TRAVAUX EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 novembre 2016, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'Outre-mer du projet de la loi de finances pour 2016.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - L'ordre du jour de ce matin est consacré à l'examen de différents avis budgétaires de notre commission pour 2017. J'invite, en premier lieu, notre collègue M. Serge Larcher à nous présenter son avis sur la mission budgétaire Outre-mer.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la mission budgétaire Outre-mer. - Monsieur le Président, mes chers collègues, l'année dernière, notre commission a fait sienne mon approche qui constatait la préservation des crédits de la mission Outre-mer et préconisait une forme particulière d'offensive, à savoir la réduction de l'instabilité et de la complexité du cadre juridique et fiscal, pour dynamiser deux priorités : le logement et l'activité dans le secteur marchand.

Les évolutions en cours ne font que renforcer ma conviction : partout dans le monde, les très forts taux de chômage ébranlent la cohésion de nos sociétés et de nos démocraties. Avec un taux de chômage double de celui de l'hexagone et une production de logements qui décline, nos Outre-mer sont confrontés à des fondamentaux économiques auxquels ne résisteraient pas la plupart des territoires.

Face à cette situation, nous n'avons plus le choix : la voie de la facilité - j'allais dire du vaccin - budgétaire et de l'emploi public servant d'amortisseur appartiennent au passé et il faut armer les Outre-mer pour le combat économique. Les rapports officiels parlent de plus en plus de « développement endogène » : l'appellation est un peu technocratique mais l'idée va dans le bon sens. Comme l'a bien montré notre commission des affaires économiques, les réseaux de micro-entreprises, avec leur réactivité exceptionnelle, ont fait de l'Italie du Nord la deuxième puissance industrielle de l'Europe : il y a donc des alternatives au « modèle allemand » et contrairement à ce que l'on pense parfois, les entrepreneurs ultra marins ont beaucoup de potentiel - encore faut-il les retenir de s'expatrier.

J'en viens à l'évolution globale des crédits de la mission Outre-mer pour 2017. Sans prétendre avoir su lire dans le « marc de café » budgétaire, j'avais relevé l'année dernière que la baisse des autorisations d'engagement était un signal assez inquiétant pour l'avenir. Le projet de loi de finances pour 2017 me donne un peu raison, puisqu'à structure constante les crédits baissent de 2,2 % en autorisations d'engagement et de 3,9 % en crédits de paiement.

Certes, la présentation qui figure dans les documents comptables est plus flatteuse puisqu'elle affiche une hausse. En réalité, et le Gouvernement ne l'a pas caché, cela correspond à des transferts de crédits assez importants en provenance de l'enveloppe consacrée à l'enseignement et à la mission Travail et Emploi.

Je ferai trois remarques pour commenter cette baisse et la replacer dans son contexte : tout d'abord, nos Outre-mer participent à l'effort de rigueur, mais, vaille que vaille, le seuil symbolique des deux milliards d'euros est préservé et on note des avancées nouvelles pour 2017. Il faut ensuite rappeler que, dans sa structure, ce budget est composé - à plus de la 50 % - de remboursements à la Sécurité sociale en contrepartie des exonérations de cotisations accordées aux entreprises ultramarines. Mécaniquement, si l'emploi régresse légèrement, et si les paramètres de calcul restent inchangés, les exonérations diminuent. C'est donc un budget qui est très dépendant de la conjoncture. Enfin, aujourd'hui, les regards se tournent surtout vers le débat parlementaire consacré au projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer où des mesures substantielles ont été introduites en première lecture à l'Assemblée nationale, avec l'appui du Gouvernement pour surmonter le couperet de l'article 40. Dans ce contexte, le présent budget a relativement moins d'importance que les autres années et cela ressort clairement des auditions.

