TRAVAUX DE LA COMMISSION

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Réunie le mercredi 19 novembre 2014 , sous la présidence de M. Alain Milon, président , la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Didier Robert sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Outre-mer ») .

M. Didier Robert , rapporteur pour avis .- J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2015.

Si les rapporteurs se succèdent sur cette mission, la situation économique et sociale des outre-mer, elle, n'évolue malheureusement pas dans le bon sens. Tandis que le souvenir de l'explosion sociale de l'année 2009 tend à s'estomper dans l'hexagone, la persistance de la « vie chère », du chômage, des inégalités, des taux de pauvreté élevés est toujours une réalité dans les territoires ultramarins.

Le rapport présenté en juillet dernier par nos collègues Michel Vergoz et Eric Doligé, au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, a permis de rappeler que les économies ultramarines accusent aujourd'hui encore un net retard de développement par rapport à des territoires comparables de l'hexagone.

Face à cette situation, nous devrions semble-t-il - c'est en tous cas ce qu'indique le Gouvernement - nous estimer heureux que la mission « Outre-mer » soit l'une des rares dont les crédits ont été préservés, et seraient même en légère progression. Il est vrai que les crédits de paiement de la mission (qui s'élèvent à 2,06 milliards) devraient connaître en 2015 une hausse de 0,39 %. En prenant en compte l'inflation, il me paraît cependant plus juste d'évoquer une stabilité des crédits plutôt qu'une hausse proprement dite. Par ailleurs, rapportés à la population ultramarine, ces 6,73 millions d'euros supplémentaires ne représentent finalement que 2,46 euros par habitant !

Je pose, à ce stade, la question de la réelle prise en compte des réalités et des enjeux de chacun des territoires ultramarins par le Gouvernement, lorsque l'on sait par exemple que le chômage, pour ne retenir que ce seul indicateur, est deux à trois fois plus élevé outre-mer que dans l'hexagone. Il atteint ainsi le triste record de 59 % à La Réunion pour les jeunes de moins de 25 ans.

Les contraintes budgétaires et la nécessité de réaliser des économies à l'échelle nationale sont des dimensions qui doivent naturellement être partagées. Il me semble cependant que les retards accumulés dans chacun des territoires ultramarins auraient mérité la mise en oeuvre d'une politique plus ambitieuse, et surtout mieux ciblée.

S'agissant de la mission « Outre-mer », quatre sujets méritent de mon point de vue une présentation particulière.

En premier lieu, la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Avec 1,13 milliard d'euros, elle représente la moitié des dépenses de la mission. Je vous rappelle que cette dépense, que l'on pourrait qualifier de mécanique, a été recentrée l'an passé sur les bas salaires.

Il est à noter qu'elle se trouvera amputée à compter de l'année prochaine des crédits de l'aide à la rénovation hôtelière, qui représentait 3 millions d'euros en 2014 : c'est l'objet de l'article 57 du projet de loi de finances.

Si des critiques se font régulièrement jour contre les dispositifs d'exonération de cotisations bénéficiant spécifiquement aux outre-mer, et plus largement contre le dispositif de défiscalisation, je veux souligner et insister sur le fait que ces mécanismes sont absolument indispensables à la survie des économies ultramarines, et que ce sont là des leviers de croissance sans lesquels leurs résultats seraient encore plus catastrophiques qu'ils ne le sont à ce jour.

La compétitivité de ces territoires doit s'évaluer en effet par comparaison avec les pays et voisins régionaux, et non bien sûr par rapport aux standards nationaux ou européens. De ce point de vue, le coût de la main d'oeuvre ainsi que le niveau de la fiscalité des entreprises, constatés dans les pays de l'Océan Indien, du Pacifique ou des Caraïbes sont bien plus avantageux que ceux de nos territoires.

