C. LA POURSUITE DU COMBAT POUR L'EGALITÉ DANS L'ENTREPRISE

Plus de trente ans après l'adoption de la loi « Roudy » 7 ( * ) , et malgré les nombreuses dispositions législatives qui l'ont suivie, les femmes ne sont pas, dans le monde du travail, sur un pied d'égalité avec les hommes. Le principe selon lequel « tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes », qui figure à l'article L. 3221-2 du code du travail, est contredit par la persistance d'un écart de rémunération d'environ 25 % en faveur des hommes pour un emploi à temps plein.

Conscient du chemin qu'il reste à parcourir, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a agi dès le printemps 2012 pour assurer la pleine application de la législation en matière d'égalité professionnelle . Ainsi, il a renforcé les contrôles de l'obligation de négociation sur ce thème à laquelle sont astreintes les entreprises d'au moins cinquante salariés, avec des résultats tangibles. A la date du 28 mars 2014, selon le ministère des droits des femmes, 5 000 accords et plans d'action sur l'égalité professionnelle ont été déposés auprès de l'autorité administrative. 700 mises en demeure ont été adressées à des entreprises en infraction, dont 462 depuis le 1 er janvier, et dix sanctions ont été prononcées.

Ce projet de loi constitue la seconde traduction de l'engagement fort du Gouvernement en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes . Déjà enrichi par le Sénat en première lecture, il a été complété de neuf nouveaux articles abordant cette thématique par l'Assemblée nationale.

En parallèle à la préparation de ce texte, les partenaires sociaux se sont saisis de cette question dans le cadre de leur négociation sur la qualité de vie au travail, entamée à l'automne 2012. Elle a abouti à la signature, le 19 juin 2013, d'un accord national interprofessionnel (ANI) intitulé « Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnelle » par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, le Medef, la CGPME et l'UPA. Ces organisations sont notamment convenues de simplifier et d'améliorer l'efficacité des négociations portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise, de développer l'utilisation du rapport de situation comparée et de faciliter le retour à l'emploi des salariés bénéficiant d'un congé parental d'éducation. A la suite de l'adoption, en première lecture au Sénat, d'amendements présentés par le Gouvernement, le projet de loi assure la transposition de cet ANI.

1. La réduction des inégalités par une action au niveau des branches (articles 2 C, 2 G et 6 bis)

Les branches professionnelles sont le lieu de la négociation d'accords collectifs définissant des normes sociales s'appliquant, après leur extension par le ministre du travail, à toutes les entreprises relevant d'une même convention collective, c'est-à-dire d'un même secteur d'activité économique. Le législateur a donc défini plusieurs domaines où la négociation est obligatoire, selon une périodicité :

- annuelle (les salaires) ;

- triennale (l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ; l'emploi des travailleurs handicapés ; la formation professionnelle et l'apprentissage) ;

- quinquennale (les classifications ; l'épargne salariale).

L'élaboration des classifications, soit la détermination, par la branche, d'une grille de ses différents métiers, des tâches et responsabilités qui y sont associées ainsi que de la formation ou des compétences requises, a une influence certaine sur la situation professionnelle des femmes et leur rémunération par rapport à celle des hommes. Les critères retenus peuvent en effet se révéler discriminants et défavoriser les femmes, entrant en contradiction avec le principe « à travail égal, salaire égal ». La feuille de route sociale pour la période 2013-2014, issue de la grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013, prévoit la réalisation d'un examen transversal des grilles de classification par un groupe de travail au sein du conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), en lien avec la commission nationale de la négociation collective (CNNC).

Conscients de cette situation, les partenaires sociaux ont, à l'article 13 de l'ANI du 1 er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, souhaité que l'examen quinquennal des classifications soit l'occasion de faire diminuer les écarts de rémunération constatés. Par un amendement présenté par le Gouvernement en première lecture au Sénat et sous-amendé par votre rapporteure 8 ( * ) , la transposition de cette mesure figure désormais à l' article 2 C du projet de loi.

