Avis n° 168 (2015-2016) de Mme Colette MÉLOT , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2015

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N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Joseph Castelli, Mme Anne Chain-Larché, MM. François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 170 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

« Une porte ouverte sur un monde enchanté » , ainsi François Mauriac qualifiait-il la lecture. En des temps assombris, où les lieux de culture et de partage sont l'objet de haines aveugles, le livre, la musique, la culture, fruits de l'esprit de nos artistes et symboles de nos valeurs, n'ont jamais tant semblé essentiels à nos vies.

Pourtant, ces industries sont bien souvent malmenées par une modernité , dont le rythme s'accorde difficilement avec le temps de la création, les contraintes de la production et le tempo lent du lecteur et du mélomane. Elles résistent cependant et parviennent, progressivement, à se rénover tout en demeurant fidèles à leur vocation créatrice.

Les pouvoirs publics ne sont pas étrangers à la réussite de ce défi. Le programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » se voit allouer, par le projet de loi de finances pour 2016 , 265,6 millions d'euros en autorisation de paiement et 276 millions d'euros en crédits de paiement . À périmètre constant, l'effort supplémentaire s'élève à 1,4 % par rapport à 2015 , au profit des seules industries culturelles.

La promotion du livre et le soutien à la lecture bénéficient de 96,8 % du soutien public, dans la mesure où le programme 334 comprend le financement d'opérateurs coûteux, et notamment de la Bibliothèque nationale de France (BnF). A contrario de la production cinématographique et audiovisuelle, le livre, la musique et les jeux vidéo ne sont soutenus qu' a minima , au travers d'aides éparpillées et de crédits d'impôt par trop restrictifs. Les performances affichées par ces filières n'en sont que plus méritoires.

À peine la révolution numérique maîtrisée, les industries culturelles sont confrontées à un nouveau danger contre leur fondement : on ne compte plus les attaques contre le droit d'auteur , pourtant essentiel au financement de la création, venant d'horizons aussi divers que les pirates de l'Internet et certains responsables européens. 2015 fut une année d'inquiétude et de mobilisation . La détermination du Gouvernement ne doit pas faillir en 2016 ; le doute est permis devant le peu de cas qui est à nouveau fait de la Hadopi, au regard des moyens qu'il conviendrait de consacrer à la protection de nos auteurs et de nos producteurs. La préservation d'une création dynamique et indépendante l'impose.

LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

I. PRÉSERVER LE LIVRE ET DÉVELOPPER LA LECTURE À L'ÈRE NUMÉRIQUE

A. UNE PRATIQUE CULTURELLE EN LENTE ÉVOLUTION

1. La résistance de l'imprimé

Première industrie culturelle française en termes de chiffre d'affaires à 5,5 milliards d'euros, le marché du livre est majoritairement porté à l'activité éditoriale, dont le chiffre d'affaires s'établit à 2,7 milliards d'euros pour l'année 2014 , correspondant à 422 millions d'ouvrages vendus, selon les derniers chiffres rendus publics par le Syndicat national de l'édition (SNE) 1 ( * ) . Ce chiffre d'affaires est à près de 94 % issu des ventes de livres.

La filière du livre, qui représente 80 000 emplois , est faite de multiples composantes :

- les auteurs , dont le nombre varie, selon les estimations, entre 20 000 et 50 000 personnes en fonction de la définition retenue (écrivains, scientifiques, universitaires, etc.). Sur ce nombre, moins de 2 400 auteurs déclarent à l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) des revenus tirés de leur plume supérieurs à 700 euros par mois, avec de très grandes inégalités de gains puisque le revenu moyen s'établit à 34 300 euros annuels ;

- les éditeurs, dont le marché apparaît extrêmement concentré. Ainsi, si 4 000 structures affichent l'édition comme activité principale, seulement 1 000 d'entre elles ont une activité économiquement significative et les dix premiers groupes concentrent 60 % du chiffre d'affaires ;

- les distributeurs et diffuseurs , désormais majoritairement contrôlés par les éditeurs ;

- enfin, les détaillants et autres commerces de livres , auxquels votre rapporteur pour avis consacre un développement ci-après.

La particularité du secteur du livre réside dans son quasi maintien (diminution à peine supérieure à 1 % par an depuis 2007) à un niveau élevé malgré la révolution numérique : les mutations technologiques n'ont nullement entamé cette industrie culturelle traditionnelle , à la différence notable du secteur de la musique. Pourtant, le livre représente la filière culturelle proportionnellement la moins aidée par l'État.

Intervention de l'État en faveur de différents secteurs culturels

En millions d'euros, Données 2012

Aides et subventions

Autres

Total

En % de la VA sectorielle

Livre

43,6

-

43,6

0,8 %

Cinéma

475,8

-

475,8

13%

Télévision

1 112,0

3 893 (1)

5 005,9

97,6 %

Image et son

37,8

-

37,8

1,1 %

Source : Insee, d'après L'apport de la culture en France , rapport IGF-IGAC, décembre 2013

(1) Service public de l'audiovisuel

Cet équilibre, qui devrait se maintenir en 2015, réside sans nul doute dans la relative stabilité de la proportion de lecteurs dans la population française. Selon les enquêtes du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français, réalisées régulièrement depuis les années 70, la proportion de non lecteurs est demeurée stable à 25 % de la population . Ce résultat masque toutefois un phénomène contraire : tandis que la proportion de grands lecteurs (plus de quinze livres achetés par an), qui constituent le coeur de la clientèle des librairies, s'est fortement réduite pour s'établir à moins de 7 % de la population, la proportion de lecteurs moyens (entre six et quinze ouvrages) a parallèlement progressé.

Cette situation, globalement satisfaisante dans le contexte économique actuel des industries culturelles, cache cependant des contrastes entre les catégories éditoriales.

Ainsi, à la faveur du ralentissement économique et d'une préoccupation accrue sur le pouvoir d'achat, le format poche, en croissance régulière a représenté, en 2014, 13,6 % des ventes de livres et 24,5 % des volumes, à près de 62 % composés d'ouvrages de littérature. Avec un chiffre d'affaires de 342 millions d'euros, le livre de poche continue à soutenir le marché.

Le livre de poche parmi les ventes de livres

Source : SNE

Par ailleurs, les livres consacrés à la jeunesse, notamment les séries destinées aux adolescents comme Hunter Games , la bande dessinée et les sciences humaines et sociales progressent, tandis que les beaux livres, même s'ils demeurent des cadeaux recherchés en fin d'année, les livres pratiques et les manuels scolaires pèsent sur les ventes.

En outre, la littérature, qui représente encore le quart du chiffre d'affaires , stagne en valeur et en volume, malgré la persistance d'une relative croissance du lectorat féminin et populaire autour de phénomènes d'édition comme Cinquante nuances de Grey . C'est également le cas des essais et des ouvrages religieux, même si, comme l'indiquaient les représentants de la FNAC à votre rapporteur pour avis, les attentats du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo ont eu pour conséquence une rare progression des ventes d'ouvrages de Rousseau et de Voltaire, mais également de Bible et de Coran .

En revanche, la poésie, le théâtre, les dictionnaires et encyclopédies, les cartes et atlas comme les livres scientifiques affichent des pertes inquiétantes et ne survivent que grâce aux recommandations scolaires et universitaires.

Part des secteurs éditoriaux dans le chiffre d'affaires des ventes de livres en 2014 (2 517 millions d'euros)

Source : SNE

2. La concurrence modérée du livre numérique

Toujours minoritaire, le livre numérique n'en poursuit pas moins sa croissance en s'affirmant chaque année davantage dans les habitudes de lecture des Français, sans pour autant mettre en péril le livre imprimé. En effet, les lecteurs de livres numériques sont majoritairement de grands lecteurs de livres imprimés, qui choisissent, pour des ouvrages de littérature sentimentale ou policière, un support éphémère. Tandis que le support numérique va être choisi pour son prix et son usage mobile, le livre imprimé demeure préféré pour le confort de lecture et la variété de choix, mais également comme cadeau.

De manière générale, les données publiées au sujet du poids du marché du livre numérique en France et à l'international sont à considérer avec précaution, le périmètre des études étant susceptible de varier selon les sources. Si les données publiées tendent en général à se focaliser sur le poids du numérique sur le seul marché des ventes de littérature aux ménages ( « adult trade » dans les catégories anglo-saxonnes), les sources les plus pertinentes pour mesurer le degré réel de pénétration du numérique sur le marché du livre demeurent les enquêtes réalisées auprès des éditeurs.

Ainsi, selon le Syndicat national de l'édition (SNE), auditionné par votre rapporteur pour avis, les revenus de l'édition numérique ont progressé de 53 % en 2014, pour s'établir à 161,4 millions d'euros, soit 6,4 % du chiffre d'affaires des éditeurs.

La part du numérique sur support physique (CD, DVD, clés USB) continue de diminuer (11 % du chiffre d'affaires numérique), tandis que le numérique en ligne stricto sensu (téléchargement et streaming) représente désormais 144 millions d'euros, en hausse de 56 % par rapport à 2013, soit 89 % du chiffre d'affaires numérique et 5,7 % du chiffre d'affaires des éditeurs.

Pour les éditeurs français, le marché professionnel (ventes de licences aux universités et entreprises, abonnements aux bases de données) représente plus de 50 % du chiffre d'affaires numérique. L'édition numérique grand public, dont la part de marché avait doublé en 2013, a cependant continué sa progression en 2014 et représente désormais 45 % du chiffre d'affaires numérique des éditeurs, signe de la démocratisation lente mais réelle de la lecture digitale.

Le baromètre annuel sur les achats de livres communiqué par le ministère de la culture et de communication indique, de fait, une augmentation des achats de livre numérique des ménages en 2014, de 18 % en valeur et de 13 % en volume . Il représente ainsi 2,3 % des achats de livres des ménages en valeur et 2,8 % en volume.

Selon cette fois le baromètre SOFIA/SNE/SGDL sur les usages du livre numérique, le nombre de lecteurs de livres numériques est également en augmentation avec 18 % de la population française âgée de 15 ans et plus qui déclarent avoir déjà lu, en partie ou en totalité, un livre numérique.

Par comparaison, le livre numérique représente une part conséquente du marché du livre (entre 15 % et 25 %) dans les pays anglo-saxons. On assiste cependant, depuis le début de l'année 2015, à un net ralentissement de la progression des ventes de livres numériques sur les marchés nord-américains, qui contraste avec la poursuite du développement des ventes numériques sur les marchés européens.

Part du numérique en valeur par pays 2013-2014

Source : SNE

Les observateurs du marché du livre considèrent, à cet égard, que la proportion atteinte dans les pays anglo-saxons pourrait constituer un seuil maximum pour la capacité du livre numérique à s'imposer sur le marché éditorial, seuil dont la majorité des pays européens sont encore éloignés. Le rapport d'EY « Creating growth : measuring cultural and creative markets in the EU » , publié en décembre 2014, évaluait ainsi à 3 %, tous pays européens confondus, la part des ventes de livres numériques en 2013.

B. UN RÉSEAU DE VENTE PRÉSERVÉ

1. Un optimisme encore fragile

Le réseau de détaillants de vente de livres présente, sur le territoire national, de multiples visages et une santé financière très variable.

Les 3 000 librairies indépendantes, si elles réalisent encore 45 % des ventes au détail et représentent 18,5 % du marché du livre, ne sont pas toutes logées à la même enseigne . Les plus importantes, comme le Furet du Nord dans le Nord-Pas-de-Calais, tirent parfaitement leur épingle du jeu. C'est également le cas de grandes librairies de centre-ville : Ombres Blanches à Toulouse, Le Failler à Rennes, Gibert à Paris ou encore Mollat à Bordeaux, qui misent sur un nombre élevé de références en littérature, visent les familles et développent des politiques actives d'animation.

Les petites et moyennes librairies de quartier , dont les charges sont élevées, sont quant à elles bien souvent menacées . Elles doivent faire face aux charges de personnel et de loyer, à l'augmentation des frais de transport, ainsi qu'à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l'étendue et à la nature de leurs stocks de livres, souvent à rotation lente.

L' absence de capacités d'investissement compromet l'avenir de nombreux commerces en ce qu'elle constitue un frein puissant à la modernisation : face au tassement du marché du livre, à la diminution du nombre de grands lecteurs, à la concurrence de la grande distribution et d'Internet et à l'envolée des charges, l'économie de la librairie demeure fragile. Avec une rentabilité nette moyenne divisée par trois en moins de dix ans, pour s'établir à 0,6 % du chiffre d'affaires, la librairie constitue le secteur le moins rentable du commerce de détail.

En conséquence, les fermetures de commerces se sont multipliées et plusieurs villes moyennes, certaines régions rurales, mais également des zones de périphérie urbaine défavorisées sont quasiment privées d'un accès proche à une librairie, ce qui pose question au regard des objectifs de maillage du territoire et d'égal accès de tous à la lecture poursuivis par les pouvoirs publics et rappelés ostensiblement chaque années en introduction de la présentation du programme 334 du projet de loi de finances.

Paris, ville des Lumières, n'est pas épargnée . Selon les données publiées en mars dernier par l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), Paris comptait 756 librairies en 2014 (librairies généralistes et spécialisées, librairies-papeteries et presse, vendeurs de livres d'occasion), avec une nette prédominance des 5 e et 6 e arrondissements qui comptaient respectivement 129 et 110 magasins. Or, ce décompte enregistre un recul de 28 % par rapport à 2000 , recul majeur dans le 16 e arrondissement (- 50 %), le 8 e arrondissement (- 46 %) et les 1 er et 6 e arrondissements (- 42 %). Dans ce dernier quartier, en février 2015, a ainsi fermé la mythique librairie La Hune ; en cause, comme souvent, la hausse inconsidérée du loyer . Ce constat doit toutefois être nuancé par l'observation d' un déplacement d'une partie de l'offre vers les quartiers périphériques et moins coûteux, comme le 13 e et le 20 e arrondissements.

Pourtant, après plusieurs années de marasme, les libraires ont vu certaines de leurs initiatives couronnées de succès, notamment s'agissant de leur présence sur Internet. Si Amazon reste l'acteur dominant dans ce secteur, la place des indépendants - plus de 500 librairies proposent un service de vente et de réservation en ligne - progresse. Après l'échec de l'aventure du site 1001libraires.com, en raison de difficultés de gouvernance, d'un nombre trop peu important de titres proposés, de l'absence d'un service de livraison à domicile et d'un sous-investissement chronique, les libraires ont appris de leurs erreurs. Désormais, des portails réunissant jusqu'à plusieurs centaine de libraires , à l'instar de leslibraires.fr, tiennent la dragée haute aux plateformes internationales.

Les libraires ont obtenu, par l'intermédiaire du Syndicat de la librairie française (SLF), une amélioration sensible des conditions commerciales accordées par les éditeurs , qui devrait leur permettre d'accroître leurs marges. Des efforts considérables ont été réalisés par les professionnels pour mutualiser et accélérer les flux de transport , afin d'améliorer la compétitivité des plateformes indépendantes face à Amazon. Enfin, la profession a lancé la première campagne nationale commune aux libraires indépendants « Entrez ici, vous êtes ailleurs » , visant à mettre en valeur le rôle de conseil et d'animation culturelle des librairies.

Peut également être saluée la reprise, avec le soutien du CNL, de trente-sept des soixante librairies du réseau Chapitre , qui a permis de maintenir une offre dans plusieurs villes moyennes.

Ces efforts n'ont pas été vains comme s'en félicitaient les représentants du SLF lors de leur audition par votre rapporteur pour avis : en 2014, la part de marché des librairies indépendantes a, pour la première fois depuis longtemps, progressé de 0,5 points.

La Fnac elle-même, champion français de la vente de produits culturels, qui représente environ de 16,5 % du marché du livre, enregistre, pour la première fois depuis 2011, une augmentation de 0,9 % de son chiffre d'affaires en 2014, notamment grâce à la vente en ligne. L'enseigne vend environ 20 millions de livres par an, correspondant à 350 000 titres : le livre constitue 23 % de son chiffre d'affaires et son premier vecteur de trafic , comme le rappelaient ses responsables à votre rapporteur pour avis.

2. Un soutien public efficace
a) Un prix unique qui a fait ses preuves

À l'aube des années 70, la concurrence est déjà difficile pour les librairies indépendantes face aux grandes surfaces généralistes et spécialisées. La Fnac, mais également Leclerc, proposent alors des ouvrages à des prix inférieurs de 20 à 40 % à ceux, conseillés par les éditeurs, appliqués en librairie . Le secteur entier est déstabilisé par des méthodes commerciales contre lesquelles il ne peut efficacement lutter. Commandé par le SNE et la Fédération française des syndicats de libraires (FFSL) au cabinet de conseil Chetochine, une étude estime, dès 1974, que les librairies indépendantes ne pourront longtemps supporter une telle pression concurrentielle sur les prix , la disparition programmée de nombres d'entre elles entraînant une limitation de l'accès au livre, notamment aux ouvrages à rotation lente, et, à terme, un appauvrissement de la création par une raréfaction des titres diffusés.

Sur la base de ces conclusions, les promoteurs de la régulation du marché par la fixation d'un prix unique s'organisent au sein de l'Association pour le prix unique du livre, fondée en 1977 par Jérôme Lindon des Éditions de Minuit. René Monory, ministre de l'économie, décide alors, par un arrêté en date du 23 février 1979, de remplacer le « prix conseillé » par un « prix net », laissant le détaillant responsable du prix de vente. Au cours des trente mois d'application de ce régime, les meilleures ventes, bénéficiaires de prix fort bas, ont concerné les best-sellers et les nouveautés, au détriment des ouvrages à rotation lente dont le prix avait, à l'inverse, tendance à augmenter.

Finalement, la loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » du nom du ministre de la culture de l'époque, instaure un prix unique du livre imprimé à compter du 1 er janvier 1982 . Ce prix, qui s'impose à tous les détaillants, est fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Il ne varie ni en fonction de la période de l'année, ni des territoires. Des remises peuvent toutefois être consenties par le détaillant, sans toutefois dépasser 5 % du prix fixé (9 % pour certaines commandes publiques). L'objectif est de soutenir les libraires, afin de maintenir un réseau commercial dense sur l'ensemble du territoire national, mais aussi de favoriser la diversité littéraire et la création par un dispositif qui ne dessert pas la vente d'ouvrages difficiles.

Cette loi, dont la conformité avec le droit européen a été reconnue à plusieurs reprises, fait l'objet, à quelques très rares exceptions près, d'une acceptation unanime des professionnels du livre : auteurs, éditeurs, libraires, grandes surfaces spécialisées comme bibliothécaires.

De nombreux rapports, et notamment celui réalisé par Sophie Barluet en 2007 pour le ministère de la culture et de la communication intitulé « Pour que vive la politique du livre » , en établissent un bilan particulièrement positif. Plus de vingt ans après sa création, il apparaît en effet que le dispositif a permis le maintien d'un réseau de librairies dense, qui représente toujours le principal acteur de la vente au détail de livres physiques, mais également d'une création éditoriale riche et variée avec plus de 60 000 nouveaux titres chaque année. Surtout, le prix unique du livre n'a nullement eu l'effet inflationniste que craignaient ses détracteurs : l'évolution du prix du livre demeure inférieure ou égale à celui des prix à la consommation et le prix moyen du livre n'a pas progressé plus fortement en France que dans d'autres pays.

Par parallélisme, la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix unique du livre numérique a ouvert à l'éditeur, comme pour le livre papier, la liberté de fixer le prix de vente d'un ouvrage numérique, prix qui demeure toutefois inférieur d'environ 30 % à celui du livre physique. D'autres pays ont adopté des législations similaires , à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie.

Ailleurs, les éditeurs ont réussi à maintenir une pluralité de réseaux de diffusion, via un contrat de mandat leur permettant également de fixer le prix du livre. Toutefois, la validité de ce type de dispositif a été mise à mal par les décisions des autorités de régulation de la concurrence américaines et européennes , convaincues de l'entente de certains groupes d'édition en matière de fixation du prix du livre numérique.

Les éditeurs incriminés se sont alors engagés, pour éviter de trop coûteuses condamnations, à résilier leurs contrats de mandat avec les revendeurs pour leur permettre à nouveau de fixer librement le prix de vente des livres numériques aux consommateurs. L'entrée en vigueur de ces accords, à partir de la fin de l'année 2012, a donc signé le terme d'une période inédite pour les pays ne possédant pas de système de prix fixe du livre, où le prix des livres numériques était fixé par les éditeurs.

Dès lors, un bras de fer s'est engagé, aux États-Unis, entre les éditeurs et Amazon, soupçonné d'avoir largement contribué à l'ouverture de ces procédures judiciaires, qui souhaitait imposer un prix de revente extrêmement bas pour les ouvrages numériques. Si le danger semble désormais écarté, après de longs mois de conflit, le mérite en revient à la mobilisation sans faille des éditeurs, notamment Hachette Book Group , et des écrivains contre le géant du Net. Ce type de conflits, qui pourrait se répéter à l'avenir, serait évité dans un système de prix unique du livre, rappelle votre rapporteur pour avis.

b) Un plan librairie bienvenu

Si la politique du prix unique du livre a préservé, en France, un réseau dense de librairies indépendantes, le secteur n'a pour autant pas été épargné, comme le rappelait précédemment votre rapporteur pour avis, par un double phénomène de crise des industries culturelles et des commerces de centre-ville.

La réaction des pouvoirs publics, si elle ne fut pas immédiate et demeure limitée dans son ampleur budgétaire, mérite néanmoins d'être saluée. Annoncé à l'occasion du salon du livre au mois de mars puis dévoilé le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie par Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, un « plan librairie » , qui s'inspire largement des conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairie rendues publiques en janvier 2013, a ainsi été mis en oeuvre à compter du 1 er janvier 2014.

Les différentes mesures de ce plan, doté de 11 millions d'euros dont 9 millions d'euros de crédits nouveaux, visent à redonner à la librairie indépendante une rentabilité suffisante pour lui permettre d'engager les investissements de modernisation nécessaires dans un contexte de transition qui touche l'ensemble de la filière et voit apparaître de nouveaux modèles de diffusion, qu'il s'agisse du livre numérique ou de la vente en ligne. Ce plan de soutien vise également à conforter, sur le long terme, le modèle économique et culturel de la librairie.

Le triple dispositif du « plan librairie »

Le fonds d'aide à la transmission des librairies , géré depuis 2008 par l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), a été renforcé par une dotation supplémentaire de 4 millions d'euros apportée par le CNL. Cette mesure doit permettre de répondre à l'augmentation attendue du nombre de transmissions de librairies dans les années qui viennent, en particulier du fait du renouvellement générationnel des responsables de plusieurs grandes librairies indépendantes. Au 31 décembre dernier, le fonds d'aide à la transmission avait été engagé à hauteur de 5,6 millions d'euros, soit 80 % de sa totalité. Il a notamment été fortement sollicité pour soutenir certaines reprises de librairies de l'ex-réseau Chapitre , placé en liquidation judiciaire : onze opérations ont ainsi été accompagnées pour un montant total de 1,4 million d'euros.

Un fonds d'avances en trésorerie (FALIB) a été créé à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Doté de 5 millions d'euros par le CNL , ce fonds est destiné à pallier les difficultés croissantes que rencontrent les librairies pour accéder au crédit bancaire de court terme et restaurer la confiance du secteur bancaire à leur égard. Depuis l'ouverture du fonds au 1 er janvier 2014, quarante-cinq librairies ont bénéficié d'une avance de trésorerie de 30 000 euros en moyenne, pour un montant total engagé de 1,3 million d'euros. Le résultat est encore loin des prévisions, puisque la dotation du fonds avait été calibrée pour pouvoir aider deux cent librairies par an.

Enfin, le budget consacré par le CNL au soutien à la librairie a été renforcé de 2 millions d'euros par redéploiement interne à compter de l'exercice 2014.

Dans son avis relatif au projet de loi de finances pour 2014, Jacques Legendre, alors rapporteur pour avis au nom de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, avait estimé que, « si le plan annoncé peut être qualifié de satisfaisant, trois sujets , non pris en compte, demeurent préoccupants et mériteraient d'être prochainement traités : le relèvement du seuil de procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros, afin de permettre aux collectivités d'organiser la mise en concurrence entre les librairies de leur territoire (...) ; la limitation de l'augmentation des loyers avec, éventuellement la création d'un droit de préemption sur les locaux commerciaux pour permettre leur location à des librairies ; l' amélioration des marges commerciales ». Il regrettait, par ailleurs , « que les conclusions de la mission Kancel relatives au ciblage des aides dans une logique d'offre territoriale n'aient pas été suivies d'effet, de même qu'aucune réflexion n'ait été menée sur sa proposition de création d'un fonds de soutien à la librairie, dotée d'une dizaine de millions d'euros, comme il en existe pour d'autres industries culturelles ».

Si cette dernière proposition ne semble guère avoir retenu l'attention de la ministre de la culture et de la communication, la réflexion se poursuit autour de nouvelles mesures à mettre en oeuvre en faveur de la librairie indépendante. Fleur Pellerin a annoncé, en juin dernier, qu'elle réfléchissait aux moyens de favoriser une meilleure prise en compte de la librairie indépendante dans les achats de livres des bibliothèques et des collectivités au travers de plusieurs instruments : le relèvement du seuil de dispense de procédure pour le seul secteur du livre, la distinction entre les marchés publics et les services qui y sont associés, une réflexion relative aux circuits courts de façon à ce que les librairies de proximité soient prises en compte lors des passations de marchés publics, mais également le renforcement du dialogue entre les librairies et les bibliothèques.

Le décret n° 2015-1163 du 17 septembre 2015 modifiant certains seuils relatifs aux marchés publics a ainsi relevé le seuil de dispense de procédure de 15 000 euros à 25 000 euros pour les commandes de livres . Si cette initiative doit être saluée, elle demeure timide en comparaison de la recommandation de la mission commune d'information du Sénat 2 ( * ) sur la commande publique de relever le seuil de l'ensemble des marchés à procédure adaptée (MAPA) à 40 000 euros et, plus encore, du souhait du Syndicat de la librairie française (SLF) de le fixer à 100 000 euros. Cette modification devrait toutefois bénéficier aux libraires pour lesquels, en moyenne, les commandes publiques représentent 20 % du chiffre d'affaires.

Parallèlement, une réflexion a été engagée concernant les fondements du métier de libraire. Des « Assises du métier de libraire » , associant les représentants de la profession, les principaux organismes de formation et les institutions concernées, se sont tenues en septembre dernier avec pour objectif d'identifier, sous un angle prospectif, les besoins qui seront ceux des entreprises et de leurs salariés dans les années à venir. Y a notamment été annoncée une réforme de la formation initiale et continue des libraires, dont le contenu devrait être présenté au Salon du livre, qui se tiendra en mars 2016.

Enfin, un élargissement des conditions d'intervention du FALIB est envisagé, afin de lui permettre d e répondre également aux besoins des librairies en matière de financement de la restructuration de fonds de roulement . Cette mesure, qui pourrait constituer une réponse aux besoins de nombreux libraires dont les difficultés ne sont pas forcément liées aux cycles saisonniers de trésorerie, nécessite néanmoins la mise en place d'un accompagnement professionnel auprès des libraires bénéficiaires. Le nouveau dispositif pourrait être proposé en début d'année 2016.

c) Une législation adaptée aux évolutions de la concurrence

Outre le « plan librairie », trois dispositions législatives récentes permettent de renforcer, dans l'univers numérique, l'application des lois précitées de 1981 et de 2011 relatives au prix du livre.

D'abord, afin de prévenir les litiges pouvant survenir sur l'application des lois relative au prix du livre, une instance de médiation pour le secteur du livre a été créée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette mission de conciliation est confiée à un médiateur du livre, dont les modalités de désignation ont été précisées par le décret n° 2014-936 du 19 août 2014, lequel définit également les modalités d'organisation de la procédure de conciliation. Par décret du 5 septembre 2014, Laurence Engel, conseillère maître à la Cour des comptes, a été nommée à ce poste. Elle a, au mois de février dernier, remis un premier avis à la ministre de la culture et de la communication sur la conformité des offres d'abonnement avec accès illimité à la loi du 26 mai 2011 . Une procédure de conciliation a également été menée, au terme de laquelle tous les prestataires d'abonnement concernés se sont engagés à adapter leur offre pour la rendre conforme à la législation sur le prix du livre numérique.

Ensuite, afin de renforcer les moyens de contrôle de l'application des lois de 1981 et 2011 , la même loi du 17 mars 2014 a prévu une procédure d'assermentation d'agents relevant du ministère chargé de la culture afin de leur accorder des pouvoirs d'enquête et de constatation des infractions aux lois relatives au prix du livre. De fait, le développement des ventes de livres d'occasion sur Internet conduit à contourner la loi sur le prix unique du livre : de grands sites de vente de livres présentent ainsi des livres neufs (au prix unique fixé par l'éditeur) aux côtés de livres d'occasion « à l'état neuf » à un prix sensiblement inférieur, ce qui a pour conséquence de brouiller la perception du prix par le consommateur et à le détourner de l'achat en librairie . Le décret n° 2015-519 du 11 mai 2015 relatif aux agents habilités en matière du contrôle du prix des livres organise, d'une part, la désignation et l'assermentation des agents chargés du contrôle des lois relatives au prix du livre et, d'autre part, la recherche et la constatation des infractions par ces mêmes agents. Les premiers agents devraient être habilités puis assermentés d'ici le début de l'année 2016.

Enfin, pour mieux encadrer les pratiques commerciales non prévues par le législateur lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre et apparues chez certains opérateurs avec le développement du marché de la vente en ligne, la loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres prévoit l'interdiction de pratiquer la gratuité des frais de livraison des livres à domicile et la remise de 5 % dans le cadre de la vente à distance. Cette loi a pour objectif de restaurer les conditions d'une concurrence équilibrée entre les différents réseaux de la distribution de livres, notamment entre vendeurs de livres en ligne et librairies physiques. On assistait alors à une systématisation, par certaines plateformes, du double avantage de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison. Comme l'indiquait Bariza Khiari, rapporteur du texte pour votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, « un tel niveau de concurrence commerciale ne laisse guère d'espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pire, il contribue à l'érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d'accès moins aisé qu'un site de e-commerce délivrant, rapidement et gratuitement, toute commande à domicile. »

Votre rapporteur pour avis souhaite rappeler, à cet égard, que le texte, originellement issu d'une proposition de loi du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, a été profondément modifié par le Sénat à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour en renforcer l'efficacité . En effet, dans un premier temps, le dispositif prévoyait que la prestation de livraison à domicile ne pouvait être incluse dans le prix du livre ; le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurait donc le rabais de 5 %. Puis, l'Assemblée nationale a préféré interdire le rabais de 5 % sur les livres commandés en ligne et livrés à domicile. Il est in fine revenu au Sénat de renforcer la proposition en interdisant la gratuité des frais de port.

Auditionnés par votre rapporteur pour avis, le SLF a estimé que la loi du 8 juillet 2014 avait représenté un élément majeur de la reprise économique constatée par de nombreux établissements : l'espoir du législateur qu'il pourrait contenir la concurrence d'Amazon et contribuer à faire revenir une partie du public en magasin n'était pas vain.

C. UNE OFFRE DE LECTURE PROGRESSIVEMENT ADAPTÉE À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

1. Le choix de la neutralité fiscale

Au-delà du soutien, essentiel, aux librairies, les politiques publiques en faveur du livre et de la lecture ont progressivement intégré les conséquences de la révolution numérique sur le secteur. Dans cette perspective, les pouvoirs publics ont estimé, à juste titre, que le livre numérique devait être considéré comme un bien culturel de même importance que le livre papier . À cet effet, la loi de finances pour 2012 a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de TVA .

La Commission européenne a alors lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012.

La France a, pendant près de trois ans, tenté de défendre sa position en faisant valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

L'espoir semblait permis, puisque la Commission européenne avait lancé une consultation sur les taux réduits de TVA et envisageait une modification de la directive concernée. D'ailleurs, à la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe » , l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'était ralliée à la France. Une majorité d'États membres était alors favorable à cette réforme, qui comme toute réforme fiscale, nécessite l'unanimité.

