Avis n° 595 (2010-2011) de M. Jean-Paul EMORINE , fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 9 juin 2011

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N° 595

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juin 2011

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur le projet de loi constitutionnelle , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relatif à l' équilibre des finances publiques ,

Par M. Jean-Paul EMORINE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean-Marie Bockel, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean Boyer, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, Alain Fouché, Serge Godard, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Louis Nègre, Mmes Renée Nicoux, Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall, René Vestri.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

3253 , 3329 , 3330 , 3333 et T.A. 655

Sénat :

499 , 568 , 578 et 591 (2010-2011)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En réformant la Constitution sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, le Congrès réuni à Versailles le 17 juillet 2008 a redonné au Parlement la possibilité de jouer pleinement son rôle, dans un système institutionnel dont la création avait été marquée par la volonté de mettre en place un « parlementarisme rationnalisé ».

Le partage de l'ordre du jour, l'engagement de la discussion en séance publique sur le texte adopté en commission, le rôle nouveau joué dans les nominations sont autant de mesures fondamentales qui ont considérablement accru le pouvoir du Parlement.

Trois ans après, celui-ci est saisi d'un nouveau projet de loi constitutionnelle dont l'objectif est de stopper l'inexorable dégradation des finances publiques en enserrant les pouvoirs exécutif et législatif dans des règles de niveau constitutionnel.

Votre commission pour avis partage totalement cet objectif et se félicite, à cet égard, du dépôt du présent projet de loi tant la pente actuelle n'est plus soutenable. Si la France veut conserver une crédibilité, elle se doit d'envoyer un signal fort de sa volonté de maîtriser le creusement toujours plus grand de son déficit budgétaire.

La création des lois-cadres d'équilibre des finances publiques, prévue par le projet de loi, s'inscrit parfaitement dans le contexte du « pacte pour l'euro » adopté en mars dernier, qui demande la mise en place de règles budgétaires strictes. Ces lois-cadres contraindront en effet le législateur financier à respecter annuellement la trajectoire des finances publiques décidée sur une période pluriannuelle, sous peine de censure constitutionnelle.

Votre commission pour avis approuve pleinement cette mesure et déplore, pour cette raison même, qu'elle s'accompagne d'une disposition qui, à l'analyse, ne paraît pas de nature à répondre au problème du déficit budgétaire : l'institution d'un monopole des lois de finances (LF) et des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) en matière de prélèvements obligatoires.

En effet, l'efficacité de cette mesure semble limitée quant à la maîtrise des comptes publics, alors que ses répercussions sur les droits du Parlement sont importantes . Son adoption reviendrait, trois ans après la réforme constitutionnelle rappelée en préambule, à revenir sur une partie de ses acquis, en réduisant le droit d'initiative des parlementaires et en exonérant toutes les réformes relatives aux prélèvements obligatoires des innovations constitutionnelles adoptées en 2008.

Outre le Parlement en général, c'est la place du Sénat qui se trouverait affectée par cette disposition , puisque l'Assemblée nationale serait systématiquement prioritaire sur tous les volets financiers des réformes, y compris celles relatives aux collectivités territoriales.

La commission de l'économie, qui exerce ses compétences sur de nombreuses politiques publiques dont la mise en oeuvre nécessite le recours à la fiscalité, a souhaité, à l'unanimité, se saisir pour avis du présent projet de loi constitutionnelle, principalement sur ses dispositions relatives au monopole.

Votre rapporteur pour avis les a examinées dans un souci de responsabilité, à la lumière de l'objectif fixé par le projet de loi, qu'il partage pleinement, de maîtrise des comptes publics .

C'est d'ailleurs pourquoi il a souhaité proposer une évolution du droit actuel qui prenne en compte cet objectif sans s'exposer aux inconvénients du monopole. Le dispositif adopté par la commission, sur lequel le présent rapport reviendra, permet ainsi de maintenir les droits du Parlement tout en renforçant le contrôle des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale sur le cadrage financier des évolutions législatives.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE MONOPOLE DES LOIS FINANCIÈRES EN MATIÈRE DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES : UN OUTIL DE RÉDUCTION DES DÉFICITS BUDGÉTAIRES ?

Avec une dette publique de près de 1 600 milliards d'euros et un déficit public, encore accru par la crise économique de 2008, qui a atteint 7 % du produit intérieur brut (PIB) en 2010, nul ne saurait ignorer la nécessité de faire preuve de créativité pour adopter des règles contraignantes contribuant à mettre fin à la dérive budgétaire.

Les deux mesures principales prévues par le présent projet de loi constituent à cet égard à l'évidence des innovations majeures dans notre ordre constitutionnel. Mais répondent-elles toutes les deux à l'objectif visé ?

Si votre commission pour avis approuve totalement la création des lois-cadres d'équilibre, elle estime en revanche que le monopole n'est pas de nature à répondre efficacement au problème soulevé .

A. LES LOIS-CADRES, INSTRUMENT ESSENTIEL DU RETOUR À L'ÉQUILIBRE DES COMPTES PUBLICS

1. De nouvelles obligations fixées aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale

À la suite de la conférence sur le déficit qui s'est tenue le 28 janvier 2010, un groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, a été chargé de réfléchir à l'amélioration de la gouvernance budgétaire et aux conditions de réalisation de l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques, inscrit à l'article 34 de la Constitution depuis la révision du 23 juillet 2008.

Reprenant la principale préconisation du rapport issu de ses travaux 1 ( * ) , l'article 1 er du projet de loi constitutionnelle prévoit la création d'une nouvelle catégorie de lois : les lois-cadres d'équilibre des finances publiques, qui remplaceront les actuelles lois de programmation des finances publiques.

