TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE MME SYLVIA PINEL, MINISTRE DU LOGEMENT, DE L'ÉGALITÉ DES TERRITOIRES ET DE LA RURALITÉ

Réunie le jeudi 22 octobre 2015, la commission a entendu Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Jean-Jacques Filleul, président . - Le Sénat, représentant des territoires, accorde une importance particulière à l'aménagement du territoire et se tient à l'écoute des élus et de nos concitoyens. Nos territoires sont divers : urbains, périurbains, ruraux, littoraux, montagneux. Certains sont bien desservis, d'autres enclavés ; certains sont en croissance, d'autres en déclin. Cette diversité est une force et un facteur d'attractivité touristique.

Cependant, les habitants des territoires ruraux se heurtent, dans leur vie quotidienne, à de multiples difficultés : disparition des services publics, problèmes d'accès aux soins, fracture numérique, désindustrialisation suscitent un sentiment d'abandon sur lequel nous nous sommes exprimés à de nombreuses occasions.

C'est à ces préoccupations qu'a répondu la réunion des deux comités interministériels aux ruralités qui se sont tenus aux mois de mars et septembre ; c'est le sens de la politique que vous menez en faveur de l'égalité des territoires. Je vous cède la parole pour nous exposer vos crédits pour 2016 et les grandes lignes de votre politique.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité . - C'est avec plaisir que je vous présente les grandes orientations relevant de mes attributions en matière d'égalité des territoires et de ruralité. L'intense activité de mon ministère ces derniers mois trouve sa traduction budgétaire dans le projet de loi de finances.

Deux comités interministériels aux ruralités se sont tenus cette année, le 13 mars à Laon et le 14 septembre à Vesoul, sous l'égide du président de la République et du Premier ministre. La plupart des contrats de plan État-Région (CPER) ont été signés au cours de l'année. Ils illustrent l'investissement de l'État, à moyen et long terme, aux côtés des collectivités locales, pour l'emploi, la croissance et l'innovation. Enfin, nous avons réuni le Conseil national de la montagne, le 24 septembre à Chamonix.

Les crédits du programme 112, dit « d'impulsion et de coordination de la politique d'aménagement du territoire », se répartissent ainsi : 60 % pour les CPER, 13 % pour la prime d'aménagement du territoire (PAT), 12 % pour la section générale du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), et 14 % pour les dépenses de fonctionnement, dont le soutien au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), à Business France et les fonctions support. Ces crédits s'élèvent à environ 192 millions d'euros, soit un montant stable en matière de capacités d'engagement et une baisse de 4 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.

Dans un contexte budgétaire contraint, la signature des CPER constitue un engagement important de l'État, levier essentiel de la croissance et de l'emploi. Une enveloppe de 12 milliards d'euros sera mobilisée d'ici 2020. En 2016, les crédits CPER représentent 60 % du programme 112, soit un effort de 115 millions d'euros.

Le volet territorial accompagne les zones rurales par le soutien aux initiatives en matière d'accès aux services ou encore de projets numériques.

Les crédits de la prime d'aménagement du territoire (PAT) sont stabilisés à 25 millions d'euros. Dernier régime autorisé d'aide directe de l'État aux entreprises, elle est strictement encadrée par les directives européennes et son éligibilité limitée aux seules zones prioritaires dites zones d'aide à finalité régionale. Pour 2016, les crédits s'établissent à un niveau comparable à 2015, compte tenu des annulations intervenues en gestion pour financer la lutte contre le terrorisme. L'abaissement des seuils d'éligibilité que j'ai mis en oeuvre l'année dernière a favorisé l'accès des PME à cette aide. À ce stade, 25 dossiers ont été subventionnés pour près de 14 millions d'euros et 1 733 créations d'emplois prévues. Malgré une montée en puissance tardive, nous arriverons à épuiser ces crédits.

Le FNADT contribue, lui aussi, au développement solidaire et harmonieux des territoires. Il assure notamment le financement des pôles d'excellence ruraux, des maisons de santé pluridisciplinaires ou encore de l'expérimentation du projet de revitalisation des 54 centres-bourgs sélectionnés en 2014.

