N° 435

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ,

Par Mme Michelle MEUNIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

344 , 581 , 628 et T.A. 84

Sénat :

349 (2012-2013)

Les amendements adoptés par la commission des affaires sociales

Sur proposition de sa rappporteure, la commission des affaires sociales a adopté quatre amendements :

- le premier, portant sur l'article 4 ter inséré par l'Assemblée nationale, permet aux couples pacsés sans enfant , au même titre que les couples mariés sans enfant, d'adhérer à une association familiale reconnue ;

- les deuxième et troisième amendements rétablissent, respectivement aux articles 11 et 14, des mesures de coordination dans les codes sociaux ayant été malencontreusement supprimées à l'Assemblée nationale ;

- le quatrième amendement étend à l'ensemble des salarié-e-s homosexuel-le-s , indépendamment de leur situation familiale, la mesure de protection , introduite à l'article 16 bis par l'Assemblée nationale, au bénéfice des salarié-e-s marié-e-s ou pacsé-e-s à une personne du même sexe, en cas de refus de mutation géographique dans un Etat incriminant l'homosexualité.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi apporte une réponse républicaine aux attentes des couples de même sexe, en leur offrant la liberté de choisir la nature juridique du lien les unissant et en reconnaissant qu'ils « font famille », sans réduire en quoi que ce soit les droits des couples de sexe différent.

En ouvrant le mariage aux couples de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples de sexe différent, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs qui s'imposent à chacun des conjoints, ce texte constitue une étape historique dans la longue marche vers l'égalité de cette institution qui, enfin, devient universelle . Il ne crée pas un mariage « gay », mais fait entrer les couples de même sexe dans l'universalité de la loi de la République et leur accorde ainsi la citoyenneté pleine et entière qui leur revient de droit.

En permettant à ces couples d'accéder à l'adoption dans les conditions de droit commun, ce projet de loi consacre l'égalité et la protection juridique de tous les enfants, de toutes les familles . Il ne signe pas la disparition de la famille mais, au contraire, la renforce en faisant sortir de la pénombre des familles aujourd'hui connues de tous.

En garantissant aux couples de même sexe et aux familles homoparentales les mêmes droits, il s'inscrit dans la lignée des grandes lois qui ont marqué l'histoire de la lutte contre les discriminations . Il contribuera à combattre les stéréotypes et à changer le regard de la société sur l'homosexualité ; la lutte contre les préjugés liés à l'orientation sexuelle ne saurait en effet connaître d'avancée significative tant que des inégalités de droit perdureront à l'encontre des personnes homosexuelles.

Cette réforme n'ôte rien aux hétérosexuels, elle oblige simplement - citoyens, responsables politiques, décideurs publics - à en finir avec les préjugés et à penser l'égale dignité des êtres humains.

Votre rapporteure se félicite que cette grande avancée sociale, engagement du Président de la République devant les Français pendant la campagne présidentielle, voit enfin le jour et qu'avec elle, la société renoue avec la tolérance et le respect des différences.

Elle remercie la commission des lois et son rapporteur, Jean-Pierre Michel, pour la très grande qualité des auditions qu'elle a organisées et le climat serein dans lequel celles-ci se sont déroulées. Au-delà des éclairages qu'elles ont apportés sur ce texte, ces auditions ont permis de soulever plusieurs questions qui nécessiteront d'être traitées dans le cadre d'autres projets de loi, en particulier celui sur la famille dont le dépôt a été annoncé par le Gouvernement pour la fin de l'année. Une réforme semble particulièrement urgente et faire l'unanimité ; celle de l'adoption que votre rapporteure appelle de ses voeux.

I. UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA LONGUE MARCHE VERS L'ÉGALITÉ DES DROITS

A. L'ÉVOLUTION JURIDIQUE ET SOCIOLOGIQUE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

1. Le mariage : une institution qui a évolué vers plus d'égalité

Institution sociale présente dès l'Antiquité, le mariage a accompagné toutes les mutations de la civilisation occidentale .

Dans le monde romain, il est longtemps resté une affaire profane, réglée par les familles, destinée à transmettre le patrimoine et à garantir la filiation.

Avec l'avènement du christianisme, le mariage devient un sacrement. Dans l'objectif de lutter contre les mariages clandestins, le concile de Latran de 1215 le règlemente en prévoyant la publication des bans, en exigeant le consentement libre et public des époux, et en le rendant indissoluble sauf par la mort.

Prérogative exclusive de l'Eglise durant l'Ancien Régime, la sécularisation du mariage est consacrée par l'article 7 de la Constitution de 1791 au terme duquel « la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil » . La loi du 20 septembre 1792 parachève cette évolution en prévoyant que le mariage est contracté devant l'officier municipal, chargé désormais de tenir l'état civil. C'est cette même loi qui rend le mariage révocable par le divorce.

La conception civile et laïque du mariage , héritée de la Révolution, est reprise pour l'essentiel par les rédacteurs du code civil de 1804 . Sans le définir, ils en posent les conditions dont la plus emblématique, qui figure toujours à l'article 146 du code civil, est la liberté du consentement.

Depuis le code Napoléon, le mariage civil - qui précède obligatoirement le mariage religieux, rétabli par le Concordat de 1801 - n'a varié que sur des détails, le plus souvent pour en simplifier la procédure. Supprimé par la Restauration, le divorce est rétabli en 1884 par la loi Naquet.

