II. DU FORAGE DES PUITS DANS LE SAHEL À LA PRÉSERVATION DES BIENS PUBLICS MONDIAUX : UNE POLITIQUE EN COURS DE MUTATION

A. UNE POLITIQUE QUI A, DEPUIS DIX ANS, RENOUVELÉ SES STRUCTURES, SES PROCÉDURES ET SA STRATÉGIE

À la lecture comparée des budgets de la mission « aide au développement » pour 2002 et pour 2013, on mesure le chemin parcouru par la coopération française.

Les crédits qui sont soumis à notre examen englobent aujourd'hui le réchauffement climatique, la prévention des conflits et la reconstruction des pays en crise. Ils témoignent d'une diversification sectorielle et géographique de nos interventions. Depuis dix ans, les modalités de l'aide ont, de plus, considérablement changé. La nature des projets, les modalités d'intervention, le nombre et la nature des partenaires se sont diversifiés. De la lutte contre la pauvreté à la préservation des biens publics mondiaux, l'aide au développement a tendance aujourd'hui à englober tous les aspects des relations avec les pays du Sud.

La structure actuelle du budget et la répartition des crédits d'intervention comme des emplois résultent d'abord d'une profonde modification des structures entreprise depuis 2004 avec la suppression du ministère de la coopération, la création de la DIGICID puis de la Direction générale de la Mondialisation (DGM) au ministère des affaires étrangères, le transfert croissant de certains secteurs d'activités du Quai d'Orsay à l'AFD puis la création de structures de coordination entre la direction du Trésor, le Quai d'Orsay et l'AFD avec le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et le Conseil d'orientation stratégique (COS).

Le partage au sein des programmes 110 et 209 entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale témoigne du poids croissant des organisations internationales de développement et des fonds verticaux, que ce soit dans le même domaine, dans le domaine de la santé ou celui de la protection de l'environnement.

L'évolution divergente des bonifications de prêts qui connaissent une croissance forte et des subventions dont le montant diminue illustre également une mutation des modalités d'intervention de la coopération française dans le sens d'un recours accru aux prêts et d'une diminution sensible des dons avec la possibilité de moduler l'effort financier de l'Etat en fonction du degré de bonification des prêts.

Après la réforme des structures, parallèlement à la réforme des modalités, les administrations en charge de la politique de coopération ont également renouvelé la stratégie de coopération au développement de la France.

En effet, à travers la définition d'un document-cadre de coopération au développement 11 ( * ) à laquelle la commission des affaires étrangère du Sénat avait participé, les pouvoirs publics se sont dotés pour la première fois d'une véritable stratégie dans un domaine où le pragmatisme et le traitement au cas par cas avaient souvent prévalu.

Cette stratégie a été récemment déclinée dans le nouveau contrat d'objectifs et de moyen de l'AFD qui a fait l'objet d'un avis de la commission en mars 201112 ( * ) et dans un Programme d'orientation stratégique 3, dit POS 3, de la même agence adopté le 9 octobre dernier 13 ( * ) .

L'ensemble de ces réformes a pour origine des processus internes à la France. Il s'agit tout à la fois de banaliser la relation avec l'Afrique et de l'intégrer dans une politique de coopération à l'échelle mondiale, et de réformer ses instruments afin de réaliser des économies budgétaires et de rationalisation de son fonctionnement.

Elles tiennent également à l'évolution du contexte international. Il s'agit de prendre en compte le parcours de plus en plus contrasté des pays du Sud, les échecs des politiques d'aide au développement dans de nombreux pays d'Afrique et l'émergence des enjeux environnementaux.

Pour atteindre ces différents objectifs, les pouvoirs publics se sont adaptés avec une grande rapidité et un succès inégal selon les thèmes.

En quelques années, la politique de coopération française a investi des zones géographiques bien au-delà des anciennes colonies françaises. Elle a diversifié ses moyens d'intervention sous l'impulsion de l'Agence Française de Développement, a adapté l'assistance technique, a inventé de nouveaux modes d'intervention.

