III. LE COÛT ÉLEVÉ D'UNE POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS

A. LA DIFFICILE ÉVALUATION DU NOMBRE D'ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE SUR LE TERRITOIRE

L'évaluation du nombre d'étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national est par hypothèse compliquée à mener.

Plusieurs indicateurs permettent cependant d'évaluer ce nombre. Parmi ceux-ci, le nombre de personnes bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) permet de fournir une estimation basse de ce nombre. En effet, l'AME n'est accessible qu'aux étrangers en situation irrégulière.

Ce nombre est en forte augmentation depuis 2007 et s'établit pour 2014 à 284 298 bénéficiaires . Entre 2010 et 2014, le nombre de bénéficiaires a augmenté de près de 24,7 %.

Nombre de bénéficiaires de l'AME depuis 2010

2010

228 036

2011*

208 974

2012

252 437

2013

282 425

2014

284 298

Source : réponse au questionnaire budgétaire

* La baisse significative du nombre de bénéficiaires en 2011 est une conséquence mécanique de la mise en oeuvre du droit de timbre pour bénéficier de l'AME, qui a conduit un certain nombre d'étrangers à ne pas accéder à ce dispositif. Symétriquement, en 2012, la forte progression observée s'explique par un effet de rattrapage, dû à la suppression du dispositif cette année-là.

D'autres indicateurs permettent d'appréhender cette réalité, en particulier le nombre de demandeurs d'asile déboutés , de l'ordre de 40 000 par an, au regard de leur très faible taux d'éloignement ou le nombre de personnes mises en cause au titre d'infractions relatives au délit d'entrée, de circulation ou de séjour irréguliers sur le territoire .

B. UNE ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT ET DE SON COÛT LARGEMENT PERFECTIBLE

1. Un indicateur d'activité ne permettant pas d'évaluer l'efficacité de l'action des services en matière d'éloignement

L'indicateur 3.1, retenu dans le projet annuel de performance pour mesurer le nombre de reconduites à la frontière exécutées, n'est pas pertinent pour mesurer l'efficacité réelle de la politique d'éloignement .

En effet, cet indicateur rapporte le nombre d'éloignements effectués à destination des pays tiers à l'Union européenne sur la somme des éloignements effectués vers les pays tiers à l'Union européenne, vers les pays de l'Union européenne et les réadmissions ou remises d'étrangers originaires de pays tiers. Ce taux est de 37 % pour l'année 2014. La construction de cet indicateur présente le défaut de ne pas intégrer le nombre de décisions d'éloignement prononcées .

Pour examiner l'efficacité réelle de la politique d'éloignement, il conviendrait au contraire d'intégrer le nombre de décisions d'éloignement prononcées en produisant un indicateur rapportant le nombre d'éloignements à destination de pays tiers à l'Union européenne - qui sont effectivement les éloignements les plus difficiles à mener - réellement exécutés, par rapport aux décisions d'éloignement prononcées à l'encontre de ressortissants tiers à l'Union européenne .

Cet indicateur reflèterait alors véritablement l'effort mené en matière d'éloignement. Comme cela a été souligné dans le rapport sur le projet de loi relatif au droit des étrangers, ce taux oscille aux alentours de 20 % pour les ressortissants de pays tiers à l'Union européenne.

2. L'absence d'évaluation du coût de la lutte contre l'immigration irrégulière

Au regard du nombre d'acteurs impliqués dans la lutte contre l'immigration irrégulière, il est difficile d'identifier tous les acteurs concourant à cette action et le coût réel de cette politique.

En effet, si les effectifs de la police aux frontières sont quasiment exclusivement dédiés à cette mission, les effectifs de la police nationale et de la gendarmerie nationale y participent aussi, ainsi que les douanes, selon des proportions qu'il est difficile de mesurer.

Par ailleurs, l'inspection du travail participe à cette politique, dans le cadre de la lutte contre le travail sans autorisation des étrangers, puisque 15,6 % des 1 568 dossiers concernant l'emploi d'étrangers sans titre transmis à l'OFII l'ont été par les services de l'inspection du travail.

Enfin, des moyens militaires sont engagés dans le cadre de cette politique, en particulier outre-mer.

Comme l'avait rappelé notre ancienne collègue Hélène Lipietz, dans son rapport pour avis au nom de la commission des lois pour les crédits immigration hors asile, pour le projet de loi de finances pour 2013, l'évaluation du seul coût de l'éloignement mené en 2009 par l'Inspection générale de l'administration était de 232 millions d'euros par an , soit environ 12 000 euros par reconduite 11 ( * ) . Toutefois, le chiffre de 415,2 millions d'euros annuellement dépensés pour financer cette politique a été avancé par notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond, dans son rapport spécial pour les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » au titre du projet de loi de finances pour 2009 12 ( * ) , sans toutefois que certaines dépenses ne soient prises en compte dans le calcul, comme le coût du contentieux.

Sans doute, il existe un document de politique transversale (DPT) consacré à la politique française de l'immigration et de l'intégration, mais il ne rend que très imparfaitement compte de l'effort consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière, certains acteurs participant à cette politique n'y étant pas intégrés.

En tout état de cause, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est une politique tout à fait distincte de la politique relative à l'immigration régulière , orientée sur l'intégration.

Au regard du nombre significatif d'acteurs impliqués dans la lutte contre l'immigration irrégulière, dépendant de ministères très distincts et de l'importance du sujet, un document de politique transversale spécifiquement dédié à cette politique semblerait donc justifié .


* 11 Avis de Mme Hélène Lipietz, fait au nom de la commission des lois (n° 154, 2012-2013), p. 25.

* 12 Rapport général de M. Pierre Bernard-Reymond ( n° 99, 2008-2009), fait au nom de la commission des finances, p. 37.

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