Modifiant l'article L. 2241-7 du code du travail 9 ( * ) , il rend obligatoire l'analyse des critères d'évaluation retenus dans la définition des postes de travail lors de la révision des classifications pour corriger ceux susceptibles d'induire des discriminations entre les femmes et les hommes et garantir « la prise en compte de l'ensemble des compétences des salariés ». Il impose aux branches de faire de la réduction des écarts de rémunération en leur sein une priorité. Sur proposition de votre rapporteure, le Sénat avait décidé qu'elles devraient engager des actions spécifiques de rattrapage, reprenant ainsi les termes de l'ANI de 2004. Toutefois, sur proposition du Gouvernement, la commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé cette précision.

A son , ce même article modifie également l'article L. 3221-6 du même code pour disposer que les catégories et critères de classification et de promotion professionnelles ainsi que les bases de calcul de la rémunération doivent « assurer l'application » du principe de l'égalité de rémunération entre femmes et hommes pour un travail égal ou de valeur égale. A l'heure actuelle, ils doivent uniquement être, selon une formule qui remonte à la loi du 22 décembre 1972 10 ( * ) , « communs aux salariés des deux sexes ».

Par l'adoption d'un amendement de Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, l'Assemblée nationale a également complété le champ de cette négociation sur les classifications afin qu'elle prenne en compte, au-delà de l'objectif « d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », celui de mixité des emplois .

L'article 2 G , inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de Catherine Coutelle, complète le même article L. 3221-6 en chargeant chaque branche de remettre à la CNNC et au CSEP un rapport sur la révision des catégories professionnelles et des classifications, qui devra analyser les négociations réalisées et identifier les bonnes pratiques.

Par ailleurs, dans les branches, l'égalité professionnelle entre les femmes fait l'objet d'une négociation triennale spécifique et est prise en compte dans le cadre de la négociation annuelle sur les salaires.

L'article 6 bis du projet de loi, inséré par le Sénat sur proposition de la présidente de la délégation aux droits des femmes, notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, traduit sa recommandation n° 10 11 ( * ) en prévoyant que la négociation sur les salaires 12 ( * ) traite des mesures permettant d'atteindre l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et non plus uniquement de cet objectif.

L'Assemblée nationale a cherché à assurer une meilleure articulation entre ces deux négociations, l'une annuelle et l'autre triennale. Sur proposition de Catherine Coutelle et de plusieurs de ses collègues, elle a complété cet article 6 bis pour que la mise en oeuvre des mesures de rattrapage décidées dans le cadre de la négociation triennale sur l'égalité professionnelle 13 ( * ) , et dont l'objet est de remédier aux inégalités professionnelles constatées dans l'entreprise, soit suivie annuellement lors de la négociation sur les salaires.

Les amendements adoptés par votre commission

A l'initiative de votre rapporteure, votre commission a adopté un amendement rédactionnel à l'article 2 C. Elle a surtout procédé à la réécriture de l'article 2 G afin que le rapport que les branches remettront à la CNNC et au CSEP fasse l'analyse des négociations réalisées, mette en lumière les discriminations identifiées et permette un partage des mesures adoptées pour les faire régresser.

2. La réforme de la négociation sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise (article 2 E)

Au niveau de l'entreprise, la question de l'égalité entre les femmes et les hommes fait l'objet de deux négociations annuelles : l'une sur l'égalité professionnelle (article L. 2242-5 du code du travail) et l'autre sur l'égalité salariale et la suppression des écarts de rémunération, dans le cadre de la négociation sur les salaires effectifs (article L. 2242-7 du même code). Souhaitant rendre « plus simple et plus efficace » la négociation annuelle portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes, les signataires de l'ANI du 19 juin 2013 ont appelé, à son article 4, à une « réarticulation » de ces deux dispositifs afin d'améliorer leur efficacité et leur cohérence, sans toutefois « en réduire la portée ni remettre en cause » le contenu des obligations en vigueur.

