II. UN CONTEXTE MARQUÉ PAR LA NÉCESSITÉ DE CORRIGER LES SITUATIONS DE PASSAGER CLANDESTIN DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE, EN PARTICULIER À L'HEURE DE LA RELANCE D'UNE VÉRITABLE AMBITION DE DOTER LE PAYS DES INFRASTRUCTURES NÉCESSAIRES AU TRÈS HAUT DÉBIT

A. LES PASSAGERS CLANDESTINS DU NUMÉRIQUE BÉNÉFICIENT D'UNE RENTE...

L'économie contemporaine globalisée voit s'accentuer le « shopping » fiscalo-social, qui concerne les grandes entreprises au premier chef.

La déterritorialisation des revenus est favorisée par des formes d'organisation entrepreneuriale qui reposent sur l'externalisation de fonctions-support ou sur la transformation radicale des firmes à travers des modèles de « business restructuring » qui ne laissent qu'une portion congrue de la valeur aux pays à fiscalité relativement élevée.

L'existence de paradis fiscaux donne une très large dimension aux zones où la fiscalité peut être considérée comme relativement élevée et offre un champ, largement exploité, aux pratiques d'évasion fiscale internationale.

L'économie numérique, par les conditions techniques qui sont les siennes, avec l'abolition de la distance, en même temps d'ailleurs que la vitesse et la transformation des données qu'elle permet, est un champ d'élection pour ce que d'aucuns décrivent comme un « pillage de la valeur économique et fiscale » au détriment des aires de souveraineté fiscale où pourtant elle se crée.

Au demeurant, la question est plus large et les passagers clandestins de l'économie numérique ne lèsent pas que les États.

L'actuel conflit entre éditeurs et moteurs de recherche témoigne d'un partage déséquilibré de la valeur créée par les premiers et accaparée sans contrepartie appréciable par les seconds.

Ces difficultés sont également au coeur du récent rapport de la mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique 4 ( * ) . Remis au Gouvernement, il explore plus particulièrement l'exploitation par certaines des entreprises de l'écosystème numérique d'un « travail gratuit » fourni par les utilisateurs des services numériques qui, constitué du large trésor des données personnelles, leur permettent de créer une richesse sans retour pour leurs fournisseurs.

L'actualité invite encore à souligner le défaut de contribution appréciable de certains grands acteurs du numérique au financement des infrastructures sans lesquelles leur activité économique ne saurait exister.

La gratuité des « autoroutes de l'information » pose de fait un problème d'équité puisque l'absence d'une contribution significative de la part de grands bénéficiaires des réseaux conduit à des reports de charge sur d'autres acteurs de l'écosystème.

Cette situation est d'autant plus regrettable qu'elle ne peut être compensée par les recettes publiques qui découlent généralement du développement des revenus des agents économiques bénéficiaires de « rentes de marché ». La « rente de quasi-gratuité » de l'utilisation des réseaux ne peut être prélevée, le système fiscal étant impuissant à fiscaliser les revenus des acteurs habiles à exploiter le désordre fiscal mondial.

On relèvera encore que cette rente s'accroît en raison directe du volume des données numériques dont l'augmentation suppose une montée en capacités des réseaux.

Cette élévation de la rente n'opère pas seulement un déplacement des marges entre les différents acteurs du numérique. Elle accroît la charge fiscale nette des États où le déploiement des réseaux passe par une contribution des administrations publiques au financement du renouvellement en profondeur des infrastructures existantes.

On notera à ce propos qu'il existe un lien direct entre le niveau de cette contribution publique et les caractéristiques géographiques des pays ainsi qu'avec le degré de respect pour l'égalité des territoires et des citoyens dont ils font preuve.

Sans se prononcer sur cette dernière dimension du problème, on remarquera que les passagers clandestins des réseaux domicilient leurs revenus sur des territoires dont beaucoup peuvent être qualifiés de « timbres-postes » et dans certains desquels il n'existe probablement aucune des facilités qui permettent à ces entreprises de « surfer » sur le succès de l'économie numérique.

Au sein même de l'Union européenne la valeur économique numérique intrinsèque des territoires, qui dépend des capacités des réseaux, tend à être captée par les passagers clandestins des infrastructures qui la transfèrent dans les territoires où ils échappent à toute contribution aux investissements qui l'instaurent.

Les « grands du numérique » sont basés dans les « petits pays » de l'Union, illustrant une fois de plus l'asymétrie des effets de la concurrence fiscale entre grands et petits pays, territoires où ils échappent à toute contribution aux investissements qui l'instaurent.


* 4 Rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin - janvier 2013.

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