La rapidité de ces transformations a cependant accru la complexité d'une politique déjà en mal de repères.

Si on ne prend que l'extension géographique de l'aide française, elle est telle qu'elle affecte sa lisibilité.

Hier concentrée sur les pays du Champ, la France intervient aujourd'hui auprès d'une centaine de pays et territoires, des pays les moins avancés jusqu'aux grandes économies émergentes telles que la Chine, l'Inde et le Brésil, sans parler des décisions récentes d'extension des activités de l'AFD en Asie centrale dans le Caucase.

A cette complexité s'est ajoutée la perplexité des professionnels du secteur devant les résultats très contrastés des politiques menées depuis trente ans. Ni les succès, ni les échecs des pays du Sud ne semblent pouvoir s'expliquer par les modèles de développement successifs que beaucoup ont préconisés avec enthousiasme et dévouement.

S'ajoute à cela l'incompréhension croissante des citoyens. Comment expliquer au grand public que l'on trouve parmi les quatre premiers pays d'intervention de l'aide française en 2010, la Chine, alors que ce pays qui a un PIB trois fois supérieur à la France semble capable de racheter le Portugal ou de voler au secours de l'euro ?

De ce point de vue le document-cadre de coopération développement, à la rédaction duquel votre commission a participé, a permis de donner un sens et une perspective à cette politique dont la présentation budgétaire ne permet pas d'en comprendre clairement les enjeux.

Ce document-cadre a également pour mérite de fédérer l'action des administrations qui concourent à l'aide au développement . En effet, une des particularités du dispositif français de coopération est bien la dichotomie entre l'action de la direction du Trésor et celle de la direction générale de la Mondialisation dont la séparation des programmes 110 et 209 est l'illustration.

Dans cette nouvelle stratégie qui imprègne l'ensemble des documents budgétaires relatifs au budget de la coopération, le changement le plus marquant par rapport aux analyses traditionnelles de l'aide au développement est la fin d'une vision dichotomique du monde.

L'atténuation de la dichotomie politique Nord-Sud, marquée par l'entrée des grands pays émergents dans le G20, apparaît potentiellement aussi importante que la fin de la confrontation Est-Ouest.

La fin de la dichotomie pays riches/pays pauvres se dessine avec l'apparition d'un classement moins binaire des Etats : moins avancés, pauvres, intermédiaires.

La disparition de la dichotomie donateurs/récipiendaires, avec un nombre croissant de pays qui sont simultanément donateurs et bénéficiaires d'aide publique au développement et avec lesquels il nous faudra inventer ensemble de nouvelles réponses aux défis contemporains. Ainsi, en dépit des incertitudes entourant sa comptabilisation, l'aide extérieure chinoise, qui relève d'une tradition ancienne, s'élèverait aujourd'hui à deux ou trois milliards d'euros selon les sources.

La dissipation de la dichotomie aide publiques/marchés, avec la multiplication des instruments hybrides où l'action publique contribue à mobiliser les flux privés en faveur du développement à l'image du fonds de garantie ARIZ qui facilite l'accès au crédit des entreprises et des institutions de micro-finance dans la zone d'intervention de l'AFD 14 ( * ) .

La fin de la dichotomie Etat/ONG au profit d'une diversité d'acteurs publics (Etats, collectivités, opérateurs publics, chambres consulaires) et privés (associations, fondations, syndicats) et d'actions menées en consortium par ces divers acteurs.

B. DES OBJECTIFS AMBITIEUX À L'ÉCHELLE D'UNE SEULE NATION

Les objectifs de la coopération française tels qu'ils figurent dans le projet de loi de finances pour 2013 résultent de ce processus de mutation de la coopération française. Tels qu'ils sont formulés, ils apparaissent très ambitieux à l'échelle d'une seule nation comme la France et s'inscrivent nécessairement dans une action collective des pays développés et émergents en faveur d'un développement solidaire et durable de l'ensemble de la planète.