Inséré en première lecture au Sénat à la suite de l'adoption d'un amendement du Gouvernement, l'article 2 E du projet de loi créé une négociation annuelle unique sur les « objectifs d'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l'entreprise, ainsi que les mesures permettant de les atteindre » (article L. 2242-5). Les thèmes de négociation sont préservés : conditions d'accès à l'emploi, à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle ; conditions de travail et d'emploi, en particulier pour les salariés à temps partiel et articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales. Comme l'actuelle négociation sur l'égalité salariale, elle assurera la définition et la programmation des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération.

Reprenant ici encore le droit existant, la signature d'un accord porte la périodicité de la négociation à trois ans. Toutefois, le suivi de la mise en oeuvre des mesures d'ordre salarial reste annuel et s'effectue dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs. En l'absence d'accord sur l'égalité professionnelle, cette négociation sur les salaires effectifs devra, comme aujourd'hui, porter sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

L'Assemblée nationale a complété le contenu de cette négociation par l'ajout de deux thèmes : les différences de déroulement des carrières et la mixité des emplois. Elle a également modifié la formulation retenue jusque-là par le code du travail sur un point : la négociation portera sur l'articulation entre la vie professionnelle et la « vie personnelle », et non plus les « responsabilités familiales ».

Votre rapporteure se félicite de cette mesure de simplification des obligations de négociation qui toutefois ne modifie en rien, sur le fond, la façon dont le développement de l'égalité professionnelle et salariale doit être traité dans l'entreprise. En fusionnant deux procédures dont la séparation ne repose sur aucune logique apparente, cet article répond à une demande des partenaires sociaux tout en faisant de l'égalité entre les femmes et les hommes un thème central, lors d'une négociation unique, du dialogue social dans l'entreprise.

Le Gouvernement a enfin fait du respect de cette obligation et de l'accompagnement puis, en cas d'infraction manifeste, de la sanction des entreprises ne s'y soumettant pas une priorité. Alors que les premiers effets de cette action sont indéniables, le présent article devrait contribuer à accentuer cette dynamique.

3. L'élargissement de la définition du temps de travail effectif (article 2 F)

Adoptant un amendement proposé par Catherine Coutelle, Christophe Sirugue et plusieurs de leurs collègues, la commission des lois de l'Assemblée nationale a inséré un article 2 F qui complète la définition, par le code du travail, du temps de travail effectif. Selon son article L. 3121-1, « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». L'article L. 3121-2 dispose que le temps de restauration et les pauses font partie du temps de travail effectif si les conditions de l'article L. 3121-1 sont remplies. A défaut, un accord collectif ou le contrat de travail peuvent prévoir qu'ils soient rémunérés.

L'article 2 F complète l'article L. 3121-2 pour préciser que les déplacements entre deux lieux de travail, pour le même employeur et sur une même journée doivent également être pris en compte dans le temps de travail effectif si les critères de l'article L. 3121-1 sont réunis. Il faut noter qu'il est de jurisprudence constante, aussi bien de la part de la Cour de cassation 14 ( * ) que du Conseil constitutionnel 15 ( * ) , de considérer que le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre constitue un temps de travail effectif. Cet article a donc avant tout pour effet de codifier cette position.

4. Le développement de la formation pour promouvoir la mixité dans les entreprises et lutter contre les stéréotypes sexistes (article 2 H)

Egalement inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale sur proposition de Catherine Coutelle et plusieurs de ses collègues, l'article 2 H modifie la liste des actions de formation, présente à l'article L. 6313-1 du code du travail, qui relèvent de la formation professionnelle tout au long de la vie au sens de la sixième partie de ce code.

Au côté des traditionnelles actions d'adaptation et de développement des compétences des salariés ou encore de promotion professionnelle, le financement d'actions « de promotion de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » par les sommes versées par les entreprises au titre de leur obligation légale de financement est autorisé par cet article 2 H. Devenant des actions de formation à part entière, elles sont ainsi soumises au cadre juridique et pédagogique de la formation professionnelle.