Enfin, le CGET, créé l'année dernière, apporte désormais son expertise à la politique que je mène en faveur de l'égalité des territoires.

Le programme budgétaire ne porte pas, à lui seul, les crédits de l'État en faveur de l'aménagement du territoire et des ruralités : les mesures contribuant à cette politique qui s'inscrivent dans les documents de politique transversale s'élèvent à 5,5 milliards d'euros, sans compter les aides fiscales. C'est notamment le cas de dispositions adoptées lors des deux comités interministériels aux ruralités, sur le logement, le numérique, la santé, l'éducation ou encore l'agriculture : le premier comité interministériel aux ruralités en a adopté 46, pour plus de 1 milliard d'euros ; le second les a évaluées et a proposé 21 mesures supplémentaires représentant 580 millions d'euros. Certaines de ces dispositions sont déjà opérationnelles.

La philosophie de ces deux comités interministériels s'articule autour de trois principes : garantir l'accès aux services, améliorer les capacités de développement des territoires ruraux - enjeu primordial en termes d'attractivité et de dynamisme économique - et assurer la mise en réseau des territoires pour dépasser les logiques de concurrence et favoriser la coopération entre les différents échelons.

Quelques actions majeures, en guise d'illustration. Pour garantir à tous l'accès aux services, nous souhaitons créer mille maisons de services au public. Un objectif qui sera atteint fin 2016 grâce à la sécurisation du financement de ces structures, notamment par la mise à contribution des opérateurs et le partenariat engagé avec La Poste. Entre 2015 et 2017, l'État finance ces maisons à hauteur de 21,5 millions d'euros, soit 25 % du total, via le FNADT. Un montant équivalent est apporté par les opérateurs - La Poste, la SNCF, ERDF, Pôle emploi, l'assurance maladie, la MSA - à travers un fonds spécifique. La part des collectivités s'élève à 43 millions d'euros, c'est-à-dire les 50 % restants, soit par un financement direct, soit via le fonds de péréquation postal.

Dans la même logique, le gouvernement s'est engagé à atteindre le nombre de mille maisons pluridisciplinaires de santé d'ici 2017 : 708 sont en service, contre 170 en 2012, et une centaine sont en construction.

Sur le numérique et la téléphonie mobile, premières préoccupations de nos concitoyens et des élus locaux en matière d'infrastructures, le Gouvernement articule son action autour de quatre priorités. La première est le raccordement au très haut débit des territoires ruraux, avec 87 départements engagés dans le plan France Très haut débit (THD). La deuxième vise à améliorer le réseau mobile par la résorption des zones blanches en 2G d'ici fin 2016 et par la couverture des 3 600 centres-bourgs non couverts en 3G d'ici la mi-2017. Afin que les opérateurs remplissent leurs obligations, la loi a renforcé le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). La troisième est l'ouverture d'un guichet unique pour accompagner les projets en dehors des centres-villes. Enfin, la couverture mobile à l'intérieur des logements sera améliorée grâce aux solutions nouvelles apportées par les opérateurs.

L'article 41 du projet de loi de finances élargit à 30 000 communes le bénéfice du prêt à taux zéro pour l'achat de logements anciens à réhabiliter, expérimenté en 2015 dans 6 000 communes rurales. Sa généralisation à toute la zone C en améliorera la visibilité, la lisibilité, la simplicité et surtout l'efficacité. Il s'agit d'encourager l'accession à la propriété, la réhabilitation des centres anciens et de lutter contre l'étalement urbain. La durée d'occupation obligatoire du logement en tant que résidence principale sera réduite de 25 à 6 ans, afin de rendre encore plus attractif un dispositif qui devrait créer environ 15 000 emplois dans le bâtiment, notamment pour les TPE et les artisans.

Plus globalement, le Gouvernement souhaite donner aux centres-bourgs, qui jouent un rôle indispensable dans le maillage de nos territoires, les moyens de leur dynamisme. Nous avons lancé, en 2014, une première expérimentation consistant à octroyer à 54 communes de moins de 10 000 habitants des crédits d'ingénierie spécifiques du FNADT et de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Afin d'amplifier cette politique, nous avons annoncé, lors du dernier comité interministériel, une enveloppe de 300 millions d'euros dédiée à la revitalisation des centres-bourgs et des villes de moins de 50 000 habitants. Elle constitue une partie du fonds de soutien à l'investissement local, doté de 1 milliard d'euros, dont la moitié bénéficiera aux ruralités. En outre, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) est réévaluée de 200 millions d'euros.

