B. LA NUMÉRISATION

1. La montée en puissance de la politique de numérisation

La numérisation et la mise en ligne des sources archivistiques constituent un enjeu stratégique pour le développement des services aux usagers et la valorisation du patrimoine conservé dans les services d'archives publics. De fait, le réseau des archives s'est engagé très tôt dans la diffusion numérique de ses ressources : les premières opérations de numérisation ont eu lieu dès 1994, tandis que les premières mises en ligne sur Internet ont suivi à partir du début des années 2000 .

Les corpus mis en ligne connaissent depuis dix ans une progression constante et très importante de leur volume. Les services d'archives ont à ce jour numérisé plus de 404 millions de pages de documents d'archives, dont 240,5 millions concernent l'état civil, et près de 9 millions de documents iconographiques et photographiques. Cette offre a doublé entre 2011 et 2013 . Il faut noter la diversification progressive des programmes de numérisation et de mise en ligne : axés dans les premières années sur l'état civil et le cadastre, ils ouvrent aujourd'hui de très riches perspectives pour le public, avec notamment la diffusion de sources nominatives complémentaires (recensements de population, archives de l'enregistrement et des hypothèques), de corpus iconographiques et photographiques, de la presse ancienne locale, de fonds emblématiques anciens ou privés. L'ensemble de ces ressources ne concerne encore cependant qu'une très faible proportion des fonds d'archives détenus par les services du réseau.

Les programmes de numérisation font l'objet d'investissements importants de la part de l'État et des collectivités territoriales. Les services à compétence nationale (SCN) des archives nationales, des archives nationales d'Outre-mer et des archives nationales du monde du travail ont dépensé près de 500 000 euros en 2013. La salle des inventaires virtuelle du SCN Archives nationales , lancée en 2013, concrétise plusieurs années d'investissements et de travail scientifique. Les internautes ont désormais accès aux deux tiers des instruments de recherche disponibles, qu'ils consultent par l'intermédiaire d'un plan d'orientation générale (POG) ou d'un moteur de recherche. Les fonctionnalités de recherche ont vocation à être affinées : le chantier du « référentiel acteurs » des archives nationales, qui identifie et répertorie l'ensemble des producteurs des fonds, doit permettre de décloisonner les recherches dans les archives et d'améliorer la facilité d'accès à un patrimoine complexe pour le public.

L'État a d'autre part apporté des subventions importantes aux projets de numérisation, notamment dans le cadre du plan national de numérisation du ministère de la culture et la communication . Ce dispositif financier a constitué ces dernières années un levier essentiel pour soutenir une politique d'investissements en faveur de la numérisation et de la diffusion du patrimoine archivistique. 536 000 euros d'aides ont été accordés en 2012 et près de 720 000 euros en 2013 . Au total, le financement par l'État des opérations de numérisation des services d'archives s'élève à plus de 2 millions d'euros pour 2012-2014 (649 000 euros en 2012, 1 096 250 euros en 2013, 302 700 euros en 2014).

Le projet VITAM (valeurs immatérielles transmises aux Archives pour mémoire) est un programme d'investissement interministériel visant à développer une solution logicielle libre. Son objectif est double : doter les archives nationales d'une plate-forme d'archivage numérique (ADAMANT) et stimuler davantage l'archivage numérique des collectivités (projet AD-ESSOR). Les crédits destinés au projet VITAM sont de 2,3 millions d'euros en AE et 1,7 million en CP. Les crédits déconcentrés d'intervention sont en baisse de 2,55 millions d'euros en CP (à 6,5 millions d'euros) en raison de l'avancée des projets liés aux commémorations et célébrations nationales en région.

La commémoration de la Première guerre mondiale explique que les dispositifs d'aide financière de l'État se soient consacrés intensivement au soutien des actions portant sur les sources de 1914-1918. La combinaison des investissements des conseils généraux et des subventions de l'État s'est révélée très efficace. Entre 2012 et 2014, le taux de numérisation des registres matricules est passé de 30 à 95 % de couverture du territoire national .

Soutenues par l'État, les collectivités territoriales en charge des services d'archives régionales, départementales et municipales ont continué à investir de façon importante dans la numérisation. On observe une stabilisation des investissements, signe de l'importance accordée par les tutelles locales des services d'archives à la diffusion numérique des fonds d'archives. Les conseils généraux ont ainsi dépensé 3,6 millions d'euros en 2013, contre 3,4 millions d'euros en 2012. Un service d'archives départementales consacre en moyenne 40 000 euros à la numérisation, un service d'archives municipales, 6 500 euros, ce qui représente une part importante de leur budget et démontre un engagement volontariste.

2. Les résultats de l'évaluation

La politique de numérisation du ministère a fait l'objet, en 2013, d'une évaluation au titre de la modernisation de l'action publique . Cette évaluation a proposé six pistes de modernisation, axées en particulier sur la réorganisation du pilotage et de la gouvernance, et sur l'élaboration d'un schéma stratégique ministériel de la numérisation. Trois scénarii proposent des perspectives d'évolution : le premier envisage une pause des investissements et la consolidation des fondamentaux ; le second préconise leur poursuite, considérant que seul un infime pourcentage des ressources culturelles a été couvert ; le troisième propose de diriger les investissements vers le développement de nouveaux services numériques favorisant une exploitation plus optimale des corpus en ligne.

Pour le secteur des archives, la consultation très importante des sites Internet des services du réseau démontre une forte utilisation des corpus proposés aux usagers. En 2013, les ressources archivistiques en ligne ont suscité 80 millions de connexions, représentant 2,4 milliards de pages vues. L'étude des publics des archives révèle une demande de plus en plus forte et diversifiée, rendant plus que pertinente la poursuite des programmes de numérisation. Après la mobilisation du réseau en faveur des sources de la Grande guerre, de nouveaux axes stratégiques sont définis, parmi lesquels la numérisation des sources notariales et des documents de la Seconde guerre mondiale.

Matériau sériel de première importance, massivement consultées dans les salles de lecture, les archives des notaires constituent une source historique exceptionnelle depuis le Moyen-Âge jusqu'à nos jours. Elles possèdent la particularité de s'adresser à de très nombreux publics et leur numérisation constituerait la suite logique des programmes de diffusion des ressources généalogiques.

Le lancement d'une politique de sauvegarde et de valorisation des documents de la Seconde guerre mondiale répondrait à plusieurs objectifs-clés : préserver les sources fragiles et précieuses du conflit, répondre à un intérêt très fort du public pour une histoire récente, aux dimensions mémorielles, et relancer l'histoire critique de la Seconde guerre mondiale en favorisant son enrichissement par le désenclavement de sources encore peu exploitées. Ces deux axes stratégiques démontrent l'importance d'une inscription dans la durée des investissements consentis pour la numérisation et la mise en ligne : comme les autres sources d'archives, ces projets concernent une volumétrie très importante, dont la valeur se nourrit de l'exhaustivité de sa mise à disposition auprès du public.

Depuis 2010, le réseau des archives a commencé à se tourner vers le développement de services numériques culturels innovants, afin de contribuer à l'optimisation de l'exploitation des sources en ligne et à leur enrichissement . Ceci correspond aux orientations proposées par l'évaluation de la politique publique de numérisation et nécessite d'être amplifié. L'appel à projets « services numériques culturels innovants », lancé par le ministère de la culture et de la communication en 2010, 2012 et 2014, a permis à des services d'archives de mener des projets expérimentaux, fondés sur de nouvelles technologies numériques, en harmonie avec les nouveaux usages de la société. Les archives départementales de la Vendée ont par exemple proposé un travail de dynamisation de l'histoire locale autour de la constitution collaborative de dictionnaires biographiques et géographiques. L'enrichissement participatif des ressources en ligne est un axe très exploré par les archives : près de 30 services proposent déjà des modules d'annotation collaborative aux internautes. D'autres axes sont expérimentés, comme le développement d'applications numériques de découverte du patrimoine, pour l'alimentation desquelles les documents numérisés constituent une matière première privilégiée. Enfin, la mise au point de modes de recherche décloisonnés et intuitifs dans les ressources, utilisant notamment les potentialités du web sémantique, est un créneau d'avenir, qu'il convient de soutenir résolument.

L'ensemble de ces perspectives - poursuite de la numérisation selon des axes nationaux et développement de services numériques innovants - doit s'appuyer sur le portail national interministériel des archives (PNIA) , en cours de réalisation, qui devrait constituer un canal fédérateur d'accès aux ressources nationales et locales, valorisant ainsi les investissements consentis. Porté par le ministère de la culture et de la communication en partenariat avec les ministères de la défense et des affaires étrangères, le projet de PNIA constituera un point d'accès unique à ces documents et aux instruments de recherche qui en permettent l'exploitation. Ce portail permettra leur repérage et leur valorisation, tout en renvoyant vers les sites des services d'archives concernés pour la consultation proprement dite des images. En cours de définition (la rédaction du marché de réalisation est à l'étude), ce portail, dont le déploiement est prévu pour la fin 2016, jouera également le rôle d'outil national d'enrichissement du portail européen des archives, déjà déployé, et sur lequel la présence d'archives françaises doit être renforcée . Enfin, ce portail est conçu comme un levier technologique, et a vocation à proposer aux services d'archives qui souhaiteront les adopter des normes et des outils favorisant l'interopérabilité des données, leur transition vers le web sémantique et la construction collaborative d'instruments de recherche.

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis du programme 175 propose à votre commission de donner un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 .

ARTICLE 50 bis (nouveau)

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1 er mars 2015, un rapport sur la possibilité d'affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d'un tirage exceptionnel du loto réalisé à l'occasion des Journées européennes du patrimoine.

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Cet article nouveau a été adopté à l'Assemblée nationale par voie d'amendement 6 ( * ) à l'initiative de M. de Mazières.

Il vise à compenser le phénomène d'érosion des crédits destinés au patrimoine monumental, décrit plus haut par votre rapporteur pour avis.

Comme le précise l'auteur de l'amendement, il s'agit de « d'étudier l'opportunité d'abonder l'action 1 « patrimoine monumental » d'une dotation complémentaire originale et pérenne en lui affectant les recettes d'un jeu de loterie, organisé annuellement par La Française des jeux (FDJ) à l'occasion des Journées européennes du patrimoine.

En effet, sur le modèle du prélèvement de 1,8 % sur les jeux et loteries exploités par la FDJ dont bénéficie le Centre national de développement du sport (plafonné à 150 millions d'euros), le patrimoine français pourrait bénéficier de recettes orientées vers le Centre des monuments nationaux.

Depuis les années 1990, le Royaume-Uni, via le Heritage Lottery Fund , l'Allemagne ou encore l'Italie ont instauré ce type de financement en faveur de leur patrimoine.

Au demeurant, cette dotation n'obérerait pas les résultats de la FDJ (dont le chiffre d'affaires en 2013 s'est élevé à 12,35 milliards d'euros) puisqu'il s'agirait de créer un tirage au caractère exceptionnel, qui capitaliserait sur le succès populaire des Journées européennes du patrimoine (12 millions de visiteurs lors de l'édition 2014). »

En outre, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 50 bis rattaché .


* 6 Amendement n° II-480.

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