D. L'ASSISTANCE TECHNIQUE : UN INSTRUMENT SACRIFIÉ.

Outre le financement de projets de développement, la coopération française intervient également à travers de l'assistance technique aux pays en développement.

Bien qu'il s'agisse d'un enjeu majeur, on a du mal à identifier clairement, dans le projet de loi de finances pour 2012, les crédits consacrés spécifiquement à l'assistance technique tant ils sont éclatés dans de nombreuses structures.

L'assistance technique ne correspond, en effet, pas seulement à la mise à disposition, par l'Etat français auprès d'États partenaires, d'experts techniques. Elle participe aujourd'hui à ce que l'on pourrait appeler le marché de l'expertise auquel collaborent de multiples structures publiques et para-publiques à travers les très nombreux appels d'offres lancés par des organisations internationales, des Etats, des grandes collectivités locales en matière d'expertise.

Dans un rapport au Gouvernement, remis le 7 mai 2008, M. Nicolas Tenzer avait mis en lumière à la fois une absence de stratégie globale et la faiblesse de l'offre française en matière d'expertise internationale.

Lors de son audition devant votre commission, en juin 2008, il avait notamment présenté les quatre principaux enjeux du renforcement de la présence de la France sur le marché de l'expertise internationale :

- un enjeu économique et d'emploi, qui tient au volume des marchés en jeu, évalués à 400 milliards d'euros sur les cinq prochaines années ;

- un enjeu d'influence qui se joue ensuite dans l'élaboration des normes techniques, dont les Français sont largement absents, des normes juridiques et des « bonnes pratiques » ;

- un enjeu de présence sur les questions globales et la politique de développement, par l'élaboration de règles et de recommandations ;

- un enjeu de sécurité, enfin, qu'il s'agisse de lutte anti-terroriste, de lutte anti-blanchiment ou de sécurité sanitaire.

Face à ces enjeux, M. Nicolas Tenzer avait dressé dans son rapport le constat de la faiblesse de la présence française sur les grands appels d'offres internationaux.

Il soulignait notamment l'absence de réactivité globale du système français, la faible mobilisation des experts, l'absence de point de contact en administration centrale, la faiblesse des crédits disponibles pour des actions de prospection, ou encore, parfois, de garantie sur la qualité des personnes envoyées.

Le vivier français d'experts est surtout constitué de fonctionnaires dont l'expérience n'était pas valorisée dans l'évolution de leur carrière, alors que les autres Etats font appel à une ressource beaucoup plus large composée de grands cabinets de conseil privés et d'un milieu universitaire plus vaste.

M. Nicolas Tenzer déplorait la faiblesse du cadrage stratégique de la présence et des contributions françaises dans les organisations internationales, auxquelles ne sont guère assignés d'objectifs précis. Il regrettait aussi la place trop réduite de nos experts dans les comités de plusieurs organisations qui en définissent la stratégie à moyen terme et la « chaise vide » de la France dans plusieurs réunions importantes.

Quatre ans après, la situation ne semble pas avoir beaucoup évolué. Le rapport « Maugüé » sur « le renforcement de la cohérence du dispositif public d'expertise technique internationale », demandé par le ministre des affaires étrangères et européennes en application de la loi sur l'action extérieure de l'État de juillet 2010, dresse à nouveau un constat sans concession de l'expertise technique internationale française.

Le dispositif français d'expertise technique se caractérise, d'une part, par une diminution drastique des moyens depuis 10 ans et, d'autre part, par une dispersion importante des structures de gestion de ces experts.

1. La réforme de l'assistance technique s'est traduite par une diminution excessive des assistants techniques

Évolution des effectifs des assistants techniques de 1990 à 2000

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

9 074

8 509

7 597

6 863

5 996

5 129

4 611

3 993

3 675

3 282

2 806

Source : MAE

Longtemps, le ministère de la coopération a géré plusieurs catégories de coopérants : l'assistance civile, les militaires hors budget, les coopérants du service national, les assistants techniques sur le marché, les assistants techniques militaires.

En 1966, l'extension du « champ » fit passer le périmètre de 14 à 37 pays. En 1979, les effectifs des assistants techniques s'élevaient à environ 10 976 pour n'atteindre plus que 2 806 en 2000, soit une diminution de 75 % des effectifs.

Source : MAE

Évolution de l'assistance technique gérée par le MAEE 2001 - 2011

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2 463

2 346

2 111

1 953

1 742

1 768

1 576

1 348

1 135

1 139

967

Source : MAE

Entre 2001 et 2011, la diminution se poursuit ; on constate une baisse des effectifs de l'assistance technique de près des deux tiers.

Cette évolution prend en compte le premier transfert (2006 à 2008) de 320 postes d'assistants techniques à l'Agence Française de Développement qui a accompagné le transfert de compétences à l'Agence suite aux CICID de juillet 2004 et de mai 2005 ainsi que la seconde vague de transferts qui s'étalera jusqu'en 2012.

Ces nouveaux transferts portent sur 90 postes d'assistants techniques dont 71 en 2010, 17 en 2011 et 2 en 2012, ayant une activité opérationnelle dans les secteurs des biens publics mondiaux.