En second lieu, l'action retraçant les dépenses en matière d'aide à l'insertion et à la qualification professionnelle voit ses crédits de paiement augmenter légèrement, de l'ordre de 2 %. Cette progression devrait permettre d'atteindre en 2017 - et non en 2016 comme prévu initialement - l'objectif de 6 000 jeunes accueillis chaque année par le service militaire adapté (SMA).

Le SMA est un organisme de formation offrant aux jeunes ultramarins âgés de 18 à 26 ans, le plus souvent en situation d'échec scolaire ou en grande difficulté, la possibilité de bénéficier d'une formation de qualité.

S'il apparaît comme un outil d'affichage privilégié pour les gouvernements successifs, il ne saurait cependant constituer à lui seul l'alpha et l'oméga de la politique de formation professionnelle en outre-mer, en raison notamment du nombre modeste de jeunes concernés.

Ce sont en réalité les régions qui constituent, dans les territoires ultramarins, les principaux acteurs en matière de formation professionnelle et d'apprentissage, avec le soutien fort et constant des moyens mobilisés à travers le Fond social européen (FSE). Or, et comme l'ensemble des régions françaises, les collectivités ultramarines subissent fortement le désengagement marqué de l'Etat dans le financement de l'apprentissage, ce qui entraîne des conséquences beaucoup plus lourdes du fait de l'importance des effectifs concernés par cette politique générale.

J'en viens en troisième lieu aux crédits consacrés au logement, qui, après une hausse sensible de 8 % en 2014 et de 6 % en 2013, connaissent cette année une complète stagnation. Les crédits réservés à la résorption de l'habitat insalubre dans les Dom et à Saint-Pierre-et-Miquelon se voient quant à eux diminués de près de 15 % par rapport à 2014.

Alors qu'un plan pluriannuel pour le logement social outre-mer avait été annoncé en septembre 2014 par le Gouvernement, et tandis que la ministre affiche son « ambition pour l'habitat outre-mer », on peine à en trouver la traduction concrète et financière dans le budget qui nous est proposé.

J'ai interrogé la Dégéom sur ce point précis, qui m'a indiqué que la mise en oeuvre de ce plan ne mobilisera pas d'autres instruments budgétaires que ceux dont nous disposons déjà, à savoir la ligne budgétaire unique (LBU).

Surtout, de son aveu même, la réhabilitation du parc de logements anciens reposerait sur une éventuelle utilisation des « crédits restants » à la fin d'un exercice... Peut-on dans ces conditions véritablement parler d'une « ambition » pour le logement ?

La question est pourtant primordiale tant les besoins apparaissent immenses. L'écart entre le nombre de logements sociaux existants et la demande demeure en effet extrêmement important.

En Guyane, où 80 % de la population répond aux conditions de ressources exigées, on dénombrait ainsi près de 8 200 demandes pour un parc locatif social de 13 100 logements en 2012.

Selon le ministère des outre-mer, il faudrait construire plus de 20 000 logements chaque année pour répondre aux besoins de la population !

La situation est également critique du point de vue de la résorption de l'habitat insalubre. Plus de 150 000 ultramarins vivent dans 50 000 logements considérés comme insalubres. A titre d'exemple, 15 000 logements seraient concernés en Guadeloupe, tandis que 50 000 Mahorais vivent dans des cases en « non-dur ».

En dépit de cette situation alarmante, les réalisations de 2013 apparaissent très en deçà de celles de 2012. La construction de logements sociaux neufs est en diminution de 13 %, tandis que les opérations de réhabilitation connaissent une baisse de 37 %.

Je m'interroge en définitive sur la nécessité de faire porter la totalité de l'effort financier sur la construction de logements neufs, alors que tant de familles vivent dans des conditions indignes. En réalité, il faut poursuivre les efforts engagés sur le neuf tout en se donnant les moyens d'une politique coordonnée sur la réhabilitation de l'ancien.