Las, le 5 mars 2015, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt par lequel elle a jugé qu' en appliquant un taux réduit de TVA à 5,5 % au livre numérique, la France n'avait pas respecté la directive européenne du 5 mai 2009 et qu'elle devait désormais s'y conformer. La Cour a notamment considéré que la directive excluait toute possibilité d'appliquer un taux réduit de TVA aux « services fournis par voie électronique » et que la fourniture de livres numériques constituait un tel service.

Le Gouvernement a dénoncé le fait que cette décision est en opposition avec le principe d'égalité de traitement et le principe de neutralité fiscale , qui en est l'expression en matière de TVA, lesquels conduisent à inclure le livre numérique comme pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, position partagée par votre rapporteur pour avis.

Le Syndicat national de l'édition (SNE) a lancé, en mars 2015, une campagne virale, #CeciNEstPasUnLivre, destinée à sensibiliser et mobiliser les internautes contre la discrimination dont fait l'objet le livre numérique.

Dans l'hypothèse d'un retour à une TVA à taux plein, votre rapporteur pour avis souhaite rappeler que le risque ne pourrait être écarté que les éditeurs répercutent cette augmentation , en tout ou partie, en majorant les prix des livres numériques. Dès lors, cette décision se traduirait, du fait de la forte élasticité-prix du livre numérique, par une baisse des volumes qui concourrait à diminuer l'assiette de rémunération de la filière . Pire, même en l'absence de répercussion de la hausse de la TVA, la rémunération de la filière pâtirait de la diminution de ses marges. Reste toutefois qu'un relèvement du taux de TVA ne devrait pas s'avérer trop coûteux à mettre en place pour les revendeurs. Si une modification du taux sur les livres papier implique un ré-étiquetage de la part des libraires, a contrario , pour les livres numériques, seuls des coûts modérés de mise à jour des logiciels comptables sont à prendre en compte.

Vivement préoccupés par la situation générée à l'issue de la décision de la CJUE, les ministres chargés de la culture de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de la Pologne ont signé une déclaration conjointe dans laquelle ils demandent « l'inclusion d'une modification du droit européen permettant l'application du taux réduit de TVA aux livres numériques dans la stratégie numérique pour l'Europe ».

Le 6 mai 2015, la Commission européenne a présenté sa stratégie pour un marché unique numérique en Europe. Ce même jour, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a annoncé à l'occasion d'un discours « pour une presse libre et indépendante dans une Europe moderne » , prononcé devant l'association des éditeurs de presse allemande, qu'il souhaitait présenter en 2016 une réforme destinée à aligner les taux de TVA des livres électroniques et de la presse en ligne sur ceux des supports papier . « Le règlement de la TVA doit être technologiquement neutre » , a spécifié Jean-Claude Juncker, ralliant ainsi la position défendue de longue date par le Gouvernement français. Votre rapporteur pour avis salue la position du président de la Commission et appelle de ses voeux, dans l'intérêt du marché du livre, une mise en oeuvre rapide de la réforme annoncée.

2. L'enjeu de la numérisation des oeuvres : le rôle central de la BnF
a) La montée en puissance de Gallica, symbole du virage numérique de l'opérateur historique

Le développement du marché, marchand et non marchand, du livre numérique nécessite que les oeuvres du patrimoine littéraire français soient rendues accessibles. À cet effet, la numérisation du patrimoine écrit a été confiée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) 3 ( * ) , qui dispose d' une bibliothèque numérique, Gallica . Inaugurée en 1997 comme une simple bibliothèque numérique à vocation encyclopédique, Gallica a profondément changé à compter de 2006, en contrepoint des projets de numérisation de Google . Le site, désormais généraliste, reçoit près de quinze millions de visiteurs chaque anné e (40 000 visites par jour pour quarante pages lues par personne en moyenne) et compte plus de 3,4 millions de documents. Une nouvelle version du site a récemment été développée pour les mobiles et les tablettes. Le site Gallica intra-muros , version disponible seulement dans les salles de lecture de recherche de la BnF, rassemble, pour sa part, près de 3,8 millions de documents, dont 400 000 documents sous droit.

La numérisation engagée porte sur des documents libres de droits en langue française ou langues régionales, imprimés sur le territoire français sur des supports variés :

- les imprimés de la BnF ainsi que ceux de bibliothèques partenaires (territoriales, universitaires ou de recherche) ;

- les livres indisponibles du XX e siècle dans le cadre du projet ReLIRE ;

- les documents figurés (estampes, photographies, manuscrits, cartes et plans, musique imprimée) ;

- les ouvrages précieux de la Réserve ;

- les reproductions de documents spécialisés sous forme transparente (microfilms de manuscrits et de presse) ;

- la presse du XIX e et du début du XX e siècle, documents sur support en général très fragile qui s'autodétruisent (oxydation et hydrolyse du papier issu de pâte à bois) et ne peuvent donc être communiqués au public que sur un support de substitution numérique ou argentique (microfilm).

La production totale est de 99,5 millions d'images numérisées depuis 2004 par les partenaires de la BnF, auxquelles s'ajoutent, depuis 2005, 10,6 millions d'images par les ateliers internes de la BnF, notamment celui de Tolbiac. En 2014, la production a été moindre en raison de la transition entre les deux marchés de numérisation des imprimés.

Éléments chiffrés de production des derniers marchés

Projet - Marché

Depuis le début
du marché

Production 2014

Documents validés

Pages validées

Documents validés

Pages validées

Réserve/Arsenal (Azentis 2012)

14 420

1 159 380

6 323

552 233

Imprimés (Jouve-Diadéis 2011)

368 961

25 244 067

24 653

2 383 766

Indisponibles (Jouve-Diadéis 2011)

15 532

3 810 537

15 532

3 810 537

Spécialisés (Azentis 2013)

5 802

316 459

5 802

316 459

Monnaies et médailles (Azentis 2013)

23 025

46 050

23 025

46 050

Presse (Jouve-Diadéis 2011)

135 665

621 722

46 210

247 238

Source : Réponse au questionnaire budgétaire - PLF 2016

S'agissant des imprimés, les campagnes de numérisation, jusqu'alors réservées aux ouvrages du XIX e et du début du XX e siècle, s'étendent désormais aux ouvrages des XVII e et XVIII e siècles , ainsi qu'aux ouvrages précieux reliés plein cuir ou aux ouvrages dits « hors d'usage » en raison de la fragilité de leur papier ou de leur brochage, ouvrages antérieurement non éligibles à la prise de vue. Parallèlement à l'examen systématique de fonds rassemblant depuis la fin du XVII e siècle, les ouvrages d'une même discipline, la constitution de deux ensembles documentaires se poursuit : la numérisation des grands textes (sélection d'un ensemble de près de 10 000 éditions des oeuvres emblématiques classées par thème et par siècle) et celle des documents les plus consultés, représentant un ensemble de 5 000 documents par département thématique.

Les collections d'imprimés les plus numérisées (monographies et revues confondues) demeurent les collections du département « histoire, philosophie, sciences de l'homme », suivies par celles du département « littérature et art » ; les collections des départements « droit, économie, politique » et « sciences et techniques » suivent ensuite.

Par ailleurs, l'année 2014 a vu démarrer deux nouveaux marchés de numérisation des collections spécialisées, le premier pour la reproduction de manuscrits, collections iconographiques (dont estampes et photographies) et documents musicaux , le second spécifiquement destiné à la numérisation de monnaies . Ainsi, plus de 173 000 monnaies, principalement grecques et romaines, ont été mises en ligne, sur les 700 000 monnaies conservées dans le département « monnaies, médailles et antiques ». Les programmes de numérisation des collections spécialisées s'organisent autour de trois axes principaux de sélection : intérêt patrimonial, intérêt documentaire, critères liés à la conservation et à la communication.

Un accent particulier est mis sur la reproduction des « trésors et chefs d'oeuvre » , avec notamment la numérisation progressive des réserves des départements spécialisés . Parmi les programmes menés en 2014, on peut mentionner la numérisation d'estampes de Pierre Roche, de Berthe Morisot ou encore de Vincent Van Gogh, la reproduction de documents du fonds Marcel Proust au département des manuscrits, le programme Rameau au département de la musique ou encore la poursuite de la numérisation des manuscrits enluminés médiévaux de réserve à la Bibliothèque de l'Arsenal.

D'autres fonds sont numérisés pour des raisons de conservation et de communication : reproduction de documents très fragiles (support sur plaque de verre par exemple) ou présentant des difficultés de manipulation (documents de très grand format, objets comme le fonds de marionnettes du département « arts du spectacle »). À titre d'exemple, au département « audiovisuel », depuis 2000, un plan de sauvegarde pour la numérisation des supports son et vidéo, principalement issus du dépôt légal, a été mis en place.

Des chantiers spécifiques sont enfin lancés en fonction des partenariats et accords passés par la BnF : la numérisation en 3D de globes du département « cartes et plans » dans le cadre d'un mécénat ou la reproduction d'imprimés chinois anciens conformément à l'accord de partenariat signé avec l'université de Shandong.

Outre ses fonds propres et le soutien du CNL, les sources de financement des opérations de numérisation menées par la BnF sont diverses :

- européennes dans le cadre de sa participation à des projets comme celui de la base de données Europeana , bibliothèque numérique européenne, qui peuvent apporter des financements pour la numérisation. La BnF est actuellement partie prenante d'un programme sur la Première Guerre ( Europeana Collections 14-18 ) pour la numérisation de journaux de tranchées ;

- sous forme de subsides de l'Agence nationale de la recherche (ARS) ou LABEX et EQUIPEX , programmes de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour le financement de projets spécifiques comme Biblissima consacré au livre ancien ;

- privées enfin, dans le cadre des quatre partenariats incluant un volet numérisation signés par la filiale de la BnF, BnFPartenariats, depuis sa création en 2012. Le premier, concerne le livre ancien avec l'éditeur américain ProQuest ; le second porte sur les collections sonores avec les sociétés Memnon Archiving Services et Believe Digital ; le troisième concerne des collections d'imprimés du XIX e siècle ; le dernier comprend la numérisation de microfilms de presse.

Les financements des projets BnF

Financements

CNL

BnF

Programmes européens

ANR /Biblissima

Total

4 461 957 €

363 777 €

238 087 €

14 224 €

Pourcentage

88 %

7 %

4,6 %

0,3 %

Source : Réponse au questionnaire budgétaire - PLF 2016

b) La numérisation des livres indisponibles : une opération enfin lancée

Les projets de numérisation des oeuvres ont principalement porté sur le domaine public et les collections les plus contemporaines. Les livres anciens mais toujours sous droits n'ont pas, jusqu'à présent, fait l'objet de programmes spécifiques en raison de la faible opportunité économique de leur numérisation. De fait, alors que la rentabilité économique individuelle des titres est faible, le coût de leur numérisation est excessivement élevé puisqu'il est nécessaire de contacter individuellement les auteurs ou leurs ayants droit, dont la trace a souvent été perdue, afin de négocier des contrats pour les nouvelles utilisations numériques des oeuvres.

Avec la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle, adoptée à l'unanimité par les deux chambres, les pouvoirs publics ont souhaité remédier à la quasi-absence de ce patrimoine sur les supports numériques , mais également répondre au risque de constitution d'un monopole de la diffusion numérique des oeuvres de l'écrit . En effet, dès 2004, Google a entrepris de numériser et de donner accès de façon exhaustive à un très grand nombre d'ouvrages en s'affranchissant largement des principes du droit d'auteur.

La loi du 1 er mars 2012 précitée a instauré un mécanisme de gestion collective pour les droits numériques attachés aux livres indisponibles du XX e siècle publiés en France et ne faisant plus l'objet d'une diffusion commerciale par un éditeur, soit environ 200 000 titres. Seuls sont concernés les ouvrages édités dans un contexte où les perspectives de diffusion numérique n'étaient pas envisagées : pour les livres plus récents, c'est en pleine connaissance de cause que l'exploitation numérique est prévue ou omise dans les contrats d'édition. Le dispositif s'éteindra donc naturellement avec l'entrée de ces oeuvres dans le domaine public.

Le dispositif prévu consiste en un transfert de l'exercice des droits numériques des livres indisponibles à une société de perception et de répartition des droits , gérée de façon paritaire par des représentants des auteurs et des éditeurs et agréée par le ministère de la culture et de la communication. Ce transfert ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de six mois après l'inscription des livres dans une base de données publique réalisée par la BnF , et sauf opposition des titulaires de droits. Pendant ce délai, les auteurs et leurs ayants droit sont informés de la réforme afin de leur permettre d'exercer en toute connaissance de cause leur droit de sortie initial. Après l'entrée en gestion collective, les titulaires de droits conservent cependant la possibilité de se retirer, sans contrepartie, du dispositif dès lors que les droits d'exploitation numérique de l'oeuvre n'ont pas été cédés à un éditeur.

Le mécanisme est particulièrement incitatif pour les éditeurs. Il encourage, en effet, l'éditeur originel du livre, s'il est encore en activité, à assumer l'exploitation numérique des livres concernés . D'une part, comme l'auteur, l'éditeur du livre peut s'opposer pendant le délai de six mois à l'entrée du livre en gestion collective. En revanche, contrairement à l'auteur, il doit assumer les conséquences de cette opposition et se trouve contraint de rendre de nouveau le livre disponible sous forme imprimée ou numérique. D'autre part, lorsque les droits numériques sont exercés par une société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à l'éditeur historique. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, il est là encore tenu d'exploiter le livre indisponible concerné.

La BnF a publié, le 21 mars 2013, une première liste de près de 63 000 livres, essentiellement des ouvrages de littérature et de sciences humaines publiés après 1981, sur son Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), dont les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective le 21 septembre 2013 à défaut d'opposition de leurs éditeurs, de leurs auteurs ou des ayants droit de ces derniers. A la même date, par arrêté de la ministre de la culture et de la communication, la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) a été agréée en qualité de société de perception et de répartition pour la gestion collective du droit d'autoriser l'exploitation numérique des livres indisponibles.

En revanche, la situation a longtemps été critique s'agissant du financement de la phase de numérisation , qui, faute d'accord sur la participation des éditeurs et du commissariat général à l'investissement (CGI) au capital de la société de projet, n'a pu débuter dans les délais impartis.

Un blocage supplémentaire est intervenu avec le recours pour excès de pouvoir contre le décret n° 2013-182 du 27 février 2013 pris pour l'application de la loi précitée du 1 er mars 2012 . Pourtant, la rédaction de ce texte avait fait l'objet d'une large concertation entre les organisations représentatives des auteurs et le SNE, dans le cadre d'un groupe de travail associant la BnF en sa qualité de personne morale responsable de la mise en oeuvre de la base de données publique répertoriant les livres indisponibles.

Ses dispositions précisent les modalités de constitution et d'accès à la base de données des livres indisponibles , ainsi que la nature des données collectées et les mesures de publicité destinées à informer les auteurs et les éditeurs de l'inscription de leurs livres dans la base de données. Le décret confie à un comité scientifique, placé auprès du président de la BnF et composé en majorité et à parité de représentants des auteurs et des éditeurs, le soin d'arrêter la liste des livres indisponibles enregistrés dans la base de données. Il fixe également les procédures permettant aux titulaires de droits de s'opposer à l'inscription de leurs livres indisponibles dans la base de données et au passage en gestion collective de leurs droits d'exploitation numérique. Il définit enfin les conditions de délivrance et de retrait de l'agrément des sociétés de perception et de répartition des droits prenant en charge la gestion collective des droits d'exploitation numérique des livres indisponibles.

À l'occasion de ce recours, une question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée à l'encontre de la loi du 1 er mars 2012. Par une décision du 28 février 2014, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi, poursuivant un but d'intérêt général, était conforme à la Constitution. En particulier aux yeux du Conseil, elle ne violait notamment pas les dispositions relatives au droit de propriété garanties par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

L'opération de numérisation des livres indisponibles du XX e siècle a alors enfin pu prendre son essor : une nouvelle liste de 35 000 titres a été publiée en 2014 , essentiellement composée d'oeuvres publiées avant 1970 en littérature, sciences sociales et humaines, histoire locale et histoire du monde. La SOFIA a également délivré, en 2014, les licences d'exploitation relatives aux livres inscrits dans la première liste, publiée en 2013.

La campagne de numérisation proprement dite a débuté à l'été 2014 et la commercialisation des 15 000 premiers fichiers est prévue pour la fin de l'année 2015. Les prévisions de numérisation s'établissent à 40 000 ouvrages par an au cours des années 2015 à 2017.

Le processus technique s'organise en deux temps : la BnF assure la première partie du processus en produisant des fichiers en mode image des ouvrages à partir des collections du dépôt légal, puis ces fichiers sont transmis à la société FeniXX, constituée à cet effet par le Cercle de la Librairie, syndicat interprofessionnel de l'édition et de la librairie, qui finalise leur conversion en livres numériques et en gère l'exploitation. En contrepartie, la BnF est autorisée à proposer la consultation des ouvrages dans leur intégralité dans l'enceinte de l'établissement et leur feuilletage partiel à distance, dans l'attente de leur entrée dans le domaine public. À l'expiration des droits de propriété intellectuelle, elle pourra les rendre accessibles sur son site Gallica .

La BnF bénéficie d'une subvention du CNL d'un montant de 9 millions d'euros sur cinq ans pour assurer la numérisation en mode image de 200 000 ouvrages. FeniXX est par ailleurs éligible aux aides accordées par le CNL pour la numérisation rétrospective d'ouvrages sous droits pour un montant compris entre 430 000 euros et 800 000 euros.

S'il convient de se réjouir qu'après moult rebondissements le projet ait enfin démarré, il est essentiel de demeurer attentif à ce que de nouveaux blocages ne le pénalisent à nouveau . En effet, dans un arrêt du 6 mai 2015, le Conseil d'État a décidé de surseoir à statuer sur le recours pour excès de pouvoir afin de soumettre à la CJUE une question préjudicielle sur la compatibilité de la réglementation relative aux livres indisponibles avec la directive 2001/29/CE du 29 mai 2001 . Les dispositions de l'article 5 de la directive instituent un nombre limitatif d'exceptions ou de limitations au droit de reproduction exclusif accordé à un auteur sur son oeuvre. Il s'agit donc de déterminer si le dispositif de gestion collective des livres indisponibles constitue une exception ou une limitation, qui ne figure pas au nombre de celles énumérées par cet article.

3. Un contrat d'auteur heureusement modernisé

L'arrivée, même modeste, du numérique dans l'édition a également posé la question de la rémunération des auteurs sur la vente de supports moins coûteux à produire et vendus à des prix inférieurs que ceux appliqués aux livres imprimés. Est alors apparue nécessaire l' adaptation du contrat d'édition à l'exploitation numérique de l'oeuvre , afin d'en sécuriser les clauses tant pour les auteurs que pour les éditeurs. En effet, les dispositions en vigueur depuis 1957 étaient en partie devenues obsolètes - l'objet du contrat était défini comme « la fabrication en nombre des exemplaires de l'oeuvre » , ce qui ne permettait pas de prendre en compte la diffusion numérique - et, par manque de précision, favorisaient la perpétuation de mauvaises pratiques dans les relations entre les parties.

Déjà, au mois de juin 2012, les travaux de la commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur le contrat d'édition à l'heure du numérique avaient fait progresser les négociations entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) sur les conditions de cession et d'exploitation des droits numériques. Certains principes avaient pu être dégagés mais un accord d'ensemble sur les termes exacts d'une modification du code de la propriété intellectuelle n'avait pu être trouvé. En septembre 2012, la ministre de la culture et de la communication a souhaité relancer la réflexion et, à cet effet, a confié au professeur Pierre Sirinelli le soin de poursuivre son travail de médiation.

À l'issue de plusieurs mois de négociation, auteurs et éditeurs ont conclu, le 21 mars 2013, un accord-cadre relatif au contrat d'édition , afin de l'adapter aux contraintes numériques avec l'installation de règles communes à tout contrat et de règles variant en fonction de la nature de l'exploitation :

- pour l'ensemble des contrats d'édition, le champ est modifié pour couvrir à la fois l'édition en nombre des exemplaires d'une oeuvre mais également le livre numérique . Les professionnels ont souhaité concilier le respect de l'unicité de l'oeuvre et la spécificité des modes d'exploitation, en proposant que le contrat d'édition détermine dans deux parties distinctes les conditions relatives à la cession des droits liés à l'exploitation imprimée de l'oeuvre d'une part, et les celles liées à l'exploitation numérique de l'oeuvre d'autre part ;

- les parties se sont également entendues pour préciser deux éléments fondamentaux du contrat d'édition : l'obligation de reddition des comptes qui pèse sur l'éditeur est renforcée et adaptée aux spécificités de l'édition numérique ; l'auteur ou l'éditeur est autorisé à mettre fin à l'ensemble du contrat sur la base du constat d'un défaut d'activité économique ;

- pour l'exploitation imprimée, la négociation a permis de définir avec précision l'étendue de l'obligation pesant sur l'éditeur en matière d'exploitation permanente et de diffusion commerciale des oeuvres . Pour l'auteur, cette précision simplifie la procédure de résiliation du contrat, aujourd'hui ressentie comme coûteuse et incertaine ;

- enfin, pour l'exploitation numérique, les obligations de l'éditeur ont également été précisées. Ont, par ailleurs, été fixées de nouvelles règles de rémunération. Enfin, les parties sont convenues d'un réexamen régulier des modalités de cession des droits d'exploitation numérique de manière à pouvoir les adapter à l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique.

Adopté à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, l'article 2 de la loi précitée du 8 juillet 2014 a habilité le Gouvernement à tirer les conséquences de cet accord-cadre par voie d'ordonnance. L'ordonnance modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle a été publiée le 12 novembre 2014 pour une entrée en vigueur le 1 er décembre de la même année.

Toutefois, compte tenu de la complexité des dispositions en cause, mais également du caractère encore incertain des évolutions induites par les technologies numériques dans le secteur de l'édition, il était souhaitable que l'élaboration normative puisse répondre à un souci de souplesse et d'évolutivité. Pour cette raison, les modalités d'application de l'accord-cadre ont été précisées par la voie d'un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des auteurs et des éditeurs du secteur du livre en date du 1 er décembre 2014, étendu à l'ensemble des auteurs et des éditeurs par un arrêté de la ministre de la culture et de la communication du 10 décembre 2014.

Un projet de loi ratifiant l'ordonnance précitée du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 29 avril 2015. Nonobstant, à l'occasion de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, un article additionnel 37 bis A nouveau de ratification de l'ordonnance a été adopté.

4. Des bibliothèques en profonde mutation

De nombreuses grandes villes, notamment les métropoles régionales, et quelques départements ont rejoint le programme des bibliothèques numériques de référence (BNR), créé en 2010, qui vise à mettre en place de grands équipements capables de proposer au public des services, des ressources et des collections de premier plan. Une vingtaine d'établissements ont d'ores et déjà été labellisées BNR, tandis que plus de vingt-cinq projets sont en cours. On estime à environ quatre cents le nombre de bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux (plus de 30 millions de documents anciens et précieux), dont cinquante-quatre bibliothèques municipales classées.

Au sein de ces projets, les investissements en faveur de la numérisation des ressources ne sont pas négligeables mais demeurent généralement inférieurs aux crédits prévus pour les infrastructures informatiques et l'acquisition de ressources numériques. En 2014, le programme des BNR a mobilisé 1,9 million d'euros, puis 1,3 million d'euros en 2015. Le programme devrait se poursuivre en 2016 sur des bases comparables.

Parallèlement, des actions de coopération sont développées avec la BnF , dont le financement est intégré au sein de subvention pour charges de service public attribuée à l'établissement. En 2014, la BnF a ainsi engagé 2,1 millions d'euros pour des partenariats avec un certain nombre de bibliothèques territoriales ou universitaires parmi les plus importantes, sous forme d'une aide à la numérisation ou d'une aide à la gestion du dépôt légal imprimeur. En termes de valorisation, le produit des opérations de numérisation en région est intégré et diffusé à travers la bibliothèque numérique Gallica : sur les 3,5 millions de documents en ligne à l'été 2015, 317 000 émanent des 268 établissements partenaires.

Par ailleurs, depuis 2004, à travers le Plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE), sont encouragées les actions concertées entre les collectivités territoriales, dépositaires ou propriétaires d'un très vaste patrimoine écrit, et les grandes bibliothèques de l'État, y compris universitaires et de recherche, afin de mieux valoriser et faire connaître le patrimoine des bibliothèques territoriales . Le huitième appel à projets a été lancé en mars 2015 avec une dotation de 200 000 euros au bénéfice de onze projets sélectionnés.

À l'ère numérique, les bibliothèques sont également confrontées à la difficulté de garantir , de façon pratique comme en matière de respect de la propriété intellectuelle, les conditions d'un usage collectif des livres numériques . De fait, comme le souligne la mission « Acte II de l'exception culturelle » confiée à Pierre Lescure dans son rapport de mai 2013, « la numérisation des contenus et la transformation des pratiques culturelles induite par la révolution numérique interrogent le rôle des bibliothèques et leur mission d'intermédiation culturelle ».

Afin de développer l'offre numérique en bibliothèque, la mission Lescure proposait :

- d' adopter un dispositif de sécurisation du prêt numérique, notamment par la mise en place de systèmes de fichiers chronodégradables ;

- de développer l'offre de titres en nouant des partenariats avec les librairies , plus performantes en matière de respect de l'exception culturelle que les plateformes américaines auxquelles les établissements font aujourd'hui largement appel ;

- d'inciter les éditeurs français à mettre en place une gestion collective du prêt numérique , permettant la conclusion d'accords sur la rémunération des auteurs et éditeurs ;

- enfin, d' adapter les aides publiques aux bibliothèques en prenant en compte le développement de l'offre numérique, mais également de conditionner les aides à la numérisation versées par le Centre national du livre (CNL) à la mise à disposition des titres en bibliothèque.

Certes, la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs a prévu la mise en place d' une licence légale pour le prêt de livres en bibliothèque . Selon ce principe, l'auteur se voit privé de son droit d'autoriser ou d'interdire le prêt des exemplaires de son oeuvre, moyennant une rémunération compensatoire versée par l'État et les collectivités territoriales, via la société de gestion collective SOFIA, qu'il partage à parts égales avec son éditeur. Mais ce dispositif n'a pas vocation à s'appliquer au prêt de livres numériques .

En outre, les principes d'exclusivité du prêt et d'épuisement des droits n'ont pas cours dans l'univers numérique. Le prêt de livres numériques relève donc du droit exclusif de l'auteur et de la négociation contractuelle entre les organismes prêteurs et les titulaires de droits.

À l'absence de cadre juridique adapté, s'ajoute la diversité des modèles techniques et des stratégies commerciales des éditeurs, intégrateurs et distributeurs numériques , compliquant d'autant la recherche d'une solution équilibrée pour les auteurs, éditeurs et bibliothèques. Schématiquement, deux modèles d'accès aux titres , modulables en termes de modèle commercial (licence ou achat), de volume (illimité ou non) et de choix de titres (catalogue entier, partiel ou au titre), coexistent : un accès en téléchargement permettant une lecture hors ligne et fonctionnant par paiement à l'acte ou un accès en streaming pour un nombre d'utilisateurs simultanés illimité impliquant un abonnement souscrit par la bibliothèque.

La multiplicité des modèles d'acquisition de titres et des dispositifs de lecture est préjudiciable aux bibliothèques , contraintes de contracter avec de nombreux intermédiaires et de former leurs personnels à la diversité des outils proposés, comme aux usagers , qui ne se voient pas offrir d'offre intelligible. In fine , peu d'établissements proposent de prêter des livres numériques, comparativement à des pays comme l'Allemagne, la Suède ou les États-Unis, où la pratique du prêt numérique est largement démocratisée.

Conscients de cette lacune française et afin d' améliorer la diffusion du livre numérique en bibliothèque au double bénéfice des lecteurs et des créateurs , les représentants des bibliothèques, des auteurs, des librairies et du SNE, réunis pendant près d'un an sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, ont défini conjointement un cadre de recommandations pour développer le prêt numérique. Le document, signé le 8 décembre 2014 par huit associations professionnelles et la ministre de la culture et de la communication, indique dans son préambule : « Il est de la responsabilité collective de tous les acteurs du livre et de l'État de veiller à garantir à la fois l'accès facilité des usagers à une offre numérique de qualité en bibliothèque et les équilibres économiques permettant aux auteurs, aux éditeurs et aux libraires de mener leurs activités. Ces équilibres visent, en effet, à préserver la vitalité et la juste rémunération des acteurs de la création, de l'édition et de la diffusion marchande du livre imprimé et numérique, la diversité des offres et des points d'accès au livre, auxquelles contribue l'ensemble de la chaîne du livre et dont bénéficient tous les lecteurs ».

Parmi ces recommandations, votre rapporteur pour avis retient trois propositions particulièrement intéressantes et équilibrées :

- donner accès aux bibliothèques publiques à l'intégralité de la production éditoriale numérique ;

- réguler les accès au prêt numérique , afin de préserver les achats en librairie ;

- laisser aux collectivités territoriales le soin de choisir, en fonction de leurs besoins et de leurs financements, entre plusieurs offres techniques et commerciales.

D. UN SOUTIEN AU LIVRE FREINÉ PAR LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES

1. Des dotations inégales

Au sein du programme 334 « Livre et industries culturelles », l'action n° 1 « Livre et lecture » est dotée par le projet de loi de finances de 246,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 257 millions d'euros en crédits de paiement (CP) pour 2016, soit un recul des crédits respectivement de 5,6 % et de 0,5 % par rapport à 2015. L'explication de la diminution des autorisations d'engagement réside dans l'achèvement de la première phase de travaux du quadrilatère Richelieu de la BnF.

Les crédits consacrés au livre et à la lecture sont répartis en quatre sous actions d'importance inégale :

- la subvention pour charge de service public de la BnF pour 206,8 millions d'euros en AE comme en CP. Au cours de sa séance publique du vendredi 13 novembre dernier, dans le cadre du « coup de rabot » général, l'Assemblée nationale a diminué cette subvention à hauteur de 1 million d'euros, arguant que l'opérateur avait la capacité de réduire ses dépenses à due concurrence ;

- le financement des travaux du Quadrilatère Richelieu pour seulement 500 000 euros en AE et 9,9 millions d'euros en CP ;

- les crédits destinés au développement de la lecture et des collections pour 20,5 millions d'euros en AE et 21,5 millions d'euros en CP .

Au sein de cette troisième sous-action , 8,2 millions d'euros en AE (7,2 millions d'euros en CP) correspondent à la subvention pour charge de service public versée à la Bibliothèque publique d'information (BPI) , dont il sera fait mention en détail ci-après.

Par ailleurs, 12,8 millions d'euros de crédits d'intervention sont répartis entre les crédits centraux (1,4 million d'euros) destinés à financer les interventions en direction des bibliothèques, le soutien à la conservation et à la diffusion du patrimoine écrit et le soutien au développement de la lecture (subventions aux associations) et les crédits déconcentrés (11,3 millions d'euros) consacrés à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine écrit, à travers le soutien apporté à l'Institut de la mémoire de l'édition contemporaine (IMEC) et la mise en oeuvre du plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE), aux acquisitions et l'enrichissement des collections par les fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques (FRAB), mais également à l'aide au fonctionnement des médiathèques.

Le soutien de l'État aux bibliothèques municipales et départementales

Pour ces établissements, qui relèvent des collectivités territoriales, le soutien de l'État se concrétise principalement à travers un dispositif réglementaire et financier spécifique - le concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentralisation (DGC) - et par la mise à disposition de plus d'une centaine de conservateurs d'État , pour un coût d'environ 9 millions d'euros.

Cette mise à disposition, qui concerne les cinquante-quatre bibliothèques classées au titre des articles L. 310-1 et L. 310-2 du code du patrimoine en raison de la présence d'importants fonds d'État dans leurs collections, est encadrée depuis 2010 par un système de conventionnement avec les collectivités bénéficiaires. L'année 2015, dernière année des conventions 2013-2015, a vu la conduite d'une évaluation nationale du dispositif et la préparation de nouvelles conventions de mises à disposition pour la période 2016-2018.