1. Des objectifs de solidarité clairement affichés

La lutte contre la pauvreté et les inégalités qui est au coeur des Objectifs du millénaire pour le développement. Ces 8 objectifs définis dans le cadre de l'ONU, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation, traduits en 18 cibles et 47 indicateurs, constituent aujourd'hui le point de ralliement de l'ensemble des politiques de coopération des pays occidentaux. Ces objectifs ont vocation à être intégrés ou articulés après 2015 dans un cadre plus large des Objectifs pour le développement durable (ODD) qui restent à définir.

La promotion d'une croissance durable et partagée dans les pays en développement. L'exemple des pays émergents montre que la croissance économique reste le moyen le plus efficace de tirer les populations hors de la pauvreté. Cet objectif est poursuivi à travers le financement d'infrastructures, le soutien au développement du secteur privé par le biais de mécanismes de marchés, comme les garanties bancaires ou encore par des moyens non budgétaires comme le soutien, lors des négociations commerciales internationales, à l'insertion de ces pays dans le commerce mondial.

La prévention des crises et des conflits. La pauvreté et la fragilité de certains Etats, notamment africains, favorisent les crises, les conflits, les tensions migratoires, le développement du terrorisme et des trafics illicites, ainsi que l'émergence de pandémies à l'échelle planétaire. Dans cette perspective, la politique d'aide au développement tend à contribuer à la stabilisation des zones de tensions, à la prévention des conflits et à l'accompagnement des Etats fragiles ou en transition.

La préservation des biens publics mondiaux tels que le climat, la biodiversité, la sécurité sanitaire. Dans ce but, la coopération française cherche à mettre en place des mécanismes de régulation et des politiques globales à l'échelle planétaire à l'image du Fonds mondial de lutte contre le sida, des campagnes de vaccination ou des plans d'appui à la préservation de la biodiversité.

Récemment, des discussions sur la formulation d'Objectifs de développement durable qui ont été menées dans le contexte de la conférence Rio+20 devraient renforcer cette dimension dans l'ensemble des politiques de développement.

2. Des objectifs d'influence qui mériteraient d'être précisés.

On a souvent soupçonné l'aide au développement de cacher derrière des objectifs louables des intentions qui étaient moins désintéressées qu'il n'y paraissait. De fait, si l'aide publique au développement est une composante parmi bien d'autres de la politique extérieure d'un État, on ne peut aucunement attendre d'une politique extérieure qu'elle soit tout à fait désintéressée ; chaque État remplissant la mission qui est la sienne pour le compte de ses citoyens.

Vos rapporteurs l'ont souligné, cette coopération vise également une sécurisation de son environnement géopolitique tout comme une légitimation de sont statut international.

Il n'est en effet pas illégitime qu'on attende d'une politique publique financée par le contribuable français un retour. Un don reste un don même lorsque le donateur en retire certains bénéfices. La véritable question se situe moins dans les intérêts poursuivis que dans les bénéfices retirés in fine par les pays aidés.

Les intérêts du Nord et du Sud peuvent être communs comme dans la gestion des biens publics mondiaux, ou bien se recouper lorsque le donateur a intérêt au décollage économique du pays aidé. La proximité entre l'Europe et ses voisins du Sud (Méditerranée et Afrique) en fournit un exemple.

Sur le long terme, les objectifs ultimes poursuivis par la politique de coopération correspondent aux intérêts mutuels des pays du Nord et du Sud. Il s'agit d'un développement plus harmonieux de la planète assis sur un modèle de développement durable et moins inégalitaire.

Il s'agit en outre pour nos concitoyens de contribuer à un environnement international plus sûr, à la mise en place de politiques publiques globales plus efficaces et de préserver la place et le rôle de la France afin qu'elle garde la capacité de défendre de façon autonome les intérêts des Français.

Certes, ce retour sur le long terme n'est guère quantifiable, mais il est sans nul doute fondamental.

