Section 4 - Mise en place de sanctions administratives

Article 53 (Art. L. 141-1-2 [nouveau] du code de la consommation) - Faculté, pour l'autorité de contrôle, de prononcer des sanctions administratives et régime général de ces sanctions

Cet article participe du renforcement de l'arsenal de lutte contre certains manquements aux dispositions du code de la consommation. Il dote, pour la première fois, la DGCCRF du pouvoir de prononcer des sanctions administratives.

Ce faisant, il reprend l'une des propositions du projet de loi inabouti de 2011. Votre rapporteur se félicite que nombre des amendements que le Sénat avait alors adopté, à l'initiative de sa commission des lois, aient été repris, dans leur esprit, par la nouvelle rédaction proposée . Ces amendements étaient guidés par le souci d'apporter à ce nouveau régime de sanction les garanties procédurales qui s'imposaient au regard des exigences constitutionnelles.

À la différence du précédent texte, le présent projet de loi isole dans un nouvel article L. 141-1-2 du code de la consommation, le régime des sanctions administratives ainsi créées, ce qui est plus satisfaisant pour la clarté et la lisibilité du droit applicable.

1. La création d'amendes administratives ou leur substitution à certaines infractions pénales

La protection du consommateur qu'assure le droit de la consommation se décline en trois volets :

- un volet préventif, qui vise, par l'instauration d'obligations d'information ou l'interdiction de certaines pratiques, à prévenir les vices du consentement et assurer l'équilibre entre les parties dans la relation commerciale ;

- un volet curatif, qui vise à rétablir le consommateur lésé dans ses droits, par toutes les mesures civiles envisageables, comme l'annulation d'une clause abusive ou son indemnisation à hauteur du préjudice subi ;

- un volet répressif, qui sanctionne les infractions ou les manquements du professionnel à ses obligations.

Le dernier volet est lié aux autres : la perspective de la sanction dissuade de contrevenir aux règles de prévention ; la réparation se confond, quant à elle avec une sanction, lorsque l'indemnisation versée est plus onéreuse que le profit tiré de sa faute par le professionnel. Une clause abusive annulée peut aussi inverser, au bénéfice du consommateur, le déséquilibre contractuel qu'elle entretenait.

La création en droit de la consommation, de sanctions administratives participe du renforcement de ce volet répressif.

Si on le compare à d'autres droits, celui de la consommation se signale par la richesse des types de sanction qu'il met en oeuvre, puisque s'y retrouvent des sanctions civiles, des sanctions pénales, et des pouvoirs administratifs d'enquête, d'injonction et de transaction.

Les mécanismes de substitution aux sanctions pénales présentés par le groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires 84 ( * )

Les amendes civiles : il s'agit de sanctions pécuniaires prononcées par le juge civil à l'encontre d'une des parties, à la demande de son contradicteur, mais au profit du trésor public.

Les injonctions de faire : définies aux articles L. 238-1 et suivants du code de commerce, elles permettent à toute personne intéressée de demander au juge d'ordonner, au besoin sous astreinte, la production de documents ou l'exécution d'une obligation.

Les nullités extracontractuelles : elles consistent en l'annulation d'un acte à la demande de la personne qui est victime de la violation de la règle en cause.

Les sanctions civiles contractuelles : il s'agit de l'ensemble des sanctions soit prévues au contrat (clause pénale, responsabilité contractuelle) soit susceptibles d'affecter un des éléments du contrat (nullité de la convention, inopposabilité d'une clause ou clause réputée non écrite, déchéance d'un droit inscrit dans le contrat...).

La responsabilité civile extracontractuelle : elle correspond à l'indemnisation d'une victime pour le préjudice qu'elle a subi en raison du manquement ou de la violation d'une obligation légale par le professionnel.

Les codes de déontologie : il s'agit de l'élaboration par les entrepreneurs privés de règles de bonne conduite au respect desquelles ils s'engagent.

Le contrôle préalable : il consiste en l'exercice, par une autorité publique ou un acteur privé investi d'une mission de service public, d'une mission de contrôle sur les agents économiques, leur imposant d'obtenir son autorisation avant d'effectuer certaines actions.

Les injonctions administratives : elles correspondent aux mises en demeure que certaines autorités administratives ou certains services de l'État peuvent adresser aux professionnels qui ne respectent pas leurs obligations légales. Elles jouent un rôle préventif et favorisent une solution négociée du litige, sous la menace de la sanction prévue pour le manquement constaté.

