B. APPROFONDIR L'EXPÉRIMENTATION DU SERVICE MILITAIRE VOLONTAIRE

La suspension de l'appel sous les drapeaux par la loi du 28 octobre 1997 3 ( * ) était la conséquence des changements géopolitiques intervenus à la suite de l'effondrement de l'URSS et de l'évolution des menaces pesant sur la sécurité nationale. Le mouvement de professionnalisation de nos armées engagé depuis cette date est irréversible et correspond à la nécessité de disposer de forces polyvalentes projetables sur des théâtres d'opération extérieurs, tout en garantissant l'effectivité de la dissuasion nucléaire.

La disparition du service national a eu pour effet paradoxal de rappeler, à ceux qui étaient encore en sa faveur comme à ses nombreux détracteurs, qu'il constituait un formidable outil de brassage des jeunes Français, diluant les inégalités géographiques et sociales et forgeant une identité commune autour de la transmission des valeurs et de l'esprit militaire et d'une expérience partagée. Il est vrai que tous les citoyens n'étaient pas concernés, puisqu'il n'était pas obligatoire pour les jeunes femmes.

Sans nier le fait qu'il serait i nenvisageable de rétablir le service national , pour des raisons aussi bien d'opportunité pour nos armées que pratiques ou financières, des réflexions sur la mise en place d'un dispositif de substitution ont été engagées à chaque fois que, ces dernières années, des tensions liées à l'insertion des jeunes ont fragilisé le pacte républicain. Ainsi, peu avant les émeutes qui ont touché les banlieues françaises à l'automne 2005, le gouvernement de Dominique de Villepin avait, par une ordonnance du 2 août 2005 4 ( * ) , institué l'Epide, qui a pour objet, selon l'article L. 3414-1 du code de la défense, « l'insertion sociale et professionnelle des jeunes sans diplômes ou sans titres professionnels ou en voie de marginalisation sociale ». Par ailleurs, depuis 1961, le service militaire adapté (SMA) offre aux jeunes d'outre-mer une formation et un appui à l'insertion sociale et professionnelle sous statut militaire.

Après avoir évoqué, le 6 novembre 2014, l'idée d'élargir le service civique voire de le rendre universel et obligatoire, le Président de la République a finalement annoncé, lors de sa conférence de presse du 5 février 2015, la transposition, à titre expérimental, du SMA en métropole sous la forme du service militaire volontaire (SMV). La loi du 28 juillet 2015 en définit le cadre et la durée 5 ( * ) .

Pour une durée de deux ans , soit jusqu'au 1 er septembre 2017, le ministère de la défense est chargé de mettre en place, à destination des jeunes Français des deux sexes de 17 à 25 ans résidant en métropole, un dispositif d'insertion sociale et professionnelle leur offrant une formation militaire et professionnelle . Sous le statut militaire de volontaire stagiaire du SMV et encadrés par des officiers, sous-officiers et militaires du rang de l'armée de terre, ces personnes s'engagent pour une durée minimale de six mois , renouvelable jusqu'à douze mois. Comptant jusqu'à la fin de l'année 2015 un maximum de 300 volontaires, ce plafond est porté à 1 000 volontaires pour la durée de l'expérimentation .

Dans des délais très restreints, le SMV a été bâti autour de trois centres , le premier situé à Montigny-les-Metz (CSMV Lorraine) qui a ouvert le 15 octobre , le second à Brétigny-sur-Orge (CSMV Ile-de-France) dont l'inauguration a eu lieu le 3 novembre , et enfin le troisième, installé à La Rochelle (CSMV Poitou-Charentes), qui devrait ouvrir ses portes le 13 janvier 2016 . Il met l'accent sur le développement du savoir-être des volontaires et en fait un préalable à l'acquisition de compétences professionnelles et au retour sur le marché du travail. Destiné aux jeunes en difficultés, il offre à ceux d'entre eux qui ont établi un projet d'insertion avec les structures chargées de les accompagner, en particulier les missions locales, l'opportunité d'adopter les traits du comportement militaire (discipline, rigueur, cohésion, autonomie) qui sont recherchés par les recruteurs et constituent des atouts en dehors de l'entreprise.

Outil de formation citoyenne , le SMV débute par une remise à niveau scolaire , effectuée par des enseignants détachés par l'éducation nationale et sanctionnée par un certificat de formation générale, une formation aux premiers secours ainsi que l'obtention du brevet militaire de conduite , qui par équivalence permet la délivrance du permis de conduire par les préfectures. Il se poursuit par une formation professionnelle au sein de l'une des filières proposées par chaque centre, assurée par des organismes spécialisés comme l'Afpa, des entreprises partenaires ou des structures relevant de l'armée de terre . Le centre de Montigny-les-Metz propose par exemple une formation de cariste au sein du groupe PSA ou une formation aux métiers du bâtiment assurée par l'école du Génie d'Angers. A Bretigny-sur-Orge, un accord avec la SNCF a été conclu pour former aux métiers d'agent commercial, d'agent de sûreté ferroviaire, d'opérateur de la voie ferrée et d'opérateur de maintenance. Un partenariat a également été noué avec le groupe Eurodisney, permettant la formation de plusieurs volontaires au métier de serveur.