Ce faisant, il s'inscrit dans un contexte global d'institution de règles budgétaires contraignantes rappelées par la commission des lois de l'Assemblée nationale dans son rapport sur le présent texte 2 ( * ) . Celui-ci observe à ce sujet que l'inscription des règles budgétaires à un niveau constitutionnel reste relativement rare puisque, parmi les 160 règles budgétaires recensées par le FMI dans 90 pays en 2009, seules sept d'entre elles 3 ( * ) relèvent de ce niveau.

Au terme de l'article 1 er du texte transmis au Sénat, ces lois-cadres détermineront, pour au moins trois années , les orientations pluriannuelles , les normes d'évolution et les règles de gestion des finances publiques . Elles fixeront, pour chaque année , un objectif constitué d'un maximum de dépenses et d'un minimum de recettes qui s'imposera aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale . Celles-ci feront l'objet d'un examen systématique par le Conseil Constitutionnel , qui devra se prononcer sur leur conformité à la loi-cadre d'équilibre.

2. Un signal fort de la volonté de la France de maîtriser ses comptes publics

Si beaucoup de dispositions sont renvoyées à des lois organiques (notamment les conditions de modification d'une loi-cadre en cours d'exécution, élément essentiel du dispositif pour assurer la crédibilité de la réforme), l'institution des lois-cadres n'en constitue pas moins une innovation majeure.

Le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi souligne ainsi l'enjeu vis-à-vis des institutions européennes : « en prévoyant la mise en place d'un mécanisme de cette nature (la loi-cadre), le présent projet de loi constitue donc une étape importante dans le développement de la coordination des politiques économiques, impulsé par la France et l'Allemagne et nécessaire à la pérennité de la zone euro » 4 ( * ) .

Le rapport poursuit ainsi : « La raison d'être du présent projet de loi constitutionnelle réside dans l'inscription dans la Constitution du principe d'une norme s'imposant aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale en vue d'assurer l'équilibre des comptes publics » 5 ( * ) .

A contrario, et sans anticiper sur les développements à venir, on relèvera que l'institution même de ces lois-cadres a conduit la commission des lois de l'Assemblée nationale à s'interroger sur l'utilité du monopole : « Les difficultés posées par cette réforme apparaissent d'autant plus excessives que le monopole est rendu inutile par l'existence même du nouveau mécanisme des lois-cadres d'équilibre des finances publiques : toute disposition entraînant une perte de recette votée dans une loi ordinaire sera intégrée dans le calcul des mesures nouvelles de recettes ce qui obligera la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale à en tenir compte pour se conformer au plancher fixé dans la loi-cadre. La présence dans des lois ordinaires de mesures fiscales ou relatives aux cotisations sociales ne constitue donc pas une « fuite » par rapport à la norme d'évolution des finances publiques définie dans la loi-cadre » 6 ( * ) .

B. LE MONOPOLE, DISPOSITIF À L'EFFICACITÉ DISCUTABLE POUR RÉDUIRE LES DÉFICITS

Le rapport de M. Michel Camdessus évoque, parmi les lacunes de la gestion publique, la « contradiction entre la nécessaire discipline des procédures d'adoption des lois financières et la dispersion des sources d'initiative à leur propos ».

Afin de remédier aux effets jugés pernicieux de cette « dispersion » en matière fiscale, le monopole, institué par l'article 1 er du projet de loi 7 ( * ) , supprime l'initiative parlementaire pour ce qui concerne les propositions de lois comportant des dispositions fiscales et limite le droit d'amendement en matière fiscale aux seules lois financières.

En outre, constitutionnalisant les dispositions de la circulaire du 4 juin 2010 8 ( * ) et, à travers elle, les règles de la discipline gouvernementale, il supprime aussi l'initiative des ministres en matière fiscale dans leurs champs de compétences respectifs, hors loi de finances.

Ainsi, comme l'ont constaté les commissions saisies sur le texte à l'Assemblée nationale, les deux principales « cibles » du monopole sont, d'une part, les parlementaires , à travers leur droit d'initiative et, d'autre part, le législateur « ordinaire » . Peut-on trouver là un gisement d'économies à la hauteur des données budgétaires rappelées plus haut ?

Si seule une analyse approfondie permet de répondre à cette question, en revanche l'extension du monopole aux mesures fiscales créant ou augmentant des recettes n'est guère compréhensible au regard de l'objectif, puisqu'il aboutit à supprimer deux sources potentielles de hausses de recettes .

1. Une initiative parlementaire en matière financière déjà très restreinte par l'article 40 de la Constitution

Contrairement au Gouvernement, les parlementaires sont déjà fortement contraints par l'application de l'article 40 de la Constitution, qui interdit le dépôt d'amendements entraînant une diminution des ressources publiques ou la création ou l'aggravation d'une charge publique

L'existence même de l'article 40 peut faire naître des doutes quant à la possibilité de réaliser d'importantes économies en supprimant ou limitant l'initiative parlementaire en matière fiscale.

S'il est difficile de quantifier précisément l'ensemble des pertes de recettes qui seraient issues d'amendements ou de propositions de loi parlementaires, il apparaît judicieux de s'appuyer, en la matière, sur les observations émises par le président de la commission des finances du Sénat, M. Jean Arthuis, placé par définition à un poste éminent pour rendre compte de l'application de l'article 40.

Celui-ci relevait ainsi, dans l'exposé des motifs de son amendement tendant à l'abrogation de l'article 40 déposé sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la V ème République, deux éléments fondamentaux :

- d'une part, le creusement continu des déficits en dépit de l'application de l'article 40 : « l'existence de l'article 40 n'a pas empêché l'accroissement depuis 1958 des dépenses publiques (+ 20 points de PIB) et la constitution d'un stock de dette publique considérable » ;

- d'autre part, le sens de la responsabilité des parlementaires : « les parlementaires, nonobstant les doutes que d'aucuns pourraient encore avoir, sont des « sages budgétaires ».