J'ai appuyé le développement de l'ingénierie publique en réponse à une demande exprimée par les élus locaux lors des Assises de la ruralité et de mes nombreux déplacements. Nous élaborons une directive nationale d'orientation qui fait suite au dispositif Aider (Appui interministériel au développement et à l'expertise en espace rural) : destiné aux collectivités en fort déficit d'ingénierie, il est constitué d'agents des corps d'inspection de l'État mis à disposition des préfets pour des missions pouvant aller jusqu'à deux ans.

Enfin, le dispositif expérimental des contrats de réciprocité traduit notre objectif de valorisation des liens et des complémentarités entre territoires. Il s'agit de faire émerger des intérêts partagés entre le rural et l'urbain, que l'on oppose trop souvent.

La réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) répond à la nécessité de rendre plus simple et plus juste ce classement qui ne correspond plus à la réalité de nos campagnes et peut être contesté juridiquement, l'arrêté de 2013 n'ayant pas été actualisé. Trois principes guident cette réforme : l'efficacité, la simplification et la justice. Le classement sera établi à l'échelle intercommunale selon un double critère de densité de population et de revenu par habitant. Les avantages liés à celui-ci seront également simplifiés et rapprochés du dispositif de la politique de la ville.

La montagne, enfin, fait l'objet de la feuille de route annoncée par le Premier ministre lors du Conseil national du 25 septembre, qui reprend les propositions formulées dans le rapport des députées Annie Genevard et Bernadette Laclais et s'articule autour de trois axes : l'amélioration de la qualité de vie dans ces territoires, leur développement à l'aune de la transition énergétique et la modernisation de l'organisation et de la gouvernance.

Tous les territoires méritent l'attention de la puissance publique : zones rurales, mais aussi périurbaines. J'ai confié à Frédéric Bonnet, grand prix de l'urbanisme 2014, la mission de repenser le développement de ces zones pour répondre concrètement aux enjeux.

Notre politique en faveur de l'aménagement des territoires est, par essence, partenariale, transversale et interministérielle. Mon ministère assure la mise en cohérence de l'ensemble de ces actions, dont certaines s'inscrivent hors du cadre du programme 112.

M. Jean-Jacques Filleul, président . - Merci de ces précisions. Il y a beaucoup de mesures, malgré un budget contraint. Où en est-on de la création de mille maisons de services au public, annoncée lors du comité interministériel, et notamment du partenariat avec La Poste ? Quel bilan tirez-vous de la modification de la PAT en 2014 ?

M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Je vous remercie pour les éléments que vous nous avez transmis sur le programme 112. Force est de constater que les crédits dédiés aux territoires ne cessent de baisser. Dans ces conditions, comment les annonces faites en comité interministériel, notamment à Vesoul, se traduiront-elles dans le budget ?

On prévoit 1 milliard d'euros pour le Fonds de soutien aux initiatives locales (FSIL) en autorisations d'engagement, mais seulement 150 millions d'euros en crédits de paiement. Comment expliquez-vous ce décalage ?

La refonte des critères des ZRR, mises en place il y a 25 ans, était nécessaire. Nous souhaitons que le Parlement y soit associé. Certains sortiront d'un dispositif qui apportait une aide précieuse aux artisans, d'autres y entreront, ce qui nécessitera un accompagnement.

Les crédits sont constants, dites-vous. Ce n'est pas mon avis, quand 17 % des autorisations d'engagement et 10 % des crédits de paiement sont en baisse. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les modifications réglementaires destinées à conforter le dispositif en faveur des entreprises.

La revitalisation des centres-bourgs est une excellente initiative. De plus en plus, on fait ses courses dans les grandes surfaces des périphéries, vidant les centres-bourgs de leurs commerces. L'opération lancée en 2015 n'a retenu que 54 communes sur les 300 éligibles. Est-ce par manque de crédits ? Il faut redonner un élan à ces zones. Le financement de l'ingénierie doit s'accompagner d'une relance des centres-bourgs, et nous souhaitons être associés aux choix. Prenons modèle sur les pôles d'excellence rurale, mis en place par des comités de désignation composés pour moitié d'élus.

