III. LES POINTS DE VIGILANCE

A. LES PRISES DE RISQUE DANS LA PROGRAMMATION DES FINANCEMENTS

1. Les recettes exceptionnelles restantes doivent être mieux garanties
a) Des cessions immobilières soumises au risque d'une décote

Le ministère de la défense indique attendre, au titre des encaissements des cessions immobilières, des recettes à hauteur d'au moins 624 millions d'euros sur la période 2015-2019. Les emprises parisiennes représentent environ les deux tiers du montant total attendu des cessions immobilières sur cette période.

S'agissant des cessions parisiennes, la caserne de la Pépinière a été cédée au titre de 2015 pour 118,5 millions d'euros.

La plus grande part des ressources attendues proviendrait de la cession de l'Hôtel de l'Artillerie (2016) et de l'Îlot Saint Germain (2017), libérés dans le cadre du déménagement des états-majors et services du ministère de la défense sur le site de Balard.

Comme le précise le ministère de la défense, « ces deux emprises sont situées dans le périmètre du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du 7 ème arrondissement en cours de révision. Celui-ci définira les contraintes urbanistiques qui devront être prises en compte s'agissant notamment des éventuelles obligations de réalisation du logement social. Les prévisions de cession de ces deux emprises ont, en conséquence, été décalées par rapport aux prévisions établies dans le cadre de l'élaboration de la LPM ».

De même, pour ce qui concerne les cessions régionales, la principale incertitude, tant sur le plan calendaire que financier, concerne les terrains du ministère de la défense inscrits au plan de mobilisation du foncier de l'État en faveur du logement social.

Le ministère de la défense indique ainsi que « le prix de vente ne peut [...] être déterminé qu'en fonction du programme défini par l'opération et donc de la décote accordée par l'État, et l'élaboration de ces programmes d'aménagement nécessite parfois de longs mois d'étude ».

Dans le cadre de l'actualisation de la LPM, les prévisions de cessions pour les années 2015 à 2019 s'établissent comme suit :

En M€ courants

2015

2016

2017

2018

2019

TOTAL 2015-2019

PARIS

118,5

129

200

0

0

447,5

PROVINCE

50

48

49

48

20

215

TOTAL

168,5

177

249

48

20

662,5

Source : ministère de la défense

La prévision de consommation de ces produits de cessions, liée aux modalités de gestion du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », s'établit comme suit :

Source : ministère de la défense

À l'initiative de votre rapporteur pour avis, la commission des finances a adopté un amendement visant à exonérer les cessions immobilières du dispositif de décote mis en place par la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite « loi Duflot ».

En effet, ce dispositif, qui permet que l'immobilier de l'État soit cédé avec une décote pouvant atteindre 100 % pour la construction de logements sociaux, entre en contradiction avec les prévisions de recettes du présent projet de loi. Ces prévisions seraient insincères si les cessions programmées par la LPM pouvaient être réalisées à vil prix. La dérogation proposée par l'amendement ne serait ainsi qu'une mesure de cohérence.

Votre rapporteur pour avis reconnaît qu'un dispositif de décote peut se justifier dans certaines situations s'il permet à des collectivités locales, qui autrement n'en auraient pas les moyens, d'assurer la construction de logements sociaux sur leur territoire.

Toutefois, il rappelle qu'il existe déjà un dispositif de cession à l'euro symbolique des biens immobiliers du ministère de la défense au bénéfice des collectivités locales les plus durement frappées par les restructurations militaires. L'amendement proposé ne remet pas en cause ce dispositif, qui a été reconduit par l'article 39 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

b) Les cessions de matériels

Le présent projet de loi prévoit que les recettes de cessions immobilières seront complétées par des cessions de matériels militaires.

Selon ministère de la défense, ces cessions pourraient porter sur :

- des matériels aéronautiques (des Mirage F1/EPSILON et, de manière moins probable des hélicoptères SA341 et 342), y compris des pièces de rechanges ;

- des matériels terrestres (des véhicules de transport ou de combat, des canons de 20 mm, des mortiers de 120 mm, des missiles Milan et des jumelles SOPHIE dont l'essentiel est cédé dans le cadre du soutien de l'Arabie saoudite aux forces armées libanaises) ;

- des matériels navals (des pièces détachées pour sous-marin et bâtiment de surface, des coques de 1 200 tonnes retirées du service, ainsi que le transport de chalands de débarquement Siroco).

c) La regrettable suppression de la clause de sauvegarde relative aux recettes exceptionnelles

L'article 3 de la loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit dispose que « dans l'hypothèse où le montant de ces recettes exceptionnelles ou le calendrier selon lequel les crédits correspondants sont affectés au budget de la défense ne seraient pas réalisés conformément à la présente loi de programmation, ces ressources seraient intégralement compensées par d'autres recettes exceptionnelles ou par des crédits budgétaires sur la base d'un financement interministériel ».

L'article 2 du présent projet de loi tend à supprimer cette clause de sauvegarde.

Même si le montant global des recettes exceptionnelles a été réduit et le niveau des ressources du ministère de la défense relevé, votre rapporteur pour avis considère que le budget de la défense reste taillé au plus juste compte tenu des exigences supplémentaires qui lui sont imposées pour répondre à la dégradation de la situation sécuritaire extérieure et intérieure.

En outre, le niveau élevé du report de charges - 3,5 milliards d'euros fin 2014 - limite les marges de manoeuvre.