Les postes d'Expert Technique International occupant des emplois d'influence auprès d'institutions partenaires ou d'organisations régionales multilatérales restent de la compétence du MAEE.

Sur l'ensemble de la période de 1990 à nos jours, la diminution des effectifs s'explique principalement par l'abandon progressif de la coopération de substitution mise en place dans les années 60 à travers la mise à disposition permanente d'experts techniques dont une grande partie d'enseignants auprès de gouvernements ou d'institutions étrangères dans le monde.

Cet abandon correspond à la fois à la volonté politique de mettre fin, d'une part, à un système d'assistance permanente trente ans après les indépendances et, d'autre part, à des contraintes budgétaires. Il s'agit tout à la fois de rompre avec un système hérité de la période coloniale et de réduire le coût lié au financement d'un personnel permanent installé auprès des autorités de pays partenaires qui ont eu le temps de se constituer des élites administratives.

Une fois les gros bataillons d'experts techniques supprimés, les suppressions ont eu pour cause la contribution aux contraintes imposées par la Révision générale des politiques publiques ainsi qu'à l'abandon de projets dont les financements n'étaient plus assurés.

Le recours à l'expertise technique est désormais conçu comme des missions temporaires d'experts à haute valeur ajoutée placés en position de conseillers auprès de décideurs locaux ou affectés à des fonctions d'animation dans le cadre de projets de développement.

C ette réduction a été toutefois tellement drastique que les moyens d'interventions de la France pour aider à la modernisation des Etats africains ou à la transition démocratique dans les pays du Maghreb sont aujourd'hui extrêmement limités. En comparaison avec nos homologues britannique et allemand, de l'avis des rapports précédemment cités, la France à sacrifié un instrument de coopération précieux dont l'influence et l'intérêt économique sont pourtant reconnus.

2. La France ne s'est pas dotée d'instruments suffisants pour faire face à la concurrence en matière d'expertise

Le rapport « Maugüé » sur « le renforcement de la cohérence du dispositif public d'expertise technique internationale » souligne la faiblesse d'une organisation dispersée et l'absence d'opérateur dominant.

Force est de constater que le secteur est investi par une trentaine d'opérateurs publics d'expertise à l'international, des « opérateurs métiers » (proches des viviers d'expertise) et un opérateur généraliste (FEI). Cette dispersion s'accompagne naturellement d'une diversité de situations en matière de statuts et modèles économiques. Cohabitent des associations, des GIP, des EPIC, des EPA, des SA détenues majoritairement par l'Etat avec des ressources qui peuvent provenir de subventions d'exploitations, de cotisations, de crédits pour opérations (budget coopération) ou de contrats remportés.

Le volume d'activité cumulé annuel s'élève à environ 80 millions d'euros dont 60 millions d'euros proviennent des 3 plus grosses structures (FEI, ADETEF et CIVIPOL). Ces 80 millions d'euros se décomposeraient en 50 millions d'euros de financements européens, 22 millions d'euros de financements bilatéraux français et le solde de marchés remportés auprès de pays tiers ou de bailleurs multilatéraux.

Dans la grande majorité des cas, la gestion ne permet pas de distinguer les actions de coopération menées « à titre gracieux » et les activités qui s'inscrivent dans une logique marchande et concurrentielle.

Cette situation résulte, d'une part, d'un choix politique au moment de la réforme de 1998 de ne pas se doter d'un opérateur public dominant qui aurait pu permettre de développer les synergies entre aide bilatérale et expertise technique internationale et, d'autre part, de l'existence d'« expertises métiers » qui résultent d'une succession de décisions « individuelles » des administrations à s'investir à l'international.

Votre commission estime que cette organisation n'est pas satisfaisante.

Elle entraîne de véritables difficultés à se positionner sur les appels d'offres internationaux en l'absence de taille critique qui permette une maîtrise des procédures et une capacité de veille suffisante. A cela s'ajoutent des difficultés à mobiliser le potentiel humain : malgré la proximité affichée des « viviers d'expertise », les opérateurs publics dans leur majorité sont confrontés à la réticence accrue des administrations à mettre à disposition leurs experts du fait des restrictions en personnel, à des viviers au périmètre restreint à la fonction publique d'Etat et à l'absence d'une valorisation de l'expérience internationale dans le déroulé de carrière des experts.

Cette situation contraste avec celle rencontrée en Grande-Bretagne ou en Allemagne où cette compétence revient à un opérateur dominant, le Dfid ou le GIZ, bénéficiant d'un budget conséquent et d'effectifs beaucoup plus importants.

Le rapport « Maugüé » conclut que la France n'a pas les moyens de créer un opérateur unique, mais propose de consolider et rationaliser l'existant.

Votre commission ne souhaite pas rentrer dans les détails de ce dossier, mais souligne la nécessité de prendre à bras-le-corps ce dossier. La faiblesse du dispositif français en la matière a été soulignée depuis de nombreuses années sans que des solutions satisfaisantes n'aient été trouvées.

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