Les sanctions administratives prononcées par les services de l'État ou les autorités administratives indépendantes : il s'agit de la substitution d'une sanction décidée par une administration à une sanction pénale prononcée par la juridiction répressive. La sanction administrative se limite à la répression du comportement délictueux, sans inclure, le cas échéant, la réparation du préjudice subi par les victimes éventuelles.


• Les sanctions civiles

Droit de correction des inégalités contractuelles entre le professionnel et le consommateur, le droit de la consommation trouve un appui solide dans l'ensemble des sanctions civiles contractuelles.

Celles-ci se déclinent en nullité du contrat contraire au droit de la consommation (article 6 du code civil), inopposabilité d'une clause, le contrat étant maintenu, mais la clause abusive réputée non écrite (article L. 132-1 du code de la consommation) ou encore engagement de la responsabilité civile du professionnel.

Leur effectivité est renforcée par la nature d'ordre public du droit de la consommation, qui autorise le juge à soulever d'office les manquements du professionnel à ces dispositions, sans être tenu par l'argumentation du plaignant, parfois inexpérimenté (article L. 141-4 du même code).

À ce premier ordre de sanctions civiles s'ajoutent les actions civiles ouvertes aux associations agréées de consommateurs ainsi qu'à la DGCCRF, au nom de la défense de l'intérêt collectif des consommateurs.

Les premières peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour tous les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, lorsque le manquement constaté est justiciable d'une sanction pénale (article L. 421-1 du code de la consommation). À ce titre, elles peuvent réclamer des dommages et intérêts 85 ( * ) , demander la cessation des agissements illicites, le cas échéant sous astreinte (articles L. 421-2 et L. 421-3 du même code), et solliciter l'information du public sur la condamnation prononcée aux frais du professionnel (article L. 421-9 du même code).

Ces mêmes associations sont recevables à agir devant le juge civil en cessation des agissements illicites visés par certaines directives européennes de protection du consommateur 86 ( * ) , ainsi qu'en suppression des clauses illicites ou abusives (article L. 421-6 du même code).

Elles peuvent aussi intervenir dans les procès en responsabilité individuelle engagée par un consommateur contre un professionnel (article L. 421-7 du même code). Enfin, une action en représentation conjointe leur est aussi ouverte pour agir en responsabilité, au nom de plusieurs consommateurs (article L. 422-1 du même code). Mais cette action, dont l'échec est patent 87 ( * ) , sera vraisemblablement abandonnée au profit de l'action de groupe créée par le présent texte.

Comme on l'a vu précédemment, lors de l'examen de l'article 25, la DGCCRF dispose des mêmes pouvoirs, renforcés par le présent texte, pour demander la suppression de clauses illicites ou abusives et en cessation de certains manquements à des obligations contractuelles ou de certains agissements illicites correspondant à ceux qu'elle peut constater 88 ( * ) (article L. 141-1 du même code).


• Les sanctions pénales

Les sanctions pénales applicables en matière de consommation sont nombreuses : le groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires en comptait plus d'une quarantaine dans le seul code de la consommation (tromperie, fraude à l'AOC, pratiques commerciales trompeuses ou agressives, publicité prohibée, démarchage interdit, vente à la boule de neige, abus de faiblesse, interdiction de ventes avec prime...), auxquelles s'ajoutaient plus de 120 contraventions relatives aux défauts d'étiquetage, de dénomination et de présentation des produits 89 ( * ) .

Les peines encourues s'échelonnent de la contravention de troisième catégorie à des peines d'amende délictuelle 90 ( * ) et des peines d'emprisonnement (jusqu'à cinq ans pour l'abus de faiblesse défini à l'article L. 122-8 du code de la consommation). Des peines complémentaires peuvent être prononcées, comme l'affichage du jugement (article L. 216-3) ou la diffusion d'annonces rectificatives (article L. 121-4).


• Des pouvoirs administratifs d'enquête, d'injonction et de transaction, en l'absence de sanctions administratives

Cet aspect de la question, qui a fait l'objet de développement précédent, est signalé pour mémoire. Il manifeste le rôle crucial que joue la DGCCRF en la matière.