Pour les auteurs de cet article additionnel, il doit contribuer à établir « un cadre favorable à un changement des pratiques en entreprise » en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Il est certain que la formation est un des leviers sur lesquels il faut agir pour sensibiliser tous les salariés aux enjeux multiples de cette problématique et faire évoluer les comportements en entreprise. Il est toutefois légitime de s'interroger sur l'impact de cette mesure sur le financement de la formation des salariés et sur son articulation avec la récente réforme de la formation professionnelle 16 ( * ) .

5. Le renforcement des droits des salariés en cas de grossesse (articles 2 bis A, 2 bis B et 2 bis C)

Pour les femmes, la maternité et le congé parental d'éducation qui s'ensuit constituent des ruptures de carrière dont les effets se font ressentir en termes de promotion professionnelle et d'évolution salariale. Le code du travail offre toutefois un régime juridique spécifique de protection de la femme enceinte : les discriminations fondées sur l'état de grossesse sont interdites par les articles L. 1132-1 et L. 1225-1, des autorisations d'absence doivent être accordées pour permettre à la salariée de se rendre à ses examens médicaux obligatoires (article L. 1225-16) tandis que le droit à un congé de maternité d'une durée de seize semaines, soit six avant l'accouchement et dix après cette date, est reconnu par l'article L. 1225-17. Il est interdit de licencier une femme durant cette période ainsi que durant un délai de quatre semaines après son terme (article L. 1225-4).

Les pères ne bénéficient pas, à l'heure actuelle, de dispositions similaires pour accompagner leur compagne durant et à l'issue de leur grossesse, à l'exception d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant (article L. 1225-35) de onze jours, ou dix-huit jours en cas de naissances multiples, pouvant être pris dans les quatre mois suivant la naissance 17 ( * ) .

Alors que l'un des objectifs de ce projet de loi est de promouvoir un partage plus équilibré des responsabilités parentales, l'Assemblée nationale a renforcé les droits des pères salariés, que ce soit avant ou après l'accouchement. Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois a inséré un article 2 bis A qui institue, par un article L. 1225-4-1 nouveau du code du travail, une protection des hommes salariés contre le licenciement pendant les quatre semaines suivant la naissance de leur enfant, exactement comme les femmes. La rupture du contrat de travail reste possible en cas de faute grave ou s'il s'avère impossible de le maintenir, notamment en raison d'éventuelles difficultés économiques de l'entreprise.

L'article 2 bis B , quant à lui, est issu d'un amendement présenté conjointement par la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Monique Orphé, et les membres du groupe SRC. Il reconnaît au conjoint salarié de la femme enceinte, sous quelque statut que ce soit (concubinage, Pacs, mariage), le droit de bénéficier de trois autorisations d'absence pour se rendre à certains des examens médicaux obligatoires qui ont lieu durant et après la grossesse. Ces derniers sont, selon le code de la santé publique, au nombre de huit : sept avant l'accouchement (article R. 2122-1 de ce code) et au moins un postnatal, réalisé dans les huit semaines suivant la naissance (article R. 2122-3). Il complète donc l'article L. 1225-16 du code du travail.

Enfin, le droit existant (article L. 1225-57 du code du travail) permet à un salarié qui revient dans l'entreprise à l'issue d'un congé parental d'éducation de bénéficier d'un entretien professionnel, dispositif par ailleurs récemment réformé par la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale 18 ( * ) , afin de mettre l'accent sur le développement de la qualification et l'évolution professionnelle du salarié. L'article 8 de l'ANI du 19 juin 2013 propose d'en faire un outil d'anticipation de la reprise d'emploi, d'évaluation des besoins de formation et de mesure des conséquences de ce congé sur la rémunération et l'évolution de la carrière de son bénéficiaire.

Sur proposition du Gouvernement, le Sénat avait inséré un article 2 B dans le projet de loi pour en assurer la transposition en complétant l'article L. 1225-57 du code du travail. La commission des lois de l'Assemblée nationale l'a déplacé après l'article 2, en faisant l'article 2 bis C . Elle n'en a toutefois pas modifié le fond. Ainsi, à la demande du salarié, l'entretien pourra avoir lieu avant la fin du congé parental d'éducation, afin de prévoir suffisamment en avance les mesures nécessaires à son retour dans l'entreprise. Votre rapporteure se félicite de cette disposition qui vise à assurer la capacité des salariés bénéficiant d'un congé parental d'éducation à retrouver leur emploi.