Je vous livre à présent mon analyse des deux programmes de la mission « Outre-mer ». Pour 2017, les crédits du programme 138 en faveur de l'emploi ultramarin sont, globalement en baisse de plus de 6 % par rapport à 2016 et même de plus de 8% à périmètre constant. Je rappelle que ce programme a pour finalité d'encourager la création d'emplois et la compétitivité des entreprises ultramarines. On ne rappellera jamais assez que l'éloignement géographique, l'insularité, l'étroitesse des marchés et les risques naturels sont des handicaps importants qu'il faut compenser. Les voisins des territoires ultramarins sont également de redoutables concurrents économiques avec, dans le domaine agricole, des coûts salariaux souvent de 15 à 20 fois moindres. De plus, comme l'illustre la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne que nous venons d'adopter, hier soir, à l'unanimité, les entreprises ultramarines sont soumises à des normes et des exigences de certification similaires à celles de l'hexagone. Je présente à ce sujet mes félicitations à notre collègue Michel Magras, Président de la Délégation sénatoriale pour l'Outre-mer qui a permis l'adoption par le Sénat de ce texte.

Cette mission budgétaire vise donc à permettre aux Outre-mer de s'adapter au triple espace auquel ils appartiennent : l'espace national, leur environnement géographique immédiat ainsi que l'espace européen pour les DOM.

L'action 1 du programme porte sur la compensation des exonérations de charges sociales spécifiques aux Outre-mer. La dotation budgétaire s'élève, pour 2017, à un peu plus d'un milliards d'euros, en baisse de 8 % par rapport à 2016. Cela s'explique essentiellement par un recentrage des exonérations sociales avec, en particulier, une mesure restrictive concernant les travailleurs indépendants.

Je m'arrête un instant sur ce dispositif car c'est un révélateur de la problématique d'ensemble des exonérations de charges. Dans le droit en vigueur, introduit par la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'Outre-mer, les travailleurs indépendants non agricoles ultramarins bénéficient d'une exonération totale de cotisations pendant deux ans, à compter de la date de la création de l'activité, quel que soit le montant des revenus déclarés. Au-delà de cette phase de lancement, les cotisations sont calculées, pour la partie des revenus inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) soit 36 616 euros, sur une assiette égale à 50 % des revenus. Le coût total de ce dispositif pour 2015 a été évalué à 142,8 millions d'euros pour 95 800 bénéficiaires.

Le Gouvernement a proposé à l'article 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2017 de resserrer ce régime d'exonération spécifique octroyée sans condition de revenus. Il justifie cette mesure par l'objectif de limiter les effets d'aubaine bénéficiant à des activités générant des hauts revenus. Effectivement, l'étude d'impact du PLFSS indique que 30 % des entreprises cessent leur activité avant la fin de la troisième année, en raison de la diminution brutale de l'avantage social à partir de cette année-là.

La solution proposée à l'article 7 du PLFSS, et adoptée conforme par le Sénat le 15 novembre, consiste d'abord à limiter le bénéfice de l'exonération totale des cotisations et à prévoir la dégressivité du dispositif en majorant l'avantage consenti la troisième année.

Un tel « coup de rabot », même si on en comprend la logique, appelle deux principales observations qui ont, à mon sens, une portée générale. D'une part, il porte atteinte à la simplicité et la stabilité du mécanisme applicable aux travailleurs indépendants. D'autre part, il risque de freiner de nouvelles initiatives, avec un statut de travailleur indépendant moins attractif, alors même que les Outre-mer connaissent un chômage très élevé. Le choix d'amoindrir les avantages accordés aux activités les plus rentables et les plus qualifiées correspond certes à une préoccupation de justice sociale mais elle ne favorise pas nécessairement l'essor économique des territoires ultramarins ni la nécessité d'attirer et de retenir l'excellence en Outre-mer. Nous ne sommes pas ainsi en mesure de proposer aux jeunes très diplômés des emplois correspondant à leur niveau de qualification.

Cela m'amène à évoquer le débat sur le principe de la concentration des allègements sur les bas salaires. Certes, selon les modèles économétriques, ce ciblage est le plus efficace à court terme pour favoriser les embauches. Cependant, à plus long terme, il faut tenir compte des effets structurels de ce choix. En effet, les employeurs ont tendance à proposer des embauches autour du SMIC, même aux jeunes ultramarins très diplômés et ceux-ci s'orientent alors souvent vers la fonction publique ou vers l'exil. Pour éviter que nos Outre-mer perdent leurs élites, je préconise des allègements de charges moins concentrés sur les bas salaires.

L'action 1 finance également l'abaissement du coût du fret à hauteur de 8,6 millions d'euros en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2017. Il s'agit de diminuer les prix à la consommation en abaissant le coût du transport des matières premières ou des produits importés de l'Union européenne.