Un dernier motif d'inquiétude provient de la diminution des crédits relatifs à l'aide à la continuité territoriale. Avec 41 millions prévus pour 2015, ils se voient en effet amputés de 10 millions par rapport à 2014, soit une baisse sèche de 20 %.

Cette action retrace principalement les crédits du fonds de continuité territoriale, qui recouvre plusieurs dispositifs : l'aide à la continuité territoriale (ACT), qui permet de financer une partie des titres de transports des résidents d'outre-mer entre leur territoire d'origine et l'hexagone ; le passeport mobilité études, qui permet aux étudiants du secondaire et de l'enseignement supérieur de suivre une formation dans l'hexagone ; enfin, le passeport mobilité formation professionnelle.

Ces aides sont gérées par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) pour les DOM, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ces dispositifs constituent la traduction des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République entre l'hexagone et des outre-mer caractérisés, par définition, par leur éloignement. Par nature, ils devraient donc être considérés comme universels et pouvoir bénéficier à tous dans les mêmes conditions.

Compte tenu de ces principes, la réforme proposée par le Gouvernement - qui porte exclusivement sur l'aide à la continuité territoriale, et qui consisterait à réviser à la baisse le montant des aides et à n'autoriser leur bénéfice qu'une fois tous les trois ans- ne me paraît pas acceptable.

Mon désaccord porte tout d'abord sur la méthode employée. Cette réforme importante a été décidée sans véritable concertation, au terme d'une simple réunion informelle au ministère, et qui tenait davantage de la présentation d'une idée déjà arrêtée que de la consultation des partenaires concernés.

En outre, à l'heure où nous devons voter les crédits de la mission et donc acter cette baisse de 10 millions, les contours de la réforme proposée sont encore flous. Le directeur de Ladom lui-même, qui sera pourtant directement chargé de sa mise en oeuvre, m'a d'ailleurs indiqué qu'il ne disposait d'aucune visibilité sur les modifications qui devraient être mises en place dès le 1 er janvier prochain.

Désaccord sur le fond, ensuite.

Les crédits alloués par l'Etat sont déjà insuffisants aujourd'hui pour satisfaire la demande ; en Martinique, l'ensemble des crédits de l'année avaient ainsi d'ores et déjà été consommés au 15 juillet.

De ce fait, une part importante des aides (45 % pour l'année 2014, soit près de la moitié) est prise en charge par les collectivités territoriales ultramarines, qui partagent pleinement l'effort avec l'Etat.

En outre, les foyers les plus modestes sont parfois contraints de renoncer au bénéfice de l'ACT du fait de l'importance des restes à charge : ainsi, en Guyane, seulement 40 % des bons de continuité territoriale émis sont utilisés.

Face à cette situation, la Dégéom indique qu'il s'agirait de contenir une dépense qui serait, selon les termes employés, en « explosion » dès lors qu'elle est passée de 20 à 27 millions en trois ans pour la part supportée par l'Etat. Il me semble que pour des montants de cet ordre, et dans le contexte démographique et d'éloignement particulier des outre-mer, une augmentation de 7 millions devrait pouvoir être mesurée comme étant une augmentation relativement modeste.

Je le dis d'autant plus facilement que les montants alloués à la Corse au titre de la continuité territoriale atteignent 187 millions. Le traitement des territoires ultramarins est de ce point de vue véritablement inique.

Il l'est plus encore si l'on prend en compte le fait qu'il s'agit là d'une simple mesure de justice et d'égalité entre tous les Français, avec la possibilité pour chacun d'entre eux de pouvoir se déplacer le plus simplement possible sur l'ensemble du territoire national.

J'ai cependant conscience aussi que dans le contexte contraint des finances publiques, une augmentation notable des crédits de la continuité territoriale ne saurait être à l'ordre du jour.