La revue des différents objectifs affichés par le budget de l'aide au développement fait apparaître un déséquilibre très clair dans la prise en compte de ces deux aspects de la politique de coopération au développement que sont la solidarité et l'influence.

Ni le budget ni le document-cadre de coopération ne mentionne explicitement la question des intérêts français.

Certes, d'autres instruments de coopération contribuent directement à la promotion de notre savoir-faire, à notre diplomatie culturelle ou encore à la sécurité de la France. Mais la coopération au développement est un des instruments de notre diplomatie d'influence.

De même, une partie de l'aide bilatérale française vise explicitement le soutien aux entreprises françaises. En 2009, 11 % de l'aide française était liée, soit un taux inférieur à la moyenne des donateurs (16 %).

Or telle que présentée dans les documents budgétaires, la politique de coopération au développement doit « contribuer au développement du Sud par le partenariat scientifique et technologique », « permettre la réalisation de projets de développement durable dans les pays émergents, faisant appel au savoir-faire français ».

La promotion du savoir-faire français ne constitue cependant qu'un objectif secondaire. Sur un total d'environ 8 700 contrats totalisant près de 4,4 milliards d'euros ainsi recensés sur les six dernières années alors que les financements octroyés par l'AFD sont totalement déliés depuis 2002, les entreprises françaises n'ont remporté, sur la période 2006-2011, que 29% du montant des marchés qu'elle finance, tandis que les entreprises locales en ont remporté 41%.

Ainsi, malgré l'effort de présentation d'une vision unifiée de la coopération au développement au travers du document-cadre, une carence du dispositif français de coopération au développement relevée par le CICID en 2004, reste toujours d'actualité en 2012 : « Notre aide, composante de l'action extérieure de la France, doit être plus claire dans ses objectifs », et ce constat est particulièrement vrai en ce qui concerne les objectifs poursuivis en matière d'influence et qui explique nombre d'incohérences entre stratégie et instruments.

Source d'ambiguïté, ce manque de clarté a en effet pu contribuer jusque-là à une certaine confusion des rôles, à la poursuite d'objectifs contradictoires selon les acteurs et les personnes, au recours à des méthodologies imprécises, voire enfin à des mécanismes institutionnels flous qui ne font pas la part des choses entre politique d'affichage et politique véritablement mise en oeuvre.

Comme le soulignent les travaux du bilan évaluatif de la politique française de coopération au développement entre 1998 et 2010 effectués par le Cabinet Ernst and Young auquel votre rapporteur Christian Cambon a participé, un affichage assumé et constant des positions en la matière ferait probablement gagner en lisibilité et crédibilité.

3. Des objectifs qu'il faut poursuivre en créant des coalitions entre acteurs nationaux et multilatéraux

Vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à l'ensemble de ces objectifs tout en soulignant qu'ils ne sont pas à la portée d'une seule nation fût-elle la France.

La lutte contre les pandémies, le sous-développement, la faim, le réchauffement climatique à l'échelle planétaire sont des entreprises sans fin qui exigent la mise sur pied de coalition d'Etats et d'organisme multilatéral.

La coopération au développement ne se conçoit plus comme un exercice solitaire des nations, mais comme l'articulation entre une coopération nationale, européenne et multilatérale.

Comme l'a souligné Jean-Michel Severino lors de la table ronde organisée par la commission, une fois qu'on a défini nos objectifs et nos in térêts, « il reste à choisir les partenariats permettant de les atteindre, leur allouer des ressources et ensuite mesurer l'efficacité de notre action, non pas à l'aune d'un critère quantitatif mais à partir de notre propre appréciation de la façon dont nous aurons ou non atteint nos objectifs. Si certains de ces objectifs, comme le réchauffement climatique, sont de nature globale, la France a aussi des voisins et, parmi les grandes questions mondiales, certains sujets l'intéressent plus que d'autres. L'importance relative du Maghreb et de l'Amérique centrale n'est pas la même selon qu'on l'apprécie de Paris ou de la Banque mondiale à Washington. Comme tous les pays, la France a vocation à concentrer ses moyens sur les actions lui permettant d'atteindre ses objectifs. Il ne saurait donc y avoir querelle théologique entre aide bilatérale et aide multilatérale. En revanche, il faut définir une tactique d'utilisation raisonnée de l'ensemble des instruments à notre disposition. »

C. UNE APPLICATION DIFFÉRENCIÉE SELON LES ZONES

Derrière les crédits budgétaires des programmes 209 et 110, il y a dans la pratique des modalités d'intervention de plus en plus diversifiées selon le niveau de développement des pays partenaires.

