Avis n° 143 (2016-2017) de M. Gilbert BARBIER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 novembre 2016

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME II

DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT - MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES CONDUITES ADDICTIVES (MILDECA)

Par M. Gilbert BARBIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Gérard Dériot, Mmes Colette Giudicelli, Caroline Cayeux, M. Yves Daudigny, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Gérard Roche, Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud , vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, M. René-Paul Savary, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Élisabeth Doineau , secrétaires ; M. Michel Amiel, Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Noël Cardoux, Daniel Chasseing, Olivier Cigolotti, Mmes Karine Claireaux, Annie David, Isabelle Debré, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Chantal Deseyne, M. Jérôme Durain, Mmes Anne Émery-Dumas, Corinne Féret, MM. Michel Forissier, François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mme Françoise Gatel, M. Bruno Gilles, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Éric Jeansannetas, Georges Labazée, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Hermeline Malherbe, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Catherine Procaccia, Stéphanie Riocreux, M. Didier Robert, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Vergoz, Dominique Watrin, Mme Évelyne Yonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 146 (2016-2017)

LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le 16 novembre 2016 sous la présidence de M. Alain Milon, président , la commission a examiné le rapport pour avis de M. Gilbert Barbier sur les crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017 .

Après avoir expliqué que l'année 2017 devrait être une année de transition pour les politiques publiques traitant des addictions en raison de l'achèvement du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives, le rapporteur pour avis a souligné qu'elle marquerait également la cinquième année consécutive de diminution de la dotation budgétaire de la Mildeca.

Il a déploré la poursuite de ce mouvement engagé en 2013, qui vient fragiliser plus encore les opérateurs de la Mildeca, en particulier l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), réduire les moyens consacrés à la politique territoriale de prévention et compromettre la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures du plan gouvernemental.

Le rapporteur pour avis a également rappelé la situation française préoccupante en matière d'évolution des conduites addictives, en particulier le développement des comportements de consommation de substances licites ou illicites à risque . Faisant le constat de l' inefficacité de la réponse pénale à l'usage de stupéfiants, il a réitéré sa proposition de sanctionner le premier usage d'une contravention de troisième classe afin de renforcer l'effectivité de l'interdit de la consommation de ces produits.

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.

Mission « Direction de l'action du Gouvernement »

Programme 129 « Coordination du travail gouvernemental »

Crédits de l'action n° 15 « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » pour 2017

Action 15 « Mildeca »

Crédits de paiement (en euros)

Variation 2017 / 2016 (en %)

17 838 430

-5,6 %

dont subventions pour charges de service public

Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

2 805 000

-1,7 %

Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad)

369 000

-5,1 %

Source : Projet annuel de performance de la mission annexé au projet de loi de finances

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le débat public sur la lutte contre les addictions et leur impact sur la société française a été dominé en 2016 par l'aboutissement du projet le plus emblématique du Gouvernement dans ce domaine : l'ouverture, à titre expérimental 1 ( * ) , de deux salles de consommation à moindre risque (SCMR) à Paris et à Strasbourg, à destination des consommateurs d'opiacés. Cette initiative ne devrait toutefois toucher que quelques centaines de personnes très fragilisées sur le plan sanitaire et marginalisées socialement par leur addiction. Dans le même temps notre société subit , au quotidien, les conséquences des conduites addictives de millions de nos concitoyens , qu'il s'agisse de la consommation de produits psychotropes ou d'addictions comportementales.

Dès lors, il convient de ne pas négliger la politique globale menée, sous l'égide de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), pour réduire les conséquences en matière d'ordre public, de cohésion sociale ou de santé publique de toutes les formes d'addictions. La France se distingue en ayant retenu une approche intégrée , qui s'appuie sur trois piliers d'égale importance : l'application de la loi , c'est-à-dire la pénalisation de l'usage et de la vente des drogues illicites, la prévention et la réduction des risques et des dommages.

L'année 2017 s'annonce, pour la Mildeca, comme une année de transition, avec le départ programmé de sa présidente 2 ( * ) et l'achèvement du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives, publié en septembre 2013 pour la période 2013-2017. Dans ce contexte, la diminution de sa dotation budgétaire se poursuit (- 5,6 % entre 2016 et 2017), sans que sa ressource complémentaire, un fonds de concours - par nature aléatoire - alimenté par la vente des biens saisis et confisqués dans le cadre d'affaires de trafic de stupéfiants, ne puisse la compenser.

Pourtant, malgré une volonté affichée d'accentuer la mobilisation des acteurs concernés par la lutte contre les addictions et de rénover le pilotage de cette politique, les résultats de l'action de la Mildeca sont contrastés et votre rapporteur pour avis n'en soutient pas toutes les orientations. De plus, les choix budgétaires faits par le Gouvernement depuis 2012 viennent fragiliser l'action publique contre la toxicomanie.