Pour ces différentes raisons, je vous propose une solution a minima, qui consiste à simplement reconduire pour 2015 les crédits engagés par l'Etat au titre de la continuité territoriale à la hauteur de ceux qui avaient été prévus pour 2014. Ce ne peut être selon moi qu'une solution temporaire, en attendant peut-être la mise en place d'une véritable politique de continuité territoriale, qui devra nécessairement passer par une réelle évaluation du dispositif et la mise en oeuvre d'une démarche concertée et équilibrée d'un territoire à l'autre.

J'aimerais enfin souligner, comme l'ont fait plusieurs de mes collègues avant moi, que la confusion qui règne autour des dispositifs budgétaires dont bénéficie l'outre-mer rend leur évaluation très malaisée dans le cadre du débat parlementaire. Les crédits retracés dans la mission « Outre-mer » ne représentent en effet qu'une partie des politiques publiques conduites par l'Etat dans les territoires ultramarins, qui bénéficient par ailleurs de crédits transversaux portés par 83 programmes relevant de 25 missions.

Tels sont, monsieur le président, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « Outre-mer ».

Mes réserves, vous le constatez, sont nombreuses, et l'angélisme du Gouvernement dans la présentation des crédits de la mission outre-mer ne trompe personne. Si je comprends que ces crédits sont présentés dans un contexte budgétaire difficile, ils ne permettent cependant pas de prendre la juste mesure du rattrapage nécessaire dans les territoires ultramarins. Ils ne permettent pas davantage de poser les bases d'une politique ambitieuse et dynamique au service de l'emploi, et qui permettrait de parvenir à une véritable égalité des chances.

Sur le sujet particulier et sensible de la continuité territoriale, je vous propose un amendement qui permettrait de rétablir les crédits nécessaires au maintien du dispositif dans les mêmes conditions que dans la loi de finances initiale pour 2014. L'adoption de cet amendement serait un signe fort en direction des populations d'outre-mer, même si les autres grands sujets n'auront malheureusement pas été pris en compte avec suffisamment de réalisme et d'ambition.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », ainsi qu'à l'article 57 rattaché, sous condition du rétablissement des crédits relatifs à la continuité territoriale.

Je vous remercie.

M. Michel Vergoz . - Il n'y a pas à manifester de joie ou d'effusion particulière devant le budget qui nous est proposé, lorsque l'on parle de territoires dans lesquels 30 % de la population est au chômage. Dans l'hexagone, on est en état d'alerte quand le taux de chômage atteint 10 % ; mais n'oublions pas qu'il est trois fois plus important dans les outre-mer. Il atteint même 60 % pour les jeunes de moins de 25 ans à La Réunion, contre 25 % en France métropolitaine. La situation est d'autant plus alarmante qu'il s'agit là d'un chômage qui éloigne durablement de l'emploi, avec pour conséquence les effets déstructurants sur la société que nous connaissons tous.

Dans ce contexte, le Gouvernement n'a jamais indiqué qu'il était « heureux » des crédits proposés pour cette mission : il a simplement souligné que ce budget témoignait de la prise en compte de la situation délicate des territoires ultramarins. Au cours des dernières années, les crédits de la mission « Outre-mer » n'ont d'ailleurs pas cessé d'augmenter : + 5 % en crédits de paiement en 2012, + 2 % en 2013. Pour 2015, la stabilité du budget proposé signifie que les crédits ne sont pas diminution - lapalissade sans doute, mais la précision mérite d'être faite.