2. Le texte proposé : la création de sanctions administratives prononcées par la DGCCRF

La création de sanctions administratives en droit de la consommation repose, pour le Gouvernement, sur un constat et une certitude.

D'une part, la répression des manquements des professionnels à leurs obligations ne serait qu'imparfaitement assurée par les sanctions pénales.

D'autre part, la procédure des amendes administratives garantirait une réponse plus efficace et plus rapide aux manquements constatés. Elle faciliterait l'établissement d'un dialogue entre l'autorité de contrôle et le contrevenant, favorable à une meilleure régulation.


Des sanctions nombreuses, plutôt d'ordre contraventionnel

Le projet de loi ne supprime pas de sanctions : il crée certaines sanctions administratives pour des manquements aujourd'hui non réprimés, il en substitue d'autres à des sanctions pénales ou les cumule à ces dernières.

Leur nombre est important : un peu moins d'une quarantaine dans le projet de loi initial.

L'échelle des sanctions est en revanche limitée : le plus faible montant d'amende encourue est de 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale. Viennent ensuite les amendes les plus nombreuses, celles d'un montant maximum de, respectivement pour les personnes physiques et les personnes morales, 3 000 euros et 15 000 euros, et enfin, quelques-unes d'un montant maximum de, respectivement, 15 000 euros et 75 000, voire de 75 000 euros et 375 000 euros.

Par comparaison avec l'échelle des infractions pénales, les deux premiers types d'amendes correspondent à une contravention de 5 e catégorie, le cas échéant pour des faits commis en récidive, et les suivantes à une amende délictuelle 91 ( * ) .

L'autorité de poursuite compétente pour toutes ces nouvelles sanctions serait l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, c'est-à-dire la DGCCRF.


• Le nécessaire respect des principes du droit pénal

Respectant le principe que votre commission des lois avait défendu lors de l'examen du précédent texte relatif à la consommation, le Gouvernement a calé le régime juridique de ces sanctions sur celui des sanctions correspondantes en droit pénal.

Il s'agit là de la traduction d'une exigence constitutionnelle, constamment rappelée par le Conseil constitutionnel : « le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à assurer les droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier doivent être respectés les principes de la nécessité et de la légalité des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » 92 ( * ) .

Ainsi, la prescription de l'action de l'administration est d'un an pour les amendes administratives d'un montant équivalent à une contravention 93 ( * ) et de trois ans pour celles correspondant plutôt à un délit 94 ( * ) . Cette prescription ne court cependant que si aucun acte d'enquête ou de poursuite n'a été engagé.

La procédure de sanction intègrerait par ailleurs les garanties nécessaires au respect des droits de la défense, et notamment du contradictoire .

Les manquements seraient constatés par procès-verbal, dont un double serait remis au contrevenant. Celui-ci serait informé par écrit, avant toute décision, de la sanction envisagée, de la possibilité de consulter le dossier, d'être assisté par le conseil de son choix. Il serait invité à présenter ses observations écrites ou orales, dans un délai de soixante jours 95 ( * ) .

À l'issue de ce délai, la DGCCRF pourrait prononcer l'amende, en motivant sa décision, et émettre un titre de perception aux fins de recouvrement.

L'articulation des amendes entre elles, et avec les autres sanctions pénales, point qui avait particulièrement attiré la vigilance de votre commission en 2011 , serait assurée conformément aux règles applicables en matière pénale.

Votre commission se félicite que la solution qu'elle avait alors proposée soit ainsi consacrée dans le projet de loi.

Ainsi, lorsqu'une amende administrative sera susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le montant global des sanctions prononcées ne pourra dépasser le maximum légal encouru le plus élevé. Il s'agit de la reprise, presque mot pour mot, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel 96 ( * ) .

Un tel mécanisme existe déjà aux articles L. 433-1 du code du cinéma et de l'image animé et L. 621-16 du code monétaire et financier.

La question du cumul de sanctions administratives est aussi traitée par le présent article.

Le cas visé est celui où plusieurs sanctions de même nature sont susceptibles de se cumuler parce que plusieurs manquements viennent en concours, c'est-à-dire qu'ils sont poursuivis en même temps 97 ( * ) .

Le principe traditionnel, posé à l'article 132-4 du code pénal, est que « lorsque, à l'occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s'exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé ».

