II. EXAMEN DE L'AVIS

Réunie le mercredi 27 novembre 2013 , sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l' examen du rapport pour avis de Mme Gisèle Printz , sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ») et les articles 62, 62 bis, 62 ter, 62 quater, 62 quinquies, 62 sexties, 62 septies et 62 octies rattachés.

Mme Gisèle Printz, rapporteure pour avis . - A la veille des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, mais également dans un contexte où l'engagement de nos forces en opérations extérieures (Opex) ne faiblit pas, l'examen par notre commission de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » s'inscrit dans un contexte où la mémoire et la reconnaissance envers les anciens combattants vont être mis à l'honneur. L'actualité sénatoriale nous a déjà donné l'occasion d'aborder récemment ce sujet avec la proposition de loi de notre collègue Marcel-Pierre Cléach sur les conditions d'attribution de la carte du combattant, qui n'a pas été adoptée.

Témoignage du droit à réparation dont bénéficient les différentes générations du feu et les victimes de guerre, cette mission rassemble les crédits destinés à l'entretien de l'esprit de défense et de la mémoire du monde combattant, au financement des droits reconnus aux anciens combattants et à l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Son évolution témoigne de l'importance que revêtent ces questions pour le Gouvernement.

La spécificité de ce budget tient à un constat indéniable et qui s'aggrave au fil des années : le vieillissement de ses bénéficiaires et la diminution de leur nombre. L'âge moyen des anciens d'Algérie est supérieur à 75 ans. En 2014, le nombre de titulaires d'une pension militaire d'invalidité va baisser de 5,2 % et le nombre de retraites du combattant versées de 4 %. Les effectifs de la quatrième génération du feu sont loin de compenser ce phénomène démographique, d'autant plus que les femmes et hommes ayant servi en Opex sont encore peu nombreux à avoir atteint l'âge requis pour être éligible à certaines prestations.

Le Gouvernement aurait pu faire le choix d'appliquer mécaniquement cette réduction au budget. Une telle solution aurait méconnu le caractère particulier de cette mission. En conséquence, la diminution est de 2,8 %, ce qui représente 86,6 millions d'euros sur un total de 2,98 milliards.

Les arbitrages rendus sont conformes aux engagements pris l'an dernier par le Gouvernement et permettent de satisfaire la principale revendication du monde combattant : l'attribution de la carte du combattant aux soldats dont le déploiement en Algérie a commencé avant le 2 juillet 1962 mais s'est achevé après cette date. Elle avait été promise de longue date par différents ministres. Le soutien à l'aide sociale de l'Onac est poursuivi et la politique de mémoire va disposer de moyens à la hauteur des échéances de l'an prochain.

Les efforts demandés au monde combattant ne touchent pas les anciens combattants les plus défavorisés. Ils sont justes et préservent les principaux acquis. Je pense ici à la modification apportée au régime de la retraite mutualiste. Loin de fragiliser ce dispositif, elle le préserve de la remise à plat de ses fondements qui aurait été souhaitée par Bercy. Seul l'abondement spécifique de l'Etat voit son taux diminuer, la fourchette dans laquelle il est compris, auparavant de 12,5 % à 60 % du montant du versement effectué, passant de 10 % à 40 %. Son plafond est maintenu, ainsi que l'enveloppe globale qui lui est consacrée. Surtout, son traitement fiscal favorable est sauvegardé, tout comme la demi-part fiscale accordée à partir de 75 ans aux détenteurs de la carte du combattant et à leur conjoint survivant. Ce sont deux points auxquels les associations représentant le monde combattant sont très attachées.

J'en viens maintenant aux politiques thématiques portées par cette mission, qui sont réparties dans trois programmes.

La première consiste au développement des liens entre la Nation et son armée. La Journée défense et citoyenneté (JDC) en est l'un des piliers. Elle est suivie chaque année par près de 750 000 jeunes, soit la quasi intégralité d'une classe d'âge. La réforme de l'administration chargée de la mettre en oeuvre, la direction du service national, s'est achevée afin de la recentrer sur sa mission première, la sensibilisation de la jeunesse à l'esprit de défense et à la citoyenneté, tout en rationalisant son fonctionnement. Plusieurs évolutions sont envisagées, notamment le développement de partenariats, tout en veillant à ne pas faire perdre à la JDC sa cohérence d'ensemble.

