C. LA QUESTION LANCINANTE DE LA DETTE SOCIALE

La stagnation des déficits de la sécurité sociale en 2014 et le retard pris dans le rééquilibrage des comptes sociaux posent la question du financement à court terme des déficits et à moyen terme de la dette sociale.

1. L'augmentation de l'endettement de l'Agence centrale des organismes de sécurité (ACOSS)

Aux termes de l'article L. 225-1 du code de la sécurité sociale, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) est chargée d' « assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches gérées par la Caisse nationale d'allocations familiales, par la Caisse nationale d'assurance maladie et par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés ». Par conséquent, l'ACOSS porte dans son bilan les déficits du régime général.

Pour faire face au besoin de trésorerie exceptionnel lié à l'aggravation des déficits sociaux sous l'effet de la crise, l'ACOSS a été autorisée en 2007 à solliciter de façon croissante les marchés financiers, en particulier par l' émission de billets de trésorerie .

Après le pic enregistré en 2010 (49,6 milliards d'euros d'endettement financier net) et le reflux observé en 2011, l'endettement de l'ACOSS progresse de nouveau fortement depuis 2013. Ainsi, le solde du compte de l'ACOSS auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) était de - 23, 8 milliards d'euros au 31 décembre 2013 (contre - 16,6 milliards d'euros fin 2012), malgré la reprise de dette de 7,7 milliards d'euros opérée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) en juin 2013.

Compte tenu du déficit attendu du régime général en 2014, le besoin de trésorerie de l'ACOSS devrait encore augmenter pour atteindre 28,8 milliards d'euros au 31 décembre 2014 , et ce malgré une reprise de dette de 10 milliards d'euros en juin 2014 par la CADES.

En prévision de la future hausse du besoin de trésorerie de l'ACOSS en 2015, l'article 27 du présent projet de loi de financement fixe le plafond d'emprunt de l'ACOSS à 36,3 milliards d'euros pour 2015 , soit 1,8 milliard d'euros de plus que le plafond fixé pour 2014.

Si l'ACOSS a pu bénéficier jusqu'ici du niveau exceptionnellement bas des taux d'intérêt à court terme pour financer ses besoins de trésorerie 29 ( * ) , le portage par l'ACOSS de déficits sociaux de plus en plus élevés n'apparaît pas satisfaisant, la mission de financement de la dette sociale étant en principe dévolue à la CADES.

2. Les limites des reprises de dette par la CADES et la progression de la dette « courante » des organismes de sécurité sociale

Afin d'alléger les charges pesant sur l'ACOSS et grâce à la diminution des déficits vieillesse repris chaque année, la LFSS pour 2014 a intégré dans le champ de la reprise de dette annuelle de 10 milliards d'euros par la CADES les déficits constatés des branches maladie et famille des exercices 2012 à 2017. Par conséquent, en plus des déficits de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et du FSV (6 milliards d'euros au total), la CADES a repris, en 2014, a repris 4 milliards d'euros du déficit de la branche maladie constaté en 2012.

Ainsi, le montant total de la dette sociale transférée à la CADES atteindra 226,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2014, soit 10,6 % du produit intérieur brut (PIB). Près de 97 milliards d'euros de dette ayant déjà été amortis par la CADES, le montant de la dette restant à rembourser s'élèvera à 130 milliards d'euros fin 2014 .

Tableau n° 13 : Montant de la dette reprise par la CADES
et montant restant à amortir

2009

2010

2011

2012

2013

2014 (p)

Montant total de la dette transférée à la CADES

En milliards d'euros

134,6

134,6

202,3

209,0

216,7

226,7

En points de PIB

7,1

6,7

9,8

10,1

10,3

10,6

Montant de la dette portée restant à amortir en fin d'année

En milliards d'euros

91,8

86,7

142,8

137,5

132,7

130,0

En points de PIB

4,8

4,3

6,9

6,6

6,3

6,1

Source : programme de qualité et d'efficience « Financement » annexé au présent projet de loi de financement

L' objectif d'amortissement de la dette sociale par la CADES étant fixé à 13,1 milliards d'euros en 2015 par l' article 26 du présent projet de loi, la perspective d'extinction de la dette sociale se situerait entre 2022 et 2026 .