Les volontaires sont classés dans deux catégories . Ils sont dans leur grande majorité des volontaires stagiaires , jeunes sans qualification et éloignés de l'emploi qui cherchent à s'insérer professionnellement et socialement et pour lesquels le SMV constitue un moyen de rattraper le retard qu'ils ont accumulé en quittant prématurément le système scolaire. Ils touchent une solde de 313 euros par mois . Une autre voie d'accès au SMV est offerte aux jeunes qui sont diplômés mais sans emploi et à la recherche d'une expérience professionnelle : ils peuvent devenir volontaires techniciens . A l'issue d'une formation, et pour une durée d'un an renouvelable, ils seront chargés de l'encadrement des volontaires stagiaires, avec une solde de 675 euros par mois . Ils sont dans les deux cas couverts par la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS), bénéficient des tarifs réservés aux militaires sur le réseau SNCF et sont logés, nourris et blanchis.

La montée en puissance du dispositif sera progressive , puisqu'à la centaine de volontaires qui ont fait leur entrée dans chacun des centres à leur ouverture succédera une seconde génération à l'automne 2016, lorsque les premiers d'entre eux sortiront du dispositif. A terme, le CSMV Lorraine aura une capacité d'accueil de 500 volontaires et celui d'Ile-de-France de 150 volontaires tandis que celui de Poitou-Charentes restera à 100 volontaires. Le profil des premiers d'entre eux correspond à l'objectif du dispositif tel que défini par le législateur : âgés en moyenne de 21 ans , entre 48 % (Ile-de-France) et 54 % (Lorraine) sont sans diplôme. Principalement orientés par les missions locales, ils sont pour la plupart originaires de la région dans laquelle est implanté leur centre. Les femmes représentent 27 % de la promotion en Lorraine et 31 % en Ile-de-France.

Au terme de son parcours au sein du SMV, le volontaire ne quittera pas l'institution militaire sans diplôme attestant de sa maîtrise d'un savoir-être et de savoir-faire garantissant son employabilité immédiate. Un certificat d'aptitude personnelle à l'insertion (Capi), propre au SMV, lui sera délivré, comprenant notamment une attestation de formation professionnelle relative à la filière suivie.

Graphique n° 3 : Le parcours de formation du service militaire volontaire

Source : SMV

Le coût de cette expérimentation est estimé par le ministère de la défense à 40 millions d'euros , dont 11 millions pour l'infrastructure des trois centres, pris en charge par les programmes 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense ». Elle ne figure donc pas dans le champ de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Votre rapporteur pour avis a néanmoins souhaité l'examiner car le SMV constitue bien un formidable outil au service du lien armée-Nation , dans la continuité de la JDC.

Ce dispositif, qui ne vient pas en concurrencer d'autres comme l'Epide mais en est complémentaire, reste au stade expérimental d'une ampleur limitée . Il est évident que les besoins au sein de notre société pour un mécanisme d'insertion offrant à de jeunes volontaires une instruction militaire - sans maniement d'armes -, une formation professionnelle et une éducation sociale sont bien plus importants, alors que chaque année près de 150 000 jeunes quittent le système scolaire prématurément , sans qualification.

L'article 22 de la loi du 28 juillet 2015 prévoit la remise au Parlement d'un rapport d'évaluation de cette expérimentation, au plus tard en janvier 2017. Il fait peu de doute, aux yeux de votre rapporteur pour avis, qu'elle rencontrera un succès bien plus important qu'espéré en matière d'insertion, dès lors que les entreprises resteront fidèles à leurs engagements. Alors qu'il y a eu plus de deux candidatures pour chacune des places offertes dans les CSMV de Lorraine et d'Ile-de-France, il est probable que ce ratio augmente au fur et à mesure que la connaissance du SMV se répandra dans la société mais surtout auprès des différents acteurs chargés de l'insertion des jeunes. Toutefois, s'il devait être pérennisé , ce qui semble à votre rapporteur pour avis indispensable pour répondre à la crise de l'emploi des jeunes les moins qualifiés , la question de la mutualisation de son financement se poserait . Dans ce cas, il ne saurait être question que le ministère de la défense prenne en charge sur ses ressources limitées, qui doivent être principalement destinées au maintien en condition opérationnelle de nos forces, l'intégralité du coût d'un dispositif qui, à plus grande échelle, devrait également relever des ministères chargés de l'emploi et de la ville.


* 3 Loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national.

* 4 Ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

* 5 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, art. 22 et 23.

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