loi Esquirol », s'inspire des réflexions de Jean-Etienne d'Esquirol (1772-1840), médecin qui considère qu'un fou est un malade qui peut guérir s'il reçoit des soins adaptés à son état mental. La loi consacre deux modalités d'entrée en soins :

- le régime du placement dit « volontaire » des aliénés, à la demande de la famille, sur avis d'un médecin extérieur à l'hôpital susceptible d'accueillir le malade et ne devant pas être parent dudit malade ;

- le régime du placement dit « d'office », décidé par arrêté préfectoral lorsqu' « est menacé l'ordre public ou la sûreté des personnes ».

Cette loi se caractérise par une longévité exceptionnelle : elle n'a été modifiée qu'à deux reprises, en 1981 et surtout en 1990.


• la loi du 2 février 1981, dite « Sécurité et liberté »

La loi dite « Sécurité et liberté » du 2 février 1981 2 ( * ) contribue à renforcer les droits des personnes hospitalisées sans leur consentement en imposant au président du tribunal de grande instance, saisi d'une demande de mainlevée d'une décision d'hospitalisation, d'organiser un débat contradictoire et de motiver sa décision, l'autorisant par là même à assurer un contrôle rigoureux de l'action de l'administration.

Ainsi, depuis 1981, le juge judiciaire n'a plus à se limiter à vérifier si l'internement est médicalement justifié : il doit également s'assurer que la décision est bien fondée eu égard à l'état de personne. Cette montée en puissance du contrôle du juge est rendue nécessaire par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme 3 ( * ) .


• la loi du 27 juin 1990, dite « loi Evin »

Enfin, la loi du 27 juin 1990, dite « loi Evin » 4 ( * ) , est venue remplacer la loi de 1838 précitée.

Cette loi consacre les droits des personnes hospitalisées contre leur gré mais conserve toutefois les deux modes d'hospitalisation sans consentement prévus par la loi de 1838 : le placement d'office est remplacé par l'hospitalisation d'office et le placement volontaire cède la place à l'hospitalisation à la demande d'un tiers.

2. Les différentes modalités d'hospitalisation sous contrainte

Comme le souligne l'étude d'impact jointe au projet de loi, l'hospitalisation libre constitue aujourd'hui le régime le plus fréquent d'admission en psychiatrie : elle représente plus des trois quarts des personnes prises en charge par les hôpitaux psychiatriques .

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de tels chiffres : en effet, le droit de refuser un traitement est lié à l'autonomie de la volonté. Le droit fondamental du patient de consentir au traitement de manière libre et éclairée et de retirer ce consentement à tout moment est reconnu à l'article L. 1111-4 du code de la santé publique 5 ( * ) . Ce droit a d'ailleurs été renforcé par l'article 3 de la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, dite « loi Léonetti » 6 ( * ) .

Toutefois, l'état de certaines personnes atteintes de troubles mentaux justifie l'existence de procédures d'hospitalisation sous contrainte .

Il ne revient pas au présent rapport pour avis de dresser un état des lieux de la santé mentale en France. On se reportera au rapport de notre collègue député Guy Lefrand qui juge la situation préoccupante et appelle de ses voeux un grand plan de santé mentale en France 7 ( * ) .

Deux chiffres sont toutefois à retenir : en France, on estime que 20 % de la population française souffre d'une pathologie psychiatrique et 1 % de schizophrénie, qui constitue sans doute la maladie mentale la plus grave 8 ( * ) .

Les personnes atteintes d'un trouble mental pouvant, dans certains cas, représenter un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, notre droit a prévu - dès 1838 on l'a dit - deux procédures d'hospitalisation sous contrainte : l'hospitalisation d'office et celle sur demande d'un tiers .

Chaque année, environ 80.000 personnes sont hospitalisées sous contrainte : 17.000 le sont d'office et 63.000 sont à la demande d'un tiers. 50 % des personnes hospitalisées contre leur gré sont atteintes de schizophrénie.