Néanmoins, cette prévision d'extinction de la dette sociale ne tient pas compte de tout un volet de dette sociale « courante » , qui se situe en-dehors du schéma de reprise de dette par la CADES. À la fin de l'année 2014, le stock de cette dette « courante » est estimé à 38,1 milliards d'euros.

Compte tenu du nouveau schéma de reprise adopté l'année passée 30 ( * ) , cette dette « courante » devrait progresser de façon moins importante mais atteindrait tout de même 41,5 milliards d'euros fin 2015 .

Tableau n° 14 : Évolution de la dette « courante » des organismes
de sécurité sociale
(1)

(situation au 31 décembre, en milliards d'euros)

2012

Reprise de dette en 2013

2013

Reprise de dette en 2014

2014 (p)

Reprise de dette en 2015

2015 (p)

Solde cumulé du régime général (2)

- 17,3

3,9

- 26,9

7,3

- 31,3

6,2

- 35,4

Solde cumulé du FSV (2)

- 3,8

3,8

- 2,7

2,7

- 3,7

3,8

- 2,8

Solde cumulé du régime des exploitants agricoles (2)

- 2,2

0,0

- 2,8

0,0

- 3,1

0,0

- 3,3

Total

- 23,3

7,7

- 32,4

10,0

- 38,1

10,0

- 41,5

(1) Non reprise par la CADES.

(2) Net des reprises de dette.

Source : programme de qualité et d'efficience « Financement » annexé au présent projet de loi de financement

L'ampleur de cette dette « courante » et les risques qu'elle fait peser sur l'ACOSS posent donc la question de l'organisation d'une éventuelle nouvelle reprise de dette . Le président de la CADES, Patrice Ract-Madoux, a ainsi récemment appelé les pouvoirs publics à transférer la dette à court terme de l'ACOSS vers la CADES, en arguant qu'une reprise plus tardive risquerait d'accroître le coût de financement global 31 ( * ) .

Un nouveau transfert de dette vers la CADES comporte néanmoins deux inconvénients :

- il nécessiterait de prévoir de nouvelles ressources financières pour la Caisse. Compte tenu du « tarif » établi par la CADES, selon lequel tout transfert de déficit de 10 milliards d'euros doit s'accompagner d'un apport de recettes de 0,064 point de contribution à l'amortissement de la dette sociale, la reprise des quelque 40 milliards d'euros de dette « courante » nécessiterait d'augmenter le taux de la CRDS d'environ 0,26 point ;

- il entraînerait, à court terme, un renchérissement des charges financières. Le taux annuel moyen de refinancement de l'ACOSS est en effet significativement inférieur (0,137 % en 2013) à celui de la CADES (2,59 % en 2013 et 2,51 % au 30 septembre 2014).

Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement a fait le choix de prolonger le statu quo , consistant à faire porter les déficits sociaux à court terme par l'ACOSS. Cet attentisme du Gouvernement est toutefois préoccupant ; celui-ci ne pourra pas perdurer jusqu'en 2017 en l'absence de retour à l'équilibre des comptes sociaux.


* 29 Le taux moyen de financement de l'ACOSS s'est ainsi établi à 0,137 % en 2013 . Afin d'étendre le bénéfice de ce taux historiquement bas, l'article 19 du présent projet de loi de financement propose de permettre à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) de recourir à l'ACOSS pour le financement de ses besoins de trésorerie.

* 30 La CADES reprendra, en 2015, les déficits de la branche vieillesse pour 2014 (1,6 milliard d'euros pour le régime général et 3,7 milliards d'euros pour le FSV) ainsi que les déficits des branches maladie (1,9 milliard d'euros) et famille (2,4 milliards d'euros) de 2012. Cependant, la CADES ne pourra pas reprendre 1,2 milliard d'euros de déficit de la branche maladie pour 2013, comme ceci était initialement prévu, en raison du déficit plus important que prévu du FSV et de la branche vieillesse en 2014.

* 31 Cf. S. Godeluck, « La dette sociale progresse de façon masquée », Les Échos , 2 octobre 2014.

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