Les crédits du concours particulier de la DGD ont, pour leur part, favorisé la création, depuis 1986, de plus de 2,8 millions de m² de bibliothèques. En 2014, les crédits du concours particulier se sont élevés à 80,4 millions d'euros et ont permis de soutenir 811 opérations sur l'ensemble le territoire national (dont 228 opérations de construction, restructuration ou extension) réparties dans 575 communes et 45 départements.

L'exercice budgétaire 2015, doté également de 80,4 millions d'euros, est en cours de réalisation. Les principales opérations subventionnées par l'État dans ce cadre concernent les projets pluriannuels de Bordeaux, Brest, Caen, Carpentras et Cambrai, ainsi que les projets de bibliothèques numériques de référence de Bordeaux, Lyon, Rennes, Roubaix, Troyes et le projet du département du Pas-de-Calais.

Source : Ministère de la culture et de la communication

- enfin, les aides à l'édition, à la librairie et aux professions du livre pour 18,7 millions d'euros en AE et en CP.

Dans ce cadre, 15,7 millions d'euros de crédits centraux sont versés pour la rémunération des auteurs et des éditeurs au titre du droit de prêt en bibliothèque (9,2 millions d'euros) et pour la subvention au Syndicat de la librairie française et à la Centrale de l'édition. Enfin, 3 millions d'euros de crédits déconcentrés sont destinés au soutien aux libraires et aux maisons d'édition pour leurs projets de création, de développement et de diversification, afin de favoriser le maintien d'un réseau de librairies et éditeurs indépendants.

Le cadre du droit de prêt, qui constitue l'un des principaux dispositifs en faveur de la filière du livre, est fixé par la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. La SOFIA procède chaque année, avec retard, à la répartition des sommes perçues entre auteurs et éditeurs. Le total des sommes réparties en 2014 (au titre de l'année 2011), soit 16,6 millions d'euros, a marqué un retrait par rapport à la collecte effectuée l'année précédente (17,2 millions d'euros). Cette baisse provient, pour une part, d'une moindre contribution de l'État assise sur le nombre d'inscrits en bibliothèques), ainsi que d'un recul des achats de livres par les bibliothèques.

Compte tenu du contexte des finances publiques et de l'évolution des pratiques de lecture, qui conduit à un recul régulier des inscriptions en bibliothèque, cette tendance devrait se confirmer en 2015 et dans les années à venir au détriment des auteurs et des éditeurs. Votre rapporteur pour avis se réjouit donc des propositions de notre collègue Sylvie Robert, qui, dans le cadre d'une mission relative aux bibliothèques, confiée par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a proposé une réforme du concours particulier de la DGD, afin d'en étendre le bénéfice aux projets d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques territoriales , dans le cadre du développement du rôle des bibliothèques comme établissements culturels de proximité. Cette mesure pourrait permettre d'augmenter la fréquentation des bibliothèques et, partant, d'augmenter le droit de prêt.

2. Des bibliothèques nationales à la recherche des moyens de leur développement
a) La BnF : une activité plombée par les projets immobiliers

Dans le cadre de leurs missions statutaires, les orientations stratégiques des deux établissements publics ayant statut de bibliothèque nationale, la BnF et la BPI, sont formalisées à travers des contrats de performance et projets d'établissements . Pour ce qui concerne la BnF, un contrat de performance pour la période 2014-2016 a été signé le 22 mai 2014 entre le ministère de la culture et de la communication et l'établissement public, après avoir bénéficié, pour sa rédaction, de l'appui d'une mission d'audit conduite par l'IGAC et l'Inspection générale des bibliothèques.

La BnF est dotée, dans le projet de loi de finances, d'une subvention pour charges de service public de 206,8 millions d'euros en 2016 , stable par rapport à 2015, où elle avait enregistré une légère augmentation de 1,6 %.

L'établissement participe depuis plusieurs années à l'effort de maîtrise des dépenses publiques et cherche, en conséquence, à limiter ses coûts de fonctionnement. Dans ce cadre, il s'agit notamment de contenir les dépenses de personnel, qui représentent 73,5 % des dépenses de l'opérateur. En 2016, le plafond d'emploi de l'opérateur diminuera de 18 équivalents temps plein (ETP) , pour atteindre 2 249 emplois , contre environ 2 500 en 2010, grâce au non-renouvellement des départs à la retraite. Il s'agit majoritairement d'emplois de catégorie C, tels que les magasiniers, les bibliothécaires et les techniciens d'art.

Une réorganisation des procédures du dépôt légal - un exemplaire numérique remplace désormais l'un des deux exemplaires physiques de l'ouvrage - a permis de libérer des postes. De même, le vestiaire du site François Mitterrand a été remplacé par une consigne automatique. Enfin, la sécurité des sites (François Mitterrand, Richelieu, Arsenal, Opéra, Avignon) a été confiée à une entreprise privée. La pression sur les effectifs devrait toutefois être moins forte en 2017, où la diminution sera limitée à quatorze ETP.

Au terme du décret du 3 janvier 1994 qui la régit, la BnF, établissement public à caractère administratif, a pour missions de :

- d'abord, collecter, notamment par la mise en oeuvre du dépôt légal, cataloguer, conserver et enrichir le patrimoine national dont elle a la garde, qu'il soit imprimé, graphique, audiovisuel ou numérique.

Ces collections sont valorisées par un programme d'expositions régulières et enrichies grâce à une importante politique d'acquisitions patrimoniales . Dans ce cadre, la BnF parvient à lever des fonds importants grâce au mécénat . En 2015, ont ainsi été financés plusieurs achats, dont des manuscrits médiévaux pour 3,1 millions d'euros et des manuscrits de Berlioz pour 1,5 million d'euros. Un appel à souscription est en cours pour l'acquisition du bréviaire de Saint Louis de Poissy. L'établissement s'appuie sur son association d'amis, dynamique bien que vieillissante, sur le Cercle de la BnF pour les relations publiques, mais également sur les dons de particuliers, comme Pierre Bergé, et d'entreprises.

- ensuite, permettre l'accès du plus grand nombre à ces collections , tout en veillant à leur conservation.

La BnF a accueilli, dans ses salles de lecture, environ un million de visiteurs en 2014, en recul de 13 % par rapport à 2013 ; l'érosion s'est, depuis, poursuivie. Consciente de la priorité que constitue le développement actif de ses publics, l'établissement a rénové sa politique d'accueil, en élaborant un document d'orientation stratégique explicitant les différentes actions à mener, présenté au conseil d'administration au mois de juillet 2015, notamment une organisation des salles de lecture du Haut-de-Jardin plus conforme aux nouvelles habitudes de lecture et de travaux collectifs des étudiants, une extension du Wifi et un assouplissement des règles d'accréditation . Parmi les indicateurs de performance attachés à l'objectif n°1 « Favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture » figure le renforcement de la fréquentation des salles de lecture de la BNF : de 810 000 visiteurs en 2015, le résultat visé s'établit à 820 000 en 2016, puis à 970 000 en 2017 , grâce aux nouvelles mesures annoncées. Déjà, à l'issue des travaux du Haut-de-Jardin en 2014, une campagne d'information a été lancée, afin d'inciter le public à fréquenter les salles de lecture réaménagées. L'instauration de la gratuité des salles du Haut-de-Jardin pour les étudiants est en outre souhaitée par la BnF, dès lors que son coût (environ 400 000 euros par an) serait compensé par le ministère de la culture et de la communication ;

- enfin, préserver, gérer et mettre en valeur son patrimoine immobilier.

Cette dernière mission pèse lourdement, depuis plusieurs années, sur les comptes de l'établissement public. Le site François Mitterrand nécessite régulièrement des travaux de modernisation et de mise aux normes (6,7 millions d'euros sur la période 2015-2017 dont 1 million d'euros par tour pour les ascenseurs, auxquels s'ajouteront en 2016 5,4 millions d'euros de travaux de protection contre les inondations à la suite d'un incident sur une canalisation). La bibliothèque de l'Arsenal vient également d'être restaurée, bien que la mise aux normes de sécurité incendie ait été reportée en 2015 par manque de moyens.

Toutefois, l'essentiel de l'enveloppe est consacrée à la rénovation de son site historique du quadrilatère Richelieu. Le projet Richelieu a pour objectif de mieux assurer la sécurité des personnes et la sûreté des collections patrimoniales, en vue de l'installation sur le site des bibliothèques de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et de l'École nationale des Chartes. Il s'agit de constituer un pôle de ressources en histoire de l'art , grâce à la rénovation des salles de lecture, à l'augmentation du nombre de places et à la création de nouvelles aires d'accueil pour le public.

Ce chantier, entamé en 2011 et qui devait s'achever en 2017, représente pour l'État une charge globale d'environ 230 millions d'euros, régulièrement réévaluée par l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), mandaté pour la conduite de l'opération 4 ( * ) . L'enveloppe des travaux est imputée à 80 % au ministère de la culture et de la communication, les 20 % restants étant à la charge du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Des surcoûts sont apparus à la suite de la découverte d'amiante et de plomb. Ces aléas ont retardé les travaux de près d'un an (la réouverture de la salle Labrouste, correspondant à la fin de la première phase, n'interviendra qu'en 2016), de même que les atermoiements du ministère de la culture et de la communication sur le sort à réserver à l'escalier d'honneur , qui date de 1917 et est inscrit à l'inventaire supplémentaire. Le projet initial, farouchement critiqué par certains, prévoit sa destruction et son remplacement par un escalier moderne.

La BnF est elle-même largement mise à contribution pour le financement du projet , comme le rappelait son président Bruno Racine lors de son audition par votre rapporteur pour avis. Reviennent ainsi à sa charge les coûts de déménagement des personnels et des collections . L'établissement public a, en outre, complété de 12 millions d'euros le financement des travaux de la première phase, grâce à des gains issus de contentieux gagnés. Une somme équivalente devra être trouvée pour la seconde phase, qui débutera courant 2016, notamment pour le financement de la rénovation de la façade et des parties classées, ainsi que la réfection des pavés de la cour . Il est envisagé, à cet effet, de faire appel au mécénat et d'y affecter une partie du produit de la cession prochaine d'un bâtiment.

En outre, une difficulté de fonctionnement devrait prochainement se poser à l'opérateur avec l'installation en 2016 de l'INHA dans les locaux rénovés. Rien n'est à ce jour prévu dans les recettes de l'institut pour compenser, à la BnF, les charges de gardiennage et de chauffage afférentes au bâtiment et estimées entre 1 et 2 millions d'euros par an.

b) La BPI : une modernisation bienvenue bien que tardive

La BPI a essentiellement un rôle de conseil auprès de bibliothèques municipales et départementales ; elle constitue également, à leur profit, une source d'informations. À cet effet :

- la BPI procède chaque année à des études nationales sur le livre et la lecture sur demande du ministère de la culture et de la communication ;

- elle réalise des enquêtes de fréquentation des bibliothèques tous les deux ans, ainsi qu'une évaluation annuelle de la consultation sur place. Dans ce cadre, a également été réalisée en 2011 une enquête sur les usages et attentes des publics du champ social ;

- elle soutient l'association Réseau CAREL (Coopération pour l'accès aux ressources numériques en bibliothèques), créée en 2012, qui fédère des collectivités territoriales pour négocier avec les éditeurs et fournisseurs de ressources des tarifs à l'usage de l'ensemble des bibliothèques publiques ;

- enfin, en partenariat avec l'association « Images en bibliothèques », la BPI sélectionne des films documentaires non édités pour en acquérir, en coordination avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les droits de représentation et de prêt au bénéfice des bibliothèques publiques. Le catalogue comprend plus de 1 400 titres à ce jour. Un projet de modernisation en profondeur du catalogue est à l'étude pour une mise en oeuvre sur la période 2015-2017.

La coopération est également une mission stratégique de la BPI. Réuni en juillet 2014, le conseil de coopération de l'établissement a précisé les principaux axes de partenariat souhaités par les bibliothèques territoriales, notamment le développement de l'expertise numérique dans différents domaines et le renforcement des études nationales autour des pratiques de lecture en bibliothèque.

Au sein du projet de loi de finances pour 2016, la BPI dispose d'une subvention pour charges de service public de 7,2 millions d'euros en AE , soit une augmentation de 1,04 % par rapport à 2015. Sur ce total, 6,8 millions d'euros sont destinés au fonctionnement de l'établissement, dont une partie pour le financement des 63 emplois temps plein (ETP), et 1,3 million d'euros à l'investissement aux fins de travaux de rénovation de l'entrée et de l'espace d'accueil au public. Il s'agit de la première étape d'un programme de travaux plus ambitieux, dont votre rapporteur pour avis se réjouit.

Le projet de rénovation immobilière, dont le calendrier a été précisé récemment (études en 2016-2017, puis travaux en 2018-2019), a pour objectif de redonner à la bibliothèque le rôle d'innovation souhaité dans le projet initial de Georges Pompidou. Il s'agit de réaménager les espaces (6 000 m² au sein du Centre Pompidou sur un total de 10 000 m²) et de les adapter aux pratiques de lecture actuelles . Une dotation de 10 millions d'euros en AE a été ouverte à cet effet dans la loi de finances pour 2015. Les CP seront demandés en fonction du calendrier d'avancement du chantier. À ce stade, 3 millions d'euros de CP sont prévus pour la période 2015-2017.

Ces travaux devraient permettre de relancer une fréquentation en berne . Le nombre de visiteurs - lecteurs et chercheurs - diminue chaque année depuis 2002, avec une inflexion plus forte depuis 2013, pour s'établir, en 2015 à 1,35 million de personnes . Le premier indicateur de performance de l'objectif n° 1 « Favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture » associé au programme 334 concerne la fréquentation de la BPI. Après une stabilisation en 2016, l'objectif est de retrouver en 2017 le niveau de 2013, soit 1,5 million de visiteurs annuels.

L'érosion constatée de la fréquentation de la BPI s'explique par différentes décisions concomitantes : la limitation des accès , décidée à la fin de l'année 2013, en fin de semaine et pendant la période de révision des examens afin d'améliorer les conditions de travail des étudiants ; le renforcement des contrôles d'accès à l'entrée ; la fermeture partielle des salles de lecture en été et du niveau 2 en 2015 pendant les travaux de sécurité incendie du Centre Pompidou ; enfin, le maintien d'un temps de présence moyen élevé des visiteurs, qui limite le taux de rotation journalier. En revanche, les expositions, à l'instar de celles consacrées à Marguerite Duras et à Claire Bretécher en 2014, améliorent sensiblement la fréquentation pendant leurs périodes d'ouverture au public.

En décembre 2012, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, a souhaité que le projet d'établissement « Lire le monde », élaboré en 2011, soit modifié afin de garantir le maintien du nombre de places de lecture dans l'établissement, de développer les liens avec le Centre Pompidou et de renforcer davantage la coopération avec les bibliothèques en régions . Un nouveau projet a été transmis le 25 juillet 2013, mais ces modifications ont entraîné un report de la rédaction du futur contrat de performance de la bibliothèque, qui devrait être présenté au dernier conseil d'administration de l'année 2015.

3. Le CNL : un opérateur à conforter
a) Un effort de simplification et de transparence à confirmer

Le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication , agit comme opérateur du ministère dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, à côté des représentants publics, des représentants des professions du secteur et des personnalités qualifiées. Depuis 2010, son président est nommé pour cinq ans par le Président de la République.

L'établissement est chargé de soutenir, aux différents niveaux de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques, organisateurs de manifestations), les projets favorisant la création et la diffusion des oeuvres les plus exigeantes sur le plan littéraire ou scientifique . Il attribue notamment des subventions et des prêts après avis de commissions ou comités spécialisés . Dans ce cadre, l'opérateur a pour mission de :

- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains, des illustrateurs et des traducteurs , par l'attribution de bourses de création et de résidence. Un sous-indicateur de l'objectif n° 2 « Soutenir la création et la diffusion du livre » fixe à 45 % en 2016 et à 50 % en 2017 la part de ces aides consacrée à de nouveaux auteurs et traducteurs, afin d'encourager les jeunes talents ;

- soutenir l'édition d'oeuvres littéraires jugées primordiales par le biais de subventions à destination des éditeurs français. Il s'agit principalement ici des genres en difficulté que représentent la poésie, le théâtre, les livres d'art et de sciences humaines. Un autre sous-indicateur de l'objectif n° 2 susmentionné fixe à 22 300 le nombre de nouveaux titres publiés chaque année dans ces domaines ;

- encourager tous les modes d'expression littéraire et concourir à la diffusion, sous toutes ses formes, d'oeuvres littéraires en langue française ;

- contribuer , par l'aide aux entreprises d'édition et de librairie, au développement économique du secteur du livre ainsi qu'au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre et de la lecture ;

- participer à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises ;

- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;

- accompagner les manifestations construites autour d'un projet littéraire permettant la rencontre et la rémunération des auteurs en s'adressant au plus large public ;

- intensifier les échanges littéraires en France et à l'étranger , et concourir à toutes les actions de promotion du livre et de la lecture susceptibles de contribuer à la diffusion et au rayonnement du livre français ;

- enfin, soutenir les bibliothèques , les établissements culturels et les librairies , en France et à l'étranger, qui commandent des ouvrages de langue française présentant un intérêt culturel, scientifique, technique ou touchant à la francophonie.

La mobilisation du CNL en faveur des librairies

En application des plans Livre 2008 et Librairie 2013 , l'intervention du CNL - orientée vers les librairies indépendantes, professionnelles, proposant un assortiment de qualité - a été élargie, précisée et dotée de moyens budgétaires importants. Le CNL a ainsi soutenu 270 librairies à hauteur de 3 millions d'euros en 2013 et 4,6 millions d'euros en 2014. Ces interventions prennent la forme :


d'aides économiques directes - prêts à taux zéro et subventions - permettant de soutenir les investissements à tous les stades de la vie de l'entreprise (création, développement, restructuration, reprise, transmission, etc.), soit près de quarante projets pérennes aidés chaque année. Ces dispositifs ont notamment permis d'assurer fin 2013 et début 2014 la reprise de dix-neuf ex-librairies du groupe Chapitre pour un montant supérieur à 2 millions d'euros ;


d'aides à l'exploitation , sous forme de subventions forfaitaires de 3 000 à 10 000 euros, en faveur des librairies valorisant les fonds et la création éditoriale (210 à 250 librairies pour 0,9 à 1 million d'euros par an).

Par ailleurs, le CNL a développé, depuis 2014, une démarche de contractualisation avec les certaines directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui se traduit par la mobilisation et la mise en commun de moyens budgétaires permettant de soutenir les investissements et la professionnalisation de librairies de petite taille, inéligibles aux aides du CNL et jouant un rôle territorial manifeste dans l'accès au livre.

L'établissement soutient également des structures professionnelles de façon permanente (Adelc) ou sur projet. Il est par ailleurs chargé de l'instruction du label Librairie de référence . Enfin, le CNL consacre, chaque année, une enveloppe d'environ 350 000 euros aux librairies francophones à l'étranger , répartie entre des aides directes et un soutien annuel à l'Association internationale des librairies francophones (Ailf).

Source : Ministère de la culture et de la communication

Outre les aides diverses aux librairies, le CNL a attribué, en 2014, 2 millions d'euros en bourses d'écriture, crédits de traduction et frais de résidence à des auteurs reconnus. 5,3 millions d'euros ont, en outre, bénéficié aux éditeurs pour le financement de traductions et de publications. Par ailleurs, plus de 30 % des crédits de l'opérateur, soit 9 millions d'euros, ont été destinés au numérique. Environ 65 % à 70 % des demandes d'aide sont acceptées par les commissions.

Le dispositif d'aides du CNL s'est longtemps caractérisé par sa complexité et son éparpillement. On comptait ainsi trente-cinq catégories d'aides attribuées sur avis de dix-huit commissions et neuf comités, organisées par disciplines ou par type d'intervention. Ces structures rassemblaient, outre un réseau bénévole de lecteurs et d'experts, plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés pour trois ans par le ministre de la culture et de la communication, sur proposition du président du CNL.

Conscient de la nécessité d'une rationalisation de son système d'aides, le CNL a présenté en mars 2012 une réforme du dispositif, suspendue par la ministre de la culture et de la communication dès le mois de juillet 2012 en raison des inquiétudes suscitées chez les auteurs. La réforme envisagée consistait en la réduction du nombre de dispositifs d'aides à treize et du nombre d'instances à onze commissions et six comités.

Pour apaiser les craintes et juger de la portée du dispositif proposé, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, a confié à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) le soin de dresser un bilan du système d'aide existant et d'expertiser le projet de réforme du CNL. Les conclusions de cette mission ont été rendues en novembre 2012.

La première critique de l'IGAC portait sur la quasi-absence de concertation en amont de la présentation de la réforme, méthode qui a largement contribué à crisper les positions. La mission s'interrogeait ensuite sur la réalité de la diminution annoncée du nombre d'aides, dans la mesure où de nouveaux dispositifs seraient créés (soutien aux grands projets patrimoniaux, aide au roman, soutien aux manifestations littéraires internationales, etc.). Elle s'inquiétait en revanche de la suppression des aides à vocation sociale , qui constituent une mission historique de l'opérateur. Enfin, la mission regrettait qu' aucune évaluation de la réforme ne soit prévue. Le rapport de l'IGAC concluait enfin à la nécessité d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs du livre, comme de l' affirmation des priorités de la tutelle en matière de soutien au secteur, avant toute mise en oeuvre de la réforme.

Après une période d'incertitude à la tête de l'établissement entre la démission de Jean-François Colosimo en juin 2013 et la nomination de Vincent Monadé en octobre de la même année, la réforme des statuts du CNL a été opérée, à compter du 1 er janvier 2015, par le décret n° 2014-1435 du 1 er décembre 2014, qui donne suite à plusieurs des préconisations formulées par le rapport précité de l'IGAC. Le dispositif d'aide a été, dès lors, simplifié et limité à vingt-six catégories.

Les nouveaux statuts du CNL portent d'abord modification de la composition du conseil d'administration de l'établissement public. La représentation parlementaire y est intégrée, tandis qu'un rééquilibrage entre le collège des professionnels et celui des représentants de l'État est opéré au profit de ce dernier, entraînant une réduction du nombre de professionnels désormais désignés par leurs instances représentatives.

La réforme tend ensuite à rendre plus collégial le fonctionnement de l'établissement public par la création d'un collège des présidents des commissions spécialisées. Cette instance doit, en particulier, constituer un lieu d'échange et de concertation sur l'évolution des dispositifs d'aide et les modalités de fonctionnement des commissions spécialisées. Elle peut, en outre, émettre un avis sur les nominations, par le président de l'établissement, des membres des commissions spécialisées, ainsi que des experts et lecteurs extérieurs. Le collège désigne enfin, en son sein, un représentant au conseil d'administration, afin d'être en mesure de formuler des avis sur l'orientation de l'activité du Centre national du livre.

Il est également procédé à une modification de la gouvernance de l'établissement avec l'organisation d'un débat annuel au sein du conseil d'administration s'agissant des orientations stratégiques et de l'application du contrat de performance.

La réforme vise enfin à encadrer l'autonomie décisionnelle du président de l'établissement en soumettant à un avis collégial la grande majorité des aides. En application des nouvelles dispositions statutaires, le président doit rendre compte au conseil d'administration au moins une fois par an des suites données aux avis rendus par les commissions spécialisées. Le conseil d'administration approuve les contrats et les conventions souscrits par l'établissement et qu'il détermine ceux pour lesquels il délègue la responsabilité au président, compte tenu de leur nature et de leur montant financier.

Parallèlement, un nouveau contrat de performance pour la période 2015-2017 , faisant suite à celui signé le 19 mai 2011 et venu à échéance fin 2013, a été adopté par le conseil d'administration le 30 mars 2015 et signé le 21 juillet dernier par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Trois priorités stratégiques ont été retenues :

- tout d'abord, l'établissement devra contribuer au développement de la place du livre dans les pratiques culturelles des Français et à l'accès du plus grand nombre à la lecture. Cet objectif devra se traduire par un développement des partenariats existants entre le CNL et les régions, en vue de préserver le maillage territorial de la librairie. L'établissement devra également renforcer ses actions en faveur des publics empêchés ou éloignés du livre (personnes atteintes d'un handicap, personnes sous main de justice, personnes hospitalisées ou en situation de dépendance). Le CNL a ainsi élargi les conditions d'éligibilité de ses dispositifs consacrés à la constitution de premiers fonds et de fonds thématiques en bibliothèques (800 000 euros pour 2015) aux projets dédiés aux personnes empêchées. Les dispositifs réformés permettent, en outre, de mieux prendre en compte les projets destinés à offrir un accès à la lecture aux publics les plus éloignés du livre et la lecture (géographiquement, socialement ou culturellement), en particulier d'accompagner prioritairement des projets en milieu rural ;

- ensuite, le CNL devra veiller à accompagner les acteurs français du livre, en France et à l'international , pour leur permettre de s'adapter aux mutations du secteur. Cette priorité couvre les champs de l'édition, des librairies et des auteurs. Le CNL renforcera son soutien économique aux éditeurs indépendants, développera des actions de professionnalisation des libraires et contribuera à l'amélioration de la situation des auteurs et au développement d'une offre légale de livres numériques ;

- enfin, l'opérateur devra optimiser et moderniser son organisation et son fonctionnement , en s'inscrivant dans une démarche d'évaluation de ses actions, de renforcement du dialogue social et d'amélioration de sa gestion des ressources, y compris humaines.

Malgré un périmètre d'action ambitieux, le poids du CNL dans l'économie du livre demeure modeste . Ses interventions représentent ainsi environ 1 % du chiffre d'affaires de l'édition , soit un taux d'intervention bien inférieur à celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en matière de cinéma, de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires du secteur.

Son action est toutefois décisive pour la qualité, la diversité et l'économie des domaines éditoriaux à rotation lente. C'est pourquoi, votre rapporteur pour avis salue la réforme engagée en 2015, dont elle suivra avec attention l'effectivité de la mise en oeuvre . Elle veillera également à ce que les ressources affectées à l'établissement continuent à lui permettre de mener à bien ses missions.

b) Des crédits à stabiliser

Le CNL bénéficie, pour son fonctionnement et ses interventions, du produit de deux taxes fiscales affectées de nature différente :

- la première taxe, de nature redistributrice, est due par les éditeurs en fonction des ventes d'ouvrages de librairie . Elle est perçue au taux de 0,2 % sur la même assiette et dans les mêmes conditions que la TVA. En sont exonérés les éditeurs dont le chiffre d'affaires de l'année précédente n'excède pas 76 000 euros ;

- la seconde taxe, de nature compensatrice, concerne les ventes des appareils de reprographie et, depuis 2007, de reproduction et d'impression, figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel. Elle a pour objet d'apporter une réparation partielle au préjudice subi par les éditeurs et auteurs du fait du développement de l'usage de la reprographie. Elle est perçue au taux de 3,25 % (2,25 % jusqu'en 2009), acquittée mensuellement ou trimestriellement et concerne la première vente sur le territoire.

Dans un souci de simplification, la loi de finances pour 2000 a supprimé le compte d'affectation spéciale dit « Fonds national du livre ». Les taxes fiscales sur l'édition et la reprographie sont donc désormais directement versées à l'agent comptable du CNL respectivement par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et des droits indirects.

Les recettes de ces taxes affectées sont en partie liées à la conjoncture économique, sans qu'il soit possible de les anticiper très précisément, surtout en ce qui concerne la taxe sur les appareils de reprographie, ce qui rend la dotation du CNL particulièrement incertaine s'agissant d'un opérateur de l'État . Ainsi, après diverses réformes permettant d'ajuster l'assiette et le taux, le produit de la taxe sur les appareils de reprographie, initialement évalué à 30 millions d'euros, n'a atteint le niveau escompté pour la première fois qu'en 2011, le produit de la taxe s'élevant à alors 30,7 millions d'euros.

Pour mémoire, depuis 2004, le CNL ne perçoit plus de subvention de fonctionnement de son ministère de tutelle. Pire, la subvention mise en place au titre des transferts de compétence intervenus en 2009 entre l'administration centrale et le CNL, qui représentait 2,8 millions d'euros en loi de finances pour 2012, n'a pas été reconduite depuis 2013, l'établissement participant à l'effort de relèvement des comptes publics.

Parallèlement, la loi de finances pour 2012 a plafonné les deux taxes affectées au financement du CNL , respectivement à hauteur de 5,3 millions d'euros pour la taxe sur l'édition et de 29,4 millions d'euros pour la taxe sur le matériel de reproduction et d'impression. Ce plafonnement, reconduit pour les exercices suivants, est appliqué au produit des deux taxes avant prélèvement des frais d'assiette et de recouvrement estimés chaque année à 1,2 million d'euros. La ressource nette totale du CNL se trouve ainsi plafonnée à 33,5 millions d'euros .

De surcroît, le résultat budgétaire de l'opérateur est, chaque année, affecté structurellement par des demandes de remboursement d'opérateurs privés (1,5 million d'euros en moyenne sur les quatre dernières années), qui correspondent principalement à des importations temporaires (appareils qui transitent par la France puis sont réexportés).

Pour autant, le plafonnement de la dotation du CNC, dont votre rapporteur pour avis récuse le principe compte tenu de l'utilité économique et sociale du soutien à la chaîne du livre, n'a plus guère de conséquence depuis 2013, aucune des taxes n'a dès lors atteint le plafond fixé . Après quatre années de stabilité, le rendement des deux taxes affectées a connu en 2014 un recul supérieur à 10 %. Les chiffres du premier semestre de 2015 confirment cette évolution , le rendement des taxes, sur l'ensemble de l'exercice étant estimé respectivement à 28,3 millions d'euros et à 4,9 millions d'euros.

Cet assèchement des ressources du CNL, s'il devait perdurer, aurait des conséquences graves sur la capacité de l'établissement public à tenir ses engagements et à remplir ses missions au service du secteur du livre. Au cours de son audition, Vincent Monadé, président du CNL, a fait part de ses vives inquiétudes à votre rapporteur pour avis. L'opérateur a, face à l'érosion de ses rentrées fiscales, déjà modifié par trois fois son projet de budget pour 2015, s'obligeant à des choix drastiques pour maintenir son niveau d'intervention . En 2016, des efforts supplémentaires devront porter sur certaines enveloppes, notamment sur l'aide aux structures, à l'instar de la Maison des écrivains. Seules les aides aux manifestations littéraires verront leurs crédits légèrement augmenter, conformément à l'engagement pris par le CNL d'une rémunération des auteurs y participant. L'organisation de la fête de la littérature jeunesse Lire en short , dont la première édition s'est tenue en juillet dernier, ne devrait pas non plus en pâtir. En revanche, selon Vincent Monadé, l'établissement pourrait être amené à renoncer à tout ou partie de sa contribution aux programmes de numérisation de la BnF.

Or, si la diminution de la taxe sur la reprographie s'explique par un recul général du marché de ce type d'appareils , concurrencés par de nouvelles technologies, il n'en est rien de la taxe sur les éditeurs, dans un contexte favorable à la filière du livre. Dès lors, l'incompétence des services déconcentrés des impôts , chargés de sa collecte, s'agissant du marché des éditeurs, dans lequel une myriade de petites structures méconnues coexistent avec les plus grandes maisons, est souvent pointée du doigt.

Au vu de ce constat, la ministre de la culture et de la communication et le ministère des finances ont confié à l'IGAC et au contrôle général économique et financier une mission chargée d'expliquer les raisons de ce décrochage , en identifiant la part des causes structurelles et de la conjoncture du secteur. Ses conclusions devraient être connues dans les prochains jours, selon l'information donnée à votre rapporteur pour avis par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 17 novembre dernier. Des mesures seront ensuite prises en fonction des préconisations de la mission, qui pourraient permettre au CNL de disposer, au cours de l'année 2016, de moyens supplémentaires.

Quoi qu'il en soit, dans un contexte où le marché de la principale ressource de l'opérateur va perdre environ 20 % de sa valeur dans les dix prochaines années, comme l'indiquaient à votre rapporteur pour avis les responsables du Syndicat de l'industrie des technologies de l'information (SFIB), une amélioration sensible de la collecte de la taxe éditeurs ne règlera en rien le problème croissant du financement du CNL . Il est donc désormais urgent de réfléchir à de nouvelles ressources affectées , d'autant qu'il n'y a philosophiquement plus guère de sens à ce que 85 % des ressources de l'établissement public en charge du soutien au livre et à la lecture proviennent d' une industrie qui, aujourd'hui, ne contribue plus guère à la photocopie d'ouvrages , pratique ne cessant par ailleurs de reculer au profit des usages numériques.