Il proposait ainsi, en supprimant l'article 40, de « rééquilibrer les pouvoirs du gouvernement et du Parlement dans la procédure législative » en faisant « le pari, qu'en rendant leur liberté aux parlementaires, ils mesureront et assumeront la plénitude de leurs responsabilités ».

Force est de constater que le monopole fait le pari inverse puisqu'il durcit l'application de l'article 40 en interdisant l'adoption de propositions de loi comportant des mesures fiscales ou ayant des incidences financières 9 ( * ) et en restreignant le droit d'amendement aux seules lois financières.

2. Un législateur « ordinaire » peu dépensier en proportion

S'agissant des dépenses fiscales générées dans les lois ordinaires, il est cette fois possible de disposer de chiffres, fournis dans le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

- plus de la moitié de l'impact budgétaire des mesures nouvelles ayant diminué l'impôt sur le revenu depuis 2000 s'explique non par la création de niches fiscales mais par des réformes du barème effectuées dans des lois de finances 10 ( * ) , cette proportion s'établissant aux deux tiers si l'on exclut l'impact budgétaire de la prime pour l'emploi, dont la création par une loi ordinaire est purement circonstancielle 11 ( * ) ;

- sur l'ensemble des mesures nouvelles relatives aux recettes fiscales de l'État adoptées ces dix dernières années, l'impact budgétaire des mesures prises dans des lois non financières est inférieur à 16 %, l'essentiel des allégements d'impôts, soit plus de 84 % de l'impact cumulé des mesures nouvelles, étant imputable à des LF ou à des LFSS : sur environ 68 milliards d'euros de baisses d'impôts consenties de 2000 à 2009, 57 milliards d'euros sont imputables à des mesures prises dans des lois de finances ou des lois de financement de la sécurité sociale, tandis que 11 milliards d'euros découlent de mesures prises dans des lois ordinaires 12 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis ne peut que s'étonner, en conséquence, de l'assimilation parfois effectuée des commissions - à l'exception de celle des finances -, notamment de celle de l'économie, à des commissions « dépensières » .

A titre d'exemple, il rappelle que, dans le cadre de la loi de modernisation agricole 13 ( * ) , deux nouvelles taxes ont été créées, l'une destinée notamment à financer l'installation des jeunes agriculteurs 14 ( * ) .

De même, la commission de l'économie du Sénat avait fait adopter, dans la loi portant engagement national pour le logement, une disposition donnant une nouvelle ressource aux maires, en leur permettant de récupérer une partie de la plus-value générée par la constructibilité des terrains, disposition aujourd'hui adoptée par plus de 5 300 communes 15 ( * ) .

Enfin, la réforme des taxes locales d'électricité effectuée dans le cadre de la loi NOME 16 ( * ) , introduite par voie d'amendement parlementaire, a conduit à une augmentation de recettes pour l'État de l'ordre de 75 millions d'euros. L'objectif était de répondre à une mise en demeure de la Commission européenne : l'introduction du dispositif dans cette loi a conduit à une suspension du contentieux engagé par la Commission européenne 17 ( * ) . Si elle n'avait pas été possible, la France aurait sans doute dû payer des pénalités.

Pour ce qui concerne les initiatives d'origine gouvernementale prises dans des lois ordinaires - dont certaines, comme la baisse de la TVA dans la restauration ou le crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt, représentent à elles seules une part très importante des dépenses fiscales générées par le législateur ordinaire -, nul ne saurait dire quel aurait été leur destin si le Gouvernement avait choisi des lois financières pour les faire adopter. Dans le deuxième exemple toutefois, la commission saisie au fond aurait été la même.

3. Une extension du monopole aux recettes fiscales sans rapport avec l'objectif de réduction des déficits

Votre commission pour avis s'interroge fortement sur le lien entre l'objectif de réduction du déficit et l'extension du monopole aux mesures fiscales créant ou augmentant des recettes, sans même évoquer les dispositifs fiscaux neutres financièrement, et parfois rendus nécessaires par des réformes sectorielles, comme le rapport le montrera un peu plus loin.

Ceci pose au demeurant un problème de fond : les commissions n'auraient plus, si le monopole était adopté, d'autre choix que d'apparaître dépensières puisqu'elles n'auraient plus la capacité de proposer des recettes fiscales compensant les dépenses induites par les réformes qui leur sont proposées par le Gouvernement .

II. LE RISQUE D'UNE ATTEINTE AUX DROITS DU PARLEMENT

Si des doutes peuvent subsister sur la portée du monopole s'agissant de la réduction des déficits publics, il est en revanche difficilement contestable que ses répercussions sur le rôle du Parlement sont importantes.

La balance entre ses effets bénéfiques supposés et ses conséquences négatives avérées a conduit logiquement votre commission pour avis à s'interroger sur son opportunité.

A. DES EFFETS SUR LES POUVOIRS DU PARLEMENT

A travers la réduction du champ de l'initiative et l'accroissement du rôle des lois de finances, le monopole remet en cause une partie des acquis de la réforme constitutionnelle de 2008. Le Sénat est, à cet égard, davantage concerné que l'Assemblée nationale, puisque celle-ci dispose d'un traitement privilégié dans le cadre des lois financières.

1. La place du Sénat dans l'équilibre institutionnel

Le monopole entraîne l'obligation pour le Gouvernement de faire figurer les volets financiers de ses réformes dans des PLF ou des PLFSS. Ceci conduit à une priorité de l'Assemblée nationale sur le volet financier de toutes les réformes.