Ce principe reçoit une exception pour les peines d'amende contraventionnelle, qui se cumulent entre elles ou avec celles encourues pour des crimes ou délits en concours 98 ( * ) .

Or, par nature, le domaine de la consommation est un domaine où cette question du cumul de sanctions est susceptible de se poser de manière récurrente : le manquement se répète autant de fois que de produits offerts à la vente ou de contrats signés. Ainsi, en cas de défaut de renseignement du prix dans un rayonnage de magasin, une infraction est constituée pour chaque produit non étiqueté.

Rapidement, l'effet volume l'emporterait sur la faiblesse de l'amende, et le professionnel pourrait être condamné à des sommes considérables.

C'est la raison pour laquelle le texte prévoit, comme le Sénat l'avait proposé en 2011, de soumettre les sanctions administratives aux mêmes principes de cumul que les sanctions pénales équivalentes.

Toutefois, par exception, les amendes d'un montant maximal encouru inférieur ou égal à 3 000 euros pour une personne physique ou 15 000 pour une personne morale pourraient se cumuler indéfiniment. Cette amende renvoie à la sanction du refus de se conformer à une injonction de la DGCCRF, ainsi qu'à la très grande majorité des amendes administratives .

3. La position de votre commission

Comme en 2011, votre commission s'est prononcée favorablement à l'introduction des sanctions administratives dans le droit de la consommation.

Elle se félicite des avancées que marque le texte, qui reprend nombre des amendements qu'elle avait proposé à l'époque.

Ces progrès rendent d'autant plus surprenant les reculs enregistrés par le présent texte , par rapport à celui adopté par le Sénat en 2011, sur plusieurs questions, dont une de principe, celle de l'unité du contentieux du droit de la consommation .


Le problème posé par l'éclatement du contentieux du droit de la consommation entre les deux ordres de juridiction.

Examinant l'opportunité de basculer du droit pénal vers celui des sanctions administratives, le groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires concluait que « [...] si la dépénalisation peut être compensée par l'instauration de sanctions administratives, plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que ce mouvement constituait un recul en matière de garanties procédurales par rapport à la justice pénale. En outre, elle ferait basculer un contentieux du juge pénal vers le juge administratif, ce qui, hormis un basculement total, produirait un dualisme juridictionnel pour une même branche du droit. Le système manquerait ainsi de cohérence » 99 ( * ) .

Votre commission avait fait sienne cette réflexion, comme la commission des affaires économiques et, à leur suite, le Sénat.

En effet, en 2011, le projet de loi du Gouvernement prévoyait d'attribuer au juge administratif le contentieux relatifs aux sanctions administratives.

Toutefois les députés, à l'initiative de leur rapporteur du texte pour la commission des affaires économiques, Daniel Fasquelle, avait imposé la compétence du juge judiciaire pour l'annulation et la réformation de la décision de la DGCCRF dans deux cas : l'amende relative à une clause illicite, ou celle sanctionnant une infraction aux obligations d'information sur les caractéristiques essentielles du produit.

Le Sénat était allé plus loin, à l'invitation de la commission de l'économie et de celle des lois, en étendant cette compétence d'une part aux injonctions préalables aux sanctions et, d'autre part, au recours de pleine juridiction.

Or, il ne reste rien de ces avancées dans le texte présenté .

La question, cependant est essentielle.

Certes, comme votre rapporteur l'indiquait alors, « par principe le contentieux des sanctions administratives échoit au juge administratif, mais celui des manquements aux obligations imposées aux professionnels, qui intéresse la relation commerciale établie entre deux personnes privées relève des juridictions judiciaires.

« La création de sanctions administratives en droit de la consommation perturbe donc inévitablement la bonne répartition des compétences entre les juridictions, puisqu'elle conduit le juge administratif à se prononcer sur la légalité d'une sanction qui punit un manquement à des règles de droit civil, qu'il revient aux tribunaux judiciaires d'apprécier ».

Or, si un principe fondamental reconnu par les lois de la République réserve bien à la juridiction administrative le contentieux de l'annulation ou de la réformation des décisions administratives, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans la décision qui a consacré ce principe, qu'il n'interdit pas que, par exception, la juridiction judiciaire soit déclarée compétente en ces matières, si ceci répond à l'intérêt général d'une bonne administration de la justice 100 ( * ) .