II. MUSIQUE ET JEU VIDÉO : UN VIRAGE TECHNOLOGIQUE BIEN NÉGOCIÉ

A. LE MARCHÉ DE LA MUSIQUE : UN FRAGILE ESPOIR

1. Les signaux encourageants d'une sortie de crise
a) Une industrie initialement sacrifiée

Le secteur de la musique, plus violemment et bien avant les autres industries culturelles , va, dès 1999, connaître les affres de la révolution numérique sur son chiffre d'affaires et ses effectifs , conduisant ses acteurs à repenser leur modèle économique en profondeur.

Comme le rappelle Benjamin Petrover 5 ( * ) , journaliste et auteur d'un ouvrage récent sur la crise de la musique, celle-ci ne débute pas tant avec la révolution numérique qu'avec l' arrivée massive des graveurs de CD , vendus paradoxalement par des groupes dont une partie des activités appartient à la filière musicale (Philips et Sony), à la fin des années 1990, encourageant la copie et l'échange physique de contenus à grande échelle. En 1999, on compte ainsi environ vingt millions de CD pirates en France, soit 10 à 15 % du marché.

Malheureusement pour les industriels et les artistes, la chute des ventes de CD ne sera pas compensée, comme le microsillon le fut par le CD dans les années 1980, par le lancement d'un support aussi rentable et au modèle économique maîtrisé par leurs soins. En effet, le piratage massif des CD est alors concomitant d'un double phénomène : la généralisation des connexions Internet domestiques et la compression de la musique grâce au procédé mp3.

En effet, le nombre d'internautes ne cesse parallèlement de croître : ils ne représentaient qu'environ 1 % de la population française à la fin des années 1990 (un quart des ménages seulement possédait alors un ordinateur). Dix ans plus tard, les deux tiers des ménages français possèdent un ou plusieurs écrans et la moitié dispose du haut débit. Une génération a, dès lors, forgé, depuis le début de la décennie 2000, de nouvelles pratiques culturelles organisées autour des supports numériques , bénéficiant d'une offre massive aux contenus portés par le progrès technologique du stockage et de la diffusion et à des prix sans cesse plus faibles.

Le support musical devient progressivement virtuel et, par le développement des réseaux, facilement téléchargeable et échangeable. Le piratage change alors de nature : il ne s'agit plus d'un piratage physique, qui, même massif, pouvait être traité avec les outils de la lutte contre la contrefaçon, mais d' un phénomène filandreux et difficilement appréhendable. Symbole et précurseur de ces nouvelles pratiques, Napster , créé en juin 1999 par un étudiant de l'Université de Boston, est le premier service « peer to peer » destiné à l'échange gratuit de fichiers musicaux. Le site comptera jusqu'à 1,6 million d'utilisateurs simultanés avant sa fermeture en juillet 2001, qui s'échangent illégalement près de trois milliards de fichiers par mois.

Cette même année 1999, les industriels du disque, réunis au Marché international du disque et de l'édition musicale (MIDEM), évoquent officiellement le fléau du piratage numérique sur les résultats de l'industrie musicale, même si la France, qui bénéficie de l'engouement du public pour les albums des comédies musicales et des artistes des télécrochets, ne sera véritablement touchée qu'en 2003 .

Dès lors, la chute est aussi brutale que vertigineuse . Au total, la filière musique perdra, entre 2002 et 2008, près de 60 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses salariés , soit un passage de 4 000 à 2 000 permanents chez les éditeurs de phonogrammes. Des artistes sont remerciés, tandis que les nouveaux talents peinent à trouver une maison de disque.

En six ans, le marché français a perdu un quart de sa valeur

Source : SNEP

Pour survivre et tenter de s'adapter ensemble aux mutations numériques, le secteur se recompose autour de trois majors ( Universal , Warner et Sony ), avec le rachat en septembre 2012 d' EMI par Universal , et d'un tissu de labels indépendants et assez fragiles.

b) Une mutation numérique en voie de parvenir à maturité

La crise de l'industrie musicale, pour partie due au développement des usages illicites, a été renforcée par une difficulté initiale des professionnels à s'adapter au numérique . Pour autant, si les revenus issus du numérique ne parviennent pas encore à compenser le recul des ventes physiques, il enregistre depuis plusieurs années une forte croissance, notamment sur le streaming .

Le retour de la stabilité se confirme

En millions de dollars

En pourcentage

2013

2014

Évolution 2014/2013

2013

2014

Ventes de supports

7 419

6 819

-8,1 %

51 %

46 %

Ventes numériques

6 412

6 852

+6,9 %

39 %

46 %

Droits perçus en gestion collective

876

948

+8,3 %

7 %

6 %

Synchronisation

320

346

+8,4 %

2 %

2 %

Total marché

15 027

14 965

-0,4 %

100 %

100 %

Source : IFPI

Selon les éléments statistiques fournis par le Syndicat national des éditeurs phonographiques (SNEP), après une année atypique en 2013 6 ( * ) , le chiffre d'affaires de la musique enregistrée a de nouveau fléchi en 2014 pour atteindre 459 millions d'euros , en baisse de 5,3 %. Ce recul s'explique par une diminution de 11,5 % des ventes physiques, qui représentent encore 71 % des revenus des producteurs . Bénéficiant d'un phénomène de mode, seul le vinyle - 2,7 % du marché physique avec 672 000 exemplaires vendus - est en croissance (+ 42 %). En 2015, selon les chiffres communiqués par Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, la décrue des ventes de supports physiques a atteint 18 % au cours des dix premiers mois de l'année.

En revanche, les ventes numériques ont augmenté de 6 % et se concentrent progressivement sur le streaming : le marché du téléchargement a subi une forte diminution (- 14 %), tandis que le streaming légal a fortement progressé (+ 34 %), jusqu'à représenter, avec 73 millions d'euros, 16 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale et 55 % des revenus du marché numérique.

Le streaming par abonnement, moteur de croissance de la musique enregistrée

Source : SNEP

Structure du marché numérique

Source : SNEP

Le streaming permet à l'utilisateur d'écouter légalement de la musique sans avoir à l'acquérir. En cela, il diffère du téléchargement et de l'achat physique, qui impliquent une possession définitive du titre ou de l'album. On distingue deux modèles économiques : un service d'écoute gratuit pour l'utilisateur et financé par la publicité ou un système d'abonnement payant. La croissance du streaming , qui permet de compenser la baisse des revenus du téléchargement, est essentiellement tirée par l'accroissement du nombre des abonnements, qui contribuent à hauteur de 67 % au chiffre d'affaires global du streaming : en 2014, deux millions de Français sont abonnés à un service de streamin g musical.

Dans ce contexte, le streaming pourrait devenir en France la source principale de revenus de l'industrie musicale et de ses artistes , comme c'est déjà le cas en Suède et en Norvège, où il représente deux tiers des ventes de morceaux.

Classement par ordre décroissant de la part de marché
des ventes numériques par pays

Source : IFPI

En France, l'offre est dominée par le « champion national » Deezer , avec ses 6,5 millions d'abonnés et ses 16 millions de visiteurs uniques par mois, et par la plateforme suédoise Spotify . Le service de streaming d' Apple , Apple Music , lancé le 30 juin dernier, devrait sans doute rapidement occuper une place centrale sur le marché. D'autres plateformes existent mais, malgré des offres variées, connaissent des situations économiques souvent précaires. La structure du marché du streaming demeure largement oligopolistique : en 2013, les chiffres d'affaires de Spotify et de Deezer s'établissaient respectivement à 747 millions d'euros et à 65 millions d'euros, tandis que le chiffre d'affaires cumulé de leurs concurrents affichait péniblement 15 millions d'euros. La plateforme de musique en ligne Qobuz a ainsi été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris le 9 novembre 2015, après une période de sauvegarde ouverte, sans succès, le 19 août 2014.

En 2015, le streaming poursuit sa croissance grâce notamment aux revenus générés par les abonnements (+ 66 %). À la fin du mois de juillet, le SNEP enregistrait déjà une progression de 43 % des revenus générés : le streaming , avec près de neuf milliards d'écoutes en sept mois, réalisait à cette date les deux tiers des revenus numériques et 28 % du chiffre d'affaires global du secteur.

Les quatre plateformes principales ont enregistré, depuis le mois de janvier 2015, près de 50 millions de visites uniques mensuelles , soit, selon les sites, une croissance variant entre 4 % et 18 %, constat qui a conduit Ludovic Pouilly, président du syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), à affirmer à votre rapporteur pour avis lors de son audition : « le streaming n'est plus l'avenir, mais le présent de la musique ».

c) Une mobilisation indispensable, bien que tardive, des pouvoirs publics
(1) Des crédits modestes mais majorés au bénéfice de l'industrie phonographique

L'action n° 2 « Industries culturelles » ne rassemble, en 2016, que 5,7 % des moyens du programme 334 « Livre et industries culturelles », soit 15,9 millions d'euros, mais elle enregistre une augmentation - rare - de 42 % par rapport à 2015. Pourtant, sur ce total, seulement 4,9 millions d'euros consacrés directement au soutien à l'industrie musicale , même si, là encore l'évolution est positive puisque ces crédits ne s'élevaient, en 2015, qu'à 1,7 million d'euros.

Au-delà de la relative modestie de la dotation, votre rapporteur pour avis salue donc l'effort réalisé en faveur du renouvellement de la création, de la promotion des nouveaux talents et de la mutation numérique de la filière.

De fait, outre le soutien traditionnel aux Allumés du jazz, aux Victoires de la musique, aux disquaires indépendants, ainsi qu'au Fonds pour la création musicale, une enveloppe supplémentaire de 2 millions d'euros est destinée au financement d'un fonds de soutien à la transition numérique en faveur des très petites entreprises de production phonographique et des acteurs innovants du secteur de la musique enregistrée, qui contribuent à la diversité de l'offre en ligne. Ce fonds constitue l'instrument pérenne du plan d'aide lancé en 2014, dont ont bénéficié environ soixante labels et une dizaine de plateformes.

Enfin, pour un million d'euros, les crédits alloués au Bureau export de la musique française , qui, jusqu'alors, étaient inscrits aux programmes 131 « Création » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture », ont fait l'objet d'un transfert vers le présent programme et, surtout, d'une augmentation de 500 000 euros. Le Bureau export est une association fondée par les producteurs il y a une vingtaine d'années, financée à parts égales par la filière et le ministère de la culture et de la communication.

Menacé de disparition en 2013, l'effort consenti dans le cadre du présent projet de budget en faveur du Bureau export constitue un signal positif, que salue votre rapporteur pour avis. Pour mémoire, les revenus en provenance de l'international s'élèvent, en 2014, à 251 millions d'euros , dont 58 millions d'euros pour les producteurs de spectacle vivant, 53 millions d'euros pour les producteurs phonographiques, 80 millions d'euros de droits collectés par les sociétés de perception et de répartition des droits et 60 millions d'euros pour les éditeurs au titre de la synchronisation. Les artistes français s'exportent toujours mieux : vingt-deux nouvelles certifications ont été accordées en 2014 par le Bureau export, dont un tiers à des artistes chantant en français.

(2) Un crédit d'impôt essentiel à la production francophone

Depuis 2002, la crise de l'industrie musicale a conduit les pouvoirs publics à intervenir plus activement en faveur de la filière, pour des raisons à la fois sociales, économiques et culturelles , afin de limiter l'impact social de la crise, de maintenir la capacité des entreprises à investir, mais également d'assurer le renouvellement des talents et de garantir la diversité des répertoires.

Dans ce contexte, l'article 36-I de la loi n° 2006-961 du 1 er août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), codifié aux articles 220 octies , 220Q et 223O du code général des impôts, a instauré un crédit d'impôt au titre des dépenses de production et de développement d'oeuvres phonographiques (dit « crédit d'impôt phonographique ») applicable depuis le 1 er janvier 2006 à des productions concernant de nouveaux talents . Lorsque les albums sont chantés, le bénéfice du crédit d'impôt est, en outre, subordonné au respect d'une condition de francophonie. L'objectif alors affiché ressort du maintien de la diversité musicale des enregistrements produits et du soutien structurel aux entreprises, au premier rang desquelles les petits labels, les plus fragilisées par la mutation du marché.

Dans sa version initiale, le crédit d'impôt phonographique est égal à 20 % du montant total des dépenses de production et/ou de postproduction d'un disque et des dépenses liées au développement de ces productions (scène, émissions de télévision ou de radio, création de site Internet, base de données numérisées, etc.). Les dépenses de développement éligibles au crédit d'impôt sont plafonnées à 350 000 euros par enregistrement mais, dans tous les cas, la somme des crédits d'impôt ne peut excéder 700 000 euros par entreprise et par exercice.

Trop restrictif aux yeux de certains producteurs, son utilité en faveur de la création, du renouvellement des talents et de la francophonie a été saluée par tous. De fait, après une première prolongation de trois ans entre 2009 et 2012, l'article 28 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 a maintenu le dispositif jusqu'au 1 er janvier 2015 et l'a renforcé.

La nouvelle version du crédit d'impôt phonographique a été autorisée par la Commission européenne au titre des aides d'État le 14 février 2013, pour une durée de quatre ans, soit du 1 er janvier 2013 au 31 décembre 2016.

Le renforcement du dispositif s'est alors traduit par :

- la revalorisation du taux de crédit d'impôt (de 20 à 30 % du montant total des dépenses éligibles) en faveur des entreprises qui répondent à la définition de la PME européenne ;

- la création d'un plafond unique (somme des crédits d'impôt calculés au titre des dépenses éligibles par entreprise et par exercice) à hauteur de 800 000 euros, contre 700 000 euros précédemment.

Puis la mesure, décidément utile, a obtenu une prolongation de trois ans supplémentaires, ainsi qu'un renforcement dans le cadre de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014. Aux termes du décret n° 2015-704 du 19 juin 2015, plusieurs modifications ont été apportées au dispositif :

- une réduction du critère d'ancienneté de trois ans à un an des entreprises de production phonographiques éligibles ;

- une augmentation du plafond de crédit d'impôt de 800 000 euros à 1,1 million d'euros par an et par entreprise ;

- pour les petites et moyennes entreprises, la prise en compte de la rémunération des dirigeants dans l'assiette des dépenses éligibles , au prorata du temps passé sur l'oeuvre et dans la limite d'un plafond de 45 000 euros par dirigeant ;

- pour les autres labels, la suppression de la « décote » 7 ( * ) dans la comptabilisation des projets éligibles, en contrepartie d'un abaissement du taux de crédit d'impôt de 20 % à 15 %.

En 2014, la dépense fiscale associée au crédit d'impôt phonographique s'est élevée à 10 millions d'euros, en augmentation continue depuis sa création, au bénéfice d'une centaine d'entreprises. En 2015, comme en 2016, la prévision s'établit à 11 millions d'euros . La progression régulière de cette dépense traduit les besoins constants de la filière en matière de soutien aux investissements de production, dans un contexte de marché toujours difficile. Les adaptations successives du dispositif, correspondant, dans une large mesure, à l'évolution des pratiques du marché, ont permis à un nombre croissant d'entreprises d'en bénéficier et, surtout, à la création francophone de se maintenir à un niveau satisfaisant.

Ainsi, en 2014, 242 albums francophones ont été commercialisés, soit 17 % de plus qu'en 2013, dont 119 nouvelles signatures. La production francophone, avec des artistes comme Stromae , Kendji Girac ou Indila est à l'origine de 74 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale et les dix albums les plus vendus en 2014 concernent des artistes de langue française produits sur le territoire national . En outre, dans le marasme du marché de la musique enregistrée sur supports physiques (- 11,5 % en 2014), la production francophone affiche des résultats un peu moins catastrophiques (- 4 %) que les répertoires classique et international (- 24 % chacun).

Bien que convaincue de l'immense intérêt du crédit d'impôt pour l'industrie musicale, par ailleurs peu dispendieuse des deniers publics, votre rapporteur pour avis regrette que les dispositifs d'aide demeurent très majoritairement destinés à la production et trop peu à la distribution . Elle estime, à cet égard, que le projet de création du Centre national de la musique (CNM), abandonné par le gouvernement, aurait permis, grâce à de nouvelles ressources, un financement renforcé et plus équilibré de la filière musicale.

2. A la recherche d'un nouveau modèle
a) Un partage de la valeur à réinventer

Le développement des pratiques numériques d'écoute de la musique, et notamment celle du streaming , fondée sur la location et non plus sur l'achat, a conduit à une remise en cause profonde des modes de rémunération des différentes parties et, partant, à une virulente critique des nouvelles modalités de partage de la valeur.

En effet, en streaming , comme en téléchargement sur des plateformes du type iTunes , la rémunération des artistes est extrêmement faible, même s'il convient de prendre en considération que le modèle économique du streaming , consiste à ce que chaque « clic » rapporte à l'artiste et au producteur , à la différence d'un achat d'album pour lequel, même plus élevée, la rémunération n'est perçue qu'une fois. Le calcul applicable à la rémunération de chacun doit donc être réalisé sur le long terme pour être exact.

Selon les chiffres dévoilés par Benjamin Petrover dans son ouvrage précité, « chez iTunes , sur un album vendu 9 euros, 9 % sont reversés à la SACEM pour les auteurs, compositeurs et éditeurs. Environ 60 % sont reversés au producteur (soit autour de 6 %). Le reste est la marge d' iTunes , incluant TVA et frais de gestion. De même, sur un abonnement Deezer de 9,99 euros, une fois la TVA prélevée, il reste 8,32 euros à partager. Deezer récupère 20 % du prix HT avec lesquels il faut payer les équipes, les serveurs et le développement de la société. Les 80 % restants sont reversés aux ayants droit : 10 % environ à la SACEM et 60 % au producteur. De ces 60 %, le producteur reverse une part à son artiste, qui varie entre 8 et 30 % selon le contrat ».

Partage de la valeur pour un morceau de musique en streaming

Source : SNEP - E&Y

Dans ces conditions, nombreux sont les artistes à s'opposer aux modalités de partage des revenus issus du streaming . Les plus puissants d'entre eux obtiennent parfois gain de cause, à l'instar de l'artiste américaine Taylor Swift, qui, récemment, a réussi à faire plier le géant Apple. Sous sa pression, le groupe est revenu sur une disposition controversée d' Apple Music , le service de streaming que la société a lancé le 30 juin dernier, qui prévoyait qu'aucune rémunération ne serait versée aux artistes, compositeurs et maisons de disque pendant la période d'essai de trois mois offertes aux utilisateurs. Déjà, elle avait décidé, en novembre 2014, de retirer ses chansons de la plateforme Spotify , s'estimant lésée par la rétribution proposée par le leader suédois.

La filière musicale s'est également mobilisée contre YouTube , qui, aux termes d'un accord conclu pour la période 2010-2012, versait des rémunérations encore inférieures à celles des plateformes de streaming . À l'occasion de sa renégociation, YouTube avait fait pression en menaçant de retirer les publicités sur les clips et de cesser le partage de revenus publicitaires. Lors du MIDEM de Cannes en 2013, le patron d' Universal Music France , Pascal Nègre, avait, en retour, menacé de retirer ses vidéos de la plateforme de Google. La difficulté portait alors sur le montant que le groupe américain reverse aux ayants droit lorsque les internautes visionnent un clip musical, que Google voulait réviser à la baisse. Finalement, en avril 2013, le site a signé un contrat de trois ans avec la SACEM et Universal Music , qui, selon des modalités restées confidentielles, le conduit à rémunérer les auteurs, les compositeurs et les éditeurs de musique français, lors du visionnage de clips intégrant leurs morceaux.

Toutefois, certains labels indépendants, qui représentent environ 10 % du catalogue musical du site, ont alors fait savoir qu'ils refusaient les conditions proposées. Par mesure de rétorsion, YouTube a décidé, en mai 2014, de retirer de son site les clips d'artistes majeurs comme Adèle, les Arctic Monkeys et Vampire Weekend.

Si l'enjeu est largement international, il avait déjà fait l'objet d'une réflexion entre les acteurs français de la filière, conduisant à la signature, en janvier 2011, des « treize engagements pour la musique en ligne » avec pour objectifs de développer une offre légale innovante et rentable, de garantir l'accès des éditeurs aux catalogues des producteurs et d'améliorer le partage de la valeur avec les artistes interprètes. En février 2013, Jacques Toubon, alors membre du Collège de la Hadopi, a été chargé d'évaluer les actions mises en oeuvre dans ce cadre, afin de permettre à la ministre de la culture et de la communication d'envisager les suites à donner à cette initiative.

Ses travaux ont mis en exergue les bénéfices de l'accord sur l'économie du secteur de la musique en ligne, notamment dans les relations entre plateformes et producteurs. En revanche, il est apparu que persistait le désaccord entre les parties sur les modalités de création et de partage de la valeur : les plateformes continuent à dénoncer les conditions défavorables imposées par les producteurs, qui ne leur permettent pas d'assurer la viabilité du modèle économique de la musique en ligne. Ces derniers souhaitent la définition d'un modèle de répartition de la valeur correspondant aux coûts, moins élevés que ceux des supports physiques, de la diffusion numérique des oeuvres. Les relations entre producteurs et artistes-interprètes sur le sujet ne sont guère meilleures : les artistes souhaitent la création d'une gestion collective des droits de la musique en ligne, au grand dam des producteurs.

Dès lors, quelques mois plus tard, en mai 2013, le rapport de Pierre Lescure préconise la conclusion d'accords collectifs , étendus à l'ensemble du secteur par arrêté, pour déterminer le taux minimum et l'assiette de la rémunération des artistes dans le champ numérique. Les sociétés de gestion collective d'artistes devaient ensuite être mandatées par les producteurs afin de percevoir et de répartir les revenus, en contrepartie d'obligations relatives à l'efficacité de la répartition et à sa transparence. Un tel système aurait pour avantage de calculer les rémunérations dues aux artistes sur des assiettes correspondant au prix réellement payé par le public ou aux recettes réellement encaissées par le producteur, c'est à dire selon un mode de calcul lisible et transparent, que la gestion individuelle échoue parfois à assurer.

Aux fins d'envisager sa mise en oeuvre pratique et notamment celle de son volet relatif à la mise en place d'une gestion collective des droits des artistes-interprètes s'agissant de l'exploitation numérique des oeuvres, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la création, a confié, en septembre 2013, une mission à Christian Phéline, conseiller maître à la Cour des comptes.

Ce rapport, remis en décembre 2013, suggère d' encadrer les pratiques contractuelles dans le but d'assurer une meilleure transparence et une plus grande protection aux artistes-interprètes . Ainsi, l'obligation de mentionner l'ensemble des droits d'exploitation cédés dans le contrat de cession des droits patrimoniaux conclu entre un artiste-interprète et un producteur devrait permettre de mieux protéger les artistes, notamment en cas d'inexploitation de leur oeuvre. En outre, le rapport soutient la proposition de création d'un médiateur de la musique qui, à l'instar du médiateur du livre, aurait la charge de veiller aux équilibres contractuels entre les parties prenantes du marché. Par ailleurs, pour améliorer les relations entre les producteurs et les plateformes de musique en ligne, le rapport Phéline préconise qu'à défaut d'autorégulation par la signature d'un code des usages, soient insérés dans la loi les « 13 engagements pour la musique en ligne », notamment ceux relatifs à l'information et la transparence.

Ce rapport a fait l'objet de virulentes critiques des producteurs par la voix du SNEP, qui, dans un communiqué en date du 19 décembre 2014, jugeait ses préconisations « inutiles et injustifiées ». Tout en partageant le constat d'une substantielle évasion de valeur au bénéfice de l'aval de la filière (moteurs de recherche et fournisseurs d'accès) et d'un potentiel de monétisation entravé tant par les usages illicites que par les offres légales gratuites, les producteurs considèrent que le rapport se trompe d'enjeu en cherchant les moyens de partager encore de faibles revenus plutôt que de créer les conditions nécessaires à l'essor d'un marché rentable de la musique en ligne . À cet égard, ils prônent l'instauration d'une fiscalité favorable à la musique en ligne, un financement pérenne de la production, le renforcement de la lutte contre le piratage et l'instauration d'une rémunération compensatoire pour corriger le transfert de valeur dont ont bénéficié les intermédiaires.

Des dispositions issues des préconisations du rapport Phéline sont inscrites dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine , qui sera prochainement examiné par le Sénat, après son adoption par l'Assemblée en octobre 2015. Le texte assure aux artistes-interprètes une plus grande protection de leurs droits dans leurs relations avec les producteurs de phonogrammes. Il introduit plus de transparence et de régulation dans les relations entre les parties, via notamment une obligation de reddition de comptes semestrielle à la charge des producteurs. Le projet de loi instaure enfin un médiateur de la musique.

Parallèlement à ces avancées législatives et compte tenu de l' absence persistante de consensus entre les parties, Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a confié à Marc Schwartz une mission de médiation destinée à aboutir, à la fin du mois de septembre 2015, à un accord interprofessionnel relatif à la définition de la structure des rémunérations et au partage des revenus issus des exploitations numériques de la musique. Sa lettre de mission, en date du 21 mai 2015, indique ainsi que « l'absence de transparence des données et de constat partagé en matière de monétisation et de rémunération des exploitations numériques des enregistrements musicaux a conduit à de profonds désaccords entre représentants des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des plateformes de musique en ligne, quant à la répartition des revenus au sein de la chaîne de valeur » . Il s'agit en conséquence, pour le médiateur, « de chercher, dans un contexte marqué par une progression soutenue du streaming, à faire converger les positions des parties prenantes (...) sur le renforcement des règles, en particulier de transparence, applicables aux relations contractuelles et à la structure de la rémunération ».

Selon les informations dont dispose votre rapporteur pour avis, les discussions, qui ont associé les organismes représentant les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes et les plateformes de musique en ligne, ainsi que les sociétés de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes, ont été relativement tendues, au point de faire craindre un échec de la médiation. L'un des points d'achoppement résidait dans le souhait des artistes-interprètes de se voir appliquer une rémunération minimale additionnelle devant, pour l'ADAMI et la SPEDIDAM, être prélevée directement sur les plateformes dans un système de gestion collective obligatoire, d'une part, et, la suppression de l'abattement sur les revenus digitaux, d'autre part.

Sous la menace que le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine n'intègre unilatéralement, à l'Assemblée nationale, des éléments n'ayant fait l'objet d'aucun accord, un protocole a finalement été adopté in extremis . Le texte de compromis présenté conjointement par le syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML) et les représentants des artistes n'a, en effet, pas été accepté par le SNEP et une rédaction alternative a dû être trouvée sur le fil. Le protocole d'accord prévoit que les engagements de janvier 2011 sont renouvelés pour trois ans : ils constituent un socle de bonnes pratiques, qui préfigure le futur code des usages qui devra être institué par le nouveau médiateur de la musique. En outre, les artistes-interprètes bénéficieront d'une rémunération minimale sur la diffusion numérique de leurs oeuvres , pour laquelle les producteurs ont consenti à un effort sur leurs marges, même s'il ne s'agit finalement pas d'une rémunération additionnelle et qu'elle n'entre pas dans le champ de la gestion collective obligatoire. Enfin, est prévue la création d'un fonds de soutien à l'emploi des musiciens par les plus petites structures de production et d'un observatoire de l'économie de la musique, qui s'intéressera aux usages de la musique numérique et physique.

Ludovic Pouilly, président de l'ESML, a estimé, lors de son audition, que le protocole Schwarz, même s'il n'avait pas fait l'objet d'un consensus général, représentait une avancée pour les plateformes comme pour les artistes. Selon Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP, si l'ADAMI pourrait se résoudre à signer l'accord, il est peu probable que ce soit le cas de la SPEDIDAM, compte tenu de l'absence de gestion collective obligatoire. Pour le SNEP, la médiation a constitué une étape positive en faveur d'un développement pérenne de la filière musicale . Dans ce cadre, les producteurs ont réaffirmé leur attachement à une meilleure compréhension de leurs rémunérations par les artistes et se sont engagés à favoriser de bonnes pratiques avec les plateformes.

b) Une promotion à renforcer

L'exposition de la diversité musicale dans les médias constitue un sujet de préoccupation et de revendication récurrent pour la filière musicale, compte tenu du rôle prescripteur essentiel joué par les médias et de la dégradation du temps d'exposition de la musique sur les écrans depuis dix ans.

A contrario , les diffuseurs continuent de plaider en faveur d'un assouplissement des règles qui encadrent leur activité. Les groupes M6 et Canal + réclament notamment que les obligations musicales établies dans les conventions de leurs chaînes, respectivement W9 et D17, soient révisées.

En réponse à l'insistance des diffuseurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé, au début de l'année 2013, un cycle d'auditions relatif à l'offre musicale à la télévision, dont les conclusions ont été rendues publiques au mois de juin. Cette étude examine l'évolution, entre 2007 et 2012, de la programmation de l'offre musicale sur les chaînes nationales de la télévision gratuite, dans les émissions qui lui sont consacrées (exclusivement ou principalement) et retranscrit les propositions des diffuseurs et de la filière musicale.

Le rapport montre que, si, en 2012, l'offre musicale a représenté en moyenne 12 % de l'offre globale de programmes diffusés sur l'ensemble des antennes de la télévision gratuite en 2012, celle-ci accuse une baisse en volume horaire d'environ 22 % depuis 2007.

Concernant l'offre de programmes musicaux (vidéomusiques, divertissements, concerts, documentaires), le CSA fait le constat d'une diversité globalement assurée, qu'il convient cependant de relativiser au regard des horaires de programmation puisque les programmes musicaux sont généralement diffusés la nuit , à des horaires où le public est peu présent.

De fait, en 2012, aux heures de fortes audiences (entre 20 heures 30 et 23 heures), la musique représentait seulement 3,5 % de l'offre de programmes, en baisse de 66 % par rapport à 2007 . En outre, dans cette tranche horaire, la musique n'est souvent exposée que sous forme d'émissions de variétés ou de divertissements de type concours de talents, ce qui permet peu la représentation d'artistes professionnels, comme le revendique la filière musicale.

Les observations recueillies par le CSA auprès des éditeurs et des producteurs de programmes audiovisuels indiquent que ces derniers s'accordent sur le fait que l'offre musicale est peu satisfaisante, qu'elle fait l'objet d'une programmation trop tardive et qu'elle est trop peu diversifiée. Ils ajoutent en revanche que la musique est difficilement fédératrice en termes d'audience et que la forte concurrence des plateformes de vidéo en ligne ( YouTube , Dailymotion , etc.) contraint les chaînes à revoir leur programmation à la baisse.

Les représentants de la filière musicale dressent un constat similaire de la dégradation de l'offre et de la diminution de l'exposition musicale à la télévision, en particulier pour les interprétations d'artistes professionnels . Ils appellent de leurs voeux une mise en valeur des nouveautés, des jeunes talents et de la francophonie. Ils préconisent de procéder à des modifications législatives et réglementaires et notamment d'inscrire des obligations d'investissement pour les chaînes, ainsi que des obligations qualitatives de diffusion en termes de genres musicaux, de tranches horaires et de formats.

En synthèse, le CSA insiste sur la nécessité de repenser et de moderniser l'offre de musique à la télévision , sans rejeter les acquis de la programmation musicale télévisuelle. À cet effet, il invite les diffuseurs et les professionnels de la filière musicale à se rapprocher, échanger et travailler ensemble sur l'éditorialisation de la musique à la télévision.

Si quelques progrès ont été réalisés depuis, ils ne sont guère probants encore. En 2014, les chaînes hertziennes et de la télévision numérique terrestre ont diffusé 10 433 heures de musique, mais seulement 135 heures aux heures de grande écoute (20 heures/23 heures), soit 1,3 % du total, et, en moyenne, deux minutes de musique par soirée et par chaîne. Ce chiffre marginal reflète toutefois une progression de 34 % depuis 2013. Selon une étude réalisée sur les quatre premiers mois de l'année 2015, consistant à analyser la nature des programmes diffusés en « prime time » sur six chaînes (TF1, France 2, France 3, M6, W9 et D17), il ressort que moins d'un « prime time » sur dix est consacré à une émission musicale, et que, parmi ces derniers, 40 % sont des émissions de télé crochet.