Au cours du XX e siècle, l'évolution du mariage va de pair avec l'émancipation féminine et le combat des mouvements féministes en faveur de la reconnaissance de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Le mariage se détache alors d'un ordre social fondé sur une conception patriarcale de la société , qui fait du mari et du père le propriétaire du patrimoine, mais aussi le possesseur de l'épouse et des enfants.

La pleine égalité des conjoints est reconnue par la loi du 4 juin 1970 qui supprime la référence au « chef de famille » et introduit l'autorité parentale conjointe. Le divorce par consentement mutuel est rétabli par la loi du 11 juillet 1975.

La reconnaissance de la femme comme sujet de droit marque ainsi une étape fondamentale dans la modernisation de l'institution du mariage, dont l'évolution vers l'égalité concerne aussi les droits des enfants.

2. La « révolution de velours »1 ( * ) de la filiation

Alors que, traditionnellement, seul le mariage avait pour effet de rendre légitime la filiation ( via la présomption de paternité) et de conférer aux enfants les droits qui en découlent, le XX e siècle voit progressivement s'opérer une dissociation entre mariage et filiation .

Cette évolution sociétale conduit le législateur à procéder, par étapes, à une refonte du droit de la filiation , de façon à reconnaître une égalité des droits pour les enfants , qu'ils soient nés dans ou hors mariage :

- la loi du 16 décembre 1912 met fin à l'interdiction de recherche en paternité pour les enfants nés hors mariage ;

- la loi du 3 janvier 1972 pose le principe de l'égalité des droits entre enfants légitimes et enfants naturels ;

- la loi du 3 décembre 2001 et la loi du 4 mars 2002 font disparaître les discriminations qui frappaient encore les enfants naturels en matière de succession et de nom de famille ;

- enfin, l'ordonnance du 4 juillet 2005, ratifiée par la loi du 16 janvier 2009, supprime toute référence, dans le code civil, aux notions de filiation légitime et de filiation naturelle.

Si la présomption de paternité dans le mariage existe toujours, elle n'en est plus « le coeur » 2 ( * ) parce qu'elle ne distingue plus les « vraies » familles des autres. De cette évolution, la sociologue Irène Théry en déduit que « le coeur du mariage, ce n'est plus la présomption de paternité, mais le couple » .

3. De la famille aux familles

Depuis les années 1970, la famille en France, comme dans les autres pays développés, a connu de profondes mutations. Le modèle familial traditionnel , fondé sur un couple composé d'une femme et d'un homme unis par les liens du mariage et ayant des enfants en commun, ne constitue plus dans les faits le seul mode d'organisation de la vie familiale .

Principale illustration de cette révolution sociétale, le mariage n'a, au fil des décennies, cessé de décliner : alors qu'en 1970, 400 000 mariages étaient célébrés, 240 000 l'ont été en 2011, ce qui représente une baisse de 40 %.

Le divorce a, quant lui, progressé dans le sens inverse, enregistrant une augmentation de 12 % ces dernières années. On compte aujourd'hui en moyenne un divorce pour 2,5 mariages.

Ce recul du mariage s'est accompagné d' un développement de l'union libre : celle-ci est plus fréquente et dure beaucoup plus longtemps qu'auparavant. Aujourd'hui, neuf couples sur dix débutent leur « vie à deux » par une phase d'union libre, contre un sur six au début des années 1970.

Parallèlement, le pacte civil de solidarité (Pacs) s'est peu à peu imposé comme une forme de conjugalité à part entière . De 22 271 en 2000, le nombre de partenariats conclus a atteint 205 558 en 2010. Sur la même période, la part des Pacs conclus entre partenaires de même sexe est passée de 42 % à 4,7 %. Il ressort de cette évolution que si l'instauration du Pacs a été un instrument essentiel pour la reconnaissance des couples de même sexe, il est désormais très majoritairement conclu par les couples de sexes différents.

Le mariage a également cessé de s'imposer comme un préalable nécessaire à la procréation. Aujourd'hui, plus de 56 % des premiers enfants des couples naissent hors mariage, alors qu'ils n'étaient que 8,5 % en 1974 . L'acte fondateur d'une famille n'est donc, le plus souvent, plus le mariage mais la naissance d'un enfant.

Moins stables qu'autrefois, les couples, mariés ou non, sont affectés par des séparations de plus en plus fréquentes. Il en résulte un accroissement du nombre de familles monoparentales et de familles recomposées . Aujourd'hui, un enfant mineur sur quatre ne vit pas avec ses deux parents, un sur cinq vit dans une famille monoparentale et un sur neuf dans une famille recomposée.

Reflet de la diversité du paysage familial, les familles homoparentales sont une réalité , même s'il est très difficile d'en évaluer le nombre puisque l'Insee ne fournit pas de statistiques officielles. On estime néanmoins entre 40 000 et 300 000 le nombre d'enfants vivant dans des familles homoparentales.

Comme le montrent les travaux de la sociologue Martine Gross, l'homoparentalité recouvre une grande diversité de situations familiales. Les enfants peuvent avoir été conçus ou adoptés dans le cadre d'une union hétérosexuelle aujourd'hui défaite, dont l'un des parents a recomposé un foyer avec une personne du même sexe. Ils peuvent aussi être nés ou être accueillis dans un contexte homoparental (avec recours à l'adoption, à l'assistance médicale à la procréation ou à la gestation pour autrui). Tout comme la famille hétéroparentale, la famille homoparentale se conjugue donc au pluriel.


* 1 Expression employée par Irène Théry, sociologue, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

* 2 Le doyen Carbonnier définissait ainsi le mariage : « Le coeur du mariage, ce n'est pas le couple mais la présomption de paternité ».

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