Le programme 112 prévoit 2 millions d'euros pour les maisons de santé pluridisciplinaires. Y aura-t-il des moyens supplémentaires ?

Je ne reviens pas sur la couverture numérique, nous avons auditionné Mme Lemaire hier.

Enfin, les aides au programme de traitement des déchets en Corse ont été très importantes, pour des résultats limités. Ces crédits sont mal utilisés, en raison, semble-t-il, de problèmes d'infrastructures. Prévoyez-vous une mobilisation des crédits demandés pour 2016 ? Peut-être conviendrait-il de mettre sur pied une mission sur le sujet.

M. Claude Bérit-Débat . - J'adresse mes félicitations à Mme la ministre, qui montre que le Gouvernement prend le problème de la ruralité à bras le corps. Ce n'est pas avec des propos déclinistes que nous nous en sortirons, mais en considérant le monde rural comme une chance, et en cessant de l'opposer à l'urbain. Il y a une solidarité entre ces deux mondes, entre lesquels que les intercommunalités font l'interface.

Je me félicite des mesures prises concernant la DSR et la DTER. Deux interrogations cependant sur la politique en direction des centres-bourgs : comment étudiez-vous les dossiers, en fonction de quelles priorités ? Certes, 54 communes c'est peu, mais c'est le propre de l'expérimentation. Avez-vous des objectifs chiffrés en matière de prêts à taux zéro ? C'est une mesure efficace pour permettre à des primo-accédants d'acquérir des biens à rénover, et participer ainsi à la revitalisation des centres-bourgs. Voilà des mesures qui vont dans le sens du développement durable : mieux vaut aménager l'existant que construire en périphérie, avec les conséquences que cela implique en matière de transport et d'émissions. Je salue la politique déterminée qui est menée en faveur du logement et des territoires ruraux.

M. Jean-François Longeot . - J'attire votre attention sur la disparition progressive d'un service de proximité dont le rôle est primordial dans les territoires ruraux : les stations-service traditionnelles, dont le nombre est passé de 35 000 en 1985 à 6 000. Il faut parfois parcourir plus de 30 kilomètres pour en trouver une ! Ces stations-service servent aussi de dépôt de pain, de supérette, contribuant à renforcer le lien social. Leur disparition entraîne celle des zones de commerce de proximité, victimes des hypermarchés.

M. Michel Raison . - Quand on fait le plein dans un hypermarché, on fait le vide ailleurs !

M. Jean-François Longeot . - À la concurrence des grandes surfaces, qui représentent aujourd'hui 61 % des ventes de carburant, s'ajoutent des prix de l'essence en baisse, une fiscalité en hausse, des mesures environnementales toujours plus coûteuses et des marges d'exploitation toujours plus faibles. Nombre de ces stations ne trouvent pas de repreneur. Les aides mises en place en 1984 ont pris fin en 2014. Le comité interministériel a annoncé une aide de 12,5 millions d'euros au titre de 2015 pour traiter ce dossier, or cette disposition ne figure pas dans le projet de loi de finances. Qu'en est-il ?

M. Jean-Claude Leroy . - Merci pour cet exposé clair qui, en montrant que les annonces ont été suivies d'effet, répond aux demandes des Assises de la ruralité et dément certaines critiques récentes.

En tant que pôle d'équilibre entre l'agglomération et les territoires ruraux, le bourg-centre doit être pris en compte dans la politique de rééquilibrage et de redynamisation des territoires. Certes, l'ingénierie est importante, mais il convient également de refondre la dotation globale de fonctionnement, en tenant compte des importantes charges de centralité des communes. Nous allons dans la bonne direction.

La refonte des critères de classement en ZRR apporte, après un débat passionné, une clarification bienvenue. Le dispositif a été harmonisé et rendu cohérent. Les associations d'élus devront pouvoir contribuer à la redéfinition des critères d'éligibilité. Renvoyer à un décret en Conseil d'État n'était sans doute pas la démarche la plus pertinente, mais je veux dire ma satisfaction devant ce budget.