(1) L'hospitalisation d'office (HO)

Le code de la santé publique définit deux types de mesure d'hospitalisation d'office , résumées dans le tableau ci-dessous :

Hospitalisation d'office
de droit commun

Hospitalisation d'office
en urgence

Article du code
de la santé publique

Article L. 3213-1

Article L. 3213-2

Autorité compétente
pour prononcer la mesure

- à Paris,
le préfet de police ;

- dans les autres départements, les préfets

- à Paris,
les commissaires de police ;

- dans les autres départements, les maires

Conditions d'hospitalisation

2 conditions cumulatives :

- la personne doit présenter
des « troubles mentaux [qui] nécessitent des soins 9 ( * ) et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public »

- la décision du préfet est prise « au vu d'un certificat médical circonstancié »

2 conditions cumulatives :

- la personne doit présenter
un comportement révélant « des troubles mentaux manifestes » ;

- présence d'un « danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique »

(2) L'hospitalisation sur demande d'un tiers (HDT)

Le code de la santé publique prévoit une seconde procédure d'hospitalisation sous contrainte : il s'agit de l'hospitalisation sur demande d'un tiers .

Définie à l'article L. 3212-1, cette procédure ne peut être engagée que si trois conditions cumulatives sont réunies :

- la personne doit être atteinte de troubles mentaux ;

- ses troubles rendent impossible son consentement ;

- son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier.

Le même article L. 3212-1 et l'article L. 3212-2 précisent le régime applicable :

- la demande d'admission doit être accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours et circonstanciés, attestant que les trois conditions ci-dessus sont remplies ; le premier certificat médical ne peut être établi que par un médecin étranger à l'établissement accueillant le malade ; il constate l'état mental de la personne à soigner, indique les particularités de sa maladie et la nécessité de la faire hospitaliser sans son consentement. Il doit être confirmé par un certificat d'un deuxième médecin qui peut, lui, exercer dans l'établissement accueillant le malade ;

- la demande d'admission doit être présentée soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants dès lors qu'ils exercent dans l'établissement d'accueil ;

- la demande doit comporter les nom, prénoms, profession, âge et domicile tant de la personne qui demande l'hospitalisation que de celle dont l'hospitalisation est demandée et l'indication de la nature des relations qui existent entre elles ainsi que, s'il y a lieu, de leur degré de parenté ;

- l'admission en soins est prononcée par le directeur de l'établissement psychiatrique.

Précisons, pour conclure, qu'une personne peut passer d'un régime d'hospitalisation libre à celui d' hospitalisation sous contrainte . Il suffit pour cela que l'état de la personne malade réponde aux critères de l'HDT ou de l'HO énoncés plus haut.

Il est toutefois impossible de savoir s'il est fréquent ou non qu'un tel changement de régime intervienne, le ministère de la santé ayant indiqué à votre rapporteur qu' il ne disposait pas de statistiques en la matière .


* 1 Cf. rapport de notre collègue Mme Muguette Dini.

* 2 Loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.

* 3 Voir notamment l'arrêt Wintertep c/ Pays-Bas du 24 octobre 1979 qui a reconnu aux personnes placées sous un régime privatif de liberté en hôpital psychiatrique le droit de contester les constatations médicales et sociales fondant cette mesure.

* 4 Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.

* 5 Le principe du consentement implique que la personne en hospitalisation psychiatrique libre peut quitter l'établissement quand elle le souhaite.

* 6 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

* 7 Rapport n° 3189 fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 2 mars 2011 (pages 13 à 24) : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3189.asp .

* 8 Les autres pathologies psychiatriques les plus courantes sont le trouble bipolaire, l'addiction, la dépression et le trouble obsessionnel compulsif.

* 9 On notera que la loi ne fixe pas de critères pour définir la nécessité de soins. La Haute autorité de santé recommande une « définition négative » : la nécessité de soins est établie si l'absence de soins peut entraîner une détérioration de l'état du patient ou l'empêcher de recevoir un traitement approprié.

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