Les amendements adoptés par votre commission

Votre commission a adopté, sur proposition de votre rapporteure, un amendement rédactionnel à l'article 2 bis A visant à mettre en conformité la formulation de cet article avec celle habituellement retenue dans le code du travail et un amendement de coordination juridique à l'article 2 bis B, afin de tirer les conséquences des modifications qu'il apporte.

6. L'instauration d'une véritable protection des collaborateurs libéraux (article 4)

Les professionnels libéraux soumis à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé 19 ( * ) (avocats, médecins, dentistes, etc.) ont la possibilité d'exercer leur activité en tant que collaborateur libéral d'un autre professionnel, dans une relation qui ne repose pas sur le salariat et ne s'inscrit pas dans le cadre du droit du travail.

Utilisé de longue date par les avocats et généralisé par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises 20 ( * ) , ce statut garantit l'indépendance de celui qui en bénéficie, puisqu'il proscrit tout lien de subordination et permet par exemple à un débutant de se constituer une clientèle personnelle. Le collaborateur libéral reste toutefois responsable de ses actes professionnels et se trouve régi par le contrat de collaboration libérale qu'il a signé avec le professionnel auprès duquel il exerce.

Ce contrat doit obligatoirement être écrit, contrairement au contrat de travail. Il comporte plusieurs clauses obligatoires :

- sa durée et, s'il est à durée déterminée, son terme et les conditions de son renouvellement ;

- les modalités de la rémunération ;

- les conditions d'exercice de l'activité, notamment envers la clientèle personnelle du collaborateur libéral ;

- les modalités de sa rupture, en particulier un délai de préavis.

La protection offerte au collaborateur libéral contre les discriminations est toutefois très limitée puisqu'il ne bénéficie pas du cadre protecteur fixé par le code du travail. Ainsi, la cour d'appel de Paris a jugé 21 ( * ) que « la rupture d'un contrat de collaboration libérale, qui n'est pas un licenciement, n'a pas à être motivée et peut intervenir à tout moment », quand bien même la collaboratrice libérale serait enceinte ou s'estimerait victime d'une discrimination. Seules des réglementations propres à certaines professions, principalement le règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN, article 14§3 et §4), prévoient une protection de la collaboratrice en cas de grossesse similaire à celle offerte par le droit du travail.

L'article 4 du projet de loi, profondément remanié en première lecture au Sénat sur proposition de votre rapporteure, propose d'étendre à tous les collaborateurs libéraux les droits dont bénéficient les salariés en matière de parentalité en complétant l'article 18 de la loi du 2 août 2005.

Il reconnaît à la collaboratrice libérale en état de grossesse le droit de suspendre sa collaboration pendant au moins seize semaines à cette occasion et interdit la rupture unilatérale de son contrat de collaboration à compter de la déclaration de grossesse et jusqu'à l'expiration d'un délai de huit semaines après la fin de la suspension de son contrat.

Il institue, au bénéfice du collaborateur libéral, l'équivalent du congé de paternité et d'accueil de l'enfant ouvert aux salariés, soit une période de suspension du contrat de collaboration libérale. D'une durée similaire (onze jours ou dix-huit jours en cas de naissances multiples), elle s'accompagne d'une interdiction de rompre unilatéralement le contrat qui débute au moment où le collaborateur fait part de son intention de suspendre son contrat et qui s'achève huit semaines après son retour en activité.

Il met également en place, pour tous les collaborateurs libéraux, une période de suspension de leur contrat en cas d'adoption, d'une durée de dix semaines, sur le modèle du congé d'adoption existant en droit du travail (article L. 1225-37 du code du travail). Elle s'accompagne également d'une protection contre la rupture unilatérale du contrat de collaboration dans les mêmes conditions que les deux cas de figure précédents. Absente du projet de loi initial, cette dernière disposition est le fruit du travail de votre rapporteure, qui a jugé nécessaire d'inclure l'adoption dans le renforcement des droits des collaborateurs libéraux en matière de parentalité et d'aligner ceux-ci le plus exactement possible, dans le respect des spécificités de leur statut, sur ceux des salariés.