Aujourd'hui, selon les pays, les pouvoirs publics dosent le contenu en moyens publics des interventions en modulant l'équilibre entre les dons et les prêts et, au sein des prêts, en adaptant le degré de bonification des interventions.

Cette application différenciée se traduit par un effort financier variable selon les zones qui est indépendant du niveau des engagements pris.

1. L'Afrique, enjeu majeur du 21e siècle, reste officiellement la destination principale des dons et prêts issus des programmes 110 et 209

La zone prioritaire de la coopération française demeure l'Afrique subsaharienne pour des raisons tant historiques que géographiques. Cette zone devrait compter en 2050 environ 1,8 milliard d'habitants, c'est-à-dire plus que la Chine ou l'Inde. Elle concentre les problèmes (gouvernance, pauvreté, conflits) mais aussi les opportunités (ressources minières et foncières).

Le projet de budget de l'APD, reprenant le document-cadre de coopération au développement (DCCD), consacre cette importance en indiquant que la France consacrera plus de 60 % de l'effort financier de l'Etat sur l'ensemble de la zone et plus de 50 % des subventions sur les 17 pays pauvres prioritaires 15 ( * ) .

Dans la pratique, les objectifs de concentration des crédits sur cette zone adoptés ces dernières années ont été difficiles à atteindre en raison de la diminution des crédits de subvention de l'aide bilatérale et du fait que les pays les plus pauvres de la zone, sortant d'un processus de désendettement, sont peu éligibles aux prêts. Le montant de l'aide sous forme de dons n'a en particulier pas été suffisant pour avoir un impact significatif.

De fait, les dons français consacrés aux secteurs sociaux dans cette zone « passent » de façon croissante par le biais des contributions aux institutions européennes et multilatérales qui consacrent plus de 50 % de leurs subventions à l'Afrique subsaharienne et aux pays les moins avancés (PMA) mais sans « retour politique » pour notre pays.

Comme ont pu le constater vos rapporteurs lors de leur mission au Mali, le visage de la coopération française dans l'Afrique francophone s'en trouve considérablement modifié. La France conserve une forte intimité avec ces pays et possède encore une expertise et une capacité reconnues d'entraîner les autres bailleurs de fonds. Mais la France n'est plus, loin s'en faut, ni le seul, ni le premier bailleur de fonds d'une Afrique francophone courtisée aussi bien par les autres membres de l'OCDE que par les pays émergents. Si nos contributions aux différents fonds multilatéraux qui interviennent dans ces pays sont très conséquentes, elles restent en effet peu visibles pour les populations ou les élites politiques de ces pays bénéficiaires.

La France mobilise l'ensemble de la palette des moyens de coopération en faveur du continent africain : la coopération bilatérale, des prêts, concessionnels ou non, des subventions, des garanties, des prises de participation, de l'assistance technique, de la coopération scientifique et universitaire.

Alors que l'enveloppe globale de dons au sens strict, c'est-à-dire de subventions, diminuait, les pouvoirs publics ont cherché à concentrer l'aide sur quelques pays prioritaires d'Afrique. L'augmentation du taux de concentration n'a pas pu empêcher la diminution des moyens en valeur absolue.

La coopération bilatérale française dans les pays prioritaires représente aujourd'hui environ dix millions d'euros par an et par pays.

