D. LES CESSIONS DE CAPITAL DES AÉROPORTS RÉGIONAUX

Alors que le marché des « aéroports de métropole d'équilibre » est en pleine croissance en Europe et dans le monde, l'État lance des opérations de privatisation à marche forcée .

Dans cette perspective, la cession de parts au capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac se voulait être une privatisation modèle susceptible d'attirer les investissements chinois en France. Les conditions hasardeuses de sa mise en oeuvre devraient cependant inviter l'État à plus de prudence .

1. L'opération rocambolesque de Toulouse-Blagnac

En avril 2015, l'État a officiellement entériné la cession de 49,99 % de la société Aéroport Toulouse-Blagnac (ATB) 27 ( * ) , gestionnaire du terminal de la Ville rose jusqu'en 2046, pour un montant de 308 millions d'euros (73 985 actions coûtant 4 163 euros chacune). Une option de vente de 10,01 % de capital supplémentaire (14 814 actions) « à l'expiration d'une période de trois ans et pendant une période de six mois renouvelable une fois » est également prévue dans l'arrêté 28 ( * ) . L'État concédant reste propriétaire du foncier et des infrastructures aéroportuaires.

Cette transaction permet au consortium chinois Symbiose , dont l'offre était supérieure d'environ 50 millions d'euros à celle des deux concurrents menés par ADP et Vinci , de prendre officiellement le contrôle de la gouvernance de l'aéroport. Ce consortium regroupe le fonds d'investissement hongkongais Friedmann Pacific Asset management et le groupe public Shandong High Speed Group spécialisé dans la construction et la gestion d'infrastructures de transport.

L'opération transite par la société de droit français CASIL Europe , dont le président, Poon Ho Man (connu sous le nom de Mike Poon), a mystérieusement disparu au mois de juin 2015 , sur fond d'accusations de corruption dans une enquête sur la compagnie aérienne China Southern Airlines , à laquelle la société de leasing d'avions China Aircraft Leasing ( Calc ), dont il était PDG, a loué des appareils.

Si Mike Poon n'a pas réapparu, il a en revanche démissionné du conseil de surveillance d'ATB (mais pas de la présidence de CASIL Europe) par courrier au mois de septembre. Ce conseil de surveillance est présidé par Anne-Marie Idrac, tandis que Jean-Michel Vernhes a conservé la présidence du directoire.

D'un point de vue opérationnel, cette cession a suspendu le projet d'extension de 5 000 m² entre les halls A et B de l'aéroport. Un nouveau projet de développement est en préparation, sachant que les nouveaux investisseurs ne cachent pas leur ambition de faire de Toulouse-Blagnac un hub destiné aux compagnies chinoises pour acheminer les touristes vers le sud de la France et le sud de l'Europe. L'objectif des nouveaux actionnaires est de tripler le trafic passagers de 7,5 millions aujourd'hui à 18 millions à l'horizon 2046.

Votre rapporteure ne s'oppose pas par principe à l'arrivée d'investisseurs chinois, qui portent de grandes ambitions pour le développement économique de cet aéroport. Elle s'interroge cependant sur l' opportunité de privatiser les aéroports régionaux, qui sont des monopoles naturels , au risque de commettre les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières .

D'un point de vue géopolitique, cela revient également à céder progressivement nos infrastructures critiques à la Chine, qui a déjà largement déployé cette stratégie en Grèce, notamment avec la prise de contrôle emblématique du Port du Pirée en 2010. Il ne faudrait pas que la privatisation de l'aéroport de Toulouse se transforme en capitulation économique des intérêts de la France.

2. De nouvelles cessions envisagées à Nice et Lyon

Quelque mois après Toulouse-Blagnac, l'État envisage de céder presque simultanément ses parts au capital des aéroports de Nice (11,6 millions de passagers en 2014) et Lyon (8,4 millions de passagers), respectivement troisième et quatrième aéroports français (derrière Roissy - Charles de Gaulle et Orly).

Cette fois, l'État pourrait céder en une seule fois la participation majoritaire (60 %) qu'il détient dans les sociétés aéroportuaires Aéroports de la Côte d'Azur (Nice et Cannes-Mandelieu) et Aéroports de Lyon (Lyon-Saint Exupéry et Lyon-Bron), aux côtés des chambres de commerce et d'industrie (25 %) et des collectivités territoriales (15 %). Les valorisations pourraient atteindre respectivement 1,5 milliard et 900 millions d'euros . Comme à Toulouse, l'État conserverait la propriété des terrains, des bâtiments et la régulation de l'activité.