Les exemples d'un tel choix du législateur sont nombreux : il en va ainsi du contentieux relatif aux sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence 101 ( * ) , l'autorité des marchés financiers (AMF) 102 ( * ) , ou l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) 103 ( * ) . Même l'administration fiscale est soumise au juge judiciaire, pour toutes les décisions qu'elle rend en matière de contributions indirectes 104 ( * ) .

À chaque fois, le fil suivi par le législateur était celui de la cohérence entre la compétence au fond et celle sur les sanctions .

Dans la mesure où, dans le domaine de la concurrence, celui des marchés financiers, celui de la régulation entre des opérateurs privés..., le juge judiciaire était le juge naturel des parties, rôdé à l'appréciation des intérêts des entreprises, des professionnels ou des investisseurs, il était logique que les sanctions des manquements aux règles soumises à l'interprétation du juge de droit privé, lui soient soumises aussi.

Or, rien ne distingue, de ce point de vue, le droit de la consommation des champs précités. Bien au contraire, plus qu'aucun autre, il est le droit des relations privées entre un professionnel et un consommateur.

Le juge judiciaire est compétent pour apprécier le contrat qui noue la relation commerciale entre les deux, prononcer des astreintes pour faire cesser un manquement, déclarer une clause abusive, sanctionner pénalement des infractions au droit de la consommation, prononcer la responsabilité du professionnel. La Cour de cassation a forgé une jurisprudence sur l'ensemble de ces questions en les appuyant sur les principes dégagés du code civil...

Mais, parce qu'on confierait à une autorité administrative le soin de prononcer des sanctions sur certains manquements dont l'appréciation revient toujours aux juridictions judiciaires, tout ce contentieux basculerait dans le champ de compétence de la juridiction administrative ?

Le juge administratif ne connaît que résiduellement de ces questions, pour les injonctions prononcées par la DGCCRF 105 ( * ) ou l'application de certaines règles aux services publics industriels et commerciaux.

Cette compétence résiduelle est de peu de poids face à l'avantage de maintenir dans le même ordre de juridiction les appréciations formées sur la légalité des manquements et celle des sanctions qui y sont associées, ce qui garantit l'émergence d'une jurisprudence commune .

Au cours des auditions, les représentants des entreprises, ceux des professionnels du commerce, ceux de la fédération bancaire française ont, comme M. le professeur Jean Calais-Auloy, d'ailleurs émis le voeu de conserver la compétence sur les sanctions administratives au juge judiciaire, juge des contrats qu'ils concluent avec leurs clients.

Votre rapporteur souligne le risque de divergences de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction , lorsqu'un tribunal administratif sera saisi d'une sanction relative à un manquement dont aura à connaître, par la voie d'une action civile en responsabilité, le juge judiciaire. D'autres situations sont encore envisageables : celle d'une infraction poursuivies à la fois devant la juridiction répressive et la juridiction administrative, saisie d'une sanction sur les mêmes faits, ou encore celle du juge judiciaire saisi par la DGCCRF pour déclarer une clause abusive, en même temps que la même autorité administrative sanctionnera le refus du professionnel de déférer à son injonction.

Les situations contentieuses risquent d'être labyrinthiques, au détriment de celui dont le droit sera bafoué.

On peut aussi craindre les incidents de procédure et la « lente course » des recours qu'on observe parfois dans ces matières à cheval sur deux ordres de juridictions, les parties sollicitant sans cesse renvois et questions préjudicielles.

Enfin, on peut observer que les délais moyens de traitement des affaires ordinaires devant les juridictions administratives sont bien plus long que devant les juridictions judiciaires : le souci de la célérité plaiderait plutôt, lui aussi, en faveur de la compétence du juge judiciaire 106 ( * ) .

L'intérêt qui s'attache à la bonne administration de la justice, et au respect du juge naturel des parties à la relation de consommation, impose d'attribuer au juge judiciaire le contentieux des sanctions administratives prononcées par la DGCCRF. Par extension logique, les injonctions prononcées préalablement à ces sanctions, ou celles susceptibles de faire l'objet d'une amende si elles ne sont pas respectées, devraient revenir aussi au juge judiciaire : l'accessoire suit le principal.

Votre commission a adopté un amendement en ce sens de son rapporteur, qui renoue avec l'esprit qui avait inspiré les travaux du Sénat lors du précédent texte sur la consommation .