La nécessité devant laquelle serait placée le Gouvernement d'accompagner ses grandes réformes de projets de loi de finances aggraverait cette situation puisqu'elle conduirait, par cohérence, à un dépôt devant l'Assemblée nationale de toutes ces réformes.

En outre, comme le démontre excellemment le rapport de la commission des lois du Sénat 18 ( * ) , le monopole pose un problème particulier s'agissant des collectivités territoriales.

D'une part, si l'on considérait que seule une loi de finances pouvait fixer les ressources compensant les charges résultant d'un transfert de compétences de l'État aux collectivités territoriales, comment le Conseil constitutionnel, saisi de la loi transférant les compétences, pourrait-il apprécier le respect de l'exigence de compensation fixé par l'article 72-2 de la Constitution ?

D'autre part, dans ce cas, les deux textes ne pourraient cheminer parallèlement puisque le Sénat serait saisi du texte relatif aux compétences tandis que le projet de loi de finances concernant les ressources serait déposé à l'Assemblée nationale.

En tout état de cause, une telle disposition serait de nature à remettre en cause la priorité d'examen du Sénat sur les textes ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, ce que votre commission pour avis juge difficilement acceptable.

2. Une limitation de l'initiative parlementaire

A la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'impossibilité d'adopter des propositions de loi à caractère fiscal apparaît contradictoire avec l'article 39 de la Constitution qui prévoit que « l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ».

Le Conseil a en effet jugé, dans une décision de 1991, que « réserver aux seules lois de finances la création ou la modification d'une ressource fiscale en cours d'année limiterait, contrairement aux articles 39 et 40 de la Constitution, l'initiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit d'amendement, puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement » 19 ( * ) .

Il convient de souligner que la proportion de propositions de loi adoptées par le Parlement qui comportent soit des dispositions de nature fiscale, soit un article de gage, est loin d'être négligeable. Ainsi, n'auraient pas pu être adoptées en l'état, en 2010, les textes suivants, issus de propositions de loi :

- la loi organique tendant à permettre à Saint-Barthélemy d'imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, présentée par M. Michel Magras ;

- la loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, présentée par MM. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues ;

- la loi relative au service civique, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen ;

- la loi pour le développement des sociétés publiques locales, présentée par M. Daniel Raoul ;

- la loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, présentée par Mme Danielle Bousquet.

La réforme constitutionnelle instituant une semaine d'initiative parlementaire n'étant en vigueur que depuis 2009, on peut penser que cette proportion serait appelée à augmenter, au fur et à mesure de l'appropriation de ce nouveau droit par le Parlement.

Enfin, l'instauration du monopole condamnerait sans doute la technique du « gage » utilisée par les parlementaires puisque celui-ci constitue lui-même une mesure fiscale. En conséquence, il ne serait plus possible d'adopter des amendements hors loi de finance ou des propositions de loi entraînant des baisses de recettes y compris non fiscales. Ainsi, la portée de l'article 40 serait encore plus lourde qu'aujourd'hui : les parlementaires ne pourraient plus déposer, hors loi de finances, aucun amendement ni aucune proposition de loi ayant une portée financière .

3. Des lois financières qui échappent aux innovations constitutionnelles de 2008

Le renvoi de la totalité des dispositions fiscales dans les PLF et les PLFSS pourrait peser sur les conditions d'examen desdites dispositions et les dispenserait des innovations constitutionnelles de 2008 :

- les délais d'adoption sont contraints, puisque l'article 47 de la Constitution prévoit un délai de 70 jours entre le dépôt d'un PLF et son adoption, et l'article 47-1 un délai de 50 jours entre le dépôt d'un PLFSS et son adoption ;

- la procédure accélérée est systématique sur ces textes ;

- les PLF et PLFSS sont examinés en séance publique dans le texte du Gouvernement et non dans celui de la commission ;

- la procédure d'opposition à l'inscription à l'ordre du jour d'un projet de loi en cas de contestation de la qualité des études d'impact n'est pas applicable à ces textes. L'institution du monopole aurait donc pour effet de priver la Conférence des présidents de la possibilité de contester la qualité des études d'impact des mesures législatives proposées par le Gouvernement en matière de prélèvements obligatoires, ce qui semble à cet égard contradictoire avec l'objectif de maîtrise des comptes publics ;

- les pratiques du vote bloqué et de la seconde délibération sont utilisées fréquemment pour ces projets.

B. DES RÉPERCUSSIONS SUR L'ORGANISATION DU TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Il est noté, dans le rapport Camdessus, à la suite du développement sur le monopole : « Il a néanmoins été fait observer que cet objectif d'une vision moins éclatée introduit une rigidité pour la discussion par le Parlement de réformes d'ampleur ».

En dissociant systématiquement l'examen d'une réforme des dispositions fiscales qui lui sont liées, le monopole pourrait nuire à la cohérence des textes et contribuer à l'encombrement de l'ordre du jour. Le dédoublement systématique des mesures relatives à une réforme donnée dans deux textes différents pose ainsi des questions concernant l'organisation du travail parlementaire. Deux scénarios sont possibles :

- soit le regroupement de la majorité des dispositions fiscales dans la loi de finances examinée à l'automne : ce scénario apparaît difficilement tenable ;

- soit la multiplication des projets de loi de finances rectificatives, voire l'association systématique d'un PLF à une réforme donnée : ce scénario, inévitable pour que le monopole puisse fonctionner, soulève quelques interrogations.

1. Une perte de cohérence des réformes

Le monopole interdit, tout d'abord, d'examiner une politique donnée à la lumière des coûts et des économies qu'elle induit. Au-delà de la question des coûts, certaines mesures fiscales, neutres financièrement, peuvent être indissociables de réformes de structures impossibles à opérer dans une loi de finances du fait de la jurisprudence sur les cavaliers budgétaires.