Dans ce domaine, la principale avancée est prévue à l'article 18 du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle Outre-mer qui étendrait l'aide au fret aux échanges entre les collectivités ultramarines et avec leur environnement régional, afin d'assurer la meilleure intégration des Outre-mer dans leur zone géographique.

Une meilleure insertion économique des Outre-mer dans leur zone économique proche est un défi essentiel à relever et cela nécessite un perfectionnement des outils juridiques. Celui-ci est prévu par la proposition de loi relative à l'action extérieure des collectivités territoriales : la commission des lois en préconise le vote conforme, et le texte sera examiné cet après-midi par le Sénat.

Économiquement, je fais observer qu'on ne prend pas assez en considération ces enjeux régionaux : par exemple, en matière agricole, nos propositions de résolution insistent à juste titre sur la concurrence déloyale faite aux exportations de produits ultramarins vers l'Union européenne. Mais, sur le terrain, on constate également que les produits des pays tiers envahissent les rayons des grandes surfaces situés dans les Outre-mer, ce qui met en grande difficulté les producteurs locaux et notre agriculture vivrière.

J'en termine avec l'action 1 qui, en baisse globale, préserve cependant les crédits consacrés aux dispositifs de promotion de l'insertion et de la formation.

L'action 2 du programme 138 finance principalement le service militaire adapté (SMA), c'est-à-dire un stage d'au moins six mois qui s'adresse aux jeunes ultramarins, garçons et filles, âgés de dix-huit à vingt-six ans, et comprend un mois de formation militaire ainsi que 800 heures de formation professionnelle. Le succès de cette formule - 80% de taux d'insertion - a conduit, depuis 2009, à viser le doublement des effectifs pour les porter à 6000 en 2017. Le but sera atteint en avec la réalisation d'infrastructures d'accueil et la création de cursus ouverts aux jeunes diplômés en situation de chômage. On peut s'en féliciter et je me demande s'il ne faudrait pas s'inspirer de ce dispositif pour l'étendre à l'Hexagone.

J'en viens au programme 123 « Conditions de vie Outre-mer » qui sont en hausse globale.

Le point le plus inquiétant est le secteur du logement. Certes, pour 2017, les crédits de l'action n° 1 ont été sanctuarisés à 233 millions d'euros de CP et 247 millions d'AE. Cependant, la baisse de la construction appelle des mesures énergiques.

Le logement reste, en effet, une des principales difficultés de la vie quotidienne des ultramarins. Concrètement, en Martinique, on recense aujourd'hui près de 11 550 demandes de logement social et, selon l'INSEE, il faudrait construire pour la période 2010-2040, 2 500 à 3 000 logements neufs par an. Or en moyenne depuis 2006, 489 logements sociaux ont été financés tandis que 403 ont été livrés par an.

Comme s'en est inquiété le représentant de l'Union Sociale de l'Habitat au cours des auditions, les programmes de construction ont pris du retard, ce qui s'explique par plusieurs facteurs convergents : les difficultés de programmation des projets, la lourdeur des procédures administratives et la rareté du foncier. J'insiste également sur l'augmentation des coûts de construction.

Cette évolution très préoccupante se lit dans les graphiques, avec une baisse continue, depuis 2012, du nombre de logements sociaux ou très sociaux financés suivie, avec un effet retard, d'un déclin assez brutal depuis 2014 du nombre de logements livrés.

Seule une mobilisation énergique peut permettre de remplir les objectifs fixés par le plan « Logement Outre-mer » signé le 26 mars 2015, qui vise 10 000 logements sociaux neufs ou réhabilités par an. Il convient de mentionner que l'article 3 ter du projet de loi égalité réelle outre-mer adopté par les députés porte à 150 000 ce chiffre, en incluant l'effort de construction à réaliser dans la zone pacifique, et vise à l'inscrire dans la loi.

Par ailleurs, l'action n° 9 « Appui à l'accès aux financements bancaires » de ce programme 123 prévoit une nette hausse des crédits d'engagement. Cette hausse des autorisations d'engagement a vocation, selon le Gouvernement, à renforcer l'appui au secteur public en favorisant la réalisation de projets structurants pour le développement, notamment économique, des territoires ultramarins. Elle permettra, en particulier, la mise en place, en 2017, d'un prêt à taux zéro pour les projets des acteurs publics favorisant le développement des énergies renouvelables et de la lutte contre les effets du changement climatique dans les collectivités d'Outre-mer. Je rappelle qu'à l'exception de la Guyane, nos territoires sont menacés par la montée des eaux.