En conséquence, et compte tenu des autres points de fragilité de la programmation actualisée, notamment le financement des OPEX et les hypothèses optimistes sur l'évolution des indices économiques, la clause de sauvegarde portant sur les recettes exceptionnelles reste nécessaire.

Dans son rapport 3 ( * ) sur le présent projet de loi, fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, notre collègue députée Patricia Adam, présidente de ladite commission, explique elle-même que si « la part relative des ressources exceptionnelles dans la trajectoire financière de l'actualisation de la programmation militaire est bien moindre que dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2015 et qu'en conséquence ces clauses de sauvegarde apparaissent moins nécessaires à l'équilibre général de la programmation militaire », « néanmoins, une clause de sauvegarde compensant par des crédits budgétaires une éventuelle absence de ressources exceptionnelles à hauteur de ce qui est inscrit dans la nouvelle programmation pourrait être mise en place utilement ». Elle précise même que « l es règles de recevabilité financière n'ont malheureusement pas permis de proposer une telle mesure par voie d'amendement » .

L'Assemblée nationale a introduit, à l'initiative de notre collègue député Jean-François Lamour, une demande de rapport du Gouvernement au Parlement sur l'opportunité d'une telle clause.

Votre rapporteur pour avis a proposé à votre commission des finances, qui l'a adopté, un amendement visant à rétablir cette clause de sauvegarde, dans le respect de l'article 40 de la Constitution 4 ( * ) . La demande de rapport serait en conséquence supprimée.

On peut relever que la prévision des recettes semble assez réaliste dans son montant, surtout si l'amendement de la commission des finances visant à exclure les cessions des immeubles affectés au ministère de la défense du champ du dispositif de décote prévu par la loi « Duflot » est adopté.

La principale incertitude pèse sur le calendrier des cessions. L'ampleur et la complexité des opérations à réaliser risquent en effet d'entrainer des retards.

Le plus probable est ainsi que l'activation de la clause de sauvegarde consiste, en cas de besoin, en une opération de trésorerie permettant de pallier un retard dans l'encaissement des recettes prévues.

2. L'aléa des économies fondées sur l'évolution favorable des indices économiques

La LPM 2014-2019 est la première à avoir été construite en euros courants. De ce fait, le ministère de la défense a assumé le risque des hausses des indices économiques dans une logique d'auto-assurance.

Les conséquences budgétaires de l'évolution de ces indices résultent notamment du fait que les marchés d'opérations d'équipement incluent à une formule de révision de prix, en raison de la durée de réalisation des marchés d'équipement et afin de ne pas faire porter sur les seuls fournisseurs le risque exogène de volatilité des coûts concourant à l'établissement des prix.

Or les indices économiques ont enregistré une hausse plus faible que celle prévue lors de la construction de la LPM.

Ce phénomène a été mesuré par une mission conjointe, inspection générale des finances (IGF) et contrôle général des armées (CGA).

Selon les indications du ministère de la défense, cette mission a évalué à 2,9 milliards d'euros sur la période 2014-2019 les gains dégagés par l'évolution des indices.

Le ministère de la défense a expliqué à votre rapporteur pour avis « avoir pris en compte d'emblée, dans des travaux internes antérieurs à l'actualisation, un impact positif de 1,45 milliard d'euros, qui a permis de compenser certaines charges additionnelles à la LPM qui n'avaient pu être évaluées lors de la construction, soit parce qu'elles n'étaient pas identifiées alors, soit parce qu'elles avaient été évaluées sommairement (impact de l'évolution réglementaire, aléas sur les programmes, charges fiscales, conséquences des exportations, etc.) ».

Ce gain de 1,45 milliard d'euros a ainsi déjà été « consommé » ou affecté à des charges imprévues subies par le ministère de la défense.

À partir des marges de manoeuvre restantes, le présent projet de loi propose d'affecter un milliard d'euros à des opérations d'armement prioritaires.

Questionné par votre rapporteur pour avis, le ministère de la défense affirme que « le solde est laissé au bénéfice de certains agrégats, comme les études, afin de contribuer à financer les besoins existants dans ces domaines essentiels pour la LPM et particulièrement stratégiques ».

On observe donc que le risque supplémentaire porté par le ministère de la défense par rapport à la LPM 2014-2019 excède le milliard d'euros mis en avant par le Gouvernement dans sa présentation du présent projet de loi.

Or, comme l'a expliqué Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, lors de son audition par la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi 5 ( * ) : « La décision de redéployer ces crédits ne laisse aucune marge en cas de reprise de la progression des indices économiques : à défaut d'obtenir dans ce cas un abondement des crédits du programme 146, il faudrait inévitablement redéfinir une partie du contenu physique de la LPM. En outre, ces redéploiements constituent une prise de risque sur les conditions de lancement des opérations puisque, pour une part significative, ils reposent sur les enveloppes financières des programmes futurs, lesquels n'ont pas encore de contenu précis et ne font donc pas l'objet de devis. »

Il y a donc lieu d'exercer une vigilance particulière quant à l'évolution effective des indices économiques qui entrent dans la structure de coût du ministère de la défense.


* 3 Rapport n° 2779.

* 4 dans la mesure où les éventuels transferts de charges s'effectueraient au sein de la même personne morale.

* 5 Audition du 26 mai 2015, compte rendu de réunion n° 63, session 2014 - 2015.

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