Reste une interrogation sur le calendrier , dans la mesure où une cession quasi concomitante des deux aéroports pourrait entraîner une compétition interne, à laquelle s'ajoute la vente du London City Airport annoncée cet été.

Pour l'heure, l'État a engagé une concertation avec les collectivités locales , afin d'élaborer le cahier des charges de ces opérations. Les appels d'offres n'ont donc pas encore été lancés, aucune candidature ni offre n'a été déposée pour le moment, même si de nombreux acquéreurs potentiels ont manifesté leur intérêt.

Votre rapporteure se félicite que le cadre juridique de ces opérations ait été clarifié par la loi Macron, en offrant davantage de garanties aux collectivités territoriales concernées . Elle s'interroge en revanche sur la multiplication des privatisations d'aéroports , principalement dictées par l'urgence de la contrainte budgétaire, et veillera à ce que les intérêts de la Nation soient effectivement préservés, comme cela est annoncé.

LE CADRE JURIDIQUE DES OPÉRATIONS DE CESSIONS À LYON ET NICE

La cession des participations majoritaires détenues par l'État au capital des sociétés de gestion des aéroports de Nice et de Lyon a été autorisée par l'article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite « loi Macron ») : seul le capital des sociétés concessionnaires, chargées de l'exploitation de ces aéroports, sera ouvert ; les infrastructures aéroportuaires ainsi que le foncier demeureront la propriété de l'État concédant.

L'État conservera en outre des pouvoirs étendus pour contrôler l'activité des sociétés (en matière d'investissements, de qualité de service, d'environnement, d'horaires d'ouverture, etc.) et s'assurer de la bonne prise en compte des objectifs d'intérêt général et du respect des missions de service public . Dans le cadre de ses prérogatives de régulateur, l'État devra par ailleurs approuver chaque année les tarifs des redevances des aéroports concernés.

Chacune de ces deux cessions fera l'objet d'une p rocédure d'appel d'offres sur cahier des charges , placée sous le contrôle de la Commission des participations et transferts, qui est l'autorité indépendante chargée de superviser les opérations de cession menées par l'État. Cette procédure ouverte, transparente et non-discriminatoire, permettra à l'État d' assurer la meilleure valorisation de son patrimoine , tout en permettant d'intégrer des critères industriels et sociaux répondant aux intérêts des autres actionnaires publics locaux (CCI, collectivités territoriales). Une telle procédure répond en outre aux contraintes juridiques au regard du droit national et européen.

Le cahier des charges de chaque procédure fixera les critères que devront respecter les acquéreurs potentiels (projet industriel et social, ratio de levier maximum, engagement de stabilité du nouvel actionnaire, etc.). L'État veillera ainsi, dans la structuration de chaque opération, à ce que les investisseurs potentiels présentent un projet industriel, social et territorial cohérent , conforme aux intérêts de l'aéroport et de ses collaborateurs et tenant compte des attentes des actionnaires publics locaux .

Enfin, l'article 191 de la loi Macron prévoit que les candidats doivent disposer d'une expérience « en tant que gestionnaire d'aéroport ou actionnaire d'une société gestionnaire d'aéroport », et que le cahier des charges devra préciser « les obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire concerné en matière d'attractivité et de développement économique et touristique » ainsi que « les obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l'aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales sur le territoire desquelles il est installé ainsi qu'avec les collectivités territoriales actionnaires ».

À ce jour, l'État a engagé une phase de concertation préalable avec les actionnaires publics locaux (CCI, collectivités territoriales) des sociétés concernées, afin d'identifier avec eux les modalités de mise en oeuvre de ces opérations. Dès lors qu'ils s'engagent à ne pas concourir à l'appel d'offres, l'État associera également les actionnaires publics locaux à l'élaboration du cahier des charges de ces appels d'offres. Les actionnaires publics locaux pourront également, s'ils le souhaitent, apporter leurs titres à une cession aux côtés de l'État.


* 27 Arrêté du 15 avril 2015 fixant les modalités de transfert au secteur privé d'une participation détenue par l'État au capital de la société Aéroport Toulouse-Blagnac.

* 28 Le solde de 40% du capital appartient aux collectivités territoriales : 25 % pour la CCI de Toulouse, 5 % pour le Conseil Régional Midi-Pyrénées, 5 % pour le Conseil Départemental de la Haute-Garonne et 5 % pour la Communauté urbaine Toulouse Métropole..

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