La mémoire du monde combattant est le second facteur qui contribue à entretenir un lien fort entre les citoyens et leur armée. L'année 2014 sera dans ce domaine très riche, avec le début des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui ont été officiellement lancées par le Président de la République le 7 novembre dernier, et le soixante-dixième anniversaire des débarquements alliés en France et de la libération de la majeure partie du territoire.

Au-delà des traditionnelles activités de soutien à des actions pédagogiques, à l'édition d'ouvrages historiques et à la production de films, qui en 2014 seront orientées en priorité vers le programme mémoriel spécifique de l'année, le ministère de la défense sera au coeur de l'organisation et du financement des commémorations. Le budget qui y est consacré augmentera de 5,8 millions d'euros pour atteindre 23,2 millions d'euros, soit une hausse de 33 % par rapport à 2013, qui fait suite à une augmentation de 43 % entre 2012 et 2013.

Sur ce total, 8 millions seront consacrés au soixante-dixième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale. Une cérémonie internationale rassemblera le 6 juin prochain, sur les plages de Normandie, les chefs d'Etat et de gouvernement des nations belligérantes. Le soulèvement des maquis, à travers les exemples du Mont-Mouchet et du Vercors, et la mémoire des victimes civiles constitueront des temps forts de ces commémorations. Enfin, la libération de Paris et Strasbourg en sera le troisième volet. Il faut ajouter à ce total un million d'euros qui viendront soutenir des projets locaux.

Le centenaire de la Première Guerre mondiale est quant à lui organisé par un groupement d'intérêt public (GIP) dédié, institué en 2012. Son budget s'établit à 14 millions d'euros jusqu'en 2014. Quatre rendez-vous commémoratifs sont pour l'instant prévus :

- le 14 juillet prochain, les représentants de plus de soixante-dix nations ayant participé au conflit, accompagnés de jeunes de chaque pays, participeront au défilé ;

- du 1 er au 3 août, le centenaire de l'entrée en guerre sera marqué par une initiative auprès de la presse quotidienne régionale et par une minute de silence observée au niveau international ;

- le 12 septembre 2014 à Reims une cérémonie internationale commémorera la bataille de la Marne ;

- le 11 novembre, un hommage aux combattants tombés sera rendu à la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette, qui coïncidera avec l'inauguration d'un nouveau mémorial.

Par ailleurs, la mission du centenaire a, après examen par son conseil scientifique, labellisé plus de mille projets portés au niveau local par des collectivités ou des associations. Elle dispose de 7 millions d'euros pour contribuer à leur financement.

Il faut également mentionner l'investissement particulier réalisé dans l'entretien et la rénovation des sépultures de guerre et la valorisation des hauts lieux de la mémoire nationale, gérés par l'Onac. Cette saison mémorielle constitue une opportunité unique, pour nos territoires, de développer le tourisme de mémoire. Cette filière génère un chiffre d'affaires direct de 45 millions d'euros et des retombées indirectes sans doute bien plus importantes. Dans des régions qui connaissent d'indéniables difficultés économiques, il s'agit d'atouts qui sont loin d'être négligeables : des centaines de milliers de visiteurs étrangers sont attendus dans les quatre années à venir.

Par ailleurs, le 27 mai prochain aura lieu la première journée nationale de la Résistance, issue de la proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Mirassou. Adoptée à la quasi-unanimité, elle témoigne du souhait que nous partageons tous de faire vivre la mémoire nationale et d'assurer sa transmission. Sur ce point, l'Education nationale a un rôle majeur à jouer : son partenariat avec le ministère de la défense sera d'ailleurs prochainement renouvelé.

Le droit à réparation dont peuvent se prévaloir les anciens combattants représente la majeure partie des crédits de la mission. Il recouvre plusieurs types de prestations : les pensions militaires d'invalidité, la retraite du combattant, les soins médicaux gratuits des invalides de guerre, la prise en charge des remboursements de sécurité sociale de ceux d'entre eux qui ne sont plus assurés sociaux, la majoration des rentes mutualistes et les actions de solidarité par le biais de l'Onac. Le montant total de ces dépenses s'élève à 2,76 milliards d'euros.

La principale mesure est ici l'attribution de la carte du combattant « à cheval », qui devrait bénéficier à 8 400 personnes pour un coût de 5,5 millions d'euros. Les progrès réalisés dans l'attribution de la carte aux anciens des Opex permettront à plus de 10 000 d'entre eux de recevoir la carte cette année.

