III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L'article unique de la proposition de résolution présentée par notre collègue Leila Aïchi et les membres du groupe écologiste tend à créer « une commission d'enquête composée de 21 membres sur le coût économique et financier de la pollution de l'air ».

En premier lieu, votre commission a constaté que cette proposition de résolution ne prévoyait pas un nombre de membres supérieur à vingt et un pour la commission d'enquête qu'elle tend à créer.

En deuxième lieu, votre commission a constaté qu'elle n'avait pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

En dernier lieu, votre commission a étudié le champ d'investigation que prévoit la proposition de résolution pour la commission d'enquête, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Dans son exposé des motifs, la proposition de résolution évoque « le préjudice sanitaire » que représenterait la pollution de l'air, ainsi que « le nombre inquiétant de morts prématurés chaque année (...), l'explosion des risques de pathologies cardiaques, vasculaires et respiratoires (...) et l'augmentation concordante du nombre d'hospitalisations » qui en résulteraient. De plus, le coût de la pollution de l'air pour le système de santé et plus largement l'ensemble de la société « grève[rait] de manière significative notre économie et nos finances ».

Selon l'exposé des motifs, l'objectif de la commission d'enquête serait « d'établir, pour la première fois, une évaluation des coûts économiques et financiers de la pollution de l'air pour l'État, les collectivités territoriales, les collectivités locales [sic], les entreprises, les industries et la société française dans son ensemble », en tenant compte de « l'impact de l'ensemble des polluants de l'air ».

Votre rapporteur s'est d'abord interrogé sur la possibilité de créer une commission d'enquête sur un tel objet, dès lors que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu'une commission d'enquête peut être constituée pour « recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». En effet, le coût de la pollution de l'air ne semble a priori se rattacher ni à des faits déterminés ni à la gestion d'un service public ou d'une entreprises nationale. Telle qu'elle est rédigée, l'ordonnance ne semble pas permettre la création d'une commission d'enquête sur tout sujet susceptible d'intéresser les parlementaires.

Pour mémoire, votre rapporteur rappelle néanmoins que, dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire , Eugène Pierre considère que les enquêtes « peuvent être ordonnées sur toutes les questions qui intéressent le pays » 5 ( * ) . Le même auteur estime également que « l'action politique de la Chambre peut être parallèle à l'action judiciaire des tribunaux ». Cette analyse se nourrit de la pratique de la III e République : une commission d'enquête n'était alors pas empêchée par l'existence de poursuites judiciaires en cours sur les mêmes faits, sans toutefois qu'une telle commission puisse mener une enquête parallèle à celle de la justice et ayant pour objet de caractériser des infractions pénales. Cependant, l'usage - qui n'était pas toujours respecté - voulait qu'on ne créât pas de commission d'enquête tant que la justice n'avait pas fait son oeuvre.

Sous la III e République, la création des commissions d'enquête était ainsi moins strictement encadrée que depuis l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, le principe de séparation des pouvoirs n'ayant pas en la matière une portée aussi affirmée qu'aujourd'hui.

Pour autant, s'agissant d'une commission d'enquête qui porterait sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, votre rapporteur a écarté ses préventions initiales en raison de deux précédents pouvant s'y apparenter au Sénat dans la période récente, portant sur des sujets ne semblant se rattacher ni à des faits déterminés stricto sensu ni à la gestion d'un service public.

D'une part, en 1997, une commission d'enquête a été créée sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires, alors même que cette réforme n'avait pas encore été mise en oeuvre par le Gouvernement. Ainsi que l'avait constaté, au nom de votre commission, notre ancien collègue André Bohl, rapporteur pour avis de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête 6 ( * ) , un tel objet ne relevait pas de faits déterminés et ne relevait que très partiellement de la gestion d'un service public, sans pour autant conclure à l'irrecevabilité.

D'autre part, plus récemment, une commission d'enquête a été créée, en 2012, sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, à la demande du groupe écologiste, dans le cadre de son « droit de tirage ». Un tel objet est proche de celui de la présente proposition de résolution, également déposée par le groupe écologiste.

Nonobstant ces deux précédents, selon votre rapporteur, le choix de recourir à une commission d'enquête devrait répondre aux finalités pour lesquelles ce dispositif de contrôle a été institué. En effet, les pouvoirs renforcés qui sont reconnus à une commission d'enquête se justifient par son objet : enquêter sur des faits déterminés - qui doivent être déterminés « avec précision » selon l'article 11 de notre règlement - ou sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, ce qui était l'objet des anciennes commissions de contrôle.

Notre ancien collègue André Bohl avait d'ailleurs jugé utile, en 1997, de rappeler que « les commissions d'enquête devraient être réservées à des sujets cadrant au plus près avec l'article 6 de l'ordonnance de 1958 et pour lesquels la solennité de l'enquête parlementaire et le recours aux moyens de contrôle renforcés prévus par ce texte se révéleraient indispensables ». Votre rapporteur, aujourd'hui, ne peut que faire sienne cette observation de bon sens.

L'usage des pouvoirs d'enquête - ainsi que la lourdeur d'organisation qu'ils impliquent, en vertu de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée - serait-il indispensable pour étudier le coût économique et financier de la pollution de l'air ? La question peut être posée. Une mission d'information aurait pu être un instrument plus approprié pour mener un tel contrôle, comme le montrent l'exemple de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement, en 2012, ou celui de la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe, en 2013. Au surplus, la durée d'une commission d'enquête est strictement limitée à six mois, contrainte qui n'existe pas en principe pour une mission d'information. Une durée plus importante aurait pu se justifier compte tenu du sujet.

Enfin, votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur le fait que les commissions des affaires sociales et du développement durable viennent de confier à nos collègues Chantal Jouanno et Aline Archimbaud, à leur demande, une mission sur les liens entre santé et environnement, visant notamment à identifier les maladies ayant un lien avec les pollutions environnementales. Cette mission serait limitée, dans un premier temps, à dresser un état des travaux réalisés en matière de santé environnementale. À l'évidence, cette mission recoupe en partie l'objet proposé pour la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

À ce stade, votre commission a néanmoins souhaité laisser le groupe écologiste juge de la formule la plus adaptée à son initiative, considérant que les investigations d'une telle commission d'enquête devraient porter sur des faits déterminés , lato sensu , et non sur la gestion d'un service public. En effet, « le nombre inquiétant de morts prématurés chaque année (...), l'explosion des risques de pathologies cardiaques, vasculaires et respiratoires (...) et l'augmentation concordante du nombre d'hospitalisations », dont il est fait état dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, constituent bien des faits.

Votre rapporteur, en sa qualité de président de la commission des lois, a sollicité le président du Sénat, afin qu'il interroge la garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause.

Par un courrier du 10 février 2015, la garde des sceaux a fait savoir au président du Sénat qu'aucune poursuite judiciaire, à sa connaissance, n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

Ainsi, la présente proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de faits déterminés ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires.

Dès lors, votre commission estime que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air est recevable .

Par conséquent, il n'existe aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .


* 5 Traité de droit politique, électoral et parlementaire , 1919, cinquième édition, n° 584, p. 678.

* 6 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l97-163/l97-163.html .

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