Cet article complète également la protection des collaborateurs libéraux contre toutes les formes de discriminations en leur rendant applicables les dispositions de loi du 27 mai 2008 22 ( * ) , qui a apporté une définition précise de la discrimination directe ou indirecte et a renforcé la protection des personnes qui en sont victimes.

La commission des lois de l'Assemblée nationale s'est uniquement livrée à la réorganisation formelle de l'article et a veillé à une meilleure insertion juridique des mesures de l'article visant à lutter contre les discriminations, sans que d'autres modifications ne soient ensuite apportées lors de l'examen du texte en séance plénière. Votre rapporteure est donc satisfaite de constater que les apports du Sénat sur cet article n'ont pas été remis en cause par nos collègues députés et qu'ils contribuent à ce que la parentalité ne soit plus, pour les collaborateurs libéraux, un risque de perte de leur situation professionnelle.

Les amendements adoptés par votre commission

Votre commission a adopté deux amendements de votre rapporteure à cet article. Le premier vise à harmoniser la rédaction retenue pour la définition du champ de la protection accordée aux collaborateurs libéraux au titre de la paternité en reprenant, par symétrie, la formulation utilisée par le code du travail pour le congé de paternité et d'accueil de l'enfant. Le second institue un délai de prévenance d'un mois, comme dans le droit commun, pour que le collaborateur libéral informe le professionnel auprès duquel il travaille qu'il compte suspendre son contrat en raison de sa paternité nouvelle.

7. La rénovation du rapport de situation comparée (article 5 ter)

La loi « Roudy »23 ( * ) du 13 juillet 1983 a rendu obligatoire, dans les entreprises d'au moins trois cents salariés, la réalisation chaque année par l'employeur d'un « rapport écrit sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise » (article L. 2323-57 du code du travail). Ce rapport de situation comparée (RSC), qui doit être soumis pour avis au comité d'entreprise, analyse la situation respective des femmes et des hommes face à l'emploi dans l'entreprise dans tous ses aspects et est accompagné d'un plan d'action visant à atteindre l'égalité professionnelle en corrigeant les insuffisances qu'il a relevées.

Dans les entreprises de moins de trois cents salariés, ces problématiques sont traitées dans le rapport annuel sur la situation économique de l'entreprise (article L. 2323-47) que l'employeur doit remettre au comité d'entreprise et qui comprend également un plan d'action en faveur de l'égalité professionnelle.

Selon le code du travail, le RSC - ou le rapport sur la situation économique de l'entreprise - doit permettre d'identifier d'éventuelles inégalités entre les femmes et les hommes dans l'entreprise dans les domaines suivants : l'embauche ; la formation ; la promotion professionnelle ; la qualification ; la classification ; les conditions de travail ; la rémunération effective, et enfin l'articulation entre l'activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale.

L'article 5 de l'ANI du 19 juin 2013 fait le constat que l'utilisation du RSC « peut rester relativement formelle », alors qu'il est le support des différentes négociations relatives à l'égalité professionnelle. Cet euphémisme rappelle le caractère parfois lacunaire qu'il revêt dans certaines entreprises voire même son inexistence, alors que sa transmission à l'inspection du travail est obligatoire (article L. 2323-58). Dans ce contexte, l'article 6 de l'ANI recommande la mise en place, dans le cadre du RSC, d'un indicateur de promotion sexué pour suivre l'évolution des taux de promotion des femmes et des hommes par métiers dans l'entreprise.

