B. LA PROTECTION DES AGENTS DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT ET L'ASSOUPLISSEMENT DU CADRE JURIDIQUE DE LEURS PRÉROGATIVES

1. Une meilleure protection des agents dans les procédures judiciaires

La LOPPSI 3 ( * ) a créé une procédure spécifique de témoignage pour les agents de renseignements appelés à comparaître en justice (article 656-1 du code de procédure pénale), afin de préserver leur anonymat et, partant, d'assurer leur sécurité . Il semble que ces dispositions ne soient pas suffisantes pour atteindre le but recherché. En particulier, le déplacement des agents dans les locaux de la juridiction ou des services enquêteurs les exposerait à l'excès. Dès lors, l'article 7 du présent projet de loi propose de permettre l'audition des agents sur leur lieu d'affectation. Votre commission a approuvé cette disposition, compatible avec les principes de notre droit et avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière.

2. Un élargissement progressif de l'accès aux fichiers

Les lois successives relatives à la sécurité ou à la lutte contre le terrorisme ont permis aux services enquêteurs de la police et de la gendarmerie nationales ainsi qu'aux services de renseignement d'accéder, pour des finalités progressivement élargies, à certains fichiers gérés par la puissance publique.

Les articles 8, 11 et 12 du présent projet de loi prolongent ce mouvement en permettant aux services du ministère de la défense d'accéder :

- à certains à grands fichiers administratifs (principalement le fichier national des immatriculations, le fichier des permis de conduire, le fichier national des cartes d'identité et le fichier national des passeports, l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) dans le cadre de l'ensemble de leurs missions de défense des intérêts fondamentaux de la Nation et non plus dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme. Les services de renseignement du ministère de l'économie se verraient accorder le même accès ( article 8 );

- aux fichiers de police judiciaire du ministère de l'intérieur, afin d'assurer la protection de leurs agents lors de certaines missions d'intervention, ainsi que pour sécuriser leurs procédures de recrutement ( articles 11 et 12 ).

3. Un nouveau fichier des données des transporteurs aériens

Le présent projet de loi comporte deux articles relatifs aux fichiers alimentés à partir des données transmises par les transporteurs aériens 4 ( * ) sur les voyageurs. L'article 9 propose ainsi un élargissement de l'accès des services de renseignement à deux fichiers déjà existants (le fichier national transfrontière et le système européen de traitement des données d'enregistrement et de réservation), qui concernent les personnes se rendant dans un pays non membre de l'Union européenne ou arrivant en provenance d'un de ces pays et qui sont utilisés dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine ou contre le terrorisme.

En revanche, les dispositions de l'article 10 représentent une véritable innovation puisqu'elles tendent à autoriser la création d'un nouveau traitement des données PNR ( Passenger Name Record ) transmises par les transporteurs aériens, qui concernerait potentiellement tous les voyageurs internationaux quittant la France ou y atterrissant, et qui aurait pour but de contribuer à lutter contre toutes les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et contre un ensemble très large d'infractions punies de plus de trois ans d'emprisonnement. En outre, ce nouveau fichier serait utilisé à des fins de « profilage » (ou « ciblage ») , afin de détecter automatiquement les individus dangereux avant leur départ ou leur arrivée en France. Ces dispositions anticipent sur l'adoption d'une directive européenne présentée en février 2011 et qui connaît un parcours difficile au sein des instances de l'Union européenne .

4. L'autorisation de la géolocalisation

La rédaction actuelle des dispositions de l'article L. 34-1-1 du code des postes et communications électroniques, qui autorise les services de police et de gendarmerie nationale, dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, à exiger des opérateurs de télécommunications les données techniques de connexion de leurs clients (dont les « fadettes »), ne semble pas permettre de recueillir ces données en « temps réel ». De ce fait, les services précités ne peuvent pas demander à un opérateur de géolocaliser un portable à l'instant de leur demande. Or, cette possibilité de géolocalisation est un outil très efficace pour suivre les activités des criminels. Dès lors, l'article 13 propose d'inscrire explicitement la possibilité d'effectuer cette demande de donnée en temps réel auprès des opérateurs.

5. La position de votre commission : préserver l'équilibre entre efficacité des forces de l'ordre et les libertés publiques

Votre rapporteur a examiné la proportionnalité des dispositions introduites par les articles 8 à 13 par rapport aux objectifs constitutionnels de préservation de l'ordre public et de lutte contre la criminalité et par rapport aux missions effectivement remplies par les services de renseignement . Concernant l'élargissement de l'accès à certains grands fichiers publics ( article 8 ), il a estimé que cette proportionnalité était respectée. Il en est de même pour l'élargissement de l'accès aux fichiers d'antécédents judiciaires ( articles 11 et 12 ), dans la mesure où cet élargissement est précisément encadré et correspond à un besoin bien identifié et légitime des services (s'assurer de la « fiabilité » des personnes recrutées et protéger les agents lors de leurs interventions). Dès lors, votre commission a approuvé ces dispositions .

En revanche, la création d'un nouveau fichier PNR en anticipation de l'adoption de la directive européenne présentée en février 2011 suscite plusieurs difficultés. En effet, le Sénat, dans deux résolutions européennes du 30 mai 2009 et du 13 avril 2011, a exprimé certaines réserves sur le projet de directive PNR européenne, et a émis certaines recommandations à l'attention du Gouvernement pour la poursuite des négociations. Or, il apparaît que certaines dispositions de l'article 10 sont incompatibles avec certaines de ces recommandations. Dès lors, votre commission a adopté des amendements de votre rapporteur tendant à insérer au sein du dispositif proposé les garanties préconisées par les résolutions du Sénat .

Par ailleurs, votre commission a considéré que l'introduction d'une possibilité de géolocalisation en temps réel au sein du dispositif du code des postes et communications électroniques, dispositif temporaire et créé spécifiquement pour lutter contre le terrorisme, n'était pas satisfaisante. Elle a donc adopté un amendement de votre rapporteur ayant pour objet d'insérer ces dispositions au sein de celles du code de la sécurité intérieure ayant codifié la loi du 10 juillet 1991 relative aux interceptions de sécurité. Ce faisant, elle a unifié les dispositifs de recueil des données de connexion.


* 3 loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

* 4 Il s'agit des données dites API et des données dites PNR : cf. le commentaire de l'article 9.

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