Parmi les sujets qui revêtent une importance particulière pour l'outre-mer, les questions de l'emploi et du logement - qui a à voir avec la notion de dignité - sont vitales. Le rapporteur a insisté sur un troisième sujet, celui de la continuité territoriale, qui le préoccupe personnellement. J'insiste sur un point : la continuité territoriale entre les outre-mer et l'hexagone, qui suppose la libre circulation des biens et des personnes, n'a jamais existé. La notion n'est d'ailleurs que récemment entrée dans le débat public, en 2003, lorsqu'une taxe sur les billets d'avion a été instaurée pour financer cette politique. Mais soyons sérieux un instant : on ne peut pas mettre en place une véritable continuité territoriale, avec des montants de cet ordre, pour des territoires éloignés de 8 000 kilomètres ! Pour les citoyens corses, qui sont cinquante fois moins éloignés de l'hexagone que les Réunionnais, la continuité territoriale représente 600 euros par habitant ; à La Réunion, elle n'est que de 11 euros. On ne parle donc pas de la même chose dans les deux cas ; dans celui des outre-mer, tout au plus peut-on évoquer une « aide à la mobilité », comme je l'avais déjà souligné dans mon avis budgétaire de 2012. J'y insiste car les mots ont un sens et l'emploi que l'on en fait peut contribuer à biaiser le débat.

Si votre rapport devrait concerner l'ensemble des Dom, le problème que vous évoquez ne concerne en fait que La Réunion, et plus particulièrement son conseil régional. La Guadeloupe ou la Martinique ne sont pas tombées dans la politique que vous mettez en oeuvre, qui consiste à financer les bons de continuité territoriale au-delà de l'aide dite simple, qui est payée par l'Etat. Ne nous demandez donc pas de prendre la responsabilité de votre propre turpitude.

Les crédits de l'aide simple ont déjà explosé au cours des trois dernières années. Au niveau national, les montants associés s'élevaient à 20,6 millions en 2011 ; ils atteignaient 28 millions en 2013. Dans ce contexte, la prétendue continuité territoriale que vous défendez ne doit pas mettre en péril les dispositifs d'aide à la mobilité qui existent pour les jeunes qui souhaitent étudier dans l'hexagone, et, de manière plus générale, pour les personnes qui désirent se former en dehors de leur département d'origine, dispositifs qui se trouvent préservés dans ce budget.

Par ailleurs, je ne suis pas choqué de ce que le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre une modulation des aides accordées en fonction des revenus : il s'agit selon moi d'une mesure de justice sociale. Cette politique ne doit pas être celle du voyage pour tous, qui serait insoutenable !

S'agissant du logement, les montants de la ligne budgétaire unique (LBU) ont été sanctuarisés. Nous nous étions battus, il y a quelques années, pour préserver cette dépense (qui recouvre notamment les aides au logement social) et empêcher son remplacement par un dispositif de défiscalisation, qui ne saurait venir qu'en complément des actions entreprises par l'Etat.

J'en viens à la question de l'emploi. Il est bien évidemment impossible d'apporter une réponse définitive aux niveaux effarants de chômage qui gangrènent nos outre-mer. Mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître que l'Etat tend fortement la main à ces territoires qui souffrent. Les mesures d'aide aux entreprises sont très importantes, notamment au travers de la défiscalisation ; le crédit d'impôt compétitivité-emploi y sera mis en oeuvre de manière particulière, avec un taux de 9 % dans deux ans et de 12 % pour les secteurs renforcés ; le crédit d'impôt-recherche (CIR) atteindra 50 % en outre-mer : il faut être capable de reconnaître ces avancées considérables.

J'ai conscience des efforts importants consentis par ce Gouvernement au titre de la solidarité entre les territoires, qui contribuent à remettre un peu d'espérance dans nos outre-mer. C'est pourquoi je ne veux pas donner l'impression à mes collègues hexagonaux de me comporter en enfant gâté : nous ne pouvons aller au-delà de ce qui est raisonnable et décent. L'outre-mer doit apparaître comme une richesse et une chance pour la France, et non au travers seulement de la main qu'il tend vers l'hexagone.

M. Alain Milon , président. - Je redonne la parole à M. Didier Robert, qui est certes président du conseil régional de La Réunion, mais qui n'en est pas moins sénateur de la République française.