J'en termine en soulignant le maintien des crédits du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) à un niveau suffisant pour qu'il continue à remplir ses missions en matière de financement d'investissements publics structurants. Certes, l'objectif que le Président de la République avait fixé de voir ce fonds doté de 500 millions d'euros d'ici 2017 ne sera vraisemblablement pas atteint, mais le FEI aura tout de même accumulé, en 2017, 230 millions d'euros en AE et 214 millions d'euros en CP. Je souligne que ces crédits ont un effet de levier considérable pour l'investissement et ils favorisent l'offensive économique dont nos Outre-mer ont besoin.

En conclusion, ce budget s'efforce d'optimiser la dépense publique en ciblant des priorités et des actions dont l'efficacité est prouvée. La culture n'est pas oubliée puisque le présent budget prévoit 10 millions d'euros en engagements et 1,5 millions d'euros en crédits de paiement pour financer la création, en Île-de-France, de la Cité des Outre-mer, pour mettre en valeur leur histoire et leur diversité.

Par ailleurs, le projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer est porteur d'espoir et contient des avancées notables : j'espère que le Sénat pourra imprimer une marque positive sur ce texte qui permettra de contrebalancer largement le déclin des crédits prévus pour 2017. Pour ces raisons, je vous propose d'émettre un avis favorable à leur adoption.

M. Jean-Claude Lenoir , président - Merci Monsieur le Rapporteur pour votre présentation. Je passe tout d'abord la parole à notre collègue Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale à l'Outre-mer.

M. Michel Magras . - Je tiens à féliciter notre rapporteur pour le rapport qu'il vient de nous présenter. Il faut rappeler que la mission Outre-mer dispose de leviers d'action spécifiques et, en même temps, son équilibre, voire sa légère augmentation, peut résulter de transferts de crédits en provenance d'autres missions car les territoires ultramarins sont concernés par l'ensemble des missions budgétaires. Par conséquent, on peut assez facilement, au moyen de jeux d'écritures, nous donner l'illusion d'une croissance des crédits à moyens réels constants. Certes, le budget de l'Outre-mer dépend de la conjoncture et nous prenons notre part à la rigueur. Nous nous préparons, en début d'année 2017, à débattre de la loi sur l'égalité réelle outre-mer et je regrette que ce budget n'ait pas suffisamment anticipé certaines de ses dispositions. Cette loi ne pourra être uniquement déclarative et induira nécessairement un coût financier. Or, si le budget 2017 ne prévoit dès à présent pas les financements nécessaires à sa mise en oeuvre, cette loi ne pourra être opérationnelle qu'à partir de 2018, ce qui me paraît un non-sens.

Il est faux de considérer les Outre-mer comme des collectivités qui sollicitent des fonds publics pour exister. Celles-ci entendent au contraire se développer par elles-mêmes et atteindre le même niveau de revenu que celui de la France métropolitaine. Depuis des années nos initiatives vont dans ce sens. Nous demandons à l'Europe et à la Nation de nous accompagner dans cette démarche, et pas seulement au niveau financier. C'est d'ailleurs bien souvent dans le PLFSS que sont traités les principaux enjeux financiers portant sur les allègements de charges. A ce sujet, je me contenterai ici de mentionner la différence entre le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dont les entreprises bénéficient a posteriori et les allègements de charges qui interviennent en amont de l'emploi : il y a là un débat important.

Enfin, il est vrai que les Outre-mer ont besoin d'une certaine liberté d'action dans leur espace régional. La proposition de loi présentée par notre collègue député Serge Letchimy, dont nous débattrons cet après-midi, va dans ce sens. Personnellement, je voterai en sa faveur car elle se limite à donner aux départements ultramarins des compétences qui sont déjà celles des collectivités. Ainsi, avec l'adoption de ce texte, la Martinique ne disposera pas de plus de compétences que Saint-Barthélemy dans la zone des Caraïbes, avec une nuance près : la Martinique et la Guadeloupe appartiennent à l'espace européen, ce qui a des conséquences notables en matière de commerce international. Dès qu'une marchandise pénètre sur leur territoire, elle entre dans l'Union européenne, ce qui n'est pas sans susciter certaines difficultés d'ordre douanier notamment.