M. Michel Raison . - J'ai eu la satisfaction de voir la ministre nous rendre visite à Vesoul - comme dans la chanson de Jacques Brel - accompagnée, vision exceptionnelle, par le Président de la République et par onze de ses collègues. Malheureusement, ma satisfaction s'arrête là : gouvernement après gouvernement, le peuple souffre avant tout d'un excès de communication et d'un déficit d'actes. Je cherche ce milliard tant annoncé : est-il dissous dans la DETR ou le FNADT, ou au contraire ciblé ? Je ne m'explique pas la baisse de la dotation. Le milliard vient-il s'y ajouter ? Non, puisque les crédits à l'aménagement du territoire baissent année après année. Il faut dire la vérité aux Français, aussi désagréable soit-elle.

Cesser d'opposer la ville à la campagne ? Je vous rejoins là-dessus, mais pourquoi avez-vous maintenu un comité interministériel aux ruralités pour les campagnes, et un comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté pour les villes ? Ma préférence irait à un commissariat général à l'équité territoriale, plutôt qu'à l'égalité - je ne suis pas un libéral, et les territoires, certains naturellement avantagés, d'autres naturellement handicapés, ne seront jamais égaux. L'aménagement du territoire consiste à les rééquilibrer au mieux. Il y a des montagnes riches, comme le massif du Doubs et le Jura dans ma région, et des montagnes pauvres, comme en Isère, qui bénéficiaient du Fonds d'intervention pour l'autodéveloppement en montagne (Fiam), aujourd'hui assimilé au FNADT. Les spécificités des crédits associés seront-elles maintenues ?

Seulement 2 millions d'euros ont été alloués aux maisons de santé pluridisciplinaires, qui plus est en application d'un engagement antérieur. J'ai soutenu l'amendement proposé par le rapporteur pour avis à la loi Santé - que j'avais déjà défendu jadis à l'Assemblée nationale -, mais il n'a pas été adopté. Le Parlement n'a pas saisi cette occasion pour agir en faveur de l'équilibre territorial. Nous n'avons même pas plafonné les aides pour les zones sur-dotées... Aussi modeste soit-il, nous devons tirer parti du levier que constituent les maisons de santé.

Je souhaite que les 12 millions d'euros accordés au titre de l'accompagnement aux sites de défense soient validés et facilement mobilisables pour compenser les baisses ou suppressions d'effectifs.

Mme Nelly Tocqueville . - En tant que représentante d'un département très rural et maire d'une commune rurale, j'apprécie l'engagement du gouvernement en faveur de l'égalité - ou de l'équilibre - des territoires. C'est de nature à nous redonner espoir et à nous permettre d'envisager des actions plus significatives.

Les territoires ruraux, dans leur diversité, sont une richesse pour notre pays. Ne les opposons pas aux zones urbaines, d'autant que les ruraux sont eux aussi des acteurs de l'économie des villes.

Peut-on en savoir plus sur les crédits de la mission « Politique des territoires », et sur les mesures qui relèvent des documents de politique transversale ?

Mme Évelyne Didier . - J'aurai l'occasion de dire en séance tout le mal que je pense de la baisse des crédits - comme chaque année. Difficile de porter une politique dans ce contexte. Nous soutenons depuis longtemps un rééquilibrage de la DGF : un habitant des villes reçoit à ce titre deux fois plus qu'un habitant des champs. L'égalité complète est impossible, mais il convient d'établir au moins des critères équitables.

Le milliard annoncé pour l'investissement ne viendra pas d'un seul tenant, mais il a le mérite d'exister. Comment sera-t-il distribué ? Les collectivités ne peuvent investir que quand elles disposent de capacités d'autofinancement ; or la baisse de la dotation diminue ces capacités, et partant les possibilités d'investissement. Je connais nombre de communes qui seraient ravies d'émarger à ce fonds d'investissement !

