EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'INQUIÉTANTE DÉRIVE FINANCIÈRE DU SYSTÈME FERROVIAIRE

A. UNE ORGANISATION RESTÉE UNIQUE EN EUROPE

1. La maintenance du réseau : une responsabilité partagée entre RFF et SNCF-Infra

L'organisation actuelle du système ferroviaire public résulte de la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire . La création de RFF répondait à la nécessité de se conformer à une directive européenne de 1991 3 ( * ) , qui avait imposé la séparation entre gestionnaires et utilisateurs du réseau, prémices d'une ouverture à la concurrence des activités ferroviaires.

L'architecture retenue fut toutefois unique en Europe. RFF est qualifié de « gestionnaire d'infrastructure » et, à ce titre, propriétaire du réseau. La SNCF - plus spécifiquement sa branche SNCF-Infra - est quant à elle « gestionnaire d'infrastructure délégué ». Autrement dit, si RFF assure une fonction de pilotage, il est contraint de se tourner vers SNCF-Infra et ses 40 000 cheminots pour réaliser les travaux et la maintenance quotidienne sur le réseau . Ce modèle a été retenu principalement pour des raisons sociales.

Au surplus, en 1997, alors que la France se préparait au passage à l'euro, la création de RFF présentait l'avantage de « décharger » la SNCF de sa dette historique - environ 20,5 milliards d'euros - sans pour autant qu'elle soit reprise par l'État. Une reprise de dette, à l'instar de celle opérée en Allemagne, aurait rendu plus difficile l'atteinte des « critères de Maastricht ». À ce titre, RFF est souvent qualifié de « structure de défaisance ».

Jusqu'à récemment, la dette de RFF n'était pas considérée comme de la dette publique, dite « maastrichienne », car son passif doit être mis en regard avec son actif - le réseau - qui lui permet de lever des recettes commerciales (les péages). Au regard des critères d'Eurostat, RFF était donc vu comme une entreprise privée. Cette analyse a toutefois été récemment remise en cause par l'INSEE (cf . infra ).

2. La gestion des sillons : une responsabilité partagée entre RFF et la direction de la circulation ferroviaire

Autre incongruité du modèle français, l'attribution et la gestion des « sillons » - les créneaux de circulation sur le réseau - sont pilotées par RFF mais effectivement assurées par la direction de la circulation ferroviaire (DCF), qui est un service autonome au sein de la SNCF.

Les missions de la direction de la circulation ferroviaire

« Les missions de la DCF sont fixées par la loi. Les modalités sont, elles, définies par Réseau Ferré de France (RFF) dans le cadre d'une convention de gestion :

« - Tracé des sillons et conception des horaires pour les trains de voyageurs et marchandises : il s'agit de déterminer les possibilités pour un train de circuler, à un moment et à un endroit donnés sur le réseau.

« - Régulation du trafic par le CNO Circulation (Centre National des Opérations) et les Centres Opérationnels de Gestion des Circulations (COGC) en régions, en toute sécurité.

« - Gestion opérationnelle des circulations : tracé des itinéraires (chemins que vont suivre les trains grâce aux aiguillages successifs) ; suivi en temps réel ; ordonnancement et supervision des circulations et gestion de la signalisation.

« - La veille opérationnelle, la responsabilité de la sécurité des circulations au quotidien et la sécurité du personnel qui travaille sur les voies ».

Source : www.circulation-ferroviaire.fr

Or ce mode d'organisation n'a pas été jugé conforme aux textes européens par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 18 avril 2013 4 ( * ) . La Cour estime en effet que « la DCF, bien qu'étant supervisée par RFF, gestionnaire d'infrastructure indépendant, est chargée [...] de fonctions essentielles [...] et est intégrée au sein de l'entreprise ferroviaire, à savoir la SNCF. Partant, pour pouvoir assumer des fonctions de répartition, la DCF doit également être indépendante de la SNCF sur les plans juridique, organisationnel et décisionnel.

« Ainsi, sur le plan juridique, la DCF doit disposer d'une personnalité juridique distincte de celle de la SNCF et, d'autre part, d'organes et de ressources propres, distincts, eux aussi, de ceux de la SNCF .

« Force est, toutefois, de constater que, en France, la DCF ne bénéficie pas d'une personnalité juridique distincte de celle de la SNCF, ce qui n'est pas contesté par la République française. Ainsi, l'indépendance juridique [...] n'existe pas entre la DCF et la SNCF.

« Dès lors que le critère d'indépendance juridique n'est pas rempli, il n'y a pas lieu d'examiner les critères d'indépendance organisationnelle et décisionnelle étant donné qu'il doit être satisfait à ces trois critères cumulativement, le défaut dans le chef de la DCF de l'un d'entre eux suffisant à établir un manquement à [...] la directive 91/440 ainsi qu'à [...] la directive 2001/14 ».

Compte tenu de cette décision, le statu quo n'est plus possible et la législation doit évoluer pour que la DCF soit pleinement intégrée à RFF , à défaut de quoi, la France risquerait d'être condamnée pécuniairement.


* 3 Directive du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires (91/440/CEE).

* 4 Arrêt de la Cour (première chambre) du 18 avril 2013 - Commission européenne / République française (Affaire C-625/10).

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