En définitive, je voterai en faveur du rapport présenté par notre collègue et de la proposition de loi qui nous sera soumise cet après-midi.

Mme Delphine Bataille . - Je veux remercier, à mon tour, notre collègue Serge Larcher, pour son rapport et sa présentation. Je note que le budget qu'il nous présente est globalement préservé, comme en témoigne le maintien de ses dispositifs les plus importants consacrés à l'emploi, à la jeunesse, au logement et au soutien de l'activité économique. Le mécanisme d'exonération sociale pour les salariés est maintenu en ciblant davantage les petites et très petites entreprises qui sont largement majoritaires dans les Outre-mer. Cela contribue à favoriser l'emploi, mais il reste beaucoup à faire puisque le taux de chômage demeure bien supérieur à celui de la Métropole, en dépit de la baisse récemment enregistrée.

Parmi les autres enjeux d'avenir, je relève que les projets de développement des énergies renouvelables et d'adaptation au changement climatique, notamment dans les collectivités du Pacifique, sont accompagnés par la création d'un équivalent au Fonds vert. En outre, dans le cadre du plan logement Outre-mer 2015-2020, l'État s'est engagé à produire 10 000 logements sociaux neufs ou réhabilités. Malgré les fonds consacrés à ces opérations, il semble que des retards de livraison aient été enregistrés. Quelle en est la raison ?

Le budget du service militaire adapté, qui garantit des perspectives à la jeunesse avec un taux de sortie positive de plus de 70 %, est préservé et il devrait atteindre l'objectif cette année de 6.000 jeunes par an. Ce dispositif qui a prouvé son efficacité dans la lutte contre le chômage, vous semble-t-il adaptable dans l'hexagone, en particulier dans nos territoires qui connaissent les plus forts taux de chômage ?

Enfin, ce budget comporte-t-il, selon vous, les moyens nécessaires au financement des mesures prévues par le projet de loi pour l'égalité réelle outre-mer ?

M. Joël Labbé . - Notre débat d'hier soir en séance publique sur la résolution européenne portant sur l'agriculture ultramarine était très intéressant. A ce sujet je continue à m'interroger sur le bien-fondé de l'appellation de région ultrapériphérique (RUP) et vous invite, mes chers collègues, à réfléchir sur le risque de stigmatisation qu'il contient.

Je reviens également sur les enjeux de la recherche fondamentale : l'agriculture ultramarine présente des spécificités distinctes de celle de l'hexagone, ne serait-ce qu'en raison de ses espèces et ses ravageurs distincts. A-t-on doté la recherche en agronomie de suffisamment de moyens pour favoriser une agro-écologie adaptée aux Outre-mer ? D'ailleurs, hier soir on a également évoqué le jardin créole nourricier : un travail extraordinairement important me paraît devoir être conduit à ce sujet. Tendre vers l'autonomie alimentaire des iles est un objectif essentiel et les moyens alloués à la recherche fondamentale doivent y contribuer.

À propos des produits que l'on appelle pudiquement « phytopharmaceutiques » - c'est-à-dire, en clair, les pesticides - utilisés en Outre-mer, je souligne l'existence d'alternatives qui ne sont pas assez mises en avant. Les substances de bio-contrôle peuvent aussi lutter efficacement contre les ravageurs ainsi que les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).

Je me réjouis par ailleurs de l'effort en matière de financement des logements sociaux qui répond à une réelle nécessité. Enfin, compte tenu des conditions climatiques qui prévalent Outre-mer, les énergies renouvelables, comme l'éolien ou le photovoltaïque, ne peuvent qu'y trouver un formidable terrain d'expérimentation et de mise en oeuvre.