Ainsi, force est de constater que les moyens consentis à la Mildeca pour mettre en oeuvre le plan gouvernemental et ses deux déclinaisons, les plans d'actions 2013-2015 et 2016-2017, ne permettent pas d'être fidèle à l'ambition qui a présidé à leur élaboration. Sans nier la qualité du travail réalisé au quotidien par l'équipe de la Mildeca, son action s'apparente, dans ces circonstances, à du saupoudrage d'une ressource financière limitée sur un nombre trop important de projets.

Votre rapporteur pour avis renouvelle par ailleurs son opposition aux SCMR , en raison aussi bien du message d'une légalisation de facto de l'usage de stupéfiants qui est ainsi envoyé à nos jeunes que de leur impact mal évalué en matière de santé et d'ordre publics. Si quelques aménagements positifs ont été apportés au projet initial, en particulier leur localisation sur des emprises hospitalières, il est désormais essentiel qu'une évaluation scientifique de leurs conséquences sur leurs usagers, sur les quartiers dans lesquelles elles sont implantées et sur les comportements de consommation des toxicomanes soit réalisée avant tout débat sur leur généralisation.

Enfin, 2016 aura représenté une occasion manquée de débattre de la réponse pénale à l'usage simple de stupéfiants et des remèdes à apporter à son inefficacité . La peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende 3 ( * ) actuellement en vigueur, très lourde, n'est dans les faits jamais appliquée, en particulier pour les premières consommations, et a perdu son caractère dissuasif . La contraventionnalisation du premier usage , adoptée par le Sénat à deux reprises 4 ( * ) à l'initiative de votre rapporteur pour avis, permettrait de remédier à ces insuffisances en garantissant un traitement rapide de l'infraction et en soulignant les conséquences pécuniaires de celle-ci. Le rapport d'un groupe de travail piloté par la Mildeca, qui n'a jamais été rendu public mais dont la presse s'est faite l'écho, partage ce constat. Le Gouvernement a préféré l'ignorer : c'est donc à son successeur, quel qu'il soit, qu'il appartiendra de traiter ce dossier.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN CADRE BUDGÉTAIRE CONTRAINT QUI REMET EN CAUSE LES ENGAGEMENTS DU GOUVERNEMENT EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS

A. LA POURSUITE DE LA DIMINUTION DE LA DOTATION BUDGÉTAIRE

La Mildeca a pour mission, en application de l'article R. 3411-13 du code de la santé publique, d'animer et de coordonner les actions de l'Etat en matière de lutte contre « l'usage nocif des substances psychoactives et les conduites addictives », aussi bien pour en réduire l'offre que la demande. Selon ce texte, son champ de compétence comprend les domaines « de l'observation, de l'information et de la prévention, de la prise en charge et de la réduction des risques sanitaires et des dommages sociaux, de la lutte contre les trafics, de la recherche et de la formation ». Elle participe également à la définition de la position française dans les instances européennes et internationales sur ces questions.

Son activité est financée, à titre principal, par une dotation budgétaire dont la diminution , en 2017, se poursuivra pour la cinquième année consécutive . Fixée à 17,84 millions d'euros , elle est en baisse de 5,6 % sur un an et de 25 % par rapport à 2012 . En dix ans, son montant a été divisé par deux puisqu'elle s'élevait à 36,27 millions d'euros en 2007 . S'il faut rappeler que, depuis cette date, le fonds de concours dont elle bénéficie (cf. infra ), alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués dans le cadre d'affaires de trafic de stupéfiants, s'est considérablement développé, il n'en reste pas moins que son produit est redistribué aux services enquêteurs et ne contribue directement qu'à titre accessoire à ses missions essentielles : le pilotage interministériel, aux niveaux central et territorial, de l'action de l'Etat contre les addictions, l'expérimentation de dispositifs innovants et l'action internationale.

Évolution de la dotation budgétaire de la Mildeca entre 2007 et 2017

(en millions d'euros)

Source : Mildeca

Cette réduction des moyens de la Mildeca est encore plus marquée lorsqu'on examine l'évolution de sa dotation budgétaire hors dépenses de personnel (titre 2). Ces dernières restent inchangées entre 2016 et 2017 (2,34 millions d'euros).

La Mildeca étant placée auprès du Premier ministre, ses crédits de titre 2 sont mutualisés dans le budget opérationnel de programme (Bop) « Soutien », géré par la direction des services administratifs et financiers (DSAF) des services du Premier ministre. Dès lors, les crédits du BOP « Mