AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La crise que nous connaissons en ce moment engendre une redistribution des cartes au détriment de la population qui vit au « mauvais endroit ». Les inégalités territoriales sont une réalité dans la France d'aujourd'hui : à la métropolisation qui concentre toujours plus d'activités économiques et d'infrastructures, répond une hyper-ruralité caractérisée par l'enclavement, les doutes, les bas salaires et les services publics au rabais. Cette coupure, entre une France d'en haut et une France d'en bas, entre une France « des villes » et une France « des champs », est lourde de dangers.

Dans un monde en permanente mutation, il est essentiel d'identifier les responsabilités de chaque acteur, afin d'accroître l'efficacité de l'action publique, d'apporter une réponse appropriée aux enjeux territoriaux et d'assurer la cohésion d'ensemble. On n'en attendrait pas moins d'un projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Malheureusement, on observe un décalage profond entre les ambitions affichées et les réalisations concrètes. La réforme territoriale est menée dans une confusion et un désordre absolus. Nul ne comprend la logique de fragmentation entre la loi du 27 janvier 2014 qui crée les métropoles, le projet de loi sur la délimitation des régions dont l'adoption définitive est imminente et le présent texte. La première erreur a été de faire des redécoupages avant de réfléchir à la répartition des compétences et aux ressources affectées. On ne saisit guère plus les revirements successifs du Gouvernement, en particulier sur le sort réservé au département, alors qu'il s'agit d'enjeux majeurs, structurants pour l'avenir, nécessitant une vision claire et cohérente.

Dans ce contexte inquiétant, la commission du développement durable a examiné ce projet de loi, déposé au Sénat le 18 juin 2014 mais déjà dépassé par les annonces récentes du Premier ministre. Elle s'est saisie pour avis des articles 5 à 11, 14 et 24 à 27 qui concernent directement ses compétences en matière d'aménagement durable du territoire.

Lors de sa réunion du 2 décembre 2014, elle a émis un avis favorable à ces articles, sous réserve d'importantes modifications proposées par son rapporteur.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UNE PHILOSOPHIE D'ENSEMBLE LARGEMENT CONTESTABLE

L'objectif du texte est de clarifier les compétences pour renforcer l'efficacité de chaque collectivité, en mettant fin à la clause de compétence générale . Le Gouvernement a fait le pari aveugle de renforcer les régions et de confier l'exercice des compétences de proximité aux intercommunalités, avant d'envisager un temps, la suppression des départements à horizon 2020.

Cette solution ne correspond pas à la réalité des besoins ressentis sur le terrain. Des missions précises se dessinent : la commune est la base de la démocratie de proximité et du renforcement du lien social ; le département est le gestionnaire de proximité qui garantit la couverture en services publics ; la région est l'échelon de la stratégie qui veille à l'accessibilité du territoire en grandes infrastructures.

A. LE PARI AVEUGLE DU COUPLE RÉGION-INTERCOMMUNALITÉ

Alors que la commune fait l'objet d'un attachement identitaire très fort et que le département jouit d'une légitimité historique ancienne, ni la région ni l'intercommunalité ne bénéficient du même attachement de la part de nos concitoyens . Pourtant, le parti pris du présent projet de loi est de s'appuyer sur des régions renforcées (et en nombre restreint avec le redécoupage en cours) et des intercommunalités puissantes.

Il vise ainsi à donner aux régions tous les leviers nécessaires pour assurer la responsabilité du développement économique des territoires, de l'innovation et de l'internationalisation des entreprises. Il charge également la région d' élaborer une stratégie globale pour organiser la complémentarité des actions des collectivités, à travers deux grands schémas - l'un pour le développement économique, l'autre pour l'aménagement durable - rendus prescriptifs.

Le projet de loi vise également à poursuivre le mouvement de regroupement de communes via la constitution de grandes intercommunalités à horizon 2017. L'objectif affiché de ce changement d'échelle est d' atteindre des structures d'une taille suffisante pour offrir aux populations le niveau de services auquel celles-ci aspirent.

En parallèle, l'exposé des motifs du projet de loi annonce deux grandes évolutions à moyen terme : d'une part, la suppression des conseils départementaux d'ici 2020 , et d'autre part, la nécessité de donner aux intercommunalités « le moment venu leur légitimité démocratique ». Le Gouvernement est d'ores et déjà revenu sur la première d'entre elles. Quant à l' élection des présidents de communautés de communes au suffrage universel , et à terme la volonté de supprimer les maires, il s'agit là d' un vieux rêve que l'administration parisienne s'efforce , tous gouvernements confondus, d'imposer à nos concitoyens.

Votre rapporteur estime que le Gouvernement fait fausse route. Certes, la région est chef de file économique mais les départements mènent une grande action en ce domaine. C'est en général vers ces derniers qu'il convient de se tourner pour faciliter l'installation d'une petite entreprise, la région préférant souvent se focaliser sur les grandes entreprises . Il ne faut pas oublier la myriade d'artisans et de PME !

Quant aux ressources financières de la région, rien n'est clairement défini : elle est la seule collectivité à ne pas avoir de base fiscale dynamique , la part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui leur a été octroyée étant régressive et non garantie. En ce qui concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la région n'en perçoit que 24% contre 27% pour l'intercommunalité et presque 50% pour le département, alors même que la région porte la responsabilité du développement économique. Le Gouvernement prétend former de grandes régions aux compétences élargies, tout en restant muet sur les questions financières . Comment évoquer la puissance des régions si elles n'ont pas de ressources ? La fusion de deux régions n'augmente pas leurs moyens !

En matière d'intercommunalités, le Gouvernement privilégie également une vision technocratique , déconnectée des réalités du terrain. Au cours de son audition, Jacques Pélissard, préside de l'Association des maires de France (AMF) a parfaitement résumé le problème : ce projet de loi « bat en brèche l'intérêt communautaire, qui consiste à s'adapter au territoire en partageant les compétences selon la géographie, la démographie, l'expérience et le niveau d'équipement de chacun. Mon intercommunalité gère par exemple les bandes de roulement, tandis que l'éclairage public et l'entretien des trottoirs est resté de la compétence communale : pour reboucher des nids de poule, il est moins coûteux d'appeler le cantonnier local que de faire intervenir des équipes de la ville-centre ». Votre rapporteur insiste sur le fait que l'intercommunalité doit être au service des communes , et non l'inverse.

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