Le constat n'est guère meilleur s'agissant de la radio, malgré l'existence d'obligations minimales en matière de diffusions de chansons d'expression française. Depuis leur introduction par la loi du 1 er février 1994 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les dispositions relatives aux quotas de titres francophones en radios ont régulièrement donné lieu à des débats houleux entre les acteurs de la filière musicale et les radios. Les désaccords portent principalement sur l'adaptation des quotas pratiqués à certains formats radiophoniques, la concentration des titres diffusés et la promotion de nouveaux talents.

Le CSA, a publié, en décembre 2013, un rapport relatif à « l'exposition des musiques actuelles sur les radios musicales privées » , qui préconise une modification de la loi précitée du 30 septembre 1986, visant à assouplir le système des quotas pour donner plus de place à la régulation via l'introduction de critères de diversité dans les conventions. Ainsi, les radios respectant certains critères (variété des interprètes et des titres différents diffusés, part des nouveaux talents, rotation périodique maximale d'un même titre, etc.) pourraient bénéficier d'un régime adapté. Le CSA envisage ce type d'assouplissement en faveur des radios qui « sont confrontées à une production d'expression française limitée dans les genres musicaux sur lesquels est construite leur programmation » et qui « jouent un rôle de découverte en exposant des titres et/ou des artistes peu connus du grand public et faiblement exposés dans les médias ».

Pour faire suite aux engagements annoncés la même année en faveur des artistes francophones, lors du Marché international du disque et de l'édition musicale (MIDEM) et du Printemps de Bourges, la ministre de la culture et de la communication a fait part de son intention de poursuivre la réflexion et a confié, à cet effet, au mois de septembre 2013, à Jean-Marc Bordes , ancien directeur de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), une mission consacrée à l'exposition de la musique dans les médias.

Le rapport, remis le 17 mars 2014, s'appuyant sur une large consultation des professionnels concernés et sur une analyse des études disponibles, dresse un état des lieux détaillé de l'exposition de la musique sur les services de communication audiovisuelle traditionnels (télévision et radio) et sur les services numériques.

Il fait état d'une moindre exposition du répertoire francophone sur les ondes depuis 2007 : diminution de 14 % du nombre de titres en programmation, recul de 26 % de l'audience des nouveautés francophones et des listes de lecture composées d'un nombre de titres plus restreint que les listes internationales. La concentration est extrême sur une dizaine de titres puisqu'environ une dizaine de chansons bénéficie, sur certaines stations, des trois quarts du nombre de diffusions. Or, pour se faire connaître, les jeunes talents doivent pouvoir compter sur un nombre élevé de rotations, d'autant que, comme le rappelait un sondage IFOP du mois de janvier 2014, la radio demeure, pour 74 % des Français, le média privilégié de découverte de nouveaux talents.

936

804

- 14 %

Nombre de titres francophones entrés en programmation

2007 2013

Source : Observatoire de la radio / Yacast

Nombre de nouveautés francophones envoyées aux radios

Source : Yacast/Muzicenter nov. 2014

Le rapport comporte également des propositions pour améliorer l'exposition de la musique francophone et des jeunes talents dans les médias, afin de soutenir le développement et la créativité du secteur musical face aux mutations technologiques et concurrentielles et aux nouvelles attentes du public. Il souligne notamment l'importance du maintien des quotas de musique francophone, ainsi que la nécessité de limiter la concentration des titres diffusés.

Dans son prolongement, un amendement au projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a été adopté lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale. Il instaure un seuil de référence mensuel, à hauteur de 50 % des diffusions francophones, pour les dix oeuvres musicales d'expression françaises les plus diffusées par un service de radio. Au-delà de ce seuil, les diffusions de ces titres ne seront plus prises en compte pour atteindre les quotas imposés. Cette mesure permettrait d'améliorer l'exposition de nouveaux talents francophones en radio et de promouvoir la diversité des expressions culturelles.

B. JEU VIDÉO : UNE « FRENCH TOUCH » A PROMOUVOIR

1. Un pays de joueurs et de créateurs de jeux
a) Une pratique culturelle bien établie

Les jeux vidéo constituent l'industrie culturelle la plus récente. Née aux États-Unis en 1962 avec l'invention du jeu Space War au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle devient populaire dix ans plus tard avec le jeu d'arcade Pong . Le succès est immédiat et, progressivement, la production de jeux s'industrialise, donnant naissance à de puissants studios et à des jeux mythiques ( Pac-Man en 1980, Tetris en 1984, Super Mario en 1989, Tomb Raider en 1996, Les Sims en 1999 ou encore Call of Duty en 2003) de plus en plus performants grâce à l' apparition de nouvelles technologies , notamment la 3D et Internet à la fin des années 90.

La multiplication des supports (PC, consoles de salon, consoles portables, mobiles et tablettes) et la popularisation du jeu vidéo comme loisir ont conduit les industriels à diversifier à l'extrême leur offre de produits : jeux d'aventure, de course, de tir, de stratégie, de rôle, de simulation, de sport ou encore de réflexion.

Désormais, à chacun son jeu et son support de jeu : la pratique du jeu vidéo, autrefois réservée à un public d'initiés et de passionnés s'est élargie et démocratisée . On estime, en France, à environ 60 % la proportion de joueurs 8 ( * ) , ce qui en fait la première pratique culturelle des Français.

De fait, des catégories de population, fort peu consommatrices de jeux il y a encore quelques années, en constituent aujourd'hui un public privilégié : il s'agit notamment des séniors - pour un âge moyen des joueurs établi à 31,5 ans, près de 18,3 % sont âgés de plus de cinquante ans -, et des femmes (46,9 % des joueurs).

L'apparition des jeux de mémoire et des jeux de cartes a attiré des joueurs plus âgés, tandis que le développement des pratiques féminines du jeu vidéo s'explique par celui des jeux sur réseaux sociaux popularisés par Facebook et le succès des smartphones. Enfin, 51,5 % des foyers français sont équipés d'au moins une console de jeux.

Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon le sexe (%)

répartition

joueurs

ensemble

hommes

53,1

49,3

femmes

46,9

50,7

total

100,0

100,0

Source : CNC

Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon l'âge (%)

répartition

joueurs

ensemble

6-9 ans

8,0

6,4

10-14 ans

11,1

8,2

15-24 ans

18,4

15,4

25-34 ans

18,0

16,2

35-49 ans

26,2

26,5

50-65 ans

18,3

27,3

total

100,0

100,0

Source : CNC

Si les enfants sont proportionnellement surreprésentés dans la population des joueurs, les adultes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, demeurent plus nombreux à jouer, notamment les 25-49 ans, qui représentent 43,4 % des joueurs . Plus de la moitié des joueurs jouent quotidiennement et 86,7 % au moins une fois par semaine, pour une durée moyenne de session de 2 heures 15.

Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon la catégorie socioprofessionnelle (%)

répartition

joueurs

ensemble

CSP+

30,8

31,5

CSP-

29,7

30,8

Inactifs

39,6

37,8

dont enfants

19,1

14,6

total

100,0

100,0

Source : CNC

b) Une industrie dynamique

Avec un chiffre d'affaires mondial d'environ 47,7 milliards de dollars en 2014 , réalisé à près de 70 % sur des contenus dématérialisés, le jeu vidéo s'impose désormais comme une industrie culturelle majeure.

Recettes du marché des jeux vidéo dans le monde (2012-2015)
en millions de dollars

Jeux pour ordinateurs

Jeux pour mobiles

Jeux vidéo pour consoles portables

Jeux vidéo pour consoles de salon

Source : IDATE-Gartner

À l'échelle européenne, selon l'étude EY de décembre 2014 portant sur « les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance » , avec
3 milliards d'euros sur un total de 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires, le jeu vidéo représente le bien culturel européen le plus exporté. L'Europe se place désormais à la troisième place mondiale pour la production de jeux grâce au développement des supports mobiles, qui lui permet progressivement de s'affranchir de la contrainte que constituait son absence sur le marché des ordinateurs et des consoles. Les studios européens emploient désormais plus de 108 000 personnes.

L'industrie européenne du jeu vidéo

Emplois (2012)

Chiffre d'affaires (2012)

M€

Développeurs et éditeurs

67 916

Jeux vidéo pour consoles de salon

3 965

Revendeurs et distributeurs

25 000

Jeux vidéo pour consoles portables

1 594

Emplois dans des magasins non spécialisés

15 100

Jeux vidéo pour ordinateurs hors ligne

601

Total emploi

108 016

Jeux vidéo pour ordinateurs en ligne

5 087

Jeux pour mobiles

2 016

Exportations de l'UE-28

2 727

Total CA

15 990

Source : « Les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance - Étude Ernst &Young, déc. 2014

C'est également l'industrie culturelle européenne dont la croissance, en progression (+ 9 % entre 2012 et 2015) est la plus dynamique avec, toutefois, des tendances différentes selon les supports considérés : si les jeux pour mobiles progressent considérablement (+ 147 %), ceux destinés aux consoles de salon (+ 47 %) et aux ordinateurs (+ 49 %) augmentent fortement, tandis que les jeux pour consoles portables poursuivent leur recul (- 30 %).

La France compta parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70 , durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo, avant que cette industrie ne connaisse un « âge d'or » dans les années 90 , avec des studios comme Infogrames et Ubisoft, dont les productions concurrençaient alors les succès américains et japonais.

Après plusieurs exercices peu fastes en raison de la nécessaire négociation du virage technologique de la dématérialisation, l'industrie française du jeu vidéo est, depuis 2014, en forte croissance , comme le confirmait lors de son audition, Julien Villedieu, président du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV).

Selon les données du Baromètre 2015 du SNJV, le chiffre d'affaires de l'industrie du jeu vidéo (2,7 milliards d'euros en 2014), issu à près de 45 % des exportations, affiche une progression annuelle supérieure à 10 %. Près de 800 nouveaux emplois ont été créés en 2015 . Près de 57 % des studios ont moins de cinq ans d'existence et, pour plus de 75 % de leur activité, développent des jeux pour mobiles et tablettes. 650 jeux sont en phase de développement, pour un coût moyen d'1,4 million d'euros par entreprise.

Votre rapporteur pour avis se félicite de cette reprise, tant la crise des années 90, entraînant la faillite de studios mythiques, fut douloureuse, comme, après une embellie de quelques années, celle de 2008, qui replongea l'industrie française du jeu vidéo, et notamment les studios de moindre envergure, dans d'immenses difficultés. De 15 000 emplois à son apogée dans les années 90, le secteur ne comptait, en 2011, plus que 5 000 salariés, pour un chiffre d'affaires de trois milliards d'euros.

Elle rappelle cependant que l'industrie française du jeu vidéo n'est pas à l'abri d'une nouvelle crise, compte tenu de la fragilité de nombreux studios indépendants, confrontés à une production internationale massive de jeux à petits budgets destinés aux mobiles mis en vente à moindres frais sur les plateformes comme Steam . D'aucuns craignent ainsi, dans les années à venir, une « indiepocalypse » au sein de la filière du jeu vidéo.

Si plus de la moitié des entreprises du jeu vidéo sont établies en Ile-de-France, la production est également développée en région, dans les pôles historiques de Languedoc-Roussillon avec Ubisoft , de Rhône-Alpes, d'Aquitaine et du Nord-Pas-de-Calais avec Ankama .

Ces territoires accueillent également des écoles mondialement reconnues pour leur niveau de formation des jeunes talents , à la « french touch » désirable pour les studios étrangers. Les professionnels du jeu vidéo de toutes nationalités s'accordent ainsi à reconnaître unanimement la qualité des formations françaises ( Supinfogames à Valenciennes ou Les Gobelins à Paris, parmi d'autres), dont est issue en grande partie l'élite mondiale des programmateurs et des designers de jeux. Les Français auraient, dans ce domaine, une marque de fabrique, équilibre efficace entre créativité artistique et maîtrise technologique , tout en faisant état d'un niveau de culture générale rare dans ce milieu et fort apprécié en matière de narration.

2. Un savoir-faire à conserver face à la concurrence étrangère
a) Le renforcement bienvenu du dispositif de soutien français

Les studios français, pour dynamique que soit leur activité, ne disposent majoritairement pas d'une capacité d'investissement suffisante au développement de créations ambitieuses. Il est donc heureux que, même de manière limitée, le secteur du jeu vidéo bénéficie de deux types d'aides spécifiques : le fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) et le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV).

(1) Le fonds d'aide au jeu vidéo

Cofinancé par le ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique et le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), et doté modestement de 3,5 millions d'euros par an en moyenne , le FAJV, géré par le CNC, a pour objectif de soutenir la recherche et développement, l'innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo, à travers deux dispositifs d'aides portant respectivement sur la pré-production et la création de propriétés intellectuelles.

Créée en 2003, l'aide à la pré-production apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l'innovation dans la phase de pré-production, en vue de la réalisation d'un prototype non commercialisable. Elle vise à soutenir le travail d'études sur les composantes nécessaires à la mise en place d'un jeu vidéo et à identifier toutes les contraintes techniques à lever jusqu'à la réalisation du prototype. Le montant de l'aide est plafonné à 35 % des dépenses de pré-production du jeu. Elle est attribuée par une avance remboursable pour 50 % du montant, le reste étant versé sous forme de subvention. En 2014, trois projets ont été soutenus pour un montant global accordé de 400 000 euros . Cette dotation devrait être bien supérieure en 2015, compte tenu de la reprise observée des projets de grande envergure, dynamisés par l'arrivée des consoles de nouvelle génération.

Pour sa part, l'aide à la création de propriétés intellectuelles de jeux vidéo est une aide sélective à la production mise en place en 2010. Dans le contexte d'une évolution des modes de distribution dématérialisée qui bouleversent la chaîne de valeur, le dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu'elles produisent en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle. L'aide, attribuée sous forme de subvention, est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans par entreprise bénéficiaire. En 2014, quarante-trois projets en ont bénéficié pour un montant global de 3,1 million d'euros . Au cours du premier semestre 2015, huit projets ont déjà été soutenus.

Ces dispositifs attachés à la production d'oeuvres sont complétés par une aide aux opérations à caractère collectif destinée à l'accompagnement de colloques, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale, qui relèvent de la promotion de l'ensemble de la filière du jeu vidéo.

(2) Le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo

Le dispositif de CIJV, en application depuis 2008, a pour finalité de préserver et accroître la productivité des entreprises de création de jeux vidéo. Il permet aux studios installés en France de déduire 20 % des dépenses éligibles pour la production de jeux vidéo contribuant à la diversité de la création française et européenne.

Le CIJV a été renforcé par la loi n° 2013-1279 du 30 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013. Autorisées par la décision de la Commission européenne du 11 décembre 2014 et précisées par le décret n° 2015-722 du 23 juin 2015, trois modifications principales sont entrées en application :

- l'abaissement du seuil d'éligibilité du coût de développement des productions de 150 000 euros à 100 000 euros . Cette disposition doit permettre d'attirer des jeux au budget plus modeste, correspondant à l'émergence des nouveaux marchés du jeu mobile et du jeu indépendant ;

- la prise en compte, dans l'assiette des dépenses éligibles, des dépenses salariales des personnels techniques et administratifs pour autant qu'ils concourent à la création du jeu concerné ;

- l'éligibilité de certains jeux destinés à un public adulte (classés « 18 + » par le système de classification paneuropéen PEGI), lorsqu'ils contribuent de façon significative au développement et à la diversité de la création. Cette dernière mesure permet d'ouvrir le régime à des projets abordant des problématiques complexes, comptant parmi les plus innovants et les plus ambitieux sur le plan créatif et narratif, et présentant des coûts de production particulièrement élevés. Il est précisé que ces jeux doivent faire la démonstration d'une contribution particulièrement significative à la diversité de la création française et européenne , et remplir un critère supplémentaire lié à la contextualisation de la violence présente dans le jeu.

Cette dernière modification a fait l'objet de virulentes critiques chez ceux qui estiment que des jeux potentiellement violents ne devraient nullement bénéficier d'une aide des pouvoirs publics. À cet égard, votre rapporteur pour avis souhaite rappeler que ces jeux, au développement et à la production coûteux, sont créateurs de nombreux emplois et moteurs de croissance pour l'industrie française, fortement concurrencée sur ce créneau par les grands studios étrangers.

Outre les aides publiques, une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et l'État a été signée en 2012. Elle vise à soutenir la vente à l'international de la production française, sous l'action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées - ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l'industrie et du commerce extérieur -, des opérateurs publics - Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc. - et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque baptisée Le Game.

b) Une concurrence efficace
(1) Les ambitions canadiennes

Le Canada a instauré, depuis de nombreuses années, une politique fiscale attractive pour inciter les développeurs de jeux vidéo à s'y installer. Selon les données de l'Association canadienne du logiciel de divertissement (ACLD), 329 studios de développement employaient directement en 16 500 personnes en 2014, dont plus de la moitié au Québec. Le Canada se positionne aujourd'hui comme le troisième employeur mondial du secteur, derrière les États-Unis et le Japon. Certains éditeurs s'attendent à une croissance de plus de 25 % au cours des deux prochaines années.

Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différentes provinces du Canada, le gouvernement fédéral a établi le programme Scientific Research and Experimental Development , qui propose aux sociétés des incitations fiscales sous forme de crédit d'impôt ou de remboursement des dépenses liées à la recherche et au développement. Il propose également des services de conseil en matière de définition de modèles économiques, développe des produits financiers adaptés, soutient les exportations et la recherche de nouveaux marchés. L'état fédéral incite par ailleurs le secteur privé à innover via des leviers financiers variés. Les demandes de déductions au titre de ce dispositif totalisent désormais 1,3 milliard de dollars par an.

Sur le plan international, le Gouvernement fédéral a souhaité faciliter les investissements étrangers en appuyant plusieurs dizaines de propositions d'investisseurs chaque année, en contrepartie de leur engagement à créer des emplois au Canada, à soutenir des projets de recherche avec le concours de l'industrie et des programmes de développement artistique novateurs.

Enfin, un avantage non négligeable pour les sociétés réside dans le taux d'imposition sur le revenu des sociétés (taux combiné fédéral-provincial) du Canada, limité à un maximum de 26,9 % en 2014.

Cette politique produit des résultats évidents : entre 2003 et 2011, le Bureau américain des brevets et des marques de commerce a délivré plus de 1 000 brevets liés au multimédia à des inventeurs établis au Canada, dont 323 octroyés pour des jeux vidéo.

Le cas du Québec

Depuis 1997 et l'ouverture d'un premier studio Ubisoft à Montréal, le Québec est devenu une destination de choix pour de nombreux développeurs : la province a connu une croissance de 600 % des effectifs dans l'industrie du jeu vidéo depuis 2003 ; on compte aujourd'hui plus de 120 entreprises employant au total plus de 10 000 personnes. Ce dynamisme a engendré des retombées fiscales de 145 millions de dollars en 2014.

Cette évolution s'explique par une politique fiscale très attractive du Gouvernement québécois , qui soutient le secteur des jeux vidéo grâce à un certain nombre de dispositifs, notamment le programme titres multimédias (PTM) consistant en un crédit d'impôt remboursable couvrant jusqu'à 37,5 % des dépenses de main d'oeuvre admissibles (30 % pour la production d'un jeu commercial et 7,5 supplémentaires pour la création d'une version française). Ubisoft et Warner Bros représentent plus de la moitié du montant annuel du crédit d'impôt versé.

En 2014, le gouvernement du Québec a annoncé une baisse de son crédit d'impôts à 30 %, très mal accueillie par l'industrie du jeu vidéo. La restriction budgétaire fut de courte durée puisque, dès 2015, le Gouvernement de Philippe Couillard a rétabli le taux initial.

Un plafond d'aide fiscale a certes été fixé, mais il a un niveau élevé de 37 500 dollars canadiens (27 700 euros), soit un salaire annuel de 100 000 dollars (73 900 euros), assorti d'une exception : jusqu'à 20 % des employés pourront être exemptés de ce plafond. Le Gouvernement est même allé plus loin en prévoyant la création un nouveau fonds de 5 millions de dollars pour la création de nouvelles licences locales et la possibilité, pour le Québec, d'investir directement comme actionnaire dans un projet de jeu vidéo québécois.

Source : Ministère de la culture et de la communication

Si les prévisions de croissance se montrent optimistes, le modèle canadien n'a pas été totalement épargné par la crise. Les studios montréalais de l'éditeur THQ , du studio Visceral Games (appartenant à Electronic Arts ), Funcom et Trapdoor ont fermé leurs portes ou fortement réduit leurs activités au cours de l'année 2014. En outre, les autorités canadiennes, soumises aux contraintes budgétaires, ont dû amender certains dispositifs d'aide, notamment les incitations fiscales. Le budget fédéral adopté fin mars 2013 prévoit ainsi la suppression progressive (en 2017) du crédit d'impôt de 15 % pour les fonds de solidarité travailleurs.

(2) Les mastodontes américains

Lors de la dernière étude de grande ampleur publiée en 2010 par l'association des logiciels de divertissement américaine, l'industrie du jeu vidéo y représentait plus de 24 milliards de dollars. Ce marché très changeant et évolutif est stimulé d'une part par la multiplicité de supports et d'autre part par le grand nombre et la réactivité des éditeurs. Selon une étude de cette même association publiée en 2014, l'industrie américaine du jeu vidéo a bénéficié d' une croissance quatre fois supérieure à celle de l'économie américaine dans son ensemble (9 % tous les ans depuis 2009).

Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différents États, le Gouvernement fédéral propose, à l'instar du Canada, des incitations fiscales sous forme de crédit d'impôt ou de remboursement des dépenses liées à la recherche et au développement.

Le secteur des ordinateurs et des jeux vidéo emploie directement ou indirectement plus de 146 000 personnes , dont 42 000 directement, notamment dans des studios de très grande taille comme Electronic Arts . Fondée en 1982, l'entreprise est l'un des principaux développeurs et producteurs mondiaux de jeux vidéo pour ordinateurs et consoles. En 2014, elle a enregistré un chiffre d'affaires record de 4,5 milliards de dollars.

Le secteur connaît toutefois quelques difficultés dues au recul des ventes de consoles, jeux et accessoires. Afin de se renouveler et de trouver de nouveaux relais de croissance, les industries du cinéma et du jeu vidéo cohabitent de plus en plus fréquemment pour adapter un film en jeu et inversement. Ainsi, l'éditeur français Ubisoft , très implanté aux Etats-Unis, a adopté une stratégie de développement transmédia sur ses franchises depuis quelques années : après avoir participé au film Avatar en 2010, l'éditeur a lancé, en 2011, Ubisoft Motion Pictures , pour adapter directement ses licences jeux vidéo au cinéma et à la télévision.

(3) Le renouveau européen : le Royaume-Uni et la Finlande

Au Royaume-Uni, les trois dernières années ont été marquées par un fort recul de l'industrie vidéoludique, avec une croissance en berne et de nombreuses fermetures de studios. Le désengagement de Sony Computer Entertainment du territoire britannique en 2012 aura ainsi occasionné la fermeture de deux studios majeurs, Sony Liverpool et BigBig Studios , tandis que d'autres développeurs de grande taille comme Eurocom et Monumental Games ont également cessé leur activité.

La fermeture en chaîne de studios n'aura cependant pas tué l'industrie nationale puisque cette dernière est entrée dans une phase de profond renouvellement : selon une étude publiée par The Independent Games Developers Association (TIGA), organisation pour la promotion du jeu vidéo britannique, les studios historiques désormais disparus ont donné naissance à un grand nombre de nouveaux développeurs de plus petite taille (cent nouveaux studios auraient ainsi été créés entre 2011 et 2012), oeuvrant désormais sur le secteur des jeux pour mobile plutôt que sur celui des consoles de jeux.

L'annonce du budget britannique pour 2013, en avril 2012, a été l'occasion, pour le Gouvernement britannique, d'appuyer plus encore son soutien à l'industrie. Le Chancelier de l'Echiquier, George Osborne, a ainsi dévoilé, dans son discours budgétaire à la Chambre des communes, son ambition de « transformer le Royaume-Uni en centre technologique de l'Europe ». Plus concrètement, il a été annoncé la mise en place d'un abaissement fiscal ( tax relief ) pour les industries du jeu vidéo, de l'animation et de la création télévisuelle . Depuis le 1 er avril 2014, le Royaume-Uni a donc étendu son dispositif de crédit d'impôt audiovisuel et cinéma au jeu vidéo , avec notamment :

- une part minimum de 25 % du budget total localisé au Royaume-Uni pour que le projet soit éligible au crédit d'impôt ;

- un test culturel transposé de celui en vigueur pour les programmes audiovisuels et adapté très marginalement au secteur du jeu vidéo (notamment pour les postes clés) ;

- un taux de crédit d'impôt de 20 % si le projet présente des dépenses au Royaume-Uni inférieures à 20 millions de livres et 25 % lorsqu'elles sont supérieures à ce seuil ;

- un plafonnement des dépenses éligibles à 80 % des dépenses totales réalisées sur le territoire national.

Le 27 mars 2014, la Commission européenne a conclu, après une enquête approfondie, que le projet britannique d'accorder certains allègements fiscaux à des fabricants de jeux vidéo était conforme aux règles de l'UE en matière d'aides d'État. Elle a estimé, en particulier, que la mesure incite les créateurs à concevoir des jeux respectant certains critères culturels, conformément aux objectifs de l'UE.

Par ailleurs, l'industrie du jeu vidéo bénéficie en Finlande d'un véritable âge d'or : il y a quelques années, le jeu Max Payne , créé par la société finlandaise Remedy Entertainment , a rencontré un tel succès qu'il fut adapté au cinéma ; en outre, le succès ne se tarit pas pour Angry Birds (plus d'un milliard et demi de téléchargements) de la société de production finlandaise Rovio puisque la deuxième version du jeu lancée en août 2015 a été téléchargé plus de vingt millions de fois lors de la première semaine ; enfin, Super Cell , studio à l'origine du jeu de stratégie très populaire Clash of clans , a levé 120 millions de dollars en 2013 pour une valorisation de près de 800 millions de dollars.

Sur les 260 entreprises de jeu vidéo que compte la Finlande, près de la moitié ont été créées ces trois dernières années . Selon les estimations de la Neogames Finland Association , le chiffre d'affaires de l'industrie finlandaise du jeu vidéo a atteint 1,8 milliard d'euros . L'Agence de financement finlandaise pour la technologie et l'innovation (TEKES) joue un rôle majeur en faveur du développement de cette industrie : en 2014, le montant total du financement alloué au secteur des jeux vidéo s'est établi à 28 millions d'euros.

c) Les propositions du groupe de travail sénatorial : des solutions malheureusement évincées

Un groupe de travail sur les jeux vidéo commun aux commissions de la culture et des affaires économiques a, en février 2013, été confié aux sénateurs André Gattolin et Bruno Retailleau. Leur rapport 9 ( * ) propose une série de mesures en faveur de l'industrie vidéoludique française demeurées sans suite à ce jour.

Les propositions du groupe de travail portent notamment sur :

- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française

Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;

- la mise en place d'un fonds participatif

Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la BPI, sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;

- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien ;

- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV ;

- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques

Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;

- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.

III. LA HADOPI ET LA PROTECTION DES AUTEURS : UNE MOBILISATION ESSENTIELLE

A. HADOPI : LE SALUT A MINIMA

1. La fin de l'asphyxie budgétaire

Installée le 8 janvier 2010, la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a d'abord bénéficié d'une subvention de 10,06 millions d'euros , largement sous-consommée à la fin de l'exercice en raison des lenteurs inhérentes à l'installation d'une nouvelle instance. Ainsi, ce sont près de 6,1 millions d'euros qui ont, à l'époque, abondé le fonds de roulement. Le versement de la subvention atteignit, pour l'année 2011, 11,4 millions d'euros, avec un taux d'exécution budgétaire de 96,8 %.

Des efforts drastiques de réduction budgétaire ont été demandés à la Hadopi dès 2012 , par une nouvelle majorité moins bien disposée à son égard. Face à une baisse de 10 % de sa subvention, elle a réussi à diminuer de 30 % son exécution et à maintenir un résultat positif, grâce notamment à l'internalisation massive des travaux, ainsi qu'à la réduction et au plafonnement des dépenses de communication et de représentation.

En 2013, la poursuite de cette politique budgétaire a permis à l'institution de supporter une nouvelle réduction de la subvention (-32 %) sans toutefois réussir à éviter un premier résultat déficitaire (-1,66 million d'euros) nécessitant un prélèvement sur son fonds de roulement. Le montant de la dotation pour 2013 a, en outre, connu diverses modulations peu favorables à l'institution : si le ministère de la culture et de la communication s'était engagé à abonder la somme initiale d'un million d'euros supplémentaires en cours d'exercice, un gel budgétaire de 6,36 % puis une nouvelle diminution de 17 % décidée au mois de juillet ont ramené la dotation annoncée à 7 millions d'euros .

En s'inscrivant dans un scénario similaire (nouvelle diminution de 20 % de la subvention, résultat déficitaire à hauteur de 2,5 millions d'euros), l'exercice 2014 a atteint les limites de la contrainte budgétaire que peut supporter l'institution. Le fonds de roulement s'élevait, en fin d'exercice, à 3,4 millions d'euros après un nouveau prélèvement de 2,3 millions d'euros.

Subvention

Source : Hadopi

En conséquence, l 'assèchement du fonds de roulement n'ayant nullement été compensé par une réévaluation de la subvention en 2015 , l'institution est désormais atteinte dans sa capacité à mettre en oeuvre ses missions. L'ouverture de crédits a été significativement réduite, à 7,85 millions d'euros (-13 %), sans permettre d'éviter un troisième exercice déficitaire consécutif, qui impliquera une reprise sur le fonds de roulement de 1,8 million d'euros. Il devrait alors s'établir à 1,6 million d'euros à la fin de l'année, soit un peu plus de l'équivalent de deux mois de fonctionnement.

Évolution du fonds de roulement

Source : Hadopi

La réduction puis le plafonnement des dépenses de fonctionnement depuis 2012 ont conduit l'institution à supprimer la quasi-totalité de ses projets d'étude. En outre, plusieurs projets relatifs à l'encouragement au développement de l'offre légale ne pourront pas être menés à terme . Des postes de dépenses ont également été supprimés ou drastiquement réduits : la communication, les audits de sécurité informatique, la documentation, par exemple. Surtout, la réduction des dépenses de personnel opérée en 2015 limite mécaniquement la capacité d'action de l'institution et affecte le climat social.

La mission d'information confiée aux sénateurs Corinne Bouchoux et Loïc Hervé par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, dont le rapport 10 ( * ) a été rendu public au mois de juillet 2015, a estimé à cet égard que « la dégradation des conditions matérielles et sociales entrave la capacité de l'institution à mettre en oeuvre ses missions légales et ne peut se poursuivre en 2016 ».

Jean-Marie Beffara, député, partageait ce constat dans son rapport budgétaire relatif à la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015, réalisé au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale : « l'asphyxie financière progressive de l'HADOPI afin de recentrer son action sur la réponse graduée n'est pas une solution tenable et porte préjudice à l'ensemble des missions » .

Le présent projet de loi de finances pour 2016 dote la Hadopi de 8,5 millions d'euros, ce dont l'ensemble des représentants des industries culturelles auditionnés par votre rapporteur pour avis s'est réjoui. Ce niveau de subvention permettra, à périmètre inchangé, de stabiliser le budget de l'institution , en se limitant à la prise en compte du glissement-vieillesse-technicité (moindre qu'en 2015, si les effectifs se maintiennent).

La dotation prévue ne sera, en revanche, pas suffisante, pour renforcer ses interventions, notamment en faveur de l'offre légale et des actions de sensibilisation auprès du monde scolaire, comme le constatait Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, lors de son audition. La mission d'information sénatoriale susmentionnée a, pour sa part, estimé entre 9 et 10 millions d'euros le niveau de financement adapté aux missions légales de l'institution. Dans ce cadre, votre rapporteur pour avis souhaite qu'un effort supplémentaire soit réalisé en 2017 et que, dans cette attente, la dotation de la Hadopi soit préservée des gels budgétaires.