L'absence de plafond de cumul pour les amendes administratives d'un montant inférieur ou égal à 3 000 euros

Comme on l'a vu précédemment, par exception à la règle du plafond de cumul des amendes administratives, celles d'un montant maximal encouru inférieur ou égal à 3 000 euros pour une personne physique ou 15 000 pour une personne morale pourraient se cumuler indéfiniment.

Cette règle de non cumul est ainsi calée sur celle applicable en matière pénale.

Toutefois, elle ne rend pas compte d'une différence essentielle entre le champ de la consommation et celui du droit pénal général .

Il est rare, en droit pénal général, qu'un nombre très élevé de contraventions viennent en concours.

En revanche, la situation est très fréquente en droit de la consommation : une erreur d'information pour cent produits identiques portés en rayon compte pour cent manquements. Même si la DGCCRF ne prononce que des sanctions équivalentes à 10 % du montant maximal encouru, le total des amendes acquittées par le professionnel sera ainsi 10 fois supérieur au maximum légal.

En outre, compte tenu du seuil retenu pour appliquer la règle restrictive pour le cumul (supérieur à 3 000 euros), la possibilité de cumuler les amendes sans plafond concernera près des ¾ des manquements sanctionnés par la DGCCRF.

Ce faisant, la répression risque d'être excessive, à moins que la DGCCRF décide volontairement d'appliquer une règle implicite de non cumul, même pour les amendes d'un montant inférieur.

Le dispositif retenu pour le non cumul n'apparaît pas satisfaisant et pose la question de sa conformité au principe de la nécessité des peines .

À l'initiative de son rapporteur votre commission a souhaité corriger ces excès en adoptant un amendement imposant l'application de la règle du non-cumul à toutes les sanctions administratives prononcées par la DGCCRF, quel qu'en soit le montant. Cet amendement rend compte du fait qu'un système de consommation de masse induit nécessairement des manquements de masse, puisqu'ils concernent un nombre élevé de consommateurs ou de produits.


Les droits des victimes et la publicité de la sanction

En 2011, le Sénat avait adopté un amendement de votre commission prévoyant que les sanctions administratives soient publiées. Le présent texte n'en porte pas trace.

Cette disposition, pourtant, s'inspirait du rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon, qui observait que, devant la perspective de l'attribution d'un pouvoir de sanction à la DGCCRF, certains intervenants s'étaient inquiétés de ce que « la place des victimes, essentielle en droit de la consommation, ne serait pas forcément préservée » 107 ( * ) .

Votre rapporteur avait à cet égard rappelé que la crainte était justifiée : « même si l'opportunité des poursuites reste la prérogative unique du ministère public, la victime peut s'associer à l'action pénale en se constituant partie civile ou par citation directe, ce qui lui permet notamment d'obtenir réparation à cette occasion. Rien de tel n'est possible dans le cadre d'une poursuite administrative, la réparation du préjudice relevant du juge civil.

En outre, sauf disposition expresse, les sanctions administratives ne sont soumises à aucune publicité, contrairement aux condamnations pénales, ce qui nuit aux consommateurs, parce qu'ils ne sont pas informés du comportement fautif et de sa sanction.

Or, cette information pourrait les conduire à être plus vigilants vis-à-vis du professionnel condamné ou à réclamer la réparation de leur préjudice. En outre, la publicité de la sanction a un effet dissuasif puisqu'elle affecte la réputation des entreprises à laquelle celles-ci sont très attachées. Enfin, si le silence gardé sur la sanction peut être un élément de la négociation conduite entre l'entreprise et l'autorité de régulation, il colore cette transaction d'un soupçon -infondé- de connivence, délétère pour la confiance des consommateurs vis-à-vis de l'autorité de régulation ».

Votre commission a confirmé la pertinence de cet argument et a adopté en conséquence un amendement prévoyant que les amendes administratives devenues définitives fassent l'objet d'une publicité dont les modalités seraient fixées par décret en Conseil d'État.


• La question posée par la jurisprudence constitutionnelle relative à l'indépendance et l'impartialité des autorités prononçant des sanctions administratives

Le 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a confirmé, à propos d'une affaire intéressant l'ARCEP 108 ( * ) , sa jurisprudence selon laquelle le respect des principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'impose aux autorités administratives indépendantes qui exerce un pouvoir de sanction.

