AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat s'est saisie pour avis du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

Sa saisine porte sur le titre IV, enrichi de cinq articles additionnels à l'Assemblée nationale et consacré à l'enseignement, la formation, la recherche et le développement agricoles et forestiers. Ces sujets entrent pleinement dans le champ de compétences de la commission, qui chaque année analyse la situation des enseignements agricoles technique et supérieur dans ses avis budgétaires.

Votre rapporteure pour avis a ainsi analysé les dispositions susceptibles :

- de favoriser la promotion sociale des élèves de l'enseignement agricole en facilitant notamment les poursuites d'études vers les diplômes de techniciens et d'ingénieurs ;

- de promouvoir la diffusion de l'agroécologie et de permettre aux élèves d'apprendre à produire autrement ;

- de restructurer le paysage institutionnel de l'enseignement supérieur et de la recherche agricoles.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE SOUTIEN À L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE AGRICOLE

A. LA PROMOTION SOCIALE DES ÉLÈVES ET DES ÉTUDIANTS

1. La participation de l'enseignement agricole à la réduction des inégalités entre territoires urbains et ruraux

Une étude du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), publiée en septembre 2011, a jeté un éclairage sur le clivage net qui sépare les parcours scolaires en zone urbaine et en milieu rural, à partir de l'analyse de la région Basse-Normandie.

La morphologie sociale des collèges et des lycées ruraux illustre la moindre qualification générale de la population rurale et la sous-représentation des cadres et des professions libérales. La part des élèves d'origine défavorisée dans les collèges ruraux avoisine 42 % en moyenne contre 34 % environ en milieu urbain et périurbain. Les résultats scolaires pendant les années de collège sont identiques, voire un peu meilleurs, en zone rurale, mais à la fin de la classe de 3e, les jeunes ruraux sont plus souvent orientés vers la voie professionnelle : c'est le cas de 48 % d'entre eux contre 41 % des jeunes urbains. La part de l'apprentissage est particulièrement importante : 30 % des ruraux entrent dans la voie professionnelle contre 25 % des urbains. C'est ce biais d'orientation qui cause les différences de niveau de sortie du système éducatif avec à la fois de moindres sorties sans diplôme qu'en milieu urbain mais surtout nettement moins de sorties à bac +3 et plus.

Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer les différences de parcours, comme les représentations des élèves et des familles qui privilégient les métiers qu'ils connaissent concrètement et alimentent une autolimitation des ambitions, mais aussi la réalité des perspectives d'emploi en zone rurale dont le marché du travail est tassé vers le bas de l'échelle sociale. L'implantation des établissements et l'offre de formation pèsent également. Les lycées notamment généraux sont nettement plus petits en zone rurale et l'offre de formation y est beaucoup moins diversifiée, ce qui limite de fait les possibilités de cursus par la suite.

Enfin, la gestion des déplacements et du logement est cruciale. Bien souvent, le déterminisme géographique est fort et les élèves choisissent la filière présente dans l'établissement le moins éloigné de leur domicile. C'est pourquoi le développement des aides à la mobilité et au logement est nécessaire afin d'ouvrir l'horizon des parcours possibles pour les jeunes ruraux.

L'élévation du niveau de qualification des populations rurales dépend pour une grande part de la qualité de l'offre pédagogique, de la finesse du maillage territorial et de la fluidité des parcours de l'enseignement agricole.

Pour lutter contre les inégalités de destin persistantes entre les jeunes urbains et les jeunes ruraux, il convient de renforcer les capacités de promotion sociale de l'enseignement agricole. À cette fin, plusieurs leviers doivent être actionnées simultanément : le conseil en orientation, l'amplification de l'aide sociale, la facilitation des reprises d'études, le développement de l'accès aux formations de techniciens supérieurs agricoles (BTSA) et d'ingénieurs.

2. Un projet de loi qui entreprend de faciliter les poursuites d'études

Votre rapporteure pour avis partage le souci de faciliter les poursuites d'études au sein du réseau de l'enseignement agricole technique et supérieur et soutient les avancées du projet de loi sur ce point.

Il est prévu à l'article 26 d'inclure un plan d'action en matière d'orientation dans les projets d'établissements. C'est utile pour soutenir les élèves dans la construction de leurs parcours au sein de l'enseignement agricole, alors que la rénovation de la voie professionnelle a entraîné une refonte importante des filières et des cursus.

Néanmoins, il convient de travailler en amont avec les collèges pour que l'enseignement agricole gagne en visibilité et devienne effectivement une option possible pour les élèves à égale dignité avec les lycées de l'éducation nationale. De ce point de vue, une grande attention devra être portée au mouvement de régionalisation du système d'orientation. Il ne doit pas conduire à refermer davantage l'enseignement agricole sur les seuls métiers de la production agricole alors qu'il s'est considérablement diversifié vers l'agroalimentaire, la transformation, les services en milieux ruraux et les métiers de la forêt et de l'environnement.

L'article 26 acte également la participation de l'enseignement agricole à la lutte contre les stéréotypes sexués, ce dont votre rapporteure pour avis ne peut que se féliciter. Cela doit contribuer à ouvrir l'horizon des possibles professionnels pour les jeunes garçons et les jeunes filles, alors que certaines filières connaissent encore un fort biais sexué, comme l'ensemble de l'enseignement professionnel sous tutelle de l'éducation nationale.