M. Michel Magras . - Juste un mot pour lever le doute exprimé par notre collègue Joël Labbé sur l'appellation RUP. Je rappelle qu'on distingue désormais les départements d'Outre-mer et les collectivités d'Outre-mer : les autres termes ont disparu. Le statut de RUP est, quant à lui, européen : les « régions ultrapériphériques » font partie intégrante de l'Union mais elles sont éloignées géographiquement du continent européen, ce qui justifie l'usage du terme ultrapériphérique. Il faut également articuler le statut national et le statut européen des territoires. Ainsi, tout département d'Outre-mer dispose du statut européen de région ultrapériphérique. La collectivité de Saint-Martin est également dans la catégorie des RUP tandis que celle de Saint-Barthélemy a le statut de pays et territoire d'Outre-mer (PTOM), c'est-à-dire qu'elle est associée à l'Europe. Pour les PTOM, les directives européennes ne s'appliquent que si la France en a décidé ainsi, dans le cadre de sa transposition, et après avoir recueilli leur accord. Ces distinctions peuvent vous paraitre compliquées, mais ceux qui vivent en outre-mer sont nécessairement amenés à prendre en compte un cadre juridique le mieux adapté possible.

La principale difficulté, quant aux régions ultrapériphériques de l'Europe, provient de leur répartition à travers le monde. Toute marchandise entrant dans une région ultrapériphérique est censée se trouver sur le territoire européen : c'est certes géographiquement aberrant, mais c'est une réalité juridique. On aurait pu évoquer à ce sujet la situation de la Guadeloupe qui figure au rang de premier exportateur de Champagne vers les Caraïbes, car elle bénéficie d'un régime très bas de taxes. C'est loin d'être le seul cas et ce sont là nos spécificités !

M. Serge Larcher . - Je remercie notre collègue Michel Magras d'avoir répondu à la question concernant les RUP. Je rebondirai sur ce qui vient d'être dit sur la Guadeloupe : ce territoire réexporte du Champagne vers ses iles voisines mais c'est le Vermouth qui est la boisson de fête préférée de ses habitants. Ne nous méprenons pas sur l'interprétation des statistiques qui pourraient faire croire à une importante consommation de Champagne en Guadeloupe. Par ailleurs, il ne faut pas attacher trop d'importance aux acronymes. La Martinique est à la fois un département d'Outre-mer, département français d'Amérique, une région ultrapériphérique pour l'Europe. Ces termes ne sont qu'administratifs. Je suis pour ma part martiniquais, caribéen, français, européen et également citoyen du monde...

Presque tous les Martiniquais ont un jardin créole, et ceux qui ne peuvent pas le cultiver sur la terre ferme le font sur leur balcon. Une telle pratique est profondément ancrée : chacun souhaite s'alimenter avec ses propres produits. L'agriculture vivrière concerne ceux qui disposent d'un peu plus de superficie cultivable et vendent ensuite leurs produits sur les marchés locaux : cela concerne une grande diversité de produits. Seuls des engrais naturels y sont employés et l'usage des pesticides est inexistant. En ce qui concerne les grandes cultures de banane et de canne à sucre, nous avons vécu une période, aujourd'hui révolue, marquée par l'utilisation du chlordécone dans le cadre de la Communauté caribéenne (CARICOM). Depuis lors, toutes les parcelles sur les territoires de la Martinique et de la Guadeloupe où ce produit phytosanitaire a été utilisé ont été recensées. Par mesure de sécurité, sur le marché local, il est possible d'assurer la traçabilité des produits vendus et force est ainsi de constater que le consommateur est bien protégé.

Je précise également que la culture de la canne à sucre en Martinique et à la Guadeloupe, qui est en AOC, n'utilise pas de pesticides. En outre, comme nous l'avons évoqué lors du débat d'hier, seuls deux produits et sept traitements sont autorisés pour la banane. Nous nous acheminons donc vers la production bio de la canne à sucre, du rhum et de la banane avec une montée en gamme et un positionnement sur un marché de niche. La concurrence avec les grands producteurs de l'Amérique latine comme United Food, nous oblige à améliorer nos productions de haut niveau. La banane française et européenne est ainsi soucieuse des droits de l'homme et de la protection de l'environnement. Nous sommes également attachés à veiller à la propreté des cultures et des terrains sur lesquels nos bananes sont cultivées, quand bien même le fruit, planté sur une terre polluée, n'est pas atteint. Une telle démarche de propreté des sols se retrouve également dans la production florale. Un travail important est réalisé localement et les gens sont conscients de la nécessité de bannir le chlordécone des cultures. Je signale qu'aujourd'hui, de nombreux documents attestent de la montée du cancer de la prostate chez les hommes et l'on s'interroge sur l'usage des pesticides comme possible source d'une telle mortalité. Il ne faut pas s'arrêter aux rumeurs et étudier sérieusement la question en se demandant pourquoi ce cancer est la première cause de mortalité à la fois chez les Noirs américains comme aux Antilles.