Même si les budgets concernés sont modestes, il y a une cohérence dans les politiques que vous décrivez : encouragement aux primo-accédants, réhabilitation des centres-bourg, aide à l'ingénierie, elle aussi bienvenue : pour l'avoir vécu dans une commune de 2 500 habitants, je sais combien il est complexe de monter des projets. Les contrats de réciprocité sont eux aussi une mesure intelligente, et nous attendons avec intérêt les conclusions de la mission sur le périurbain confiée à Frédéric Bonnet - qu'il serait utile d'auditionner au terme de ses travaux.

Quant aux critères de classement en ZRR, nous le savons tous : moins il y a d'argent, plus il y a de critères ! Rendre ces critères trop pointus risquerait d'écarter des projets innovants, dynamiques et utiles pour les territoires. Ne soyons pas trop rigides !

M. Jean-François Longeot . - Très bien !

Mme Sylvia Pinel, ministre . - Je remercie l'ensemble des intervenants. Ces questions sont la preuve de l'implication de votre commission sur un sujet qui nous rassemble et qui, en tant qu'élue locale, ne m'est pas étranger. Merci pour votre ton, qui témoigne de votre volonté de travailler dans l'intérêt général, dans l'intérêt des territoires.

Pourquoi accélérer le déploiement des maisons de services au public ? Il est capital de maintenir dans les territoires une présence de ces services de proximité, au besoin en utilisant les nouvelles technologies pour éviter des déplacements longs et coûteux pour une simple formalité ou quelques minutes d'entretien. Mes déplacements dans votre magnifique département de la Haute-Saône, monsieur Raison, ont confirmé l'importance de ces opérateurs : le point visio-public permet par exemple de contacter facilement la caisse d'allocations familiales ou le conseiller Pôle Emploi.

D'ores et déjà, 365 maisons de services au public sont ouvertes, et une centaine ouvriront d'ici la fin de l'année. Notre objectif d'un millier fin 2016 sera atteint grâce à une mise à contribution des opérateurs, au premier chef La Poste. Les retours du terrain attestent de leur fréquentation et de la satisfaction des usagers. Nous allons renforcer le rôle d'animation et de coordination du préfet qui est en charge, avec les élus, de choisir les sites d'implantation. La Poste nous a signalé de nombreux bureaux qui pourraient être transformés en maisons de services au public, mais une concertation est indispensable entre les élus et les services de l'État pour inscrire ces implantations dans une stratégie territoriale.

Nous avons modifié le dispositif de la PAT en 2014 pour tenir compte des directives européennes, abaissant également le seuil d'éligibilité pour faciliter l'accès aux PME. Après une période d'adaptation, nous allons atteindre les objectifs et la totalité des crédits devrait être consommée cette année. 25 dossiers ont été retenus pour un montant total de 14 millions d'euros et 1 733 créations d'emplois ; 60 % de ce montant ira à des projets d'extension et 40 % à des créations.

Avec 25 millions d'euros, les crédits sont équivalents à ce qu'ils étaient en 2015, compte tenu des annulations de crédits en gestion pour financer la lutte contre le terrorisme.

La traduction budgétaire des annonces du comité interministériel est supérieure à 1,5 milliard d'euros, le total des mesures en faveur de l'aménagement du territoire s'élevant à 5,5 milliards d'euros en 2016. Les crédits du programme 112 s'élèvent à 192 millions d'euros. Les mesures issues du premier comité interministériel aux ruralités alimentent le document de politique transversale à hauteur de 370 millions d'euros pour le logement à travers le prêt à taux zéro, l'appel à manifestation d'intérêt pour les centres-bourgs et les interventions de l'Anah, 140 millions d'euros pour le très haut débit, 24,6 millions pour la santé, 20 millions pour l'agriculture, 15 millions pour les pôles d'excellence touristique et 14 millions d'euros pour les maisons de services au public. Les mesures du second comité interministériel alimentent des crédits pour 580 millions d'euros.

Le fonds d'investissement représente 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 150 millions de crédits de paiement, car la réalisation de ce type de projets prend du temps. Nous accordons donc 15 % la première année, 15 % la suivante et ainsi de suite. Les régions procèdent de la même manière.