2. Un outil à mieux utiliser

Une réforme de la Hadopi visant à en faire un instrument plus efficace et plus crédible ne doit pas laisser croire que l'institution pourrait alors, seule, régler le problème du piratage des oeuvres culturelles sur Internet. En réalité, l'extrême diversité des formes de piratage , en fonction du type d'oeuvres notamment, plaide pour la mise en oeuvre d'une série d'outils complémentaires les uns des autres.

Un piratage différent selon la catégorie de biens culturels

Source : Étude CSA - Hadopi

Le premier de ces outils est la mise en place d' une stratégie volontaire dite « follow the money » . Cet instrument d'autorégulation constitue la principale proposition de Mireille Imbert-Quaretta dans son rapport de mai 2014 à la ministre de la culture et de la communication relatif aux outils opérationnels de prévention et de lutte de la contrefaçon en ligne.

Du constat selon lequel un nombre non négligeable de sites massivement contrefaisants tirent des revenus soit des bandeaux publicitaires qu'ils abritent, soit des abonnements - disponibles grâce à un service de paiement en ligne - qu'ils proposent, il en est conclu que les acteurs de la publicité ou de paiement peuvent contribuer à assécher les ressources de ces sites.

Selon l'analyse de Mireille Imbert-Quaretta, « ces acteurs sont déjà engagés dans la lutte contre diverses infractions commises sur Internet et ne souhaitent pas être associés à la contrefaçon de droits d'auteurs pour diverses raisons : protection de leur image de marque et promotion d'un climat de confiance sur Internet dont ils ne peuvent être que bénéficiaires. Ils souhaitent cependant disposer d'éléments suffisamment probants pour garantir leur sécurité juridique dans le cadre des mesures qu'ils pourraient être amenés à prendre à l'égard des sites massivement contrefaisants ».

Afin d' apporter ces garanties en échange de l'engagement des intermédiaires de la publicité et du paiement en ligne de ne plus contracter avec ces sites, il a été choisi de se placer sur le terrain de l'autorégulation au travers de la signature de chartes sectorielles , sans envisager de mesures contraignantes. Dans leur principe, ces chartes ont vocation à définir le cadre d'implication des acteurs et de préciser les modalités de leur intervention.

Sous l'égide du CNC, une première charte impliquant les acteurs de l'achat de la publicité en ligne a été signée le 23 mars . Un comité de suivi de son respect a été mis en place dans la foulée avec la participation des représentants des ayants droit (l'ALPA pour l'audiovisuel et le cinéma, la SACEM, la SCPF et la SCPP pour la musique, le SELL et le SNJV pour les jeux vidéo et le SNE pour le livre).

Un travail est, en outre, en cours entre le CNC et l'Inspection générale des finances (IGF) afin d'aboutir à une charte relative aux moyens de paiement en ligne. Les négociations ont débuté au mois d'avril et devraient se conclurent dans les prochaines semaines.

Votre rapporteur pour avis, si elle peut regretter que la Hadopi ait été, une fois de plus, la grande oubliée des travaux présidant à l'élaboration des chartes, est largement favorable à la mise en oeuvre de tels outils de responsabilité collective et solidaire de la lutte contre le piratage.

La nécessaire réforme du statut des intermédiaires techniques de l'Internet et, plus particulièrement des hébergeurs de contenus, représente un deuxième instrument. Leur irresponsabilité est actuellement garantie par les articles 12 à 15 de la directive du 8 juin 2000 relative au commerce électronique, transposée en droit français par la loi n° 2000 719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, puis par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services, s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible , selon la procédure appelée « notice and take down » .

Or, compte tenu du nombre considérable de contenus protégés circulant sur Internet, la complexité de cette procédure constitue un frein à une suppression rapide des oeuvres concernées , notamment lorsque la diffusion se fait en streaming on live .

Toutefois, une stratégie « follow the money » offensive et une procédure de « notice and take down » simplifiée ne pourront éviter aux titulaires de droits de prendre également leur part de responsabilité en matière de lutte contre le piratage sur Internet, notamment en utilisant plus systématiquement les solutions techniques de marquage des oeuvres proposées par les hébergeurs, à l'instar de l'outil de surveillance de vidéos et de gestion des droits afférents « Content ID » développé par Google .

3. Une nécessaire réforme

Au-delà d'une dotation budgétaire mieux adaptée à ses missions et du développement parallèle d'outils complémentaires de lutte contre le piratage, il apparaît que le rôle de la Hadopi devrait être réformé, afin de prendre en considération les évolutions du piratage et d'améliorer son efficacité en matière de protection des droits des auteurs.

À cet effet, la mission d'information précitée sur la Hadopi a proposé une réforme ambitieuse de l'institution, pour en renforcer l'action et en moderniser la gouvernance . Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux une traduction législative rapide de ces dispositions.

Synthèse des propositions de la mission d'information sénatoriale


Modifier le mécanisme de la réponse graduée en remplaçant la sanction judiciaire par une amende administrative décidée et notifiée par une commission des sanctions indépendante.


Élargir les compétences de la Hadopi en matière de lutte contre le piratage à la constatation des atteintes aux droits d'auteur par des sites massivement contrefaisants et à la publicité de ces informations sous forme de « liste noire », ainsi qu'au suivi des injonctions judiciaires de blocage des sites.


Créer une injonction de retrait prolongé des contenus contrefaisants signalés par les ayants droit et en confier la mise en oeuvre à la Hadopi.


Rendre obligatoire l'organisation, par la Hadopi, des modules prévus de formation à la protection des droits sur Internet dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) , développer les actions de sensibilisation dans les universités, les grandes écoles, les administrations et les entreprises dans le cadre de partenariats.


Limiter au seul domaine public la mission de la Hadopi en matière de développement et de promotion de l'offre légale.


• Recentrer la mission d'étude et d'observation de la Hadopi sur l'évolution des usages et des technologies et supprimer , dans ce cadre , toute possibilité d'auto-saisine .


Clarifier et simplifier la gouvernance de la Hadopi autour d'une présidence unique, d'un secrétariat général et de quatre directions : « Protection des droits et lutte contre le piratage », « Prévention, information et formation », « Études et développement de l'offre légale » et « Affaires générales ».


Intégrer systématiquement la Hadopi à la mise en oeuvre des politiques publiques et des engagements contractuels en matière de lutte contre la contrefaçon culturelle sur Internet.


Inciter la Commission européenne à revoir en profondeur le statut des hébergeurs établi par les articles 12 à 15 de la directive du 8 juin 2000 relative au commerce électronique.


• Inciter les titulaires de droits à utiliser systématiquement les solutions techniques de marquage des oeuvres.


Assouplir la chronologie des médias afin de renforcer l'offre légale disponible.


Mettre en oeuvre , au niveau européen, l'équité fiscale entre les grands acteurs du numérique .

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

B. L'ANNÉE DE TOUS LES DANGERS POUR LE DROIT D'AUTEUR

1. La menace européenne

Depuis la publication, en 2010, de la communication de la Commission européenne « Europe 2020 - Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » et de l'« Agenda numérique pour l'Europe », la création d'un marché numérique unique au sein de l'Union européenne est présentée comme une initiative économique et sociale majeure pour le continent . Parallèlement, la protection des auteurs face aux évolutions technologiques et aux nouveaux modes de consommation des produits culturels fait l'objet de critiques pour son inadaptation au monde numérique.

À défaut de modifications législatives récentes, l'évolution du droit d'auteur sur Internet dépend largement des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. Mais la jurisprudence européenne n'est ni constante, ni philosophiquement toujours en adéquation avec les principes français en la matière. À l'aube d'une prochaine révision de la directive du 22 mai 2001, des inquiétudes s'expriment quant à l'avenir du droit d'auteur au niveau européen , quand des voix, nombreuses, s'élèvent pour réclamer un modèle plus coopératif, gratuit et altruiste de la consommation culturelle, difficilement conciliable avec les impératifs de financement de la création et de rémunération des créateurs.

Le 15 janvier dernier, l'eurodéputée Julia Reda (Allemagne, Parti pirate) a présenté devant la Commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen un pré-rapport relatif au bilan de l'application de la directive du 22 mai 2001, qui fait suite au lancement, par la Commission européenne, d'une consultation publique sur la révision de la législation européenne en matière de droit d'auteur. L'objectif fixé par Jean-Claude Juncker, président de la Commission, au commissaire à l'économie numérique Günther Oettinger dans sa lettre de mission étant, notamment, de « briser les barrières nationales » en matière du droit d'auteur.

Selon le pré-rapport de Julia Reda, la directive de 2001, ayant « introduit des niveaux minimaux de protection du droit d'auteur sans fixer aucune norme de protection des intérêts du public et des utilisateurs (...), bloque les échanges de savoirs et culturels transfrontaliers » . Dès lors que les États membres ont été autorisés à choisir les exceptions qui s'appliqueront sur leur territoire pour l'usage d'oeuvres libres de droits, l'harmonisation aurait échoué, au détriment des usagers.

La réforme des règles européennes sur le droit d'auteur proposée par Julia Reda consiste à lever les restrictions à la circulation des oeuvres, en généralisant les exceptions reconnues pour tel ou tel usage, et à harmoniser dans ce sens l'ensemble des règles aujourd'hui en vigueur dans les États membres . Il s'agit, en particulier de :

- créer un titre européen unique du droit d'auteur, applicable directement et uniformément sur le territoire de l'Union ;

- lever les obstacles techniques et juridiques à l'utilisation des oeuvres du domaine public et d'autoriser la réutilisation des informations du secteur public ;

- reconnaître une pleine liberté des titulaires de droits à renoncer volontairement à leurs droits et à abandonner leurs oeuvres au domaine public ;

- fixer à 50 ans post-mortem la durée de protection des droits d'auteur , conformément à la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques ;

- reconnaître aux bibliothèques un droit au prêt de livres numérisés, quel que soit le lieu d'accès ;

- élargir l'exception pour l'éducation et la recherche à toutes les formes d'éducation , y compris en dehors des seuls établissements scolaires ou universitaires ;

- introduire une nouvelle exception en faveur de l'exploration de données ( text and data mining ) pour collecter automatiquement des données dès lors que l'utilisateur a la permission de lire l'oeuvre ainsi exploitée ;

- reconnaître un « droit de panorama » , c'est-à-dire autoriser la diffusion de photos et de vidéos d'oeuvres, de monuments et de paysages appartenant à l'espace public ;

- étendre à l'audiovisuel le droit de citation reconnu actuellement pour l'écrit ;

- enfin, expliciter le fait qu' un lien hypertexte n'est pas une communication au public susceptible de faire l'objet d'un droit exclusif .

À peine rendues publiques, les propositions de Julia Reda ont provoqué des réactions aussi fortes que contradictoires . Son pré-rapport a enregistré le soutien des associations proches de l'Internet « ouvert », à l'instar de la Quadrature du net, qui regrette toutefois que ne soit pas proposée la légalisation des échanges non marchands. En revanche, les syndicats d'auteurs, les représentants des industriels de la culture et les sociétés de gestion collective des droits ont crié au scandale.

Comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne, les pouvoirs publics français ont rapidement pris fait et cause pour la protection des auteurs et le maintien, à l'identique, de l'économie de la culture.

La mobilisation fut également massive au Parlement européen, où 550 amendements ont été déposés en vue de modifier le pré rapport avant son adoption . Un texte de compromis a finalement été voté à la quasi-unanimité par la commission JURI le 16 juin : il prévoyait une nouvelle exception pour l'extraction de textes et de données et une plus grande facilité donnée aux bibliothèques pour la numérisation de leurs collections ; il propose également d'harmoniser la réglementation s'agissant des exceptions de citations et de parodie. Le droit de panorama a, en revanche, été supprimé.

Une résolution non législative a ensuite été adoptée en séance plénière par le Parlement européen le 9 juillet dernier . Les députés ont demandé à ce que les futures propositions visant à réformer la législation européenne sur le droit d'auteur à l'ère numérique assurent un juste équilibre entre les droits et intérêts des créateurs et ceux des consommateurs . Ils ont appelé de leurs voeux des solutions pour améliorer l'accès au contenu en ligne au-delà des frontières tout en reconnaissant l'importance des licences par territoire, en particulier pour la production audiovisuelle cinématographique. D'ici la fin de l'année 2015 devait être présentée, par la Commission, la proposition de révision de la directive de 2001.

Après les craintes suscitées par les annonces intempestives des représentants de la Commission européenne, il semblerait que la mobilisation de nombreux États membres ait permis une prise de conscience sur la nécessité de respecter les fondamentaux de la propriété intellectuelle et du financement de la création , même s'il convient de rester vigilant dans l'attente de la publication de la proposition de révision.

Sans méconnaître l'utilité d'une meilleure fluidité des réseaux et des échanges sur le territoire européen, votre rapporteur pour avis est convaincue de la nécessité de maintenir un niveau de protection élevé pour les créateurs afin de protéger la diversité culturelle européenne d'une hégémonie anglo-saxonne , dont les industries culturelles seraient aujourd'hui seules à avoir les moyens de se développer dans un marché culturel unique.

Elle partage également la conviction de ses collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé, qui, dans leur rapport d'information précité sur la Hadopi, rappelaient qu'il était « essentiel de promouvoir une meilleure circulation des oeuvres et leur exploitation plus efficiente . (...) Sans nuire aux droits des artistes et à leur juste rémunération, la culture ne doit pas craindre les évolutions technologiques mais savoir les utiliser pour son plus grand rayonnement . La lutte contre le piratage se gagnera in fine par la satisfaction des exigences culturelles des citoyens européens ».

2. Les dommageables errements gouvernementaux

Certes, le Gouvernement français s'est engagé, dès les prémices de la réforme annoncée par la Commission européenne, en faveur de la préservation des droits des auteurs . Dès le mois de juin 2013, le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a confié au Professeur Pierre Sirinelli une mission sur les enjeux d'une éventuelle évolution du cadre communautaire en matière de droit d'auteur et de droits voisins, dont les conclusions ont été rendues publiques le 12 janvier 2015.

Le 22 avril 2015, les autorités françaises ont transmis aux institutions de l'Union européenne une note, reprenant largement les conclusions du rapport du CSPLA et formulant des propositions pour la modernisation du droit d'auteur dans le marché unique numérique. Cette note précise que toute réouverture du cadre européen applicable en matière de droit d'auteur doit être l'occasion de progresser dans la définition d'une réponse européenne aux quatre priorités suivantes : rémunération de la création et partage de la valeur avec les acteurs numériques, respect effectif du droit d'auteur, amélioration de la portabilité des contenus et de l'interopérabilité des formats dans le respect des règles de territorialité et enfin accès au savoir par le développement prioritaire des licences plutôt que la prolifération sans contrôle des exceptions.

La ministre de la culture et de la communication a parallèlement mis en place un comité de liaison pour le droit d'auteur dans le marché unique numérique chargé de continuer à mener une réflexion sur les avancées du débat européen et de formuler des propositions concrètes sur certains sujets : partage de la valeur et mise en oeuvre des droits à l'ère numérique ; portabilité des offres d'accès aux oeuvres et questions d'accès transfrontière aux contenus ; enfin, accès au savoir et à la culture, notamment en matière de bibliothèques, d'éducation, de recherche, de fouille et d'exploration de textes.

Manuel Valls, Premier ministre, ne fut pas en reste. Ainsi déclarait-il en mai dernier au Festival de Cannes : « Si nous baissions pavillon sur le droit d'auteur, qui irait encore investir dans la création ? Le droit d'auteur est non seulement un mécanisme protecteur des artistes, mais aussi le vecteur de notre identité collective et un vecteur d'innovation et de compétitivité de notre économie. Ne nous trompons pas de combat. En désarmant le droit d'auteur, on affaiblirait l'Europe, sa culture, ses entreprises et ses citoyens » .

Dans ce contexte d'une belle unanimité en faveur de la défense de la culture et des auteurs , votre rapporteur pour avis s'étonne de certaines dispositions du projet de loi pour une République numérique présenté par Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, qui devrait être examiné par le Parlement dans les prochains mois. La création d'un « domaine public informationnel » à l'américaine lui semble en particulier comporter d'importants risques pour les éditeurs.

Plus globalement, ce texte, élaboré sur les préconisations du Conseil national du numérique où ne siège aucun représentant des industries culturelles ni des artistes, lui apparaît reposer sur une idéologie de la gratuité, dangereuse pour les auteurs et dommageable à la création comme à la recherche.

Richard Malka, auteur de l'opuscule « La gratuité, c'est le vol - 2015 : la fin du droit d'auteur » , ne dit pas autre chose lorsqu'il fustige les velléités incessantes d'assouplissement du droit d'auteur sous un noble prétexte de partage des savoirs : « Une telle exception, portée par un discours généreux invoquant un accès universel et global à la connaissance, aurait aussi peu de sens que d'imposer à EDF de fournir de l'électricité gratuite aux lycées et collèges ».

Votre rapporteur pour avis sera attentive, lors des prochaines échéances législatives sur ces sujets, à ce que les bonnes intentions ne conduisent pas, par idéalisme ou par négligence, à priver les créateurs de leur juste rémunération.

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016.

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016 .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2015

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La commission examine les rapports pour avis de M. Patrick Abate, rapporteur pour avis sur les crédits « Presse », et de Mme Colette Mélot sur les crédits « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016 .

M. Patrick Abate, rapporteur pour avis des crédits du programme « Presse » . - « Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue » : en cette année 2015 où, un fatal 7 janvier, cette liberté, dans son expression la plus engagée et la plus indépendante, a été meurtrie, la conviction exprimée il y a plus de deux siècles par Thomas Jefferson n'a jamais semblé si vraie ; elle a été confortée, malheureusement, ce 13 novembre par les événements tragiques, qui ont ciblé notre « vivre-ensemble », notre démocratie et notre liberté.

Pourtant, chers collègues, la presse souffre toujours d'une érosion de ses ventes, du vieillissement de son lectorat, de la fuite des recettes publicitaires vers d'autres supports et des contraintes, financières et technologiques, d'une mutation numérique à la fois fossoyeur et espoir d'équilibres économiques à venir.

Le constat est devenu lieu commun et pourtant, il se pourrait que 2016 représente un tournant : les investissements destinés à la modernisation des structures et des méthodes de travail commencent à porter leurs fruits, le système de distribution retrouve une stabilité à laquelle peu croyaient encore et l'Agence France-Presse s'est engagée dans une réforme a minima , certes, mais qui garantit à ce jour la poursuite de son activité.

Cela dit, les crédits du programme 180 font apparaître un affaiblissement du soutien de l'État en faveur de la presse. S'il se limite à une diminution de 1,1 % cette année, il fait suite à un resserrement des aides de 3 % entre 2014 et 2015. Le recul constaté représente la conséquence d'un moindre dynamisme des aides au guichet et rien n'a été entrepris, notamment à travers le fonds stratégique pour le développement de la presse, pour remédier à cette atonie.

Outre le taux de TVA « super réduit » de 2,1 % au bénéfice de l'ensemble des titres pour un coût d'environ 170 millions d'euros, l'aide de l'État à la presse - 128,8 millions d'euros en 2016 - se divise en trois catégories : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation.

Les aides à la diffusion diminuent de 1,4 % pour un montant de 57,7 millions d'euros. L'aide au portage conserve sa dotation de 36 millions d'euros, mais le mécanisme d'exonération de charges pour les vendeurs-colporteurs enregistre un repli logique, consécutif à la réduction du nombre de professionnels.

Les aides au pluralisme, en revanche, enregistrent une augmentation de 34,8 % pour s'établir à 15,5 millions d'euros grâce l'élargissement du dispositif, par un décret du 6 novembre 2015, à des titres d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires à parution non quotidienne.

Nul ne contestera ici l'utilité d'un soutien renforcé en faveur de la presse d'opinion, aux ressources publicitaires réduites : les temps troublés que nous traversons rendent, au-delà de la simple information, l'analyse et le débat indispensables à l'appréhension d'un monde qui semble échapper à notre compréhension. Le renforcement du ciblage des aides directes en faveur de ces journaux constitue un point remarquable de l'évolution des crédits du programme 180 et mérite d'être salué.

La mesure complètera utilement, pour les titres concernés, les mécanismes fiscaux que nous avons adoptés dans le cadre de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse. Le plus symbolique de ces mécanismes est le dispositif « Charb » pour lequel vous connaissez mon attachement, qui permet aux particuliers de déduire de leur impôt sur le revenu les dons aux associations qui oeuvrent en faveur du pluralisme de la presse.

Enfin, les aides à la diffusion reculent de 7,5 % à 55,6 millions d'euros pour 2016. Cette diminution ne doit toutefois pas nous inquiéter outre mesure, d'abord parce que la réduction porte essentiellement sur l'aide à la modernisation sociale des imprimeries, au titre de laquelle seulement deux dossiers au bénéfice des groupes Le Monde et Amaury nécessitent encore des financements, et, surtout, parce que le soutien de l'État à Presstalis est maintenu à 18 millions d'euros.

Je salue, à cet égard, les efforts considérables réalisés par l'entreprise ces dernières années, au prix de lourds sacrifices sociaux - 1 500 emplois ont été supprimés depuis 2010 - pour retrouver l'équilibre des comptes. Malgré des retards dommageables dans la mise en oeuvre des réformes prévues par le plan stratégique conclu avec l'État, notamment la restructuration du réseau des dépositaires, l'équilibre d'exploitation sera atteint en 2015 grâce à des économies comprises entre 25 et 35 millions d'euros par an depuis quatre ans. Avec de nouveaux développements dans le domaine numérique et des finances assainies, Presstalis a su trouver les moyens de son développement futur. Le défi a été relevé.

Le bilan du fonds stratégique pour le développement de la presse est plus contrasté : doté de 29,6 millions d'euros de crédits en 2016, en diminution de 2,6 %, le dispositif cofinance des projets de développement numérique de sites majoritairement d'information politique et générale. L'aide apportée étant fonction de la capacité d'autofinancement des éditeurs, son montant varie entre 800 euros et 700 000 euros, pour une moyenne de 95 000 euros par projet. Effet pervers de ce système, il prive les titres qui ne disposent pas ou peu de fonds propres de l'accès à une aide à la modernisation, pourtant essentielle dans un marché où le numérique représente l'unique voie de développement du lectorat, même si son modèle économique n'est pas encore parfaitement stabilisé. Cette faille explique un niveau décevant de mobilisation des fonds disponibles et, partant, la réduction de la dotation en 2016.

J'appelle par conséquent le ministère de la culture et de la communication à réviser les critères d'attribution de cette aide, afin qu'elle bénéficie plus largement aux éditeurs modestes. Par ailleurs, compte tenu de la complexité des dossiers de demande d'aide et du frein que constitue le seuil d'entrée dans le dispositif, je souhaite que soit envisagé un recours facilité aux jeunes du service civique pour des postes de développement informatique, dans les entreprises de presse qui ne peuvent prétendre à l'aide du fonds stratégique, afin de renforcer en leur sein, même provisoirement, les compétences utiles à la mise en oeuvre, d'une stratégie numérique d'avenir, à la condition expresse qu'il ne s'agisse pas de remplacer à moindre frais de potentiels emplois pérennes ou des salariés en poste.

La seconde partie de mon propos portera sur un point très précis de la mission « Économie », l'aide au transport postal. Avec 1,3 milliard d'exemplaires distribués chaque année, La Poste, dont c'est l'une des missions de service public, contribue à 30 % de la diffusion de la presse, à des tarifs dérogatoires au droit commun, dont l'évolution est fixée par des accords tripartites avec l'État et les éditeurs ; leur montant varie en fonction des familles de presse.

Les accords Schwartz, signés pour la période 2009-2015, ont donné lieu à des manquements répétés de l'État à sa parole, au détriment de la presse et de La Poste. Ainsi, dès 2009, lors de la clôture des états-généraux de la presse écrite, l'application de la hausse tarifaire a été reportée d'un an. Ce moratoire postal a eu un impact d'environ 30 millions d'euros chaque année sur les comptes de La Poste .

Le désengagement unilatéral de l'État s'est poursuivi avec l'annonce, le 10 juillet 2013, de la sortie progressive du moratoire sur les tarifs postaux, afin de rejoindre la trajectoire initialement prévue par les accords Schwartz. Pis, en 2014 et en 2015, la contribution prévue dans l'accord a été réduite chaque année de 50 millions d'euros afin de tenir compte du bénéfice, pour La Poste, du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE).

En conséquence, l'aide de l'État au titre du transport postal a été de 150,5 millions d'euros en 2014 au lieu des 200 millions d'euros prévus, puis de 130 millions d'euros en 2015 contre 180 millions d'euros prévus.

Les accords Schwartz arrivant à échéance le 31 décembre 2015, les ministres de la culture, de l'économie et des finances, ont confié une mission sur l'avenir du transport postal de la presse à Emmanuel Giannesini, membre de la Cour des comptes et président du comité d'orientation du Fonds stratégique pour le développement de la presse. Cette mission devra proposer différents scénarios afin de définir le nouveau cadre du soutien public à l'acheminement des abonnements de presse, comprenant à la fois l'aide au transport postal et l'aide au portage. Ses conclusions ne sont pas encore connues. Dans cette attente, l'aide au transport postal a été fixée, pour 2016, à 119 millions d'euros dans le cadre de la mission « Économie » du projet de loi de finances, soit une nouvelle diminution drastique, qui augure mal du résultat des négociations relatives à l'après-Schwartz.

La Poste et les représentants des différentes familles de presse m'ont fait part de leurs craintes pour l'avenir. Nul ne sait si un nouvel accord sera conclu ou si, comme le proposait le rapport de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse en 2013, une relation commerciale ordinaire sera instaurée entre La Poste et les éditeurs de presse.

En tout état de cause, une augmentation des tarifs postaux est bel et bien prévue, alors que les éditeurs ont, durant la période d'application des accords Schwartz, déjà consenti un effort de 110 millions d'euros. Elle devrait majoritairement peser sur les magazines, notamment sur ceux appartenant à une nouvelle catégorie de presse de divertissement et de loisir, sur lesquels pourrait s'appliquer une hausse de plus de 60 % en quatre ans. J'estime cette perspective déraisonnable, dans un contexte où les magazines connaissent également des difficultés financières et, surtout, où le maintien d'une solidarité entre familles de presse, au-delà de la seule TVA, est plus que jamais nécessaire - sans compter la difficulté à définir la nouvelle catégorie.

Je conclurai en présentant les crédits consacrés à l'Agence France-Presse (AFP). Conformément aux engagements de la France à la suite des recommandations de la Commission européenne, traduites dans la loi du 17 avril 2015 puis dans le contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'État le 15 juin dernier, le financement public de l'Agence distingue désormais le paiement des abonnements au fil AFP souscrits par les administrations de la compensation des missions d'intérêt général qui lui sont confiées. Le projet de loi de finances prévoit 21,6 millions d'euros au titre des abonnements, somme fixée par la nouvelle convention entre l'État et l'AFP, et 105,9 millions d'euros de subvention pour charge de service public.

Globalement, cette dotation est stable. Si elle permet à l'AFP de poursuivre son activité, elle ne règle en rien les difficultés de l'Agence à investir, compte tenu de l'absence de fonds propres et d'un endettement déjà inquiétant, grevé par sa filiale technique de moyens AFP Blue. Notre collègue Philippe Bonnecarrère avait déjà pointé ce risque dans son rapport : la situation n'a guère évolué depuis et ses craintes, que je partage, sont toujours d'actualité.

Je vous propose par conséquent que notre commission s'en remette à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Personnellement, je ne serai pas défavorable à leur adoption.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles » . - « À la barbarie des terroristes, nous devons opposer l'invincible humanité de la culture », affirmait solennellement François Hollande quelques jours après les attentats du 13 novembre dernier, lors de la 70 e conférence générale de l'Unesco. Je pense que notre commission partage cette déclaration. À force de menaces, le livre et la musique - la culture en somme -, fruits de l'esprit de nos artistes et symboles de nos valeurs, n'ont jamais semblé si indispensables au vivre-ensemble.

Pourtant, les industries culturelles sont bien souvent malmenées par une modernité dont le rythme s'accorde difficilement avec le temps de la création, les contraintes de la production et le tempo lent du lecteur et du mélomane. Elles résistent cependant et parviennent, progressivement, à se rénover tout en demeurant fidèles à leur vocation créatrice.

Les gouvernements qui se sont succédé depuis la percée du numérique dans le monde de la culture ne sont pas étrangers à cette réussite. Ce projet de loi de finances ne limite en rien le soutien public : le programme 334 « Livre et industries culturelles » reçoit 265,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et 276 millions d'euros en crédits de paiement. À périmètre constant, l'effort supplémentaire s'élève à 1,4 % par rapport à 2015, au profit des seules industries culturelles.

Hélas, malgré cette discrète embellie, les crédits destinés au livre et aux industries culturelles ne bénéficient qu' a minima aux secondes. La promotion du livre et le soutien à la lecture accaparent 96,8 % des crédits, dans la mesure où le programme 334 comprend le financement d'opérateurs coûteux et notamment de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Contrairement à la production cinématographique et audiovisuelle, le livre, la musique et les jeux vidéo ne sont soutenus qu'au travers d'aides éparpillées et de crédits d'impôt par trop restrictifs. Les performances affichées par ces filières n'en sont que plus méritoires.

Action reine du programme 334, l'action n° 1 « Livre et lecture » est dotée de 256,4 millions d'euros en crédits de paiement. Mais ne nous y trompons pas : cette enveloppe, pour généreuse qu'elle paraisse, est en réalité presque exclusivement destinée à la subvention pour charges de service public de la BnF (215 millions d'euros). Bien sûr, il s'agit d'un établissement prestigieux, dont la politique de collaboration avec les bibliothèques territoriales doit être saluée, dont l'engagement en faveur du patrimoine écrit par l'achat régulier de pièces rares grâce à la mobilisation d'un généreux mécénat n'est plus à démontrer et dont, enfin, l'ambitieux programme de numérisation affiche des résultats dont la France peut s'enorgueillir.

La bibliothèque nationale numérique Gallica , inaugurée en 1997, compte désormais 3,4 millions de documents. Avec 40 000 visites par jour, soit 15 millions de lecteurs chaque année, le succès est à la hauteur des sommes dépensées. Avec le lancement, quelque peu tardif, de la numérisation des livres indisponibles du XX e siècle, dont nous avions voté à l'unanimité le principe en 2012, et le développement de nouveaux partenariats pour poursuivre la numérisation des collections, l'outil devrait encore renforcer son attractivité.

Mais que dire a contrario des vicissitudes immobilières de l'établissement ? La rénovation du site historique du quadrilatère Richelieu ne cesse de prendre du retard et de voir son coût régulièrement augmenter, passant de 211 à 230 millions d'euros. Le chantier, entamé en 2011, devrait se terminer en 2017 ; 2016 verra l'achèvement de la première phase et l'installation dans les lieux de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA). En revanche, le flou demeure complet sur le financement des travaux de finition, notamment la rénovation des façades et des parties classées. Le site Tolbiac-François Mitterrand n'est pas épargné par les travaux à répétition : la maintenance y est coûteuse - 1 million d'euros par tour pour la modernisation des ascenseurs, par exemple - d'autant que de récentes inondations ont fait d'importants dégâts sur les canalisations, nécessitant 5,4 millions d'euros pour leur remise en état.

Reste qu'une fois l'immense paquebot François-Mitterrand financé, fonctionnement et travaux compris, peu de moyens demeurent disponibles pour d'autres établissements : la Bibliothèque publique d'information est chichement dotée de 7,2 millions d'euros pour 1,35 million de visiteurs annuels quand la BnF en reçoit péniblement 810 000. Plus grave encore, ces moyens font défaut pour de véritables de projets au bénéfice du développement de la lecture, notamment auprès des publics les plus éloignés, et le soutien au réseau de vente de livres.

Qui plus est, le Centre national du livre (CNL), l'opérateur en charge du soutien aux éditeurs, pour des projets culturellement ambitieux, et aux libraires les plus fragiles, peine à trouver les moyens de fonctionner convenablement. Sa dotation, assise sur le produit de la taxe sur les appareils de reprographie et de la taxe sur les éditeurs, n'a cessé de s'éroder pour passer sous le seuil des 30 millions d'euros. Une mission commune à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et au contrôle général économique et financier est en cours pour comprendre les raisons du piètre rendement de ces taxes. Si le caractère pérenne de leur moindre rentabilité devait se confirmer, d'autres modalités de financement devront être envisagées au bénéfice du CNL.