Sur une aide publique au développement déclarée, estimée à près de dix milliards d'euros par an, dix millions d'euros par an pour un pays prioritaire, c'est un millième par pays, autrement dit, pour le moins, une priorité relative.

2. La Méditerranée : un soutien pour accompagner le printemps arabe qui reste à financer

La deuxième zone d'intervention de la coopération française est la Méditerranée.

Enjeu essentiel pour la stabilité et la prospérité du sud de l'Europe et pour la préservation de cette mer commune à l'Europe, au Moyen-Orient et à l'Afrique, cette zone regroupe des pays de niveau de développement hétérogène, avec des pays à revenus intermédiaires devant relever des défis démographiques importants.

La coopération française intervient dans cette zone sous forme de prêts bonifiés et, plus rarement, sous forme de dons. Le document-cadre prévoit que l'Etat y consacre 20 % de son effort financier. D'après les informations disponibles, cette zone représenterait 15,8 % de notre effort financier.

Dans les pays méditerranéens, tous pays à revenus intermédiaires, la variété des situations se prête à une optimisation de l'aide par la différenciation des outils. La coopération bilatérale y mobilise une palette diversifiée d'instruments financiers : prêts plus ou moins concessionnels, garanties, fonds d'investissements, partenariats public-privé et, plus ponctuellement, des subventions destinées à lever des facteurs bloquants, amorcer des dynamiques d'investissement ou financer de façon ciblée des actions non rentables mais présentant un fort impact environnemental ou social.

La nécessité d'accompagner la transition démocratique de ces pays et les conséquences de la situation actuelle sur la stabilité de la région et la gestion des flux migratoires ont conduit à faire du développement harmonieux de cette région voisine de la France une priorité et à renforcer notre effort financier.

Le développement économique et social de cette région constitue un défi considérable et ce, notamment, pour des raisons démographiques. La transition démographique est en marche mais l'inertie du phénomène va poser un grave problème dans la mesure où, d'ici 2030, la population en âge de travailler va s'accroître de 40 % au Maghreb et de 50 % au Moyen-Orient.

Son absorption par le marché du travail exigerait des taux de croissance de l'économie non pétrolière de l'ordre de 6 à 7 %. Le maintien des taux actuels de chômage chez ces populations jeunes, (plus de 50% dans certains pays de la zone) fait donc courir des risques très importants (migrations, troubles sociaux, extrémisme) qui sont accrus par l'inefficacité générale des systèmes éducatifs.

Les révoltes des pays arabes sont les conséquences non seulement d'une revendication démocratique face à la corruption d'un régime, mais aussi de l'insuffisante création d'emplois qualifiés.

C'est pourquoi la France doit s'engager dans l'accompagnement des nouveaux pouvoirs avec l'Union européenne et l'ensemble des institutions internationales compétentes pour :

- promouvoir une croissance riche en emplois (appui au secteur privé et modernisation du secteur financier ; appui à la diversification des filières et à l'innovation ; souveraineté alimentaire et énergétique) ;

- favoriser la cohésion sociale et territoriale (développement des infrastructures de transport, appui aux activités rurales génératrices de revenus, développement durable des villes, et adaptation du dispositif d'enseignement et de formation professionnelle aux besoins du marché du travail) ;

- améliorer la qualité de vie des populations (notamment par l'adaptation à la raréfaction des ressources naturelles -stress hydrique, sécheresse, et l'amélioration des conditions de vie en ville- mobilité, habitat).

C'est le sens du soutien exprimé par le G8 aux transitions démocratiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient à travers le « Partenariat de Deauville ».

Ce partenariat devrait permettre un soutien financier à l'Egypte et à la Tunisie de 40 milliards de dollars, 20 milliards de dollars provenant des banques multilatérales de développement ; 10 milliards de l'aide bilatérale des membres du G8, dont 1,1 milliard d'euros sur trois ans qu'apportera la France ; et 10 milliards qui proviendront des pays du Golfe.