J'ai répondu la semaine dernière à une question d'actualité sur la suppression des ZRR. Nous ne l'envisageons pas, bien au contraire. Les ZRR ont été créées par la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005, qui ciblait les territoires peu denses, avec un dispositif d'exonérations fiscales et sociales représentant 235 millions d'euros sur huit ans, pour faciliter l'investissement et le développement des entreprises dans les territoires ruraux. Les critères d'alors ne correspondent plus à la réalité. Certaines communes ont été classées en zones de revitalisation parce que leur population déclinait, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le critère du taux d'agriculteurs n'est pas pertinent, il n'est pas toujours un indice de fragilité : de même qu'il y a une montagne riche, il y a des agriculteurs qui vivent bien. Je rappelle également le risque juridique lié à l'arrêté de 201 » ; des contentieux sont en cours.

C'est pourquoi j'ai annoncé une réforme du dispositif, sur la base de rapports d'inspection et du rapport de la mission d'information d'Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier. Ses principes ont été annoncés à l'occasion du comité interministériel de septembre dernier : le classement en ZRR sera établi sur une base intercommunale, afin d'éviter les effets de concurrence au sein des intercommunalités, et pour une durée alignée sur celle des mandats municipaux. Il dépendra de deux critères : la densité de population et le revenu par habitant. Nous ciblons ainsi environ 13 600 communes en difficulté, contre près de 4 600 actuellement. À critères constants, si plus de 2 000 communes sortent du dispositif, elles garderont le bénéfice des exonérations d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés, ou des exonération de charges sociales pour les organismes d'intérêt général - Ehpad ou structures d'aide à la personne -, sur la durée prévue initialement. Les inquiétudes des associations d'élus, consultées en amont, ont ainsi été levées. Nous finalisons les contours de la réforme, qui sera inscrite au projet de loi de finances rectificative pour 2015.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - La réforme a donc été concertée.

M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Pas avec les parlementaires !

Mme Sylvia Pinel, ministre . - Certains représentants des élus locaux sont aussi parlementaires... À toutes fins utiles, mon cabinet est à votre disposition.

S'agissant des centres-bourgs, l'expérimentation que nous avons lancée a pris la forme d'un appel à projets à l'attention d'un vivier de 300 communes : nous avions annoncé qu'une cinquantaine seraient retenues. Mais compte tenu de l'importance que j'accorde à cette politique, 300 millions d'euros ont été débloqués pour pérenniser le mécanisme. J'ai donné instruction aux préfets d'accompagner ces 300 communes candidates, qui bénéficieront de la DETR et des dispositifs pilotés par l'Anah. Vu l'appétence des élus locaux, le dispositif va être élargi. Une précision sur l'expérimentation : les 54 communes lauréates ont été choisies en toute transparence par un jury indépendant composé pour partie d'élus locaux, dont certains étaient à l'époque parlementaires, de tous bords.

M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Il est regrettable que la commission de l'aménagement du territoire du Sénat n'y ait pas été associée.

Mme Sylvia Pinel, ministre . - J'ai demandé au président du Sénat comme à celui de l'Assemblée nationale d'y désigner des représentants.

L'enveloppe de 300 millions d'euros permettra aux villes de moins de 50 000 habitants d'engager des politiques transversales de redynamisation. Les préfets de région, en partenariat avec les collectivités territoriales, détermineront la liste des bénéficiaires. Les premières subventions seront versées dès le début de l'année 2016.

Les 2 millions d'euros prévus sont destinés à financer la fin du plan national des 300 maisons de santé. Le financement est désormais assuré par la DETR, et dans certaines régions par le volet territorial des CPER, au moyen du FNADT et des fonds régionaux.

L'élargissement à toute la zone C du prêt à taux zéro en milieu rural corrige le manque de lisibilité du dispositif. Nous en avons fait le constat à l'occasion des Assises de la ruralité et du Tour de France de la construction : l'expérimentation menée sur 6 000 communes a suscité l'incompréhension des maires de celles, parfois voisines de quelques kilomètres, qui n'en bénéficiaient pas. Cette incompréhension était source d'inefficacité, car les banques peinaient à en expliquer la logique aux primo-acquéreurs potentiels. J'ai donc annoncé son extension, afin de relancer l'activité dans nos territoires, la création d'emplois non délocalisables et de stimuler l'entretien du bâti existant, souvent riche dans ces territoires. Nous n'avons pas fixé d'objectif chiffré. J'espère que les crédits affectés aux PTZ dans les zones rurales seront largement utilisés pour favoriser l'accession à la propriété et ainsi relancer l'activité d'un secteur durement frappé par la crise.