En réponse à une autre question soulevée par Joël Labbé, de nombreuses recherches sont conduites en Martinique sur les variétés et les espèces. N'oublions pas qu'en zone tropicale humide les conditions climatiques sont très différentes de l'Europe continentale.

Les Ultramarins ont à coeur de produire des produits de qualité et nous attendons que l'Hexagone se comporte comme l'Espagne qui consomme d'abord les produits des Canaries, à l'instar de leur banane locale qui bénéficie d'un prix constant toute l'année. C'est là un comportement citoyen dont nous ferions bien de nous inspirer.

J'en reviens à l'analyse budgétaire stricto sensu. Les crédits alloués au outre-mer l'État ne se limitent pas aux deux milliards d'euros du budget que nous examinons. En totalisant l'ensemble des missions on atteint quinze milliards et le document « orange » de politique transversale retrace cet effort de l'État.

Le projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer est bienvenu mais, ne nous privons pas de le dire sur le ton de la plaisanterie, il arrive un peu tard car je rappelle que nous sommes départements français depuis soixante-dix ans et la départementalisation était le résultat d'un combat pour l'égalité. Les Caribéens se sont d'abord battus pour la liberté en brisant le joug de l'esclavage et il nous a fallu attendre longtemps pour obtenir l'égalité de droit.

M. Marc Daunis . - Il y a la fraternité également !

M. Serge Larcher . - La fraternité, nous l'avons pratiquée durant les deux guerres mondiales ! Reste que les mesures prévues dans ce texte sur l'égalité réelle ne sont pas financées et je suggère qu'un collectif budgétaire vienne rapidement combler cette lacune..

S'agissant de la création d'activité, nous créons en outre-mer un nombre record de micro-entreprises : encore faut-il encourager leur développement et leurs chances de survie. C'est pourquoi les gouvernements successifs ont porté leur effort sur des dispositifs d'exonérations de charges : de telles mesures, quand elles sont limitées dans le temps, peuvent générer des effets d'aubaine, mais elles contribuent à dynamiser l'emploi local.

Le logement social, qui a bien du mal à répondre à des besoins très importants est financé d'une part par la ligne budgétaire et unique (LBU) qui est sanctuarisée et, d'autre part, par le crédit ainsi que la défiscalisation. Cette dernière, quel que soit le Gouvernement en place, représente, pour l'État, une sorte de « saut sans filet », puisqu'il ne connait pas à l'avance le montant de la dépense fiscale. Bercy, en ralentissant les procédures d'agrément freine les programmes de logement social et le Premier ministre lui-même a décidé de supprimer l'agrément préalable pour le logement social : cette mesure est trop récente pour qu'on puisse en mesurer les effets. J'ajoute que le foncier viabilisé disponible est rare et cher. Son prix s'est envolé au moment des premières mesures de défiscalisation décidées lors de la première cohabitation entre 1986 et 1988. L'indivision est également un sérieux problème qui résulte de la non-liquidation des héritages : j'ai proposé à ce sujet la création d'un Groupement d'intérêt public (GIP) calqué sur ce qui est en vigueur en Corse, mais j'attends toujours, quatre ans après le vote de cette mesure, son décret d'application... Les « dents creuses » que l'on retrouve dans de nombreux faubourgs en Martinique témoignent de ces difficultés successorales qui peuvent être accrues lorsque les bénéficiaires sont dispersés à travers le monde.

J'en termine en disant un mot sur le service militaire adapté (SMA) qui est une sorte de service civique. Après un mois passé à recevoir les codes de la vie dans un environnement militaire, les jeunes y apprennent un métier et trouvent, à près de 80%, un emploi. C'est un dispositif dont on doit saluer l'efficacité.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous allons nous prononcer sur ces crédits : notre rapporteur pour avis et le Président de la Délégation sénatoriale pour l'Outre-mer suggèrent un avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission outre-mer.

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