Une des difficultés actuelles pour honorer ces engagements est la situation de l'AFD au regard du respect du ratio « grand risque » en 2012. Comme le souligne le plan d'orientation stratégique de l'Agence, le niveau actuel des fonds propres réglementaires de l'Agence ne permet pas de maintenir en 2012 un montant d'engagements annuels en Tunisie et au Maroc de même niveau que celui des années récentes. L'entrée en vigueur des règles de calcul de Bâle III devrait permettre de desserrer cette contrainte en 2013, mais pas au-delà.

3. Le développement de la coopération dans les pays émergents qui devrait faire l'objet d'une stratégie d'ensemble

Loin du « pré carré » africain, la France intervient depuis une dizaine d'années dans ces pays sur des projets en lien avec la préservation des biens publics mondiaux et la lutte contre le réchauffement climatique par le biais de prêts de l'AFD faiblement concessionnels.

Il s'agit de financer des projets pilotes de développement, sobres en carbone, de façon à développer des coopérations avec ces nouvelles puissances, à renforcer la crédibilité des positions françaises dans les négociations internationales sur le climat, à aider les intérêts de l'expertise et des entreprises françaises et, le cas échéant, à influencer les politiques publiques de ces pays.

Le document-cadre prévoit de limiter à 10 % de l'effort financier de l'Etat les interventions dans les pays émergents.

Intervenant essentiellement dans les pays à enjeux systémiques mondiaux et régionaux, les moyens de la coopération avec les pays émergents mobilisent principalement des prêts peu ou pas bonifiés, qui font office de point d'entrée pour les coopérations techniques et la promotion d'expertise, de savoir-faire et de technologies. Ces actions sont complétées, le cas échéant, par une composante d'assistance technique et des subventions ponctuelles d'accompagnement.

La finalité des activités de la coopération française dans les pays émergents suscite des interrogations.

Certains considèrent que, pour justifié qu'il soit, le mandat relatif aux biens publics mondiaux conduit à intervenir dans des pays comme la Chine, qui ont des capacités financières qui devraient leur permettre de financer eux-mêmes ce type de projet.

Il est, de fait, difficile de considérer que la coopération française fait en Chine de l'aide au développement. Si la Chine n'est pas encore la superpuissance que certains craignent, elle ne peut plus être considérée comme un pays en voie de développement.

Cette situation conduit naturellement la commission des affaires étrangères à s'interroger sur les objectifs explicites et implicites des projets pilotes financés par l'AFD dans ces pays.

Les motivations avancées par les pouvoirs publics sont de plusieurs ordres. La majorité des documents stratégiques ainsi que les bleus budgétaires soulignent que les financements consacrés à cette zone contribuent à une politique d'influence conduisant les pays émergents vers un sentier de croissance plus sobre en carbone.

Compte tenu de la modestie des sommes en jeu par rapport à la taille des investissements publics de pays comme la Chine ou l'Inde, il paraît présomptueux de penser que nos financements ont une quelconque influence sur la trajectoire de croissance de ces pays.

Ainsi, vos rapporteurs ont pu constater, lors de leur mission en Inde en mai dernier, que les financements français représentaient un montant de l'ordre du millième du cinquième plan quinquennal qui prévoit des investissements à hauteur de 5 000 milliards de dollars dans les seules infrastructures.

On évoque, par ailleurs, volontiers la défense des intérêts économiques français pour justifier le financement de projets sur des marchés prometteurs comme la Chine et l'Inde. Or, d'après les informations dont disposent vos rapporteurs, le taux de retour pour les entreprises françaises des financements de l'AFD reste décevant, aux alentours de 1 % grâce aux marchés de prestations intellectuelles passés par l'AFD malgré les initiatives prises par l'agence. Le marché chinois est, en effet, très difficile à pénétrer, les entreprises chinoises remportant 99 % des marchés d'aide de la Banque mondiale dans leur pays.

Il reste que l'établissement de relations de haut niveau sur le thème de la croissance verte afin de promouvoir l'expertise française dans ce domaine et d'établir un dialogue sur un sujet de plus en plus central dans l'agenda international présente en soi un intérêt.