Il est, dès lors, plus qu'heureux que le marché du livre se porte bien. Après une légère érosion ces dernières années, les ventes se sont stabilisées à environ 422 millions d'ouvrages en 2014, dont un quart de littérature, pour un chiffre d'affaires éditeurs de 2,7 milliards d'euros. 2015 devrait également présenter un résultat satisfaisant, d'autant que les attentats du mois de janvier ont entraîné une augmentation sensible des ventes d'essais philosophiques, y compris anciens, et d'ouvrages religieux. La part du numérique demeure modeste, à 6,4 % du marché.

Contrairement à la musique, les mutations technologiques n'ont nullement entamé cette industrie culturelle traditionnelle, qui demeure ancrée dans les pratiques des Français, comme l'achat en librairie survit toujours face à la concurrence d'Internet. Nous nous étions beaucoup inquiétés il y a quelques mois, de l'avenir de ces commerces de quartier. Des difficultés subsistent, mais le secteur se porte mieux grâce, notamment, au dispositif que nous avons voté en 2014 à l'unanimité interdisant le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port aux sites de vente en ligne de livres. Je vous transmets les remerciements des professionnels.

L'action n° 2 « Industries culturelles », qui regroupe la musique, le jeu vidéo et la dotation à la Hadopi, n'étant dotée que de 15,9 millions d'euros, elle appelle de plus brefs commentaires. Point le plus marquant, après avoir perdu 60 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses salariés en dix ans, le marché de la musique est en passe de réussir, grâce au streaming , sa mutation numérique. En croissance de 34 % en 2014, celui-ci représente désormais 16 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale et 55 % des revenus numériques. Il est heureux que la récente médiation confiée à Marc Schwartz ait abouti à un meilleur partage de la valeur au profit des artistes-interprètes sur ce mode de diffusion.

Après une période délicate, dont nos collègues Bruno Retailleau et André Gattolin s'étaient émus dans un rapport consacré en juillet 2013 à l'industrie du jeu vidéo, les studios français renouent avec la croissance. Les produits issus de nos studios, souvent de taille modeste, employant des techniciens et artistes de l'animation, dont les compétences demeurent fort prisées à l'étranger, ont un succès enviable sur le marché mondial malgré une capacité d'investissement encore insuffisante. L'extension du crédit d'impôt, enfin autorisée par la Commission européenne, représente un coup de pouce significatif pour l'industrie française du jeu vidéo face à une farouche concurrence fiscale internationale.

Enfin, après un assèchement dramatique de ses fonds, la Hadopi retrouve un peu d'oxygène, avec une dotation de 8,5 millions d'euros. Néanmoins, cette enveloppe reste insuffisante pour que la Haute Autorité développe son activité de lutte contre le piratage et de promotion de l'offre légale. Or, alors que le principe même d'une application du droit d'auteur dans l'univers numérique est parfois remis en cause, la Hadopi n'a jamais été si utile. En ce sens, je souscris pleinement aux ambitieuses propositions de modernisation et de renforcement de l'institution développées par nos collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé en juillet dernier. Je souhaite qu'elles trouvent prochainement leur traduction législative.

Pour conclure et compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles».

Mme Mireille Jouve . - Je salue tout particulièrement la création du Fonds de soutien à l'information sociale de proximité, doté d'1,5 million d'euros. Le rôle des médias locaux, souvent de taille modeste, est, en effet, essentiel au maintien du lien social et à notre vitalité démocratique. Le taux de TVA à 2,1 % constitue par ailleurs, depuis 2014, un encouragement bienvenu à la diffusion de la presse en ligne, même s'il est trop tôt pour en ressentir les effets. Cependant, il ne doit pas nuire à la qualité éditoriale : certains grands titres remplacent leurs journalistes d'investigation par des employés relayant, devant leur ordinateur, une information produite ailleurs. Le rachat de nombreux titres par de grands groupes industriels nécessite lui aussi une grande vigilance à l'égard de l'indépendance des rédactions et du maintien du pluralisme. Je salue également l'extension des aides au pluralisme aux publications fragiles à parution non quotidienne ; je me félicite enfin du maintien des crédits au livre et aux industries culturelles et de la bonne résistance du marché du livre.

L'augmentation de 2,5 millions des crédits de la Hadopi n'est peut-être pas suffisante pour traquer le téléchargement illégal. C'est en effet un chantier considérable.

Mme Corinne Bouchoux . - Les aides à la presse, au pluralisme et aux nouveaux médias sont bienvenues. Car, si le numérique représente l'avenir, il ne fait pas encore vivre ses acteurs. Notre groupe est par conséquent plutôt favorable à l'adoption des crédits pour la presse. Des économistes que je qualifierai d'atypiques ont travaillé sur le modèle économique de la presse. Avez-vous étudié, dans le cadre de votre avis, les propositions de Julia Cagé sur le financement des entreprises de presse ?

Quant aux crédits du livre, nous sommes tout à fait favorables à la mixité des publics et à la massification des pratiques de lecture promues par le Gouvernement ; mais massification ne signifie pas démocratisation, et nous en sommes encore loin. Là encore, notre groupe rendra néanmoins un avis favorable.

Mme Christine Prunaud . - Les libraires et éditeurs indépendants demandent, notamment par la voix de l'association l'Autre livre, à bénéficier d'un tarif postal réduit. Ils estiment que le livre ne doit pas être traité comme une marchandise ordinaire. Quelle est votre opinion sur la flexibilité de cette proposition ?

Mme Sylvie Robert . - Nous nous félicitons de l'augmentation de 1,4 % des crédits alloués au livre et aux industries culturelles. Certes, la BnF en reçoit une grande partie, mais notre collègue Colette Mélot a omis de signaler l'augmentation de 1 million d'euros du budget des contrats territoire-lecture développés dans les milieux ruraux et certains quartiers prioritaires.

Je ne conteste pas l'importance de l'aide publique aux industries culturelles, mais le secteur recouvre des modèles économiques très différents : les jeux vidéo sont un marché porteur dont les acteurs jouissent d'une bonne santé financière et artistique.

Je regrette la baisse des aides aux radios locales ; ces radios de proximité jouent pourtant un rôle important.

Enfin, au vu du contenu de son rapport, je m'étonne de l'avis défavorable proposé par notre rapporteur sur les crédits du programme 334.

M. Bruno Retailleau . - Je salue la qualité du travail de Mme Mélot dont nous allons suivre l'avis. La révolution numérique ayant en premier lieu affecté l'industrie de la musique, la progression de 34 % du streaming représente une mutation positive. Nous regrettons que le Gouvernement, au lieu de l'accompagner, ait tenté de supprimer la Hadopi. L'augmentation des crédits est bienvenue mais ne compense que partiellement les baisses successives des trois années précédentes. Nous voterons par conséquent contre l'adoption des crédits de cette mission.

M. Jean-Louis Carrère . - Bruno Retailleau ne félicite que l'un des rapporteurs, or tous deux ont bien travaillé !

M. David Assouline . - Bien que nous restions dans l'expectative quant au dispositif qui suivra les accords Schwartz, la réforme des aides à la presse va dans le bon sens : celui de la transparence des critères d'attribution et d'un recentrement sur les objectifs initiaux de protection du pluralisme. Le pluralisme de la presse, dans le système mis en place à la Libération, reposait sur les quotidiens locaux et régionaux qui assuraient un véritable maillage du territoire. La concentration et le rachat de journaux par des banques et de grands groupes industriels menacent l'indépendance de la presse, mais portent aussi atteinte à sa diversité et à son pluralisme. Il est indispensable de trouver des leviers pour y remédier.

Enfin, appeler à voter contre une augmentation budgétaire constitue une posture incompréhensible. Si un prochain gouvernement vous demande de voter en faveur d'un budget malgré des baisses de crédits, quelle sera votre réaction ?

M. Jacques Grosperrin . - L'augmentation de la dotation de la Hadopi représente un signe de reconnaissance de son travail après les polémiques. Doit-on conclure à son maintien, voire à son renforcement ?

M. Patrick Abate, rapporteur pour avis . - Notre rapport témoigne effectivement de notre attention aux propositions des nouveaux penseurs que vous évoquez. Julia Cagé vient au demeurant d'être nommée administratrice de l'AFP.

La concentration de la presse m'apparaît moins inquiétante que la concentration de différents médias au sein d'un même groupe. Les journalistes figés devant leur écran se multiplient, et le recours aux pigistes augmente. Notre rapport fait état de ces phénomènes et recommande que les aides à la presse soient liées à un engagement déontologique des éditeurs en la matière.

Par ailleurs, le soutien aux radios associatives locales ressort des crédits de l'audiovisuel et non de la presse.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis . - Le président de la BnF propose d'instaurer la gratuité pour les étudiants et les jeunes de 18 à 23 ans, une mesure qui représenterait un manque à gagner de 400 000 euros par an dont il demande la compensation par l'État.

Je ne m'oppose pas à des tarifs postaux réduits pour le transport postal de livres, mais cela sera difficile à obtenir alors que la presse voit ces tarifs augmenter.

Je me félicite de la dotation supplémentaire au profit des contrats territoire-lecture passés par les Directions régionales de l'action culturelle (DRAC). Mais elle ne permettra que de compenser le fait que le CNL subit une baisse de ses moyens, appelée à s'aggraver avec le déclin de la taxe sur la reprographie, qui l'oblige à limiter ses interventions dans les territoires. Une commission étudie en ce moment une réduction des taxes.

L'augmentation de 2,5 millions d'euros de la dotation de la Hadopi ne constitue qu'un rattrapage : en 2014, la Haute Autorité a dû puiser dans son fonds de roulement pour compenser une baisse de la dotation à 6 millions d'euros. Aucun progrès n'est donc à relever dans la lutte contre le piratage. Il ne faut pas voir dans l'augmentation des crédits autre chose que le maintien de la Haute Autorité.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Syndicat national du jeu vidéo

M. Julien VILLEDIEU, délégué général

Syndicat de la librairie française

M. Matthieu DE MONTCHALIN, président

M. Guillaume HUSSON, délégué général

Hadopi

Mme Marie-France MARAIS, présidente

Mme Pauline BLASSEL, secrétaire générale adjointe

Mme Mireille IMBERT-QUARETTA, présidente de la commission de protection des droits

Syndicat de l'industrie des technologies de l'information (SFIB)

M. Renaud DESCHAMPS, directeur général de Lexmark France

M. Antoine VIVIEN, vice-président de Hewlett-Packard

Deezer

M. Luc POUILLY, président du syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML)

FNAC

M. Yohann PETIOT, responsable des affaires publiques

Mme Coralie PITON, directrice de la stratégie et du livre

Centre national du livre

M. Vincent MONADÉ, président

Bibliothèque nationale de France

M. Bruno RACINE, président

Mme Sylviane TARSOT-GILLERY, directrice générale

Syndicat national de l'édition phonographique

M. Guillaume LEBLANC, directeur général

Syndicat national de l'édition

Mme Christine de MAZIÈRES, déléguée générale

ANNEXE

Audition de Mme Fleur PELLERIN, ministre de la culture et de la communication

MARDI 17 NOVEMBRE 2015

_______

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Cette traditionnelle audition sur le budget de la culture et des médias pour 2016 se tient dans des circonstances extraordinaires : c'est notre première réunion depuis les attentats qui ont si lâchement et cruellement endeuillé notre pays vendredi soir et nous ont tous profondément ébranlés. La colère se mêle en nous à l'émotion et à la compassion pour les victimes de ces attaques sans précédent : personnes décédées, blessés - si nombreux, et dont beaucoup luttent encore contre la mort - qui resteront à jamais marqués dans leur chair, familles et proches des hommes et femmes qui ont hélas croisé le chemin de ces terroristes. En janvier, ils s'attaquaient, à travers Charlie Hebdo , à la liberté de la presse, à la liberté d'expression et de création. Vendredi, ils frappaient des lieux symboliques de notre art de vivre, de ce qui soude notre communauté nationale : stade, salle de concert, terrasses de café où l'on aime se retrouver.

Nous fêtons aujourd'hui le soixante-dixième anniversaire de l'Unesco et le dixième de la convention pour la diversité culturelle. Le Président de la République a rappelé que c'est comme capitale des arts et de la culture que Paris a été choisi pour accueillir le siège de l'Unesco. Élus de la nation, nous devons porter les valeurs universelles qui symbolisent la France et être présents auprès de nos concitoyens qui doutent. Nous avons une pensée particulière pour le monde de la culture et des médias, endeuillé par le décès de techniciens, dans le groupe Vivendi et ses filiales et de journalistes. Nous sommes la commission de la jeunesse, qui a été lourdement frappée et auprès de laquelle nous nous tenons tous.

Je vous propose donc que nous respections une minute de silence. ( Toutes les personnes présentes dans la salle se lèvent et observent une minute de silence .)

Je donne la parole à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - Oui, dans ces graves circonstances, cette audition revêt une signification particulière. La France est en deuil, comme le monde de la culture, qui a payé vendredi soir un lourd tribut. C'est la culture que les terroristes ont voulu mettre à terre. Ils s'en sont pris à notre art de vivre, dont nous sommes si fiers, à notre idéal de liberté, de diversité, de mixité, d'ouverture à l'autre, d'intelligence collective... Ils s'en sont pris à toutes les valeurs qui s'épanouissent à travers notre vie culturelle et nos loisirs. Ils s'en sont pris à une génération, qui en est le symbole. À la façon dont nous donnons sens et profondeur à nos vies. Bref, à ce que nous sommes.

Face au terrorisme, la culture est une arme d'émancipation, de destruction de l'ignorance et de l'obscurantisme. Les Français sont déterminés à la mobiliser dans notre guerre contre la terreur. Les terroristes rêvent de salles désertes : il y aura toujours plus de spectacles. La protection des établissements culturels profitera des renforts policiers annoncés par le président de la République. Nous menons actuellement un audit pour identifier les besoins. Déjà, la préfecture de police redéploie ses effectifs vers les sites les plus fragiles : aucun artiste ni aucun spectateur ne doit pénétrer dans un lieu de spectacle la peur au ventre. Pour que la musique continue à se faire entendre, j'ai annoncé hier la création d'un fonds de soutien exceptionnel aux lieux de culture les plus fragiles, qui compensera les difficultés économiques et financières résultant des attentats. Et l'Assemblée nationale a adopté vendredi un crédit d'impôt pour soutenir les producteurs et les tourneurs de spectacle vivant.

Les terroristes s'en prennent à notre jeunesse et à son bouillonnement créatif. Nous allons soutenir les résidences d'artistes et les lieux intermédiaires favorables au partage de projets pluridisciplinaires. Nous financerons davantage l'enseignement supérieur de la culture, qui forme les artistes de demain : la jeunesse reste la priorité du Gouvernement, et la jeune création est la mienne depuis des mois.

Les terroristes contestent la liberté de création et rejettent celle de la presse. Nous gravons la première dans le marbre de la loi - je défendrai le projet de loi sur la liberté de la création, l'architecture et le patrimoine au Sénat début 2016 - et donnons à la seconde de nouveaux moyens pour se moderniser en réformant les aides à la presse, en renforçant les moyens et l'indépendance de l'audiovisuel public et en pérennisant le fonds de soutien aux médias de proximité pour garantir une information de qualité.

Les terroristes veulent brûler les livres. Nous élargissons les horaires d'ouverture des bibliothèques et doublons le budget des contrats territoire-lecture. Les 16 000 médiathèques de France forment le premier réseau culturel de proximité. Nous agirons fermement pour le rendre toujours plus accessible : rapprocher la culture des Français, et surtout de ceux qui s'en sentent le plus éloignés, est ma priorité.

Les terroristes rejettent la vie en bonne intelligence, la mixité : nous leur répondons par une meilleure représentation de la diversité sur scène et à la télévision et en portant notre politique en faveur de l'éducation aux arts et à la culture à son plus haut niveau. Cette ambition, nous l'avions déjà. Les attentats renforcent sa signification. Le Gouvernement continue à faire le choix de la culture, le Premier ministre l'a redit ce matin. Elle continuera à nous faire vibrer à l'unisson, à nous consoler, à nous libérer, à nous émanciper. Elle continuera à interroger le monde, à nous bousculer, à nous donner une raison d'être, à nous rendre lumineux, à faire de nous des citoyens.

Je vous propose une hausse de 2,7 % de la contribution de la nation à la vie culturelle de notre pays. Je vous propose de porter le budget du ministère de la culture à 7,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter le fonds de soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui disposera de 672 millions d'euros. La mission Culture sera dotée de 2,7 milliards d'euros.

Pour renforcer la participation de tous à la vie culturelle, les crédits affectés à la démocratisation culturelle atteindront près de 100 millions d'euros en 2016, contre 75 millions d'euros en 2012. Sur ces sommes, l'éducation artistique et culturelle représente 54,6 millions d'euros, soit 35 % de plus qu'en 2015. Ces crédits en hausse viennent notamment appuyer le retour de l'État dans le financement des conservatoires conventionnés, à hauteur de 8 millions d'euros, ou le renforcement du plan d'éducation artistique et culturelle, qui sera porté l'an prochain à 14,5 millions d'euros.

Nous créerons 65 postes supplémentaires pour accompagner l'ouverture sept jours du sept du musée d'Orsay, de Versailles et du Louvre, pour les enfants et les publics éloignés de la culture. Les territoires pourront compter sur le soutien de l'État pour développer l'accès de tous à la culture : les crédits en région augmenteront de 2,2 % par rapport à 2015 pour atteindre 780 millions d'euros. Les moyens consacrés aux pactes culturels signés avec les collectivités territoriales qui maintiennent leurs efforts en matière de culture seront renforcés.

Deuxième priorité du Gouvernement, soutenir la création, dans sa diversité et dans son renouvellement. Elle est cohérente avec la reconnaissance législative du régime de l'intermittence, qui prend en compte la spécificité des métiers du spectacle. L'intervention de l'État en faveur de la création s'élèvera à 400 millions d'euros, dont 365 millions d'euros pour le spectacle vivant et 35 millions pour les arts plastiques, soit 4 % de plus qu'en 2015.

Nous avons affecté en priorité ces crédits à la jeunesse, en consacrant en particulier plus de 7 millions d'euros à la mise en oeuvre des conclusions des Assises de la jeune création. Les moyens dédiés à la formation des artistes seront en augmentation de 4,9 millions d'euros. Pour accompagner un recrutement plus juste et plus diversifié, cette hausse viendra entre autres financer des classes préparatoires aux écoles de l'enseignement supérieur culture et l'accès aux bourses et à un logement universitaire pour les élèves de ces classes. Enfin, nous financerons à hauteur de 1 million d'euros la programmation « avant les murs » du projet Médicis Clichy-Montfermeil, emblématique de notre politique : hybridation des esthétiques, renouvellement de la création, accès de tous aux oeuvres et aux pratiques.

Nous continuerons à protéger la diversité du cinéma et à améliorer sa compétitivité en France, en stabilisant les financements que nous lui consacrons et en élargissant les crédits d'impôt. En 2016, les moyens du CNC seront stabilisés : il n'y aura ni ponction, ni plafonnement des taxes prélevées sur le marché de la diffusion audiovisuelle. Le crédit d'impôt sera amélioré pour mieux soutenir les entreprises françaises du cinéma et relocaliser les tournages sur notre territoire. Il vous est notamment proposé de l'élargir aux oeuvres tournées en langue étrangère pour des raisons artistiques, aux films d'animation et aux films à fort effet visuel. Le taux sera majoré à 30 % pour les oeuvres tournées en français et le plafond sera relevé de 4 à 30 millions d'euros pour une même oeuvre.

La troisième priorité du Gouvernement est de donner à mon ministère les moyens de son ambition à long terme. Préparer l'avenir, c'est sécuriser les outils de financement, en particulier pour l'archéologie préventive : pour stabiliser le financement des activités de l'Institut de recherches archéologiques préventives (Inrap), le projet de loi de finances budgétise la redevance sur l'archéologie préventive. Préparer l'avenir, c'est aussi préserver les crédits consacrés aux investissements : 524 millions d'euros, soit 1,5 % de plus qu'en 2015. Pour la troisième année consécutive, nous maintiendrons nos efforts en faveur des monuments historiques. Les crédits de paiement seront stabilisés et les autorisations d'engagement portées à 333 millions d'euros. Ils bénéficieront en particulier aux territoires via les services déconcentrés. Nous lancerons ou poursuivrons des chantiers importants : archives, schémas directeurs du château de Versailles, de Fontainebleau, du Centre Pompidou, relogement du Centre national des arts plastiques, réaménagement des Ateliers Berthier...

Ce budget ambitieux est à la hauteur de ce que nous devons à la culture et de ce que nous devons faire pour elle, a fortiori lorsqu'elle est prise pour cible et que les Français voient dans leur vie culturelle un acte de résistance face à la barbarie et, tout simplement, parce qu'elle est l'expression de ce que nous sommes.

Pour 2016, la mission « Médias, livre et industries culturelles » est dotée de 717 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter les 3,8 milliards d'euros que l'État consacre au compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public. »

La première ambition du Gouvernement est de donner aux médias les moyens de leur indépendance, qui passe par une sécurisation des outils de financement. Nous garantissons l'indépendance de l'audiovisuel public en asseyant ses ressources sur des recettes stables. Le financement sur crédits budgétaires sera supprimé dès 2016, avec un an d'avance. Parallèlement, le financement de l'audiovisuel public sera renforcé. Par la contribution à l'audiovisuel public d'abord, dont le produit augmentera mécaniquement de 61 millions d'euros du fait de l'inflation et de la progression du nombre de redevables. Par la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE) ensuite, qui sera portée à 1,3 % de son rendement et en partie affectée au financement de France Télévisions, dont les moyens augmenteront de 40 millions d'euros. Cet engagement est nécessaire. Même si l'Assemblée nationale a renforcé les moyens que nous leur consacrerons en 2016, il ne dispense pas les organismes de l'audiovisuel public de poursuivre les efforts de gestion qu'ils ont engagés ou de renforcer leur coopération.

Après les « accords Schwartz », nous maintiendrons les aides directes au pluralisme pour les quotidiens d'information générale et les étendrons aux périodiques. Nous maintiendrons les aides indirectes comme la TVA à taux réduit ou les aides postales à la presse d'information générale et à la presse de la connaissance et du savoir. Nous réorienterons, à terme, une partie de l'aide postale attribuée à la presse de loisir et de divertissement vers la création de médias et l'émergence de nouveaux acteurs et l'aide aux marchands de journaux, qui sont en très grande difficulté. M. Emmanuel Giannesini a été mandaté pour proposer des scénarios. Il faudra six à neuf mois pour classer les titres : 2016 sera donc une année de transition, durant laquelle je souhaite que l'ensemble de la presse magazine bénéficie d'un tarif postal dont l'augmentation sera limitée.

Le Gouvernement soutient la création, en particulier dans la musique. Après l'augmentation de la taxe affectée au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) en 2015, il a prorogé le crédit d'impôt phonographique au titre des dépenses engagées pour l'enregistrement de nouveaux talents. Cet effort, qui bénéficie surtout aux TPE et aux PME, représente 11 millions d'euros. Nous augmentons de 0,5 million d'euros les crédits que nous consacrons aux organismes de soutien à l'export. Enfin, nous pérennisons le fonds de soutien à l'innovation et à la transition numérique. Les députés ont en outre adopté un crédit d'impôt en soutien au spectacle vivant pour les tourneurs et les producteurs et amélioré le crédit d'impôt pour la création audiovisuelle.

Le Gouvernement souhaite rendre la création et les industries culturelles plus accessibles. Le financement du fonds de soutien aux médias de proximité sera pérennisé, à hauteur de 1,5 million d'euros : ils apportent un regard différent sur l'actualité et contribuent au lien social sur nos territoires. Les contrats territoire-lecture ont fait leurs preuves : ils seront dotés d'1 million d'euros supplémentaires. Enfin, le Gouvernement proposera par amendement de mobiliser la dotation générale de décentralisation pour soutenir des projets d'extension ou d'évolution des horaires d'ouverture des bibliothèques.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits « Patrimoines » . - J'étais prêt à me réjouir que les crédits du programme « Patrimoines » augmentent, au moins en autorisations d'engagement. Hélas, à la demande du Gouvernement, l'Assemblée nationale a réduit de 5 millions d'euros les autorisations d'engagement et les crédits de paiement de ce programme. Je le regrette car les communes et les départements ont les plus grandes difficultés à financer les opérations de rénovation du patrimoine. Du coup, les entreprises licencient : 300 postes en moins en 2014, 200 en 2015. Outre l'impact social, ce sont des savoirs qui disparaissent. Comment répartirez-vous ces crédits, à présent que leur montant a changé ?

Créée à l'initiative de notre ancien collègue Jean-Paul Hugot, la Fondation du patrimoine joue un rôle essentiel en faveur du petit patrimoine non protégé : en 2014, elle a lancé 24 000 opérations. En 2005, un amendement de notre ancien collègue Yann Gaillard lui avait affecté une partie des successions en déshérence. Cette ressource atteignait, bon an mal an, 8 à 12 millions d'euros. Cette année, elle n'est que de 4 millions d'euros. Allez-vous intervenir auprès de Bercy pour remédier à cette situation ?

Vous avez annoncé l'ouverture sept jours sur sept du Louvre, de Versailles et du musée d'Orsay, et je m'en réjouis. Vous annoncez pour cela la création de 65 postes supplémentaires. Comment seront-ils financés ? Le Centre des monuments nationaux (CMN) m'informe qu'il s'est préparé pour réaliser quelque 30 millions d'euros de travaux dans la centaine de monuments qu'ils gère, mais qu'il ne disposera guère que de 20 millions : pourquoi une telle restriction, qui fera reporter des chantiers dans les monuments historiques . Le CMN propose, dans certains cas, de sortir du plafond d'emplois les vacations saisonnières, afin que certains établissements puissent rester ouverts plus longtemps. Il faudrait par exemple ouvrir l'Arc de Triomphe plus tôt le matin et certains monuments au-delà de 18 heures l'été. Est-ce envisageable ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits « Création et cinéma » . - Je veux dire mon émotion et ma peine après ce qui s'est passé vendredi soir, dans un quartier où je vis depuis trente ans et dont je suis élu. Pour tous ceux qui ont l'habitude de traverser ces rues, de s'arrêter pour prendre un café, d'aller au concert, c'est un choc. Peu de personnes, dans ce quartier, ne connaissent pas une ou plusieurs victimes. Les barbares qui ont tué, indiquent dans leur revendication qu'ils ont ciblé ce lieu pour frapper ce qui est vivant, ce qu'ils détestent, comme le montre bien le film d'Abderrahmane Sissako : pour eux, même le football, même la musique sont interdits.

Après la consolidation de l'an dernier - et, hélas, les baisses des deux années précédentes - je me réjouis que ce budget soit en hausse, car la culture est un antidote à l'obscurantisme et la meilleure réponse au défi qui nous est lancé. Dans un moment de délitement social, de doute, et même en période de restrictions budgétaires, il faut mettre le paquet. C'est ce que vous faites, madame la ministre : 27 millions d'euros supplémentaires pour la transmission des savoirs, 15 millions d'euros de plus, par rapport à la trajectoire triennale, pour le programme 131 « Création » - ce qui est rassurant car la loi LCAP arrive prochainement au Sénat. Satisfecit , donc.

J'ai procédé à une quinzaine d'auditions qui m'amènent à vous demander des précisions. Le plan Création artistique, issu des Assises de la Jeune création, prévoit 15 millions d'euros de mesures nouvelles, inscrites au programme 131. S'agit-il bien de mesures nouvelles ? On m'a signalé que la définition des lignes budgétaires et la répartition des crédits n'étaient pas toujours claires. Si les 2 millions d'euros supplémentaires pour le plan SMAC (scènes de musiques actuelles) sont clairement fléchés, on ne sait pas bien où vont aller les 2 millions d'euros prévus pour les « lieux intermédiaires ». Pouvez-vous nous citer des exemples ?

De même, les crédits pour la structuration professionnelle dans les arts plastiques s'élèvent à 640 000 euros, mais le tiers irait à l'organisation d'un Prix de mode. Pourquoi pas, mais quel rapport avec la structuration professionnelle - fondamentale - dans un secteur qui est souvent le parent pauvre du budget ? Du reste, les histogrammes à double échelle du dossier de presse sont trompeurs... Où en est le projet de convention collective pour les arts plastiques ? Je sais que vous sollicitez depuis deux ans le ministère du travail sur ce dossier et qu'il ne répond pas. Comment pouvons-nous progresser ?

Vous avez annoncé, à Arles, la création du Conseil national de la photographie : très bien. Pourquoi ne pas en faire, plus largement, un Conseil national des arts visuels ? Le décret est très attendu. Après de grandes difficultés les années précédentes, la situation s'est améliorée cette année pour les festivals. Certains restent néanmoins fragiles et cette fragilité les menace de disparition. Quel effort concret avez-vous prévu pour les aider ?

M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis des crédits « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » . - L'Assemblée nationale a réduit de 10 millions d'euros les crédits de la mission, dont 5 sur le programme 224. Quels sont les domaines concernés ? Vous avez reconnu que le retrait de l'État des conservatoires avait été une erreur et présentez cette année un plan conservatoires de 13,5 millions d'euros, soit 8 millions de plus que le plancher atteint l'an passé : comment comptez-vous répartir ces fonds ? Quelle réforme des procédures de classement envisagez-vous ?

Dans les écoles d'art territoriales, le processus licence-maîtrise-doctorat (LMD) fait monter les exigences. Vous prévoyez des crédits pour les écoles d'architecture : quid des écoles d'art ? Où en est le projet d'un statut des professeurs des écoles supérieures d'art territoriales ? Contrairement à leurs congénères des écoles d'architecture, les étudiants en écoles d'art n'accèdent pas à la mobilité internationale sur critères sociaux et, lorsqu'ils atteignent le troisième cycle ou le post-diplôme, n'ont pas accès aux bourses sur critères sociaux s'ils ne sont pas dans un cursus universitaire. Envisagez-vous la création d'un diplôme national de troisième cycle spécifique aux écoles d'art et qui confère le statut d'étudiant ?

Mme Fleur Pellerin, ministre . - Les crédits consacrés aux monuments historiques bénéficient d'abord aux régions. Grâce à la subvention du ministère et à son fonds de roulement, le CMN pourra mener à bien les 30 millions d'euros de travaux prévus en 2016. Ces opérations étant disséminées sur le territoire, elles sont aussi financées par des crédits déconcentrés. Nous ferons en sorte que la baisse porte sur les crédits qui ont le moins d'impact sur notre politique patrimoniale. Je souligne toutefois que mon ministère jouit d'un traitement très favorable, puisque son effort se limite à 12 millions d'euros, sur un budget global de près de 3 milliards d'euros. L'effort portera sur de grosses opérations de l'État et n'aura guère d'impact sur leur réalisation, si ce n'est, à la marge, sur leur calendrier.

La Fondation du patrimoine est effectivement un partenaire précieux de mon ministère. La Cour des comptes a salué sa gestion en 2013 et relevé que son action n'aurait pas été possible sans des financements publics pérennes. Je suis dont très attentive à la contraction des ressources issues des successions en déshérence. La Fondation se mobilise pour y faire face mais je n'ai pas encore de réponse à vous apporter sur ce point, sur lequel j'ai d'ores et déjà entamé une discussion avec le ministère des finances.

L'ouverture sept jours sur sept des grands établissements était un objectif de longue date : il s'agit de créer un jour d'ouverture à destination des jeunes ou des publics les plus éloignés de la culture. Pour la mettre en oeuvre, mon ministère bénéficie de 65 créations nettes d'emplois, de la sanctuarisation de vingt emplois qui devaient être supprimés au Louvre et du maintien du budget de fonctionnement des trois établissements concernés. Le solde des créations d'emplois pour les opérateurs du programme 175 est positif même sans les emplois évoqués, qui n'ont donc pas été financés au détriment d'autres secteurs.