Pour faciliter les reprises d'études, l'article 26 du projet de loi prévoit la possibilité d'une acquisition progressive des diplômes par capitalisation d'unités de valeurs au cours de la formation. À cette fin, les élèves se verraient remettre une attestation qui validerait les connaissances et les capacités acquises lors de leur formation, un décret devant préciser les conditions de son utilisation pour l'obtention ultérieure du diplôme. Il convient de rappeler qu'un dispositif similaire existe dans l'éducation nationale pour les diplômes des formations technologiques et professionnelles mais n'a pas été utilisé. C'est d'ailleurs pourquoi la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l'école de la République a dû instaurer un droit différé à la formation dont l'applicabilité et le financement restent flous, mais qui en l'état du droit s'impose à l'État en général, donc aussi bien à l'éducation nationale qu'à l'enseignement agricole.

Votre rapporteure pour avis n'est pas opposée ceteris paribus aux mesures de sécurisation des parcours scolaires. Néanmoins, dans l'arrêt des modalités d'application du dispositif d'acquisition progressive des diplômes, il est impératif de ne pas fragiliser la valeur nationale et le niveau des diplômes, alors que la rénovation de la voie professionnelle n'a pas été encore pleinement assimilée. La modularisation du diplôme ne doit pas non plus servir de palliatif à la chute très préoccupante des résultats au baccalauréat professionnel agricole depuis deux ans, notamment dans le coeur de métier, la production. Cette chute appelle des correctifs pédagogiques et non administratifs.

L'appui à la poursuite d'études passe également par un soutien financier. L'article 26 du projet de loi renvoie au droit commun la fixation du montant des bourses dans l'enseignement agricole. Il prévoit en revanche de nouveaux arrêtés spécifiques pour préciser les conditions d'attribution des aides à la mobilité internationale dans l'enseignement agricole. La nécessité d'un soutien à la mobilité internationale est apparue comme un des axes de la concertation sur l'avenir de l'enseignement agricole. La confrontation avec des sociétés et des environnements étrangers dans le cadre de leur formation est particulièrement importante pour des jeunes souvent issus de milieux ruraux peu mobiles. Elle contribuera à leur apprentissage citoyen comme à l'acquisition de techniques nouvelles de production.

La mesure phare du projet de loi en matière de promotion sociale des élèves concerne l'entrée dans les formations d'ingénieurs de l'enseignement supérieur agricole, qui rassemble douze écoles agronomiques et vétérinaires. Votre rapporteure pour avis approuve la création d'une voie d'accès spécifique grâce à l'instauration de classes préparatoires professionnelles.

Il est bien certain qu'aujourd'hui l'accès aux concours des écoles nécessite soit le passage par une classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) qui concerne essentiellement les bacheliers de la série S, soit l'obtention préalable d'un BTSA ou d'une licence professionnelle. Dans les deux cas, les bacheliers professionnels agricoles ne sont pas mis en capacité de prétendre aux formations d'ingénieur de l'enseignement supérieur agricole. Il y a donc bien une coupure préjudiciable dans l'organisation des parcours qui freine la poursuite d'études supérieures d'élèves issus très majoritairement de milieux sociaux défavorisés.

Il faut noter sur ce point un paradoxe : les écoles d'ingénieurs publiques font moins bien que leurs homologues privées. Profitant de leur liberté pédagogique et de sélection, celles-ci mettent en place des classes préparatoires intégrées qui accompagnent les élèves et effacent l'obstacle du concours après deux ans, ce qui leur permet d'assurer la promotion sociale d'élèves issus de milieux modestes.

Si l'instauration de classes préparatoires est bienvenue, votre rapporteure pour avis souhaite toutefois en ramener la portée à de justes proportions. Il n'est pas prévu que ce dispositif concerne plus de quelques dizaines d'élèves par an. Il ne s'agit donc en rien d'une mesure susceptible d'enclencher un mouvement massif de promotion sociale. Elle laisse, de plus, dans l'angle mort, deux difficultés :

- comment assurer la poursuite d'études du baccalauréat professionnel vers le BTSA ? Si l'on veut être plus efficace, il faut consolider l'enseignement supérieur court comme marche intermédiaire ;

- comment assurer, après leur admission, la réussite en formation d'ingénieur des bacheliers professionnels et des BTSA ? Il ne faut pas oublier l'aspect pédagogique derrière le problème de « tuyauterie ». Les élèves visés ont dans les matières les plus académiques un retard certain à rattraper sur un étudiant sorti d'une CPGE après un baccalauréat S.

Pour renforcer le dispositif de l'article 26 du projet de loi et porter plus avant l'ambition du Gouvernement, votre commission pour avis a donc adopté deux amendements à l'initiative de sa rapporteure. Les deux amendements sont en parfaite cohérence avec l'article 33 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, qui tendait lui aussi à favoriser les poursuites d'études des élèves les plus défavorisés.

Le premier vise à développer une démarche volontaire avec la fixation par arrêté du ministre de l'agriculture d'un pourcentage de bacheliers professionnels agricoles dans les BTSA.

Le second vise la mise en place d'un accompagnement spécifique des bacheliers professionnels agricoles et des titulaires d'un BTSA qui intègrent une formation d'ingénieur dans l'enseignement supérieur agricole.

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