Un problème n'est toujours pas pleinement réglé : celui des conjoints survivants des grands invalides, dont la pension de réversion est d'un niveau très faible. Sur cette question techniquement complexe et symboliquement sensible, il existe d'importantes divergences entre le Gouvernement et les associations.

Permettez-moi surtout de vous faire part de ma grande satisfaction devant le décret pris le 29 janvier dernier qui met enfin un terme aux inégalités touchant les malgré-nous et liées à la ligne Curzon. Selon leur lieu de détention, à l'est ou à l'ouest de celle-ci, leur invalidité était, ou non, imputée à cette épreuve. Après avoir pendant plusieurs années souligné l'injustice de cette situation, je suis heureuse que les derniers survivants bénéficient de cette reconnaissance. Ils ne sont de toute évidence plus très nombreux : onze demandes ont pour l'instant été formulées.

Pour la mettre en adéquation avec les attributions du ministère dirigé par Kader Arif, la mission intègre cette année les crédits finançant les actions en faveur des harkis et des rapatriés, qui représentent 17,8 millions d'euros. Ils figuraient auparavant au sein de la mission « Egalité des territoires, logement et ville ». L'Onac va devenir le gestionnaire unique des dispositifs dont bénéficient ces populations.

La solidarité envers le monde combattant est renforcée, et l'Onac est conforté dans son rôle d'interlocuteur de proximité. Une mission a été conduite dans le cadre de la modernisation de l'action publique : la mise en oeuvre de ses conclusions aboutira à une simplification des démarches pour les anciens combattants.

Les moyens de l'Onac consacrés à l'action sociale augmenteront de 1,3 million d'euros. En conséquence, le plafond de l'allocation différentielle au conjoint survivant (ADCS) sera porté à 932 euros par mois, contre 900 aujourd'hui. Le ministre s'est engagé à ce qu'il atteigne à terme 977 euros, soit le seuil de pauvreté européen. J'y serai très attentive. 500 000 euros supplémentaires seront consacrés aux autres formes d'aide sociale de l'Onac, afin de soutenir sa capacité à apporter une aide ponctuelle à ses ressortissants dans le besoin. Dans ce contexte, il serait opportun d'envisager dès aujourd'hui les conditions de la création d'un mécanisme différentiel en direction des anciens combattants les plus démunis. Enfin, l'avenir des écoles de reconversion professionnelle et des maisons de retraite de l'Onac fait l'objet d'une réflexion afin de garantir leur avenir auprès d'acteurs non marchands de ces secteurs.

Ce budget constitue un signal fort en direction du monde combattant, tout en se montrant réaliste vis-à-vis du contexte budgétaire dans lequel se trouve notre pays. Il comporte les moyens qu'appellent les échéances mémorielles des années à venir, garantit l'effectivité du droit à réparation et satisfait l'une des plus anciennes revendications du monde combattant. Construit dans un souci d'équité, je vous invite à donner un avis favorable à son adoption.

J'en viens maintenant aux articles rattachés. Alors qu'il n'y en avait qu'un seul dans le projet de loi, l'Assemblée nationale en a ajouté sept.

L'article 62 concerne l'attribution de la carte du combattant « à cheval » sur la date du 2 juillet 1962.

L'article 62 bis élargit le champ de la majoration de pension versée aux conjoints survivants des plus grands invalides.

L'article 62 ter repousse d'un an le délai de forclusion des demandes de révision des pensions qui étaient cristallisées jusqu'en 2011. Initialement fixé à trois ans, il est prolongé car de nombreux dossiers sont encore en cours de traitement. C'est une mesure de justice que j'approuve évidemment.

Les articles suivants demandent au Gouvernement de remettre au Parlement des rapports :

- sur l'action sociale de l'Onac, ses perspectives d'évolution et le rôle social des associations d'anciens combattants (article 62 quater). Il s'agit d'un sujet sur lequel il est nécessaire que nous soyons mieux informés ;

- sur l'attribution de la campagne double à l'ensemble des anciens combattants d'Afrique du Nord (article 62 quinquies). Je crains toutefois que la situation soit sur ce point déjà bien connue et le blocage juridique clairement identifié ;

- sur la reconnaissance du statut d'ancien combattant aux anciens membres de la Finul (article 62 sexies) ;

- sur le dispositif d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (article 62 septies). Cette demande me semble superflue, car le Gouvernement vient de remettre sur ce sujet un rapport au Parlement demandé par la loi de finances pour 2013 et nos collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir en ont également réalisé un en septembre dernier ;

- sur l'application et l'éventuelle extension des mesures relatives à l'indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ou d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale (article 62 octies).

