III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L'article unique de la proposition de résolution présentée par notre collègue Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE tend à créer « une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes ».

En premier lieu, votre commission a constaté que cette proposition de résolution ne prévoyait pas un nombre de membres supérieur à vingt et un pour la commission d'enquête qu'elle tend à créer.

En deuxième lieu, votre commission a constaté qu'elle n'avait pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

En dernier lieu, votre commission a étudié le champ d'investigation que propose la proposition de résolution pour la commission d'enquête, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou bien sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

La commission d'enquête devant porter sur la création, l'organisation, l'activité et la gestion des autorités administratives indépendantes (AAI), il apparaît clairement à votre rapporteur qu'elle concerne la gestion de services publics . Il ne s'agirait donc pas d'enquêter sur des faits déterminés. En effet, les AAI - et, dans le cas où elle dispose de la personnalité morale, les autorités publiques indépendantes - sont des démembrements des administrations centrales , auxquelles le législateur a reconnu une indépendance à l'égard du Gouvernement en vue de leur confier une mission particulière de protection des droits et libertés publiques, de contrôle ou encore de régulation de certains secteurs économiques, certaines disposant à cet effet d'un pouvoir de sanction. On évalue aujourd'hui à 42 le nombre de ces autorités indépendantes.

L'exposé des motifs de la proposition de résolution précise que le nombre des AAI « n'a cessé de croître au point qu'il est aujourd'hui difficile à déterminer avec précision compte tenu du caractère aléatoire de leurs modalités de dénomination ». Il déplore leur disparité statutaire, certaines d'entre elles ayant « été qualifiées d'autorités indépendantes par la loi quand d'autres doivent cette qualité à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, voire aux travaux du Conseil d'État ». Il s'interroge sur la « nécessité d'avoir régulièrement recours à de nouvelles structures de ce type ».

Compte tenu du champ d'intervention très large des AAI, l'exposé des motifs estime que celles-ci occupent « désormais une place importante (et souvent déterminante) au sein de notre dispositif institutionnel si bien qu'on peut s'interroger si elles n'ont pas parfois acquis un pouvoir, allant au-delà même de leurs missions d'origine et au détriment (voire peut-être aussi avec la complicité bienveillante ou l'accord) des pouvoirs exécutif et législatif ». La question du contrôle des AAI, et notamment de leur contrôle démocratique alors que ce sont des instances non élues, est au coeur de l'intention des auteurs de la proposition de résolution. À cet égard, l'exposé des motifs rappelle que « tous les travaux publiés à ce jour sur le sujet insistent en particulier sur la faiblesse du contrôle qui s'exerce actuellement sur ces autorités, et sur les difficultés liées à la façon dont elles sont amenées à rendre compte de leur action devant les instances institutionnelles démocratiques, au premier rang desquelles figure le Parlement ».

Si le constat formulé par les auteurs de la proposition de résolution peut être partagé, votre rapporteur tient néanmoins à insister particulièrement sur le fait que, outre les travaux déjà réalisés sur la question et rappelés par l'exposé des motifs de la proposition de résolution 5 ( * ) , des travaux très récents ont été conduits au Sénat sur la question précisément des AAI et de leur contrôle.

Il faut citer, d'une part, à la suite d'une première mission d'évaluation de notre collègue François Fortassin au nom du Bureau du Sénat, les travaux de contrôle conduits par notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade, désigné délégué du Bureau du Sénat aux AAI en juin 2013 et chargé d'assurer un suivi des AAI et de veiller à l'exercice par les commissions permanentes de leur mission de contrôle à l'égard des AAI relevant de leur champ de compétence.

D'autre part, dans la continuité de ses travaux antérieurs de 2006 sur les AAI dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, notre ancien collègue Patrice Gélard a présenté devant votre commission des lois, en juin 2014, un bilan détaillé des évolutions intervenues depuis 2006 6 ( * ) . À cette occasion, il a formulé plusieurs recommandations, dont certaines seraient sans doute de nature à répondre aux préoccupations exprimées par les auteurs de la présente proposition de résolution.

Notre ancien collègue Patrice Gélard se félicitait, en outre, dans son rapport « de l'amélioration du contrôle parlementaire de l'activité et du budget de ces autorités par les commissions permanentes ainsi que d'une participation accrue du Parlement à la nomination de leurs membres », considérant que les AAI n'étaient pas laissées sans contrôle de la part des assemblées.

Enfin, notre ancien collègue appelait également de ses voeux « une réponse législative afin de régir une catégorie qui n'a cessé de se développer, souvent sans véritable vision d'ensemble ». Aussi a-t-il déposé, avec notre collègue Jean-Pierre Sueur, le 25 septembre 2014, une proposition de loi organique 7 ( * ) et une proposition de loi ordinaire 8 ( * ) traduisant ses recommandations et prévoyant, notamment, que toute autorité administrative ou publique indépendante ne peut être créée que par la loi, étendant sur ce point le domaine de la loi établi par l'article 34 de la Constitution, et fixant les éléments d'un régime commun applicable à toutes ces autorités, fondé sur la qualification expresse d'AAI par le législateur.

Ces initiatives permettent de tempérer l'affirmation contenue dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, selon laquelle « le temps est venu de procéder à un bilan précis de l'activité des autorités administratives ».

De plus, votre commission ne peut que réitérer le souhait, déjà exprimé à l'occasion de l'examen de précédentes résolutions dans le cadre du « droit de tirage », d'une meilleure articulation des travaux conduits par les différentes instances, permanentes ou temporaires, du Sénat.

Pour autant, dans le cadre du « droit de tirage », votre commission ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation de l'opportunité de la création d'une commission d'enquête, son contrôle se bornant à en vérifier la recevabilité.

Or, la présente proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion des services publics, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires.

Dès lors, votre commission estime que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes est recevable .

Par conséquent, il n'existe aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .


* 5 Rapport n° 404 (2005-2006) de M. Patrice Gélard, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, sur les autorités administratives indépendantes. Il est consultable à l'adresse suivante :

http://www2.senat.fr/rap/r05-404-1/r05-404-1.html.

Rapport d'information n° 4020 du 1 er décembre 2011 de MM. René Dosière et Christian Vanneste, au nom du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale. Il est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4020.asp.

* 6 Ce rapport d'information n° 616 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :

http://www2.senat.fr/rap/r13-616/r13-616.html.

* 7 Cette proposition de loi organique n° 811 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :

http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-811.html.

* 8 Cette proposition de loi n° 812 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :

http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-812.html.

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