Ainsi, il était indispensable que la loi réformant les réseaux consulaires 20 ( * ) , qui a prévu un schéma de fusion volontaire des chambres de métiers et de l'artisanat de niveau infrarégional au sein de la chambre de ressort régional, prévoit simultanément les conséquences de cette fusion sur les ressources (fiscales) qui leur sont affectées.

De même, la loi relative aux libertés et responsabilités locales comportait des dispositions relatives aux fusions d'établissements publics de coopération intercommunale qui étaient indissociables des conséquences de ces fusions sur la fiscalité locale 21 ( * ) .

De manière plus systématique encore, dès lors qu'une mesure modifierait les dispositions servant de base à la définition d'une assiette fiscale, relèverait-elle du monopole ?

2. Un calendrier budgétaire difficile à tenir en l'état

Le calendrier fixé par la Constitution pour l'adoption des lois de finances voire de financement de la sécurité sociale apparaît difficilement compatible avec le monopole, si celui-ci conduisait à concentrer toutes les mesures fiscales dans la loi de finances examinée à l'automne.

Un tel scénario n'est, en tout état de cause, guère souhaitable au regard des observations sur les conditions actuelles d'examen des lois de finances soulignées par le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, M. Gilles Carrez : « On assiste depuis plusieurs années à un décalage inquiétant entre, d'une part, l'alourdissement spectaculaire du volume des lois de finances et de financement, et, d'autre part, la réduction continue des délais laissés au Parlement pour les examiner. (...) Compte tenu de la procédure particulière qui les encadre, les lois de finances et de financement n'ont pas été conçues comme des outils législatifs destinés à procéder à des réformes de grande ampleur , nécessitant du temps à la fois pour leur préparation, leur évaluation et leur adoption, mais comme des textes avant tout budgétaires, ayant vocation à définir un équilibre entre des ressources et des charges » 22 ( * ) .

En outre, le monopole aboutirait à une saisine systématique pour avis des commissions sur la première partie de la loi de finances, ce qui allongerait les débats budgétaires.

On peut s'interroger sur la possibilité, dans ces conditions, de respecter les délais actuellement impartis pour l'examen des projets de loi de finances.

3. Un monopole qui pourrait entraîner une multiplication des PLFR

Pour que le monopole fonctionne, il faudrait donc, en réalité, que le Gouvernement accompagne ses réformes de projets de loi de finances rectificative. Le ministre du budget l'a d'ailleurs bien expliqué en séance publique à l'Assemblée nationale : « Par ailleurs, cette réforme n'empêche nullement une évolution des pratiques. Ainsi, lorsque des réformes fiscales ou budgétaires importantes exigeront un débat parlementaire spécifique et prolongé, le Gouvernement pourra déposer un projet de loi financier ad hoc ».

Une telle dissociation ne serait pas forcément gage d'une meilleure cohérence , sauf à considérer qu'il y aurait parfaite coïncidence entre l'examen d'un projet de loi sectoriel et celui du projet de loi de finances comportant son volet fiscal.

Mais dans ce cas, si les deux textes devaient, au nom de la nécessaire cohérence, cheminer parallèlement, les conséquences en seraient les suivantes :

- le Sénat serait systématiquement la seconde assemblée saisie , non seulement sur le PLF mais aussi sur la réforme qui l'accompagnerait ;

- dans la mesure où, à compter de son dépôt, le PLF doit être adopté dans les 70 jours qui suivent, ceci pourrait entraîner une systématisation de la procédure accélérée sur les projets de loi concernés.

A contrario, s'il n'y avait pas parfaite coïncidence entre les deux textes, le travail parlementaire en serait compliqué . D'une part, l'examen non simultané de dispositifs proches pourrait altérer les conditions dans lesquels les parlementaires légifèrent, l'incertitude sur les modifications à attendre de l'un rendant très difficile le travail de coordination sur l'autre 23 ( * ) . D'autre part, les répercussions sur l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire devraient être prises en considération, puisque cette articulation nécessiterait une discussion spécifique sur chaque texte.

4. L'institutionnalisation d'un déséquilibre entre commissions permanentes

Enfin, le monopole introduit une hiérarchie entre les textes financiers et les autres textes législatifs, privés d'une matière reconnue aujourd'hui par l'article 34 de la Constitution comme faisant partie par nature du domaine de la loi.

L'imposition est une source de financement des dépenses mais elle est aussi un instrument de mise en oeuvre des politiques publiques . A ce titre, si la compétence des commissions des finances et des affaires sociales sur la première doit être reconnue, il en va de même pour celle de l'ensemble des commissions sur les politiques publiques relevant de leur champ de compétences.

C'est d'ailleurs pourquoi la commission des finances se saisit fréquemment pour avis des projets de loi comportant des mesures fiscales, apportant un éclairage opportun. Ce fut, par exemple, le cas pour l'examen du volet fiscal du projet de loi précité sur les chambres consulaires. Le principe de la saisine pour avis apporte ainsi une réponse opérationnelle au problème des chevauchements de compétences entre commissions.

On peut toutefois relever que les textes financiers sont les seules lois pour l'examen desquelles les commissions pour avis n'ont aucun représentant en commission mixte paritaire (CMP). Votre rapporteur pour avis juge cette différence de traitement difficilement justifiable et estime que les commissions pour avis devraient pouvoir être représentées en CMP sur les textes financiers si elles le souhaitent .