En 2016, le CMN a bénéficié de 27 créations d'emplois pour consolider son réseau. S'agissant d'un opérateur de l'État, le déplafonnement massif du plafond d'emplois est juridiquement impossible. J'en ai beaucoup discuté avec Philippe Bélaval et je continue à réfléchir à la question. Pour l'heure, aucune concertation n'a été engagée avec le personnel, et le CMN se concentre sur des opérations exceptionnelles comme celle de l'hôtel de la Marine... Cela dit, les monuments les plus visités sont déjà très largement ouverts : l'Arc de Triomphe l'est jusqu'à 23 heures.

Les moyens nouveaux pour le spectacle vivant comportent 3 millions d'euros pour les compagnies nationales, 2,5 millions d'euros pour revitaliser les résidences d'artistes et 2 millions d'euros pour favoriser les lieux intermédiaires qui offrent à la fois des espaces de production, de diffusion, de répétition et de fabrication numérique, comme la Friche la Belle de Mai par exemple. Ces tiers-lieux, hybrides, ne sont pas toujours bien pris en compte par les cadres traditionnels du ministère et je souhaite les promouvoir. Le développement du compagnonnage est encouragé à hauteur de 500 000 euros, comme le préconisaient les Assises de la jeune création. Les compagnies qui ne sont pas au plancher bénéficieront de 2 millions d'euros, et 500 000 euros seront consacrés à la création de pôles européens de production. Enfin, 2 millions d'euros iront à l'achèvement du plan SMAC.

M. David Assouline, rapporteur pour avis . - Pourquoi n'y a-t-il pas de SMAC à Paris ?

Mme Fleur Pellerin, ministre . - C'est une question légitime. Nous privilégions les lieux où l'offre culturelle permet moins de traiter de nouvelles esthétiques.

Les nouveaux moyens consacrés aux arts plastiques renforceront la commande publique dans les territoires les moins bien pourvus. Ils contribueront aussi au soutien aux institutions d'art contemporain en région et favoriseront la politique de résidence et l'engagement de l'élaboration des schémas des arts visuels.

Oui, une convention collective des artistes plasticiens est indispensable. L'initiative en revient toutefois aux partenaires sociaux : ils y travaillent et je les appelle à intensifier leurs négociations. J'espère que leurs réunions, actuellement interrompues, reprendront dans les meilleurs délais, et j'appuierai personnellement leurs propositions auprès de la ministre du travail. La structuration des professions dans les arts plastiques est importante, car les professionnels de ce secteur sont souvent des travailleurs indépendants, qui ne bénéficient donc pas des outils forgés par le paritarisme. Depuis 2012, le ministère a accentué le dialogue et la concertation avec les associations qui les représentent et ouvert plusieurs chantiers complexes, dont la réforme du régime social des artistes auteurs. Nous avons toujours soutenu l'Association nationale de développement des arts de la mode (Andam), qui décerne un prix - essentiellement doté par les partenaires privés - aux jeunes créateurs, dont la situation est très difficile. Emmanuel Macron et moi-même avons confié à Lyne Cohen-Solal une mission sur l'enseignement supérieur, la formation professionnelle et la structuration du secteur de la mode ainsi que sur l'accompagnement des jeunes entreprises. Elle présentera ses conclusions en décembre lors d'un comité stratégique de filière.

J'ai décidé de la création d'un Conseil national de la photographie, qui verra le jour début 2016. Ce parlement de la photographie rassemblera tous les acteurs pour identifier les problématiques communes et formuler des propositions pour y répondre. En attendant, une mission de concertation est en cours sur les questions sensibles : salaire minimum des photojournalistes, droits réservés, droits d'auteur, protection sociale, délais de paiement...

La saison dernière s'est bien passée pour les festivals, dont certains ont enregistré des records d'affluence. Pour autant, nous devons rester attentifs. C'est pourquoi j'ai confié à Pierre Cohen la mission d'identifier les difficultés. Je prépare une circulaire clarifiant les critères d'intervention du soutien de l'État. Du reste, seule une centaine de festivals sur plusieurs milliers bénéficient de son aide. Un comité de rédaction associant France Festivals, Profedim et le Syndicat national des scènes publiques s'est réuni au printemps dernier pour proposer un texte qui fera l'objet d'une concertation.

Le rabot de 5 millions d'euros sur le programme 224 ne portera pas sur nos priorités en matière d'éducation artistique et culturelle. Les économies seront rendues possibles par de décalages dans les projets d'investissement, par exemple à l'école d'architecture de Marseille ou à celle de Bordeaux, ce qui ne remettra pas en cause la priorité assignée à la démocratisation de la transmission des savoirs.

Nous consacrons 8 millions d'euros supplémentaires au plan de soutien aux conservatoires, avec un volet ambitieux d'éducation et de formation artistiques en faveur de la jeunesse, de la diversité artistique et culturelle et de l'irrigation culturelle des territoires. La révision des critères d'intervention de l'État en faveur des conservatoires est menée par un groupe de travail du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC). Les pistes de travail portent sur la mise en oeuvre de pratiques pédagogiques innovantes, le développement des pratiques collectives, la diversification de l'offre artistique, le développement de projets en réseau entre les différents lieux d'enseignement artistique et la mise en oeuvre d'une politique sociale en faveur de l'ouverture au plus grand nombre. Le groupe de travail mène une consultation à l'issue de laquelle il me rendra des propositions, sur le réengagement financier comme sur la révision des critères de classement. Dès la semaine prochaine, associations représentatives du secteur, enseignants, parents d'élèves, directeurs de conservatoires et autres acteurs partenaires seront entendus.

Conformément à l'article 85 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, le Gouvernement a évalué les conditions d'un alignement du statut des professeurs territoriaux d'enseignement artistique sur celui des professeurs des écoles nationales supérieures d'art. Ce rapport, transmis au Parlement en avril, préconise la création d'un statut spécifique reprenant les missions et la grille indiciaire des seconds et la convergence des conditions de recrutement, à bac+5. Cette réforme coûterait entre 1,5 et 2,5 millions d'euros. Le ministère de la culture sollicitera les ministères de la fonction publique, du budget, de l'intérieur et de l'enseignement supérieur afin d'élaborer ce nouveau statut. Le 30 octobre, à Lyon, je me suis engagée à m'impliquer personnellement dans ce dossier.

Un plan de financement en cours de finalisation prévoit 500 000 euros supplémentaires pour consolider et préfigurer la création de troisièmes cycles dans les écoles d'art. L'aide du ministère de la culture, à hauteur de 25 000 euros par troisième cycle, est systématiquement complétée par les collectivités territoriales partenaires, voire d'autres institutions. Une aide particulière est prévue pour l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba), l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) et l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (Enssib), qui n'avaient pas été accompagnées au moment du passage au système LMD.

Mme Marie-Christine Blandin . - Vos paroles sur les difficultés du monde de la culture font plaisir. Votre engagement gagnerait à être accompagné de celui de certaines sociétés de perception et de gestion des droits d'auteur, qui dorment sur des milliards quand les salles de spectacle sont en détresse. Si elles n'ont pas la main sur le coeur, nous pourrions avoir la main sur la loi.

Les mesures votées par l'Assemblée nationale minorent votre élan positif de 0,17 %. Il serait question que le couperet tombe plus fort sur le patrimoine et la transmission des savoirs, à hauteur de 0,47 %. J'ai bien entendu que le rabot n'entamerait pas les parcours d'éducation artistique et culturelle, auquel nous tenons beaucoup. En octobre, vous avez dit qu'il fallait rééquilibrer les champs d'intervention pour être en phase avec la société. Nous sommes tous d'accord pour ouvrir les musées et soutenir les lieux d'élite pour tous. Nous sommes lettrés, contre la barbarie, mais certaines personnes ne nous suivent pas dans cet élan vers la culture. Je plaide pour les musiques actuelles : les SMAC, qui ne sont pas présents sur tout le territoire, ne suffisent pas. Il faut des lieux de répétition, de pratique musicale, qu'ont choisie 80 % des Français. Le pourcentage du budget qui leur est alloué est ridicule.

L'augmentation que vous avez portée pour tout le spectacle vivant laisse de côté le domaine des arts du cirque, organisé autour de douze pôles nationaux. Ils ne coûtent pourtant pas cher et sont au plus près des quartiers.

Mme Françoise Férat . - Les crédits en faveur des monuments historiques sont certes maintenus, mais l'État doit soutenir les églises classées qui ne lui appartiennent pas. Dans la Marne, elles sont souvent dans un état sanitaire alarmant, car le coût de leur entretien est trop élevé : imaginez ce que représente 700 000 euros de travaux pour une commune de 150 habitants ! Il faut attendre parfois longtemps une décision favorable de la Drac pour engager les travaux et obtenir le financement lié du département. Les monuments qui appartiennent à l'État reçoivent des fonds en priorité, bien sûr, mais n'oublions pas les autres. Nous allons démolir des églises classées, ce qui est parfaitement insoutenable... Sans compter que de l'activité et des emplois sont en jeu.

M. Jean-Louis Carrère . - Posez donc votre question !

Mme Françoise Férat . - Enfin, le régime fiscal des monuments historiques dit Malraux, profondément réformé par la loi de 2014, le sera à nouveau dans le projet de loi de finances et la LCAP. Vous avez, j'imagine, pris connaissance des propositions du rapport de notre collègue Vincent Eblé sur la dépense fiscale et la préservation du patrimoine historique bâti. Pouvez-vous nous indiquer quelques pistes sur l'application de cette fiscalité ?

Mme Colette Mélot . - Vous avez communiqué sur la croissance du budget en 2016, or celle-ci intervient après une lourde ponction de 4 % en 2013 et de 2 % en 2014 et une stagnation en 2015. En mai, le Premier ministre a même reconnu que la baisse du budget de la culture avait été une erreur. À périmètre constant, les crédits alloués à la culture en 2016 restent inférieurs à ceux de 2012.

Mme Christine Prunaud . - Je me suis entretenue avec le président du Conseil national du livre (CNL), où je représente notre assemblée. Sa situation est très fragile en raison, notamment, de la diminution des taxes de reproduction. Que pensez-vous de la proposition de prélèvement sur l'édition des livres émise par le CNL ?

Mme Françoise Laborde . - Un crédit d'impôt vise à soutenir le cinéma sur tout le territoire. Existe-t-il une ligne budgétaire spéciale pour inciter au tournage de films dans les territoires ruraux ? Des emplois secondaires pourraient être créés. Le CNC décide-t-il seul du maintien des subventions aux festivals de cinéma ? Je pense à celui de Luchon, dont la subvention a beaucoup baissé sous prétexte que le CNC a moins d'argent - ce qui serait de notre faute !

Mme Marie-Pierre Monier . - Je salue l'augmentation des crédits. La budgétisation de la redevance d'archéologie préventive (RAP), très positive dans le contexte de rigueur budgétaire, sécurisera un financement extrêmement aléatoire qui fragilisait l'Inrap et les autres opérateurs, publics ou privés. Élue d'un territoire rural, je suis attachée à la vitalité des offres culturelles et à la sauvegarde du patrimoine culturel local, qui représente souvent un enjeu économique pour les communes. Le budget du patrimoine monumental a baissé drastiquement depuis 14 ans, avant de remonter légèrement l'an dernier et cette année. Je me réjouis que 70 % des crédits soient destinés à des opérations en région. Réserver l'ouverture de certains musées aux scolaires un jour par semaine est aussi très positif. Les subventions aux musées nationaux sont en légère hausse, après neuf années de baisse. Je regrette cependant que le rééquilibrage des crédits en faveur des musées de province amorcé en 2015 ne soit pas confirmé en 2016. La budgétisation de la RAP financera-t-elle les opérations d'archéologie préventive menées par les collectivités ayant reçu l'agrément, et ce financement remettra-t-il sur pied l'Inrap ?

Mme Fleur Pellerin, ministre . - Hier j'ai annoncé la création d'un fonds d'urgence pour soutenir les petits opérateurs privés, notamment les petites salles qui vont connaître des difficultés avec les annulations de ces derniers jours. Lors de ma rencontre avec le CNV, j'ai invité les sociétés de perception et de répartition des droits à participer à ce fonds. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) a annoncé qu'elle y consacrera 500 000 euros ; la société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) y participera aussi, pour un montant qui sera connu le 26 novembre à l'issue de la réunion de son conseil d'administration.

Je partage la nécessité d'un rééquilibrage des interventions, géographique et esthétique. J'incite les grandes institutions parisiennes à systématiser leur intervention en dehors de l'Île-de-France, puisqu'elles perçoivent une grande partie du budget de la culture. Je souhaite que l'ouverture à des esthétiques nouvelles soit abordée dans le dialogue avec les conservatoires sur les 8 millions d'euros supplémentaires engagés. La création d'un diplôme d'enseignement supérieur de danse hip-hop fait partie de cette ouverture. La priorité à l'éducation artistique et culturelle passe aussi par la reconnaissance de ces nouvelles esthétiques. Nous consacrons 27 millions d'euros aux musiques actuelles, dont 12 millions d'euros aux SMAC ; plusieurs ouvriront prochainement, à Annonay, Sainte-Croix Volvestre, Mont-de-Marsan et Bergerac. Un nouveau pôle d'arts du cirque ouvrira prochainement à Châlons-en-Champagne. La loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine reconnaît les circassiens comme professionnels du spectacle, ce qui leur octroie de nouveaux droits sociaux.

L'effort de l'État en faveur du patrimoine religieux s'élève à 100 millions d'euros par an. L'État prend en charge 40 à 50 % du coût des travaux, en fonction du potentiel fiscal des communes. La Fondation du patrimoine contribue elle aussi activement à sa conservation, par des campagnes efficaces de mécénat populaire. L'association La Sauvegarde de l'art français joue également un rôle important en aidant les propriétaires d'édifices religieux antérieurs à 1800. Les petites communes dotées de monuments importants peuvent faire appel aux services de l'État pour une assistance à maîtrise d'ouvrage ou pour sécuriser les Trésors.

Le rapport Eblé fait des propositions très intéressantes sur la fiscalité, sur lesquelles mes services travaillent déjà. Le dispositif Malraux sera maintenu pour les espaces protégés et les nouvelles cités historiques.

Le budget du ministère de la culture dépasse 1 % du budget général. Nous pouvons financer nos priorités. Nous bénéficions d'une augmentation considérable des moyens alloués, auxquels il faut ajouter les crédits d'impôt. Je suis donc très satisfaite.

Le niveau du fonds de soutien du CNC, qui a baissé depuis plusieurs années, sera stabilisé en 2016. Le soutien à la diffusion et au rayonnement reste une priorité. L'examen des festivals est mené au cas par cas, chaque année : le CNC peut reconsidérer sa position d'une année sur l'autre.

Le crédit d'impôt pour la relocalisation des tournages concerne l'ensemble du territoire. De nombreux pôles d'excellence ont été créés, en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, à Annecy... L'installation de tournages est aussi souvent liée à l'accompagnement de la région. Les conseils régionaux doivent être sensibilisés pour que le territoire rural soit attractif. Notons que ces crédits d'impôt portent déjà leurs fruits.

La RAP a fait l'objet de quatre réformes depuis sa création, mais aucune n'a jamais offert un rendement suffisamment régulier pour assurer le financement de l'archéologie préventive. La gestion de ce dispositif étant excessivement complexe, j'en ai obtenu la budgétisation à hauteur de son plafond, soit 118 millions d'euros, comme le préconisait le rapport de Martine Faure. Le budget 2016 assure une sécurisation sans précédent à l'Inrap, aux collectivités territoriales et au Fonds national pour l'archéologie préventive (Fnap). La taxe est maintenue selon le principe aménageur-payeur, mais directement reversée au budget général. Les collectivités territoriales qui réalisent des diagnostics se voient attribuer une subvention de 10 millions d'euros - montant jamais atteint ces dix dernières années. Le Fnap est doté de 35 millions d'euros pour participer au financement des fouilles liées à des aménagements d'intérêt général.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Abordons les questions portant sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

M. Patrick Abate , rapporteur pour avis des crédits « Presse» . - Les accords Schwartz entre l'État, la Poste et les éditeurs de presse relatif à l'aide postale arrive à échéance le 31 décembre 2015. Vous avez annoncé en juin que le reciblage des aides à la presse sur l'aide au pluralisme modifierait le dispositif en profondeur. La baisse des crédits associés fait craindre une augmentation conséquente des tarifs postaux pour les publications jugées non prioritaires. Si l'on peut comprendre la philosophie de cette réforme, ne craignez-vous pas qu'elle porte un coup fatal à la solidarité indispensable entre familles de presse, qui fonde, depuis la loi Bichet, l'ensemble du système de distribution ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis des crédits « Livre et industries culturelles » . - Les ressources issues de la taxe sur la reprographie, dont dispose le CNL, sont en érosion et la taxe sur les éditeurs pâtit d'un très faible rendement. L'opérateur se verra, en 2016, dans l'obligation de limiter le champ de ses interventions, pourtant essentielles, en faveur du livre et de la lecture. Envisagez-vous d'affecter de nouvelles ressources au CNL ?

M. Jean-Pierre Leleux , rapporteur pour avis des crédits « Audiovisuel » . - La nécessité d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) fait consensus, mais elle est encore différée. C'est dommage. La baisse continue du nombre de téléviseurs va rendre plus aléatoire le montant de la recette procurée par la CAP. Une réforme sera-t-elle possible en 2017 ? Seriez-vous d'accord pour que le Gouvernement rende un rapport au Parlement sur la possibilité d'une réforme « à l'allemande », conduisant à une perception sur l'ensemble des ménages, formule qui recueille le soutien des dirigeants des sociétés de l'audiovisuel public et des syndicats ? Vous compensez l'absence de réforme par une augmentation de la taxe sur les opérateurs, de 0,9 à 1,3 %. L'affectation des 0,9 %, si elle était effective, serait suffisante pour régler certains problèmes.

Quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux recommandations du rapport de la Cour des comptes d'avril 2015 sur Radio France ? Pourquoi le projet de contrat d'objectifs et de moyens ne prévoit-il ni la réforme des formations musicales ni la fusion des rédactions qui auraient évité de renvoyer le retour à l'équilibre des comptes à 2018 ?

L'augmentation des ressources propres de France Télévisions à travers les droits attachés à la production est une priorité pour réduire le besoin de financement public. Le Gouvernement envisage-t-il des modifications législatives à brève échéance pour que les diffuseurs puissent faire évoluer leur modèle économique ?

Avez-vous engagé, à la demande de Radio France, une modification du périmètre de la publicité, comme je l'ai entendu ? Quelle serait-elle ?

Mme Claudine Lepage , rapporteur pour avis des crédits « Audiovisuel extérieur » . - Le 8 avril, TV5 Monde était frappé par une cyberattaque de grande ampleur. Quelles conséquences le Gouvernement en a-t-il tiré ? Une telle attaque pourrait-elle se reproduire, sur une autre société de l'audiovisuel public ? Quels sont les moyens mobilisés pour la cybersécurité ?

France 24, RFI et TV5 Monde disposent d'importants moyens d'information. Comment seront-elles associées au projet de chaîne d'information en continu de France Télévisions ? Compte tenu des difficultés de définition du projet, un lancement en septembre 2016 est-il encore réaliste ? Pourrait-on envisager un lancement début 2017, afin de doter cette chaîne d'une équipe, d'une identité, de moyens et d'un mode de diffusion adaptés ?

Mme Corinne Bouchoux . - Qu'envisagez-vous pour régler la question de la dette viscale de Mediapart et d'Arrêt sur images due au taux différentiel de TVA entre presse papier et médias en ligne ? Quid du critère de respect des droits réservés des photographes, que l'on spolie allègrement ? À quand sa prise en compte dans l'octroi des aides à la presse ? Il n'y a pas de raison d'aider une presse qui spolie ses photojournalistes. Quelles sont les raisons de la hausse du budget d'Hadopi ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis . - J'avais préparé un amendement créant un crédit d'impôt pour les séries télévisées, sur le modèle de ce qui existe pour le cinéma. De plus en plus, il s'agit de la même industrie, des mêmes acteurs, des mêmes moyens et de la même tendance à la délocalisation des tournages, d'où la nécessiter d'inciter au rapatriement des tournages en France. L'Assemblée nationale l'a voté : elle en a relevé le taux, ainsi que le plafond. Je serai vigilant à ce que cette modification ne soit pas supprimée au Sénat.

Nous sommes partisans de l'élargissement de l'assiette de la redevance afin de pérenniser ce qui représente quasiment la seule ressource du service public, faute de rétablissement de la publicité après 20 heures. Faisons en sorte que cette ressource ne décline pas. L'engagement de ne pas augmenter les impôts ne doit pas empêcher d'apporter une réponse globale pour pérenniser ces recettes. Je doute de l'avenir du service public sans réforme de la CAP. Le financement du service public par l'impôt garantit son indépendance.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Lors du débat sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique, le Gouvernement avait accepté d'ouvrir des négociations avec les opérateurs techniques de diffusion pour indemniser leur préjudice, et annoncé que des crédits seraient inscrits dans un texte budgétaire d'ici la fin de l'année. Où en sont ces négociations ? Cette inscription est-elle toujours envisagée ?

Les événements récents nous rappellent à quel point le combat pour la liberté d'expression et la diffusion de nos valeurs dans le monde sont essentiels. Trois scénarios portant sur les ressources de France Médias Monde sont envisagés. Nous assurez-vous que vous soutiendrez le troisième, qui prévoit une progression moyenne annuelle des ressources de 2,1 %, quand les deux autres prévoient un maintien voire un tassement des moyens ?

Mme Fleur Pellerin, ministre . - Le Gouvernement a mandaté M. Emmanuel Giannesini pour proposer des pistes sur la sortie des accords Schwartz, à partir de 2016. Les arbitrages, en cours, seront partagés avec vous. C'est au nom de la solidarité entre les familles de presse que nous avons choisi de ne pas distinguer les taux de TVA, contrairement à des pays voisins ; cette solidarité en est la contrepartie. La soutenabilité tarifaire sera au coeur des décisions du Gouvernement. 2016 sera une année de transition puisque le classement des titres entre presse de loisirs et du savoir prendra six à neuf mois - il n'est pas question de distinguer entre bonne et mauvaise presse, mais de décider de l'allocation des deniers publics. Pendant cette année, je souhaite que l'ensemble de la presse magazine bénéficie d'un tarif postal le plus proche possible de l'inflation, et qu'il soit connu au plus vite.

Nous avons constaté la baisse brutale et préoccupante du rendement des taxes alimentant le CNL. Pour en analyser les causes et proposer des solutions, j'ai demandé, avec le ministre des finances, un rapport à l'Inspection générale des affaires culturelles et au Contrôle général économique et financier. Nous l'attendons dans les jours qui viennent. Sans attendre, le CNL doit construire son budget en tenant compte de la tendance constatée en 2014 et 2015. Des pistes plus structurelles, comme une modification de l'assiette des taxes, pourront être envisagées en 2016.

Les modes d'accès à la télévision ont très fortement évolué, l'accès se faisant de plus en plus par Internet et non plus grâce à une antenne râteau. L'affectation à l'audiovisuel public d'une partie de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques tient compte de cette évolution. Le succès commercial des offres à haut et très haut débit tient largement à la circulation des oeuvres, il n'est donc pas illogique que les opérateurs économiques qui en bénéficient contribuent à financer la création. Plusieurs pistes de réforme de la contribution à l'audiovisuel public ont été étudiées. Les choix doivent être les plus consensuels possibles, conjuguer justice sociale et modernité. Nous continuons à travailler sur les différentes hypothèses ; le Parlement sera associé à ces réflexions en temps utile.

Conformément à ses engagements, l'État apporte à Radio France une dotation en capital de 55 millions d'euros pour l'achèvement du chantier de rénovation de la maison de la radio. La dotation d'investissement est de 25 millions d'euros sur trois ans, pour un retour à l'équilibre en 2018. Nous avons clarifié les priorités stratégiques de Radio France dans le projet de contrat d'objectifs et de moyens. J'ai dit mon attachement à la complémentarité des antennes, au soutien à la création, à la musique, à l'éducation de la jeunesse à l'information, et à la stratégie numérique de l'entreprise, afin que les valeurs du service public restent au coeur de l'action de Radio France. J'ai dit à son président, en avril, qu'il fallait réformer les formations musicales, y compris dans leur dimensionnement et leur organisation, pour plus que jamais faire rayonner la culture de notre pays. Nous avons besoin de plus de musique, plus de spectacle, dans la période actuelle. La fusion des deux orchestres n'a pas été retenue dans le projet de contrat d'objectifs et de moyens : ce serait affaiblir l'offre musicale pour des économies incertaines. M. Stephan Gehmacher, directeur musical de la Philharmonie de Luxembourg, missionné par Radio France, a formulé des recommandations avant l'été. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens prévoit la mise en place de services transverses, dans le respect des identités de chaque antenne. La diversité fait partie de l'ADN de Radio France : il faut faire attention au risque d'uniformisation et préférer une démarche pragmatique au mécano institutionnel.

J'ai dit, à mon arrivée au ministère, que nous devions faire de la production audiovisuelle, notamment de fiction, une priorité. Depuis janvier, je travaille avec tous les acteurs pour renforcer cette filière, en soutenant la création - audace et innovation font partie de la feuille de route de Delphine Ernotte - mais aussi le rayonnement de la création française, et en travaillant à un meilleur partage des risques entre producteurs et diffuseurs. J'ai engagé, à cette fin, une négociation sur l'amélioration de la transparence dans ce secteur, dont je souhaite qu'elle aboutisse rapidement à un accord professionnel. De même, j'ai inscrit des dispositions législatives sur ce sujet dans le projet de loi que je porte. J'ai également engagé un rééquilibrage des relations entre producteurs et diffuseurs, notamment par le décret du 27 avril qui accorde aux diffuseurs la possibilité de prendre des parts de coproduction sur les oeuvres indépendantes qu'ils financent largement. Il faut accompagner la mutation des activités des diffuseurs, qui souhaitent une plus grande implication. Des discussions sont en cours entre France Télévisions et les organisations de producteurs. Ces évolutions doivent être menées sans bouleverser la production indépendante, qui doit être forte et ambitieuse. Aussi, je me réjouis que l'Assemblée nationale ait renforcé le crédit d'impôt en faveur de la fiction, en revalorisant le taux de 20 à 25 % et augmentant les plafonds, et j'espère qu'il sera confirmé par le Sénat. Nous démontrons ainsi notre volonté de soutenir la production audiovisuelle.

Le Gouvernement souhaite ouvrir le régime publicitaire à tous les annonceurs, par souci de sécurité juridique, tout en encadrant la durée horaire des publicités, y compris pendant la tranche matinale. Une consultation publique était ouverte jusqu'au 1 er novembre. L'objectif est de maintenir le chiffre d'affaires publicitaire au niveau observé ces dernières années, soit 42 millions d'euros. Il n'est pas question d'augmenter le volume de publicité.

Concernant le projet de chaîne publique d'information continue : dès le mois de mars, nous avons tracé les orientations stratégiques de France Télévisions. Nous avons besoin d'une information pluraliste, indépendante, décryptant le monde contemporain. Les complémentarités entre les organismes de l'audiovisuel public sont importantes. L'offre publique d'information était l'un des sujets du comité stratégique de l'audiovisuel public, qui s'est tenu le 21 octobre. Différents sujets d'intérêt commun y ont été abordés. La présidente de France Télévisions présentera son projet en fin d'année, afin de le lancer à la rentrée 2016. Ce calendrier ambitieux traduit la mobilisation des acteurs concernés. Le Parlement sera étroitement associé à ce chantier.

La cyberattaque dont TV5 Monde a été victime, le 8 avril, a été particulièrement violente. La réaction extrêmement rapide des équipes techniques et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a prévenu la destruction totale de ses infrastructures informatiques. Les organismes de l'audiovisuel public ont intégré les recommandations de l'Anssi. J'ai souhaité qu'ils réfléchissent en commun aux moyens de renforcer leur cybersécurité. La reconstruction du système d'information de TV5 Monde et le renforcement de sa sécurité informatique coûtera 4,9 millions d'euros en 2015, 2,9 millions d'euros en 2016, puis 2,4 millions d'euros par an. Nous avons accepté le redéploiement en cours d'année de 1,2 million d'euros destinés à l'acquisition de programmes français vers les frais communs, confirmé l'augmentation de 0,7 million d'euros de la dotation de TV5 Monde en 2016 et lui avons laissé le bénéfice intégral de l'économie fiscale de 1,7 million d'euros lié à son financement par la contribution à l'audiovisuel public.

Le budget de la Hadopi est effectivement en hausse : il sera de 8,5 millions d'euros en 2016. Cet effort significatif intervient après des années où la haute autorité a largement puisé dans son fonds de roulement. Il s'agit donc d'un rattrapage qui lui permettra de maintenir le périmètre de ses missions actuelles.

Je rappelle l'attachement du Gouvernement au taux de TVA super-réduit sur l'ensemble de la presse, imprimée ou en ligne. La Commission européenne a infléchi sa position. Nous continuons d'appuyer le souhait de la Commission de faire évoluer la directive sur la TVA dès 2016 dans le sens de la neutralité fiscale - sujet soumis à l'unanimité des États membres. Le Gouvernement poursuit son oeuvre de conviction sur la substituabilité entre presse imprimée et en ligne. Il ne m'appartient pas d'interférer dans la situation fiscale de Mediapart , mais j'espère qu'il trouvera une solution avec l'administration fiscale afin de passer cette période délicate pour sa trésorerie.

Le résultat des enchères sur les fréquences de la bande des 700 MHz ont été très positives. Le Gouvernement, soucieux des conséquences économiques sur les opérateurs de diffusion, privilégie la voie du compromis en matière d'indemnisation. L'Inspection générale des finances a été saisie pour évaluer l'impact de ces opérations sur le marché de la diffusion. Les négociations, confidentielles, sont toujours en cours. Des propositions financières ont été adressées aux opérateurs. Je sais la détermination de M. Emmanuel Macron, comme du Premier ministre, à faire aboutir ces négociations. L'engagement du Gouvernement sera tenu, l'objectif restant le dépôt d'un amendement au projet de loi de finances pour 2016 au Sénat, ou au projet de loi de finances rectificative pour 2015. Cette mesure pourrait prendre la forme d'une hausse de l'enveloppe de 27,3 millions d'euros affectée à l'Agence nationale des fréquences (ANFR).

La dotation de France Médias Monde augmentera de 2 millions d'euros en 2016. S'y ajoute un effet fiscal favorable de 3,4 millions d'euros en 2016. En hausse de 2 %, le financement des chaînes est solidement assuré. Le contrat d'objectifs et de moyens, en cours de négociation, vous sera soumis pour avis rapidement. Nous discutons des différents scénarios avec les ministères des affaires étrangères et des finances. Nous choisirons l'option la plus respectueuse des missions de service public de France Médias Monde.


* 1 Les repères statistiques du Syndicat national de l'édition en France 2014-2015.

* 2 « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME » - Rapport d'information n° 82 (2015-2016).

* 3 La Bibliothèque publique d'information (BPI) ne conduit pas de politique de numérisation d'ampleur nationale.

* 4 Le montant des travaux était estimé à 211 millions d'euros en 2011.

* 5 « Ils ont tué mon disque ! » - Benjamin Petrover - First Editions - janvier 2015.

* 6 Le chiffre d'affaires de la musique enregistrée en France aurait, pour la première fois depuis 12 ans, augmenté pour atteindre 493 millions d'euros, soit une légère augmentation de 0,8 % par rapport à 2012.

Plutôt qu'un véritable retour à la croissance, le marché de la musique enregistrée a, plus vraisemblablement, connu dans son ensemble une stagnation en 2013, rendue possible par la sortie de quelques albums d'artistes ou groupes ( Daft Punk, Stromae ), qui ont rencontré un succès exceptionnel.

* 7 Une clause d'effort était demandée aux entreprises les plus importantes, consistant à ne prendre en compte, dans la base de calcul du crédit d'impôt, que les dépenses pour les seules productions qui excédaient la moyenne, après application d'une décote de 70 %, des productions au titre des deux derniers exercices.

* 8 Les pratiques de consommation des jeux vidéo des Français (2 e semestre 2013) - Les études du CNC - Octobre 2014.

* 9 « Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires » - Rapport d'information n° 852 (2012-2013).

* 10 La Hadopi : totem et tabou - Rapport d'information n° 600 (2014-2015).

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