Monsieur Longeot, en tant qu'ancienne ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme, je partage votre inquiétude et votre ambition pour les stations-services de zone rurale. Lors du comité interministériel, nous y avons prêté une attention particulière : 12,5 millions d'euros seront intégrés dans le budget du Fisac pour 2016, car ces stations sont importantes pour le maillage territorial et l'attractivité et le développement des territoires.

Monsieur Leroy, la réforme de la DGF - sur laquelle reviendra plus longuement Marylise Lebranchu - repose sur les principes suivants : la dotation de base par habitant sera la même pour toutes les communes ; elle sera complétée par une dotation tenant compte des charges de ruralité des communes peu denses, et d'une dotation de centralité compensant les charges des communes centrales liées à l'utilisation par leurs voisines de leurs équipements.

Monsieur Raison, le premier comité interministériel a vu annoncer 46 mesures, pour un montant de 1 milliard d'euros ; celui de Vesoul a permis d'évaluer et de suivre leur mise en oeuvre et d'en annoncer 21 autres, sur la base des attentes formulées lors des Assises de la ruralité. Je ne partage pas votre critique des comités interministériels. Nous devons adapter nos politiques aux enjeux des territoires, qui n'ont pas tous les mêmes caractéristiques. Les comités interministériels de l'égalité et de la citoyenneté - le prochain se tiendra lundi prochain - suivent par exemple l'application de la loi SRU et les politiques de mixité sociale : on ne saurait leur reprocher d'ignorer les territoires ruraux, dont la plupart ne sont pas concernés par la loi SRU ! Aborder la réforme des ZRR dans le cadre de ces comités dédiés aux questions urbaines n'aurait pas eu de sens. Les préoccupations des territoires urbains et ruraux peuvent être proches, les réponses à leur apporter diffèrent. Au demeurant, une unique entité administrative - le CGET - coordonne le suivi de tous ces comités.

L'objectif des crédits associés aux contrats de redynamisation des sites de défense est bien de soutenir les projets créateurs d'emplois ; leur consommation, très satisfaisante, montre que le dispositif est efficace. Plus de 10 millions d'euros seront engagés en 2016 pour de nouveaux dossiers, et 15 millions d'euros seront payés pour les dossiers en cours.

M. Michel Raison . - Il faut simplifier les procédures, qui exigent trop de diagnostics territoriaux, d'études inutiles.

Mme Évelyne Didier . - Absolument.

Mme Sylvia Pinel, ministre . - Madame Tocqueville, je partage votre vision des territoires. Vous avez raison de souligner les atouts et la capacité d'innovation des territoires ruraux. J'ai constaté lors des Assises la vigueur des initiatives des élus locaux, des chefs d'entreprise et des associations. Mais nous ne savons pas - c'est sans doute un défaut français - transposer les initiatives locales à une échelle plus large ; les maisons de services au public par exemple - j'en ai visité une remarquable dans l'Allier - répondent aux demandes des habitants mais demeurent trop rares. C'est dommage ! C'est pourquoi nous mettons en place des dispositifs souples, adaptables aux spécificités des territoires. Le travail de simplification des normes que nous menons répond également à cet objectif.

Monsieur le rapporteur, votre question sur la Corse s'adresse davantage à la ministre de l'écologie.

M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Peut-on avoir la liste des membres du jury chargé de sélectionner les communes concernées par la redynamisation des centres-bourgs ?

Mme Sylvia Pinel, ministre . - Le jury n'a été formé que pour sélectionner les 54 lauréats pour l'expérimentation, il ne se réunit donc plus. Pour ce qui est des 300 millions dédiés à la revitalisation des centres-bourgs, nous ne passons plus par des appels à projets : ce sont les préfets de région, en lien avec les collectivités, qui détermineront les projets retenus.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - C'est une configuration classique. Merci de vos réponses, le débat va se poursuivre en séance publique.

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