En tout état de cause, si le principe actuel (saisine de la commission des finances sur les dispositions fiscales des lois ordinaires) devait, du fait du monopole, s'inverser (saisine systématique des commissions sur les lois financières), cela ne pourrait se faire, à l'évidence, que dans des conditions strictement équivalentes, c'est-à-dire avec une représentation des commissions pour avis en CMP.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION POUR AVIS

A. UNE POSITION PROCHE DE CELLES PRISES PAR LA PLUPART DES COMMISSIONS

1. La suppression pure et simple du monopole en commission des lois et des affaires sociales à l'Assemblée nationale

Saisie au fond du texte, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de suppression des dispositions relatives au monopole, en développant, dans son rapport, de nombreux arguments à son encontre.

Son président, M. Jean-Luc Warsmann, a indiqué en commission : « l'objectif de réduction des déficits des publics doit être concilié avec le respect des droits du Parlement et du choix des citoyens. Les amendements que je vais vous soumettre, résultent d'un travail en commun avec les rapporteurs des deux commissions saisies pour avis, permettant d'arriver à un texte équilibré » 24 ( * ) .

La commission des affaires sociales, saisie pour avis, a également adopté un amendement de suppression de ces dispositions et relevé : « les conséquences de la constitutionnalisation du monopole actuellement défini par la circulaire du 4 juin 2010 seraient beaucoup trop considérables pour qu'elle puisse être jugée opportune ».

2. L'adoption d'un « monopole partagé » en commission des finances à l'Assemblée nationale

Si elle a indiqué partager la philosophie du monopole, la commission des finances de l'Assemblée nationale, saisie pour avis, a toutefois émis, par la voix de son rapporteur général, de fortes réserves sur la restriction apportée au droit d'initiative.

M. Gilles Carrez a ainsi indiqué en commission : « La solution du Gouvernement me semble intégriste. Les textes d'accueil des amendements ne pouvant être que des lois de finances ou de financement - qui sont le monopole de l'exécutif - les parlementaires seraient privés de la faculté de faire la moindre proposition de loi comportant des éléments de recettes. Ils seraient soumis au bon vouloir du Gouvernement » 25 ( * ) .

C'est pourquoi la commission des finances a proposé un amendement remplaçant le monopole absolu des LF et des LFSS en matière de prélèvements obligatoires par un monopole partagé entre ces textes financiers et une nouvelle catégorie de lois, les lois de prélèvements obligatoires.

Ces lois seraient des lois ordinaires qui ne pourraient contenir que des dispositions relatives aux impositions de toute nature et aux autres ressources de la sécurité sociale, et dont l'examen serait évidemment renvoyé à la commission des finances.

Le président de la commission des finances, M. Jérôme Cahuzac, a proposé une autre solution, consistant à donner aux LF et aux LFSS le monopole de l'entrée en vigueur des dispositions législatives concernant les prélèvements obligatoires. Celles-ci pourraient continuer à être adoptées dans des lois ordinaires, mais devraient être validées en loi de finances pour entrer en vigueur.

3. La suppression du monopole par les commissions des lois et des affaires sociales du Sénat au profit d'un dispositif de validation

Votre rapporteur pour avis tient à remercier le président-rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, de l'initiative qu'il a prise d'auditionner les présidents de commission concernés par la réforme.

La commission des lois, saisie au fond du projet de loi, et la commission des affaires sociales, saisie pour avis, ont adopté un amendement supprimant le monopole et le remplaçant par un dispositif de validation des mesures fiscales en loi de finances.

4. Le maintien du monopole par la commission des finances du Sénat

La commission des finances du Sénat n'a pas adopté de modification de l'article 1 er sur les dispositions relatives au monopole, mais un amendement après l'article 2 précisant que « Lorsqu'un projet de loi nécessite, pour sa mise en oeuvre, des dispositions relevant du vingtième alinéa de l'article 34, le Gouvernement dépose simultanément un projet de loi de finances ou un projet de loi de financement de la sécurité sociale ».

B. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION POUR AVIS

Soucieuse de prendre en compte l'objectif poursuivi par le projet de loi et de faire preuve d'esprit de responsabilité, votre commission pour avis a adopté un amendement remplaçant le monopole des lois financières en matière de prélèvements par un dispositif permettant de contrôler chaque année le cadrage financier des évolutions législatives en LF ou en LFSS .

Cet amendement redonne au législateur ordinaire la possibilité d'adopter des mesures fiscales mais ne dispense en aucune façon le législateur financier du respect de la trajectoire fixée par les lois-cadres d'équilibre. Il lui donne simplement les moyens de respecter les obligations constitutionnelles qui pèseront sur lui.

Pour cela, l'amendement diffère au 1 er janvier de l'année suivant leur adoption l'entrée en vigueur des mesures qui réduisent les recettes fiscales ou les ressources de la sécurité sociale , afin de permettre leur réexamen à l'occasion des LF et des LFSS.

Cette solution évite les inconvénients exposés précédemment, tout en poursuivant l'objectif de maîtrise des déficits et en s'intégrant dans le cadre des lois-cadres d'équilibre :

- la loi-cadre d'équilibre définissant un plancher minimal de recettes, il est logique d'autoriser l'entrée en vigueur immédiate de dispositions prévoyant des recettes supplémentaires ;

- le renvoi de l'entrée en vigueur de dispositions conduisant à une perte de recettes au 1 er janvier permet à la LF ou à la LFSS d'intervenir pour prendre les mesures d'économie nécessaires ou pour revenir sur ces dispositions si elles sont jugées trop coûteuses , au regard de l'équilibre défini par la loi-cadre qui s'imposera constitutionnellement aux LF et aux LFSS.

Cet amendement se situe dans le même esprit que celui adopté par les commissions des lois et des affaires sociales puisqu'ils ont tous en commun de supprimer le monopole tel qu'il est proposé dans le texte. Cependant, en inversant la charge de la preuve, il évite de demander au Parlement de se prononcer systématiquement deux fois sur la même disposition, obligation de nature à affaiblir la portée de son vote et à rouvrir par construction tous les débats sur le sujet sensible des prélèvements obligatoires.