M. Didier Robert , rapporteur pour avis - Lorsque j'emploie le terme « heureux » - et je crois en effet que personne ne peut l'être devant la situation économique de nos outre-mer -, je ne fais que reprendre l'autosatisfaction exprimée par la ministre elle-même, lorsqu'elle nous expliquait que, à titre tout à fait exceptionnel et dans un contexte budgétaire très contraint, le Gouvernement avait réussi à « tenir la barre ».

Il n'y a pourtant pas de quoi, en effet, se montrer satisfait du budget proposé en 2015 pour les outre-mer, tant au travers des crédits portés par cette mission que de ceux engagés au titre des politiques transversales de l'Etat. Je me contenterai de deux exemples à titre d'illustration. La défiscalisation, tout d'abord, apparaît de plus en plus comme un leurre, alors qu'il s'écoule souvent de deux à trois ans entre le moment de la délivrance d'un agrément et celui où un dossier est effectivement déposé. A La Réunion, nous avons ainsi dû renoncer en trois ans à près de 60 millions d'euros d'investissements hôteliers, en raison du retard avec lequel les agréments de Bercy nous sont parvenus : les affichages politiques ne se traduisent pas toujours concrètement. S'agissant ensuite de la formation professionnelle et l'apprentissage, tandis que le Gouvernement affiche son ambition en outre-mer au travers des maigres effectifs du SMA, il remet en question dans le même temps l'indemnité compensatrice pour l'ensemble des régions. Ce sont ainsi 60 millions d'euros qui ont été retirés aux régions dans le cadre du fonds de compensation pour l'apprentissage.

J'en viens à la continuité territoriale, car les chiffres sont têtus, mon cher collègue. Ils nous montrent tout d'abord que les montants engagés au titre de cette politique ont connu une diminution marquée en trois ans : elle représentait 55 millions d'euros en 2013, 51 millions cette année, et on nous propose 41 millions pour l'exercice à venir. Il est faux de dire, ensuite, qu'elle ne concernerait que le seul département de La Réunion. Avec un taux de population ayant utilisé un bon de continuité territoriale en 2013 de 64 pour mille, c'est bien la Martinique qui a le plus fort recours à l'ACT ; viennent ensuite La Réunion (54 pour mille) et la Guadeloupe (49 pour mille). Dans le même temps, un essor très important est constaté en Guyane et à Mayotte. S'il existe en effet des dispositifs majorés différenciés selon les régions, sur la base du volontariat, l'aide simple à la continuité territoriale accordée par l'Etat concerne donc bien l'ensemble des populations ultramarines.

Il est caricatural également de mettre en avant que des personnes à revenus élevés peuvent bénéficier de la continuité territoriale, comme l'a fait la ministre. De telles aides ne portent en aucun cas sur le budget alloué par l'Etat, qui est celui que nous examinons aujourd'hui. A La Réunion, l'intervention de l'Etat est ciblée sur les personnes ayant un quotient familial inférieur à 6 000 euros ; entre 6 000 et 11 000 euros, l'aide est prise en charge à la fois par l'Etat et par la collectivité régionale ; entre 11 000 et 26 000 euros, c'est la Région seule qui intervient, sur le fondement d'une politique qu'elle a elle-même décidée au bénéfice de la classe moyenne, et en tenant compte de la situation particulière de chacun des ménages. Deux tiers des personnes qui bénéficient d'une aide à la continuité territoriale ont un quotient familial inférieur à 11 000 euros. Les régions acceptent donc d'accompagner l'Etat sur un dispositif qui concerne leur population.

J'ai évoqué le cas de la Corse dans la présentation que je vous ai faite mais j'aurais également pu évoquer celui d'autres régions ultra-périphériques de l'Union européenne, comme les Canaries ou les Açores : pour les premières, l'Etat central intervient au titre de la continuité territoriale à hauteur de 190 millions d'euros par an, au bénéfice de tous les Canariens, et quel que soit le nombre de voyages, pour garantir une réduction du prix du titre de transport de 30 à 40 %. Il ne fait pas de doute que ces interventions contribuent à renforcer l'unité et la cohésion nationales ; celle de l'Etat français est pourtant très en deçà de ces montants, avec en plus une participation forte des collectivités régionales.