Sur proposition de votre rapporteure, le Sénat avait en première lecture complété les thèmes devant être étudiés par le RSC en y ajoutant la sécurité et la santé au travail, insérant ainsi l'article 5 ter dans le projet de loi. Sur ce point, une prise de conscience de l'existence de très fortes inégalités est nécessaire : une étude récente 24 ( * ) de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) a démontré qu'entre 2001 et 2012 le nombre total d'accidents du travail a diminué de 23,3 % chez les hommes alors qu'il a augmenté de 20,3 % chez les femmes, tandis que la progression du nombre de maladies professionnelles reconnues est près de deux fois plus forte chez les femmes (+ 170 %) que chez les hommes (+ 91 %).

Par l'adoption d'un amendement du Gouvernement, le Sénat avait également procédé à la transposition de l'article 6 de l'ANI ( article 6 quater ). Enfin, traduisant une recommandation de la délégation aux droits des femmes, un amendement de sa présidente Brigitte Gonthier-Maurin et de plusieurs de ses collègues avait cherché à ce que le RSC analyse l'impact du niveau de qualification et de l'ancienneté sur les niveaux de rémunération des salariés des deux sexes ( article 6 ter ).

L'Assemblée nationale a ensuite modifié l'article 5 ter pour que le RSC devienne un outil de mesure des écarts salariaux et professionnels qui se constituent dans le déroulement de la carrière. La commission des lois a également fusionné les articles 6 ter et 6 quater , avant que l'article 6 ter qui en est résulté ne soit intégré à l'article 5 ter lors de l'examen du texte en séance plénière en raison de leur caractère redondant.

Les amendements adoptés par votre commission

Un amendement de votre rapporteure a été adopté à cet article 5 ter afin que la rédaction du code du travail soit identique lorsqu'il traite du rapport de situation comparée et du rapport sur la situation économique de l'entreprise, le parallélisme existant aujourd'hui devant être maintenu.

8. La prise en compte de l'exposition des femmes aux risques professionnels (article 5 quater A)

Le code du travail, à son article L. 4121-1, dispose que tout employeur a l'obligation, par tous les moyens nécessaires, d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. L'évaluation des risques doit donc être intégrée à la préparation de tous ses choix productifs, qu'il s'agisse de procédés de fabrication ou d'équipements de travail, qu'il soit question de substances chimiques ou d'aménagement des lieux de travail ou bien qu'il faille définir les postes de travail (article L. 4121-3). Une fois celle-ci réalisée, l'entreprise doit développer des actions de prévention et s'assurer que les méthodes de production garantissent « un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ».

Sur proposition de Catherine Coutelle et de plusieurs de ses collègues, la commission des lois de l'Assemblée nationale a introduit un article 5 quater A modifiant l'article L. 4121-3 afin que l'évaluation des risques qu'il prévoit prenne en compte « l'impact des inégalités entre les femmes et les hommes ». La rédaction en a été modifiée par un amendement du Gouvernement en séance plénière, dans un sens plus modéré : il doit désormais « tenir compte » de l' « impact différencié de l'exposition au risque » en fonction du sexe.

Les amendements adoptés par votre commission

Votre commission a adopté à cet article un amendement rédactionnel de votre rapporteure afin de préciser la façon dont l'exposition spécifique des femmes aux risques professionnels doit être évaluée et prise en compte par l'employeur. Plutôt que la formulation retenue par l'Assemblée nationale, qui l'enjoint d'examiner « l'impact différencié » de l'exposition au risque en fonction du sexe, c'est bien l'exposition différenciée au risque elle-même qui doit être étudiée et qui découle souvent de la nature distincte des tâches confiées aux femmes et aux hommes.

9. L'alignement du Pacs sur le mariage en matière de droit à autorisation exceptionnelle d'absence de l'entreprise (article 5 quater)

Le code du travail reconnaît, à son article L. 3142-1, le droit pour tout salarié de bénéficier de congés pour certains événements familiaux (mariage, naissance, décès d'un enfant ou d'un parent). Ils prennent la forme d'autorisations exceptionnelles d'absence, qui n'entraînent pas de réduction du salaire et sont assimilées à des jours de travail effectif.