La commission a, par coordination, adopté deux amendements tendant à la suppression des articles 2 bis et 9 bis , et un amendement supprimant le monopole des lois de finances, à l'article 11, s'agissant des ressources des collectivités territoriales.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er  (Article 34 de la Constitution)  Institution d'un monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires  et création des lois-cadres d'équilibre des finances publiques

Commentaire : cet article attribue aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale le monopole de l'édiction des règles applicables aux prélèvements obligatoires. Il crée en outre un nouveau type de lois, les lois-cadres d'équilibre des finances publiques.

I. Le projet de loi constitutionnelle initial

Le présent article du projet de loi constitutionnelle initial modifie l'article 34 de la Constitution , qui définit le domaine de la loi.

Son exclut du domaine de la loi les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions.

Son précise que la loi détermine les principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions insérées par le 3°.

Son constitue le coeur du dispositif du présent article . Il a deux objectifs :

- il institue le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale pour l'édiction des règles applicables aux prélèvements obligatoires . Il prévoit en effet que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale fixent les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent quant à elles les principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale ;

- il crée un nouveau type de lois : les lois-cadres d'équilibre des finances publiques . Ces lois ont vocation à définir les normes d'évolution et les orientations pluriannuelles des finances publiques, ceci afin d'assurer l'équilibre des comptes des administrations publiques. Leur contenu, la période qu'elles couvrent ainsi que les dispositions qu'elles contiennent et qui s'imposeront aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale seront précisés par une loi organique.

Son supprime, en conséquence, l'alinéa de l'article 34 faisant référence à la définition des orientations pluriannuelles des finances publiques par des lois de programmation et affirmant l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.

II. Les modifications introduites par l'Assemblée nationale

Les députés ont modifié le présent article, afin de préciser les règles relatives aux lois-cadres d'équilibre . Ils ont ainsi introduit les éléments suivants :

- ces lois s'appliqueront sur une période d'au moins trois ans ;

- elles détermineront également les règles de gestion des finances publiques ;

- elles fixeront pour chaque année un objectif constitué d'un maximum de dépenses et d'un minimum de recettes s'imposant aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale . Les écarts constatés lors de l'exécution des premières ou de l'application des secondes seront compensés dans les conditions prévues par une loi organique ;

- la modification des lois cadres d'équilibre pourra avoir lieu dans les conditions prévues par une loi organique ;

- une loi organique précisera enfin les dispositions des lois-cadres, autres que l'objectif annuel évoqué précédemment, qui s'imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

III. La position de votre commission pour avis

Votre commission pour avis approuve pleinement la création des lois-cadres d'équilibre prévue par l'article 1 er , mais ne peut, pour les raisons détaillées dans l'exposé général, en faire autant pour le dispositif du monopole.

C'est pourquoi elle a adopté un amendement supprimant celui-ci et le remplaçant par un dispositif alternatif, maintenant les droits du Parlement tout en augmentant le contrôle des dépenses fiscales et sociales par les LF et les LFSS. Pour cela, l'amendement prévoit que l'entrée en vigueur des mesures relatives à la fiscalité et aux ressources de la sécurité sociale serait différée au 1 er janvier de l'année suivant leur adoption, afin de permettre leur réexamen à l'occasion des LF et des LFSS.

Votre commission pour avis vous propose d'adopter cet amendement et cet article ainsi modifié.

Article 2 bis (nouveau) (Article 41 de la Constitution)  Procédure d'irrecevabilité des dispositions méconnaissant le monopole

Commentaire : cet article institue une procédure d'irrecevabilité des dispositions législatives allant à l'encontre du monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

I. L'initiative de l'Assemblée nationale

A l'initiative de M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, les députés ont introduit le présent article qui modifie l'article 41 de la Constitution portant sur l'irrecevabilité réglementaire des amendements parlementaires et des propositions de loi.

Le présent article prévoit que l'irrecevabilité pourra désormais être opposée par le Gouvernement ou par le Président de l'assemblée à tout amendement ou à toute proposition de loi :

- allant à l'encontre du monopole institué au profit des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ;

- allant à l'encontre des dispositions des deuxième et quatrième alinéas de l'article 72-2 de la Constitution, tels que modifiés par l'article 11 du présent projet de loi constitutionnel, qui réserve aux lois de finances la compétence en matière de fiscalité locale.

Cet article additionnel instaure en pratique le monopole des lois des finances et de financement de la sécurité sociale en matière fiscale.

La procédure relative à la recevabilité des amendements ou des propositions de loi s'agissant du partage entre domaine réglementaire et législatif est ainsi organisée par l'article 45 du règlement du Sénat :

« L'irrecevabilité (...) peut être opposée par le Gouvernement ou par le Président du Sénat à une proposition ou à un amendement avant le commencement de sa discussion en séance publique. Lorsqu'elle est opposée par le Gouvernement ou par le Président du Sénat en séance publique, la séance est, s'il y a lieu, suspendue jusqu'à ce que le Président du Sénat ou, selon le cas, le Gouvernement ait statué, si l'irrecevabilité est opposée à une proposition ; si elle est opposée à un amendement, la discussion de celui-ci et, le cas échéant, celle de l'article sur lequel il porte est réservée jusqu'à ce que le Président du Sénat ou, selon le cas, le Gouvernement ait statué ».

Il convient d'ajouter que, dans une décision de 2009, le Conseil constitutionnel a précisé que, « d'après les articles 40 et 41, le Gouvernement peut s'opposer, dès l'examen en commission , à la recevabilité des propositions et amendements (...) lorsque ces propositions ou ces amendements ne sont pas du domaine de la loi » 26 ( * ) .