Ce que je demande aujourd'hui, ce n'est cependant pas d'aller plus loin - je suis bien conscient de la fragilité de nos finances publiques -, mais simplement de rétablir les crédits au niveau de l'année dernière, et d'engager une évaluation objective du dispositif, en lieu et place des décisions prises de manière brutale et unilatérale par le Gouvernement.

Un dernier point sur la question de l'emploi : le Gouvernement s'était engagé, pour le Cice, sur un taux de 12 % sur l'ensemble des secteurs, et selon un calendrier qui n'était pas celui qui nous est aujourd'hui présenté. Année après année, les engagements pris se trouvent rognés.

M. Michel Vergoz . - Je ne peux pas vous laisser dire une chose pareille. Les actions mises en oeuvre sont bien celles qui avaient été annoncées.

M. Didier Robert , rapporteur pour avis. - Sur les emplois aidés, le Gouvernement propose aux collectivités ultramarines une participation augmentée à hauteur de 90 %.

M. Michel Vergoz . - Ne le dites pas trop fort...

M. Didier Robert , rapporteur pour avis. - Je tiens au contraire à ce que nos collègues nous entendent sur ce point précis. Le dispositif ne fonctionne pas, à la fois parce que les responsables locaux en ont assez de recourir aux emplois aidés, dont nous sommes saturés, pour faire ce que j'appellerais de l' « occupationnel », et parce que les collectivités territoriales n'en ont tout simplement plus les moyens. On ne peut pas en même temps nous demander d'effectuer 11 milliards d'économies et d'embaucher des emplois aidés dont nous ne savons plus que faire. Je propose plutôt que l'Etat devienne employeur, et qu'il mette ensuite ces emplois à la disposition des collectivités ou des structures associatives qui en ont besoin, à budget constant.

M. Michel Vergoz . - Je m'étonne de vous entendre parler d'« occupationnel » quand nos territoires ont 30 % de chômage. Nous ne pouvons toutefois qu'espérer que des emplois seront créés, grâce notamment au soutien de la banque publique d'investissement (BPI), dans les secteurs cruciaux que constituent le secteur marchand et l'économie sociale et solidaire.

Je conclus enfin en espérant que nos collègues ne retiennent pas que, face aux difficultés socio-économiques qu'ils traversent, les territoires ultramarins ne seraient tournés que vers la continuité territoriale. Il s'agit d'un choix politique que vous avez fait mais qui n'intéresse pas les Réunionnais, qui sont confrontés à des difficultés d'un tout autre ordre, et dont nous devons faire nos priorités.

M. Didier Robert , rapporteur pour avis. - La mesure proposée sur la continuité territoriale, à travers l'amendement que je vous présente, est une mesure de justice sociale et d'égalité. Je vous propose de transférer 10 millions du programme 138 au programme 123 afin de rétablir les crédits de la continuité territoriale au niveau de 2014. Les règles budgétaires et la structure de la maquette de la mission ne me laissent pas d'autre solution que ce transfert. Je suggère cependant une piste au Gouvernement pour augmenter ces crédits sans impacter trop fortement la dépense publique : la proportion prise en charge par le Fonds social européen (FSE) pourrait être augmentée de 70 à 85 %, ce qui lui permettrait d'effectuer des économies.

Il ne s'agit pas d'offrir un voyage gratuit à tous. Des familles réunionnaises n'ont pas vu certains de leurs membres, installés dans l'hexagone, depuis plus de 15 ans. 40 % des personnes qui ont bénéficié de l'aide à la continuité territoriale à La Réunion ont ainsi pris l'avion pour la première fois de leur vie.

La commission adopte l'amendement présenté par le rapporteur pour avis et donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

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