Mme Catherine Deroche . - Après les propos très complets de la rapporteure, il n'est pas utile de revenir sur la proposition de loi de notre collègue Marcel-Pierre Cléach. La position du groupe UMP est connue : nous regrettons qu'elle n'ait pas été adoptée.

Je m'interroge sur le coût de la JDC. Cette journée se transforme parfois en une demi-journée et nécessiterait d'être revue. N'est-elle pas trop courte pour être réellement utile ? Une réflexion sur le sujet devrait être conduite.

M. Dominique Watrin . - J'apprécie les efforts réalisés dans le domaine mémoriel. Il faut sensibiliser les jeunes à ce qu'est la guerre, ce que devraient permettre les crédits qui vont être consacrés au soixante-dixième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale.

Représentant un territoire meurtri par la Première Guerre mondiale, je suis heureux qu'un programme de commémoration du centenaire très substantiel soit déjà établi.

Annoncée par le ministre, je suis satisfait que l'attribution de la carte du combattant « à cheval » soit incluse dans le budget. Il s'agit d'une avancée réelle, demandée de longue date par les anciens combattants.

Les associations sont très attentives à la situation précaire des conjoints survivants. On peut donc se féliciter que l'ADCS soit portée à 932 euros par mois, même si elle n'atteint pas encore le seuil de pauvreté. Il faut également prendre en compte les anciens combattants les plus démunis, ceux qui touchent les pensions les plus faibles.

Le vieillissement des anciens combattants conduit inéluctablement à la diminution de leurs effectifs. Il serait donc possible, à budget constant, de satisfaire les principales revendications du monde combattant, notamment celles portant sur la valeur du point de PMI. Il est donc regrettable que le budget diminue. Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra tout en ayant une appréciation plutôt positive des orientations proposées.

Mme Colette Giudicelli . - La revalorisation de l'ADCS est un point positif, mais son niveau reste insuffisant. Que reste-t-il à une veuve après avoir payé son loyer et ses factures de gaz et d'électricité ? Elle ne leur permet pas d'avoir des conditions de vie décentes. Nous nous abstiendrons.

Mme Françoise Boog . - La présentation de la rapporteure a mis l'accent sur un point essentiel : la mémoire. Je viens d'un département, le Haut-Rhin, où nous cultivons le devoir de mémoire.

Dans ma commune se trouve un site militaire où se déroule la JDC : il accueille plus de 8 000 jeunes par an. Cette JDC est déjà courte, je ne pense pas qu'il faille la surcharger. Au contraire, il faut préserver son objectif premier, qui est l'entretien du lien entre la Nation et son armée. Les partenariats ne doivent pas être multipliés et il faut plutôt insister sur les valeurs de la citoyenneté.

M. Yves Daudigny . - Mon département, l'Aisne, est celui qui a subi le plus de dommages durant la Première Guerre mondiale. Je salue donc le discours du Président de la République du 7 novembre dernier ainsi que les initiatives prises par le Gouvernement pour la commémoration de ce centenaire. Un excellent partenariat s'est instauré entre le GIP et les territoires. Son processus de labellisation lui permet d'apporter un soutien moral et surtout financier aux initiatives portées par les collectivités. Je me félicite qu'un large consensus se soit formé autour de cet anniversaire.

Mme Annie David, présidente . - Je m'associe aux propos d'Yves Daudigny concernant les commémorations, bien que mon département ait été plus marqué par la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit d'un moment de mémoire et de recueillement dont la portée dépasse largement nos frontières. J'ai ainsi été étonnée de découvrir récemment l'importance, pour les Australiens et les Néo-zélandais, du centenaire de la Première Guerre mondiale et de leur implication dans ce conflit.

Mme Gisèle Printz, rapporteure pour avis . - Pour répondre à Catherine Deroche, la JDC a un coût de 93 millions d'euros par an. Si certains peuvent être nostalgiques du service militaire, le retour en arrière est impossible. La JDC permet de rappeler aux jeunes qu'ils font partie d'un ensemble et de leur faire découvrir les autres, les confronter aux différences. C'est en cela un outil de lutte contre le racisme. Elle est également un moment apprécié de découverte de nos armées.

La revalorisation de l'ADCS est bien évidemment une mesure très importante. Par ailleurs, tous les départements qui ont connu la guerre partagent un point commun : l'attachement aux commémorations et au devoir de mémoire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

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