Ainsi, au terme du texte adopté par l'Assemblée nationale, le Gouvernement ou le président de l'assemblée pourront, dès le stade de la commission, opposer à ces amendements ou à ces propositions de loi l'irrecevabilité : seul leur dépôt serait donc garanti.

II. La position de votre commission pour avis

Par coordination avec son amendement à l'article 1 er , la commission a adopté un amendement de suppression de cet article.

Votre commission pour avis vous propose de supprimer cet article.

Article 9 bis (nouveau) (Article 61-2 (nouveau) de la Constitution)  Censure par le Conseil constitutionnel  des dispositions méconnaissant le monopole

Commentaire : cet article prévoit le contrôle systématique par le Conseil constitutionnel du respect du monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

I. L'initiative de l'Assemblée nationale

Le présent article est issu d'un amendement du Gouvernement, modifié par un sous-amendement de M. Charles de Courson.

Il introduit , au sein du titre VII de la Constitution relatif au Conseil constitutionnel, un nouvel article 61-2 : cet article prévoit que le Conseil, quand il est saisi d'une loi autre qu'une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale, examine la conformité à la Constitution des dispositions méconnaissant le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Actuellement, le Conseil constitutionnel ne censure pas les dispositions à caractère réglementaire car il estime que le Gouvernement a le pouvoir, y compris après l'adoption d'un texte, par le biais de l'article 37-1, d'assurer la protection du domaine réglementaire contre d'éventuels empiètements de la loi. Dans le cas de la protection du monopole, cet argument tombe puisqu'il n'existe pas l'équivalent de l'article 37-1 : on peut donc raisonnablement penser que le Conseil censurerait toutes les dispositions empiétant sur le monopole reconnu par la Constitution.

II. La position de votre commission pour avis

Par coordination avec son amendement à l'article 1 er , la commission a adopté un amendement de suppression de cet article.

Votre commission pour avis vous propose de supprimer cet article.

Article 11 (Article 72-2 de la Constitution)  Monopole des lois de finances en matière de fiscalité locale  et de compensation des transferts, création ou extension de compétence des collectivités territoriales

Commentaire : cet article institue un monopole des lois de finances pour fixer les recettes des collectivités territoriales et déterminer les ressources visant à compenser les transferts de compétences entre l'État et les celles-ci.

I. Le projet de loi constitutionnelle

Le présent article modifie l'article 72-2 de la Constitution :

- il précise au deuxième alinéa que les lois de finances peuvent autoriser les collectivités territoriales à fixer l'assiette et le taux des impositions de toutes natures qu'elles reçoivent ;

- il indique au quatrième alinéa que les transferts de compétence de l'État vers les collectivités territoriales, lorsqu'ils ont pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales, sont accompagnés de ressources déterminées par la loi de finances.

Cet article n'a pas été modifié par les députés.

II. La position de votre commission pour avis

Par coordination avec son amendement à l'article 1 er , et pour les raisons exposées plus haut, la commission a adopté un amendement de suppression du monopole prévu par cet article pour les ressources des collectivités territoriales.

Votre commission pour avis vous propose d'adopter cet amendement et cet article ainsi modifié.

*

* *

Au cours de sa réunion du jeudi 9 juin 2011, votre commission pour avis a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle assorti des amendements qu'elle a adoptés.


* 1 « Réaliser l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques », rapport du groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, Gouverneur honoraire de la Banque de France, 21 juin 2010.

* 2 Rapport n° 3333 fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Luc Warsmann, p. 12 à 14.

* 3 Dans les pays suivants : Allemagne, Brésil, Comores, Pologne et Suisse.

* 4 Avis n° 3330 fait par M. Gilles Carrez au nom de la commission des finances, p. 33.

* 5 Avis précité, p. 34.

* 6 Rapport n° 3333 précité, p. 62.

* 7 L'article 1 er prévoit que seules les LF et les LFSS pourraient fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, et que seules les LFSS pourraient déterminer les principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale, c'est-à-dire les principes applicables aux cotisations sociales.

* 8 Circulaire du Premier ministre du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale qui demande à l'ensemble des membres du Gouvernement de ne plus insérer de dispositions fiscales ou qui affectent les recettes de la sécurité sociale dans les projets de loi ordinaires et de donner un avis négatif à l'introduction de telles mesures par voie d'amendement parlementaire, y compris dans des propositions de loi.

* 9 Du fait de l'impossibilité d'utiliser la technique du « gage fiscal », sur laquelle le rapport reviendra plus loin.

* 10 Données issues du rapport d'information de M. Gilles Carrez préalable au débat d'orientation des finances publiques pour 2011, n° 2689, juin 2010, p. 10.

* 11 La loi n° 2001-458 du 30 mai 2001 portant création d'une prime pour l'emploi est consécutive à la censure par le Conseil constitutionnel (décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000) de la réduction dégressive de CSG et de CRDS figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

* 12 Rapport n° 3333 fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Luc Warsmann, p. 54-55.

* 13 Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

* 14 Taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles et taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales.

* 15 Article 26 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.

* 16 Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité.

* 17 C'est bien l'introduction de la mesure dans le projet de loi qui a conduit à cette suspension, et non son entrée en vigueur, qui était fixée au 1 er janvier.

* 18 Rapport n° 568 (2010-2011) fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Jacques Hyest, p. 64 à 67.

* 19 Décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

* 20 Loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services.

* 21 Voir l'article 154 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 22 Avis n° 3330, p. 70 à 72.

* 23 Ce fut par exemple le cas lorsque deux lois touchant aux télécommunications se sont superposées en 2004 (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle).

* 24 Avis précité, p. 42.

* 25 Avis n° 3330, p. 83.

* 26 Décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009 sur la loi organique relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

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