Quatre jours sont accordés en cas de mariage, mais à l'heure actuelle aucun ne l'est pour la conclusion d'un Pacs. En première lecture, sur proposition du Gouvernement, le Sénat a adopté cet article 5 quater qui aligne le régime du Pacs sur celui du mariage, ouvrant droit à un congé de quatre jours. L'égalité entre ces deux formes d'union est ainsi instaurée sur ce point, ce qui permet également de lever tout risque juridique quant à la conformité de cet article du code du travail au droit communautaire.

10. L'égal accès des femmes et des hommes aux conseils et conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale (article 23 bis A)

Introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale 25 ( * ) , l'article 23 bis A a pour objectif d'assurer la parité dans les conseils et conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale .

Les conseils et conseils d'administration visés par cet article sont : le conseil et la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), les conseils d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav), de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Ces conseils et conseils d'administration sont composés à parité de représentants des organisations syndicales nationales de salariés et d'organisations professionnelles nationales d'employeurs représentatives. Ils comprennent également des représentants d'autres institutions qui diffèrent en fonction des conseils : fédération nationale de la mutualité française (FNMF) et représentants d'institutions désignées par l'Etat intervenant dans le domaine de la maladie pour la Cnamts, ou l'union nationale des associations familiales (Unaf) pour la Cnaf. Ils comportent également des personnalités qualifiées choisies par l'Etat. Ces membres sont nommés pour cinq ans.

Actuellement, la présence des femmes au sein de ces conseils est encore modeste : elles représentent 35 % du conseil de la Cnamts ainsi que du conseil d'administration de la Cnaf, 43 % du conseil d'administration de la Cnav et 23 % de celui de l'Acoss.

Le dispositif proposé à l'article 23 bis A vise à assurer la parité au sein de ces conseils de manière progressive :

- lors du premier renouvellement qui aura lieu après la publication de la loi, soit fin 2014 pour la Cnamts et fin 2016 pour les trois autres caisses, les organisations disposant de plus d'un siège devront faire des désignations de telle sorte que l'écart entre les femmes et les hommes ne soit pas de plus d'un. L'application de cette règle permettra mécaniquement d'atteindre un seuil minimum de 40 % de femmes ;

- lors du second renouvellement, la parité devra être atteinte ou l'écart entre les femmes et les hommes ne devra pas être supérieur à un, s'agissant des conseils composés d'un nombre impair de sièges (cas de la Cnamts et de la Cnaf).

La période intermédiaire entre ces deux renouvellements permettra aux différentes parties prenantes de s'organiser pour satisfaire à cette obligation.

Votre rapporteure salue cette initiative qui complète utilement les dispositions relatives à l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités sociales.


* 7 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

* 8 Amendement n° 180 et sous-amendement n° 193.

* 9 Qui fixe l'obligation d'une négociation quinquennale de branche sur les classifications.

* 10 Loi n° 72-1143 du 22 décembre 1972 relative à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, article 2.

* 11 Issue de son rapport d'information n° 788 (2012-2013) « Projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes : premier jalon vers une approche intégrée », déposé le 22 juillet 2013.

* 12 Qui figure à l'article L. 2241-1 du code du travail.

* 13 Qui figure à l'article L. 2241-3 du code du travail.

* 14 Cour de cassation, chambre sociale, 16 juin 2004, n° s 02-43685 et 02-43690.

* 15 Décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale.

* 16 Par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.

* 17 Article D. 1225-8 du code du travail.

* 18 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 précitée, article 5.

* 19 A l'exception des professions d'officiers publics ou ministériels (huissiers de justice, notaires, etc.), des commissaires aux comptes et des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises.

* 20 Loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, article 18.

* 21 Cour d'appel de Paris, 11 octobre 2011, n° 11/06257.

* 22 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

* 23 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes précitée, article 11.

* 24 Photographie statistique des accidents de travail, des accidents de trajet et des maladies professionnelles en France selon le sexe entre 2001 et 2012 : des tendances d'évolution différenciées pour les femmes et les hommes ; Florence Chappert, Patricia Therry, Anact, mars 2014.

* 25 Amendement de Mme Catherine Coutelle sous-amendé par le Gouvernement.

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