Alors que les années 1990 ont été marquées par la prise de conscience des interdépendances mondiales et par la mise en place d'outils et de règles de gestion collective avec les pays émergents, cette dynamique semble s'être interrompue au cours des années 2000. Ce grippage, qui s'explique en partie par une réaffirmation générale de la souveraineté, à la fois par les pays émergents et les autres représentants des non-alignés et une affirmation de la capacité de blocage des émergents comme à RIO +20.

Ces blocages ont alimenté une dynamique de ressentiment entre puissances émergentes et puissances établies qui les ont éloignées de la résolution des défis communs. Le sommet Rio+20 ou la gestion des crises libyenne, syrienne et ivoirienne avec les membres du groupe IBAS au Conseil de sécurité sont des exemples récents de tels malentendus producteurs de déception, et de ressentiment.

Les incompréhensions et le ressentiment dont témoignent ouvertement plusieurs pays émergents cimentent les solidarités entre ces pays, jusque dans des configurations où l'hétérogénéité entre les pays s'efface dans l'opposition au bloc occidental. L'ensemble BRICS, qui réunit des régimes radicalement différents, gagne ainsi en réalité, jusque dans des projets concrets (possibilité exprimée lors du sommet de New Delhi de créer une banque de développement Sud-Sud ou «banque des BRICS»).

Dans ce contexte, il y a un intérêt à définir une stratégie globale vers les pays émergents avec l'ensemble des acteurs de la diplomatie française en définissant des objectifs et des pays cibles et en associant l'ensemble des opérateurs (AFD, BRGM, IRD, GRET, ADETEF, CF1, AEI, etc.).

Cette stratégie pourrait être l'occasion de mieux différencier les approches selon les pays et les thèmes.

Au lieu de se focaliser sur des grands émergents, on pourrait imaginer accroître les coopérations économiques bilatérales, mais aussi tri- et multilatérales, dans des pays néo-émergents comme le Mexique, la Colombie, le Chili, l'Argentine, le Nigeria, l'Afrique du Sud, la Turquie, l'Indonésie ou le Vietnam, mais aussi solliciter les émergents démocratiques (Brésil, Inde, Afrique du Sud, Turquie, Corée du Sud) sur des projets conjoints d'aide à la gouvernance démocratique dans des pays tiers.


* 11 "Pour une mondialisation maîtrisée - Contribution au projet de document-cadre de coopération au développement" Rapport d'information n° 566 (2009-2010) du 17 juin 2010 de MM. Christian CAMBON et André VANTOMME

* 12 L'AFD, fer de lance de la coopération française Rapport d'information n° 497 (2010-2011) de MM. Christian CAMBON et André VANTOMME

* 13 Cf la partie consacrée à l'AFD plus loin.

* 14 ARIZ est l'un des dispositifs français majeurs pour encourager la croissance économique et la création d'entreprise génératrice d'emplois en Afrique. ARIZ facilite l'accès au financement des petites et moyennes entreprises privées et des institutions de micro finance permettant ainsi de faire levier sur la croissance économique. Grâce aux partenariats noués avec les banques, les institutions financières et les organismes de capital investissement, ARIZ soutient les projets de création et de développement des petites et moyennes entreprises du sud. En 2009, la mise en place du mécanisme Ariz II pour l'Afrique sub-saharienne s'est poursuivie et un mécanisme Ariz Med pour les pays du pourtour méditerranéen s'est créé. Un nouveau produit mis en place en 2009 (sous-participation en risque) permet d'accorder une garantie qui couvre 50 % des prêts individuels consentis par une banque tout en laissant à celle-ci la délégation de décision et de gestion de chaque garantie.

* 15 Bénin, Burkina Faso, Comores, Tchad, République démocratique du Congo, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Togo. Ces 14 se sont vus adjoindre trois autres pays : Djibouti, le Rwanda et le Burundi. De fait les 14 PPP sont aujourd'hui 17.

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