Cette jurisprudence, exprimée une première fois à l'occasion d'une décision relative au pouvoir disciplinaire de la commission bancaire, en 2011 109 ( * ) , est valable que l'autorité exerce ou non des prérogatives juridictionnelles 110 ( * ) .

Les principes d'indépendance et d'impartialité imposent que l'autorité de poursuite et celle compétente pour prendre la sanction soient distinctes. Cette séparation entre l'une et l'autre peut être organique, comme c'est le cas pour l'AMF, ou simplement fonctionnelle, comme c'est le cas pour l'Autorité de la concurrence. Ainsi, au sein de cette dernière autorité, l'instruction des affaires est confiée au rapporteur général, nommé par arrêté ministériel, qui n'est pas soumis au pouvoir hiérarchique du président de l'autorité, et gère, par délégation, l'ordonnancement des crédits nécessaires à l'exécution de sa mission 111 ( * ) .

À plusieurs reprises au cours des auditions, les personnes entendues par votre rapporteur se sont interrogés sur l'application de cette jurisprudence au présent article, et, partant, sur sa conformité à la Constitution : la DGCCRF se voyant reconnaître un pouvoir de sanction administrative, sera-t-elle soumise à l'exigence d'indépendance et d'impartialité ?

Cette question est importante, car, appliquée à l'administration, la jurisprudence précitée interdirait qu'un pouvoir de sanction administrative lui soit conféré.

En effet, s'agissant d'un service ministériel, soumis, in fine , à l'autorité hiérarchique du ministre, aucune indépendance fonctionnelle n'est envisageable : même si l'instruction et la décision relevaient de deux services séparés, l'un et l'autre resteraient placés sous l'autorité du ministre.

Votre rapporteur note toutefois que, jusqu'à présent, cette jurisprudence ne s'applique qu'aux autorités administratives indépendantes (AAI) et n'a jamais porté sur des services administratifs.

L'exigence d'indépendance et d'impartialité concerne, au premier chef, les juridictions elles-mêmes. Elle s'est ensuite diffusée vers les autorités administratives indépendantes dotées de prérogatives juridictionnelles. Les décisions les plus récentes marquent une progression de ces mêmes exigences vers les AAI de nature non juridictionnelle. Rien, dans les décisions connues du Conseil constitutionnel, n'indique que le champ de cette jurisprudence puisse être étendu à l'administration tout entière.

Votre rapporteur note à cet égard, qu'au-delà des seules sanctions en matière de consommation, une telle décision, si elle advenait, remettrait en cause le rôle régulateur de l'administration dans de nombreux secteurs, lorsque ses agents ont la possibilité de sanctionner les manquements qu'ils constatent.

Il sera utile, en tout état de cause, que le Gouvernement précise en séance son analyse sur cette jurisprudence et ses limites.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 53.

Article 59 (Titre VI bis [nouveau] du livre IV du code de commerce) - Injonctions et prononcé de sanctions administratives en matière de concurrence

Cet article étend, dans le champ de la concurrence qui relève de la compétence de la DGCCRF (le titre IV du livre IV, sur les pratiques restrictives de concurrence et les pratiques prohibées), les compétences en matière de sanction et de d'injonction administrative qui lui seraient reconnus, en matière de consommation, par les articles 25 et 53 du présent texte.

Il créerait à cette fin un nouveau titre VI bis au sein du livre IV du code de commerce.

Les dispositions du présent article étant similaires au régime des injonctions et des sanctions administratives organisé aux articles 25 et 53, votre commission a adopté, par coordination, le même amendement attribuant à la juridiction judiciaire la compétence pour connaître des sanctions et injonctions administratives. Ceci est conforme avec le fait que les pratiques visées à ces articles relèvent en particulier de la juridiction commerciale.

Sous réserve de l'adoption de son amendement , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 59.


* 84 Rapport au garde des sceaux du groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires, juin 2008, p. 24 à 30. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000090/index.shtml

* 85 Conformément aux articles 3 et 4 du code de procédure pénale, cette action s'exerce soit devant la juridiction pénale statuant sur l'action civile, soit devant la juridiction civile, statuant sur cette même action.

* 86 La liste des directives concernées est donnée par l'article 1 er de la directive 2009/22/CE du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs. Elle recouvre le crédit à la consommation, les contrats de voyage, de services, de commerce électronique, de vente, les pratiques commerciales déloyales, les clauses abusives etc . La quasi-totalité des directives concernées a fait l'objet d'une transposition prévoyant une sanction pénale. L'action ouverte au titre de l'article L. 421-6 du code de la consommation est donc largement redondante avec celle ouverte au titre de l'article L. 421-2 du même code. Il y a cependant une exception notable : les clauses abusives qui ne font, en l'état actuel du droit, l'objet d'aucune sanction pénale, mais seulement d'une sanction civile, la clause étant réputée non écrite.

* 87 Cette action, qui est ouverte depuis 1992 n'est toutefois presque jamais utilisée (5 cas seulement depuis cette date), en raison des nombreuses difficultés qu'elle présente, notamment dans la gestion des mandats de représentation et l'interdiction de toute publicité.

* 88 S ur le champ d'application des pouvoirs de la DGCCRF, voir infra .

* 89 Op. cit. , p. 40-44.

* 90 C'est-à-dire d'amendes dont le montant maximum est égal, au moins, à 3 750 euros.

* 91 Le montant maximum des contraventions de 5 e catégorie est en effet, hors récidive, de 1 500 euros. Le montant minimum pour les amendes délictuelles est de 3 750 euros, ce qui dessine, entre les deux niveaux, une « zone grise ».

* 92 Conseil constitutionnel, n° 2000-433 DC, 27 juillet 2000, cons. 50, Rec. p. 121.

* 93 Ce qui est conforme au principe posé à l'article 9 du code de procédure pénale.

* 94 Conformément à l'article 8 du même code.

* 95 Le texte initial du Gouvernement prévoyait seulement un délai de 30 jours. Les députés l'ont étendu à deux mois à l'initiative du rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Razzy Hammadi.

* 96 Conseil constitutionnel, n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, Rec. p. 333, cons. 41.

* 97 Art. 132-2 du code pénal : « il y a concours d'infractions lorsqu'une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction ».

* 98 Art. 132-7 du code pénal.

* 99 Rapport au garde des Sceaux du groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires , juin 2008, p. 29.

* 100 Conseil constitutionnel, n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Rec. p. 8, cons. 15 et 16.

* 101 Art. L. 464-7 du code de commerce : « La décision de l'Autorité prise au titre de l'article L. 464-1 peut faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation par les parties en cause et le commissaire du Gouvernement devant la cour d'appel de Paris au maximum dix jours après sa notification ».

* 102 Art. L. 621-30 du code monétaire et financier : « L'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 est de la compétence du juge judiciaire ».

* 103 Art. L. 36-8, IV, du code des postes et des communications électroniques : « Les recours contre les décisions et mesures conservatoires prises par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en application du présent article sont de la compétence de la cour d'appel de Paris ».

* 104 Art. 199 du livre des procédures fiscales : « en matière de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou contributions , le tribunal compétent est le tribunal de grande instance. Les tribunaux de grande instance statuent en premier ressort ».

* 105 Encore cette compétence est-elle discutée : le tribunal administratif de Versailles l'avait écartée dans une ordonnance du 13 septembre 2010, avant d'être infirmé par la cour d'appel de Versailles dans un arrêt du 16 juillet 2012 (n° 10VE03618).

* 106 Ainsi, en 2011, pour les affaires ordinaires, le délai était systématiquement plus court, devant les juridictions judiciaires au civil, que devant les juridictions administratives :

- 17 mois devant le Conseil d'État, contre un peu moins de 13 mois devant la Cour de cassation ;

- 1 an et 2 mois et demi pour les Cours administratives d'appel, contre 1 an et 15 jours devant les Cours d'appel judiciaires ;

- un peu plus de 2 ans devant les tribunaux administratifs, contre un peu plus de 9 mois devant les tribunaux de grande instance.

* 107 Op. cit. , p. 38.

* 108 CC, n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Société Numéricâble SAS et autre , Journal officiel du 7 juillet 2013, page 11356, cons. 9 à 12.

* 109 CC, n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, Banque populaire Côte d'Azur , Journal officiel du 3 décembre 2011, p. 20496, cons. 8.

* 110 CC, n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre , Journal officiel du 13 octobre 2012, p. 16031, cons. 16.

* 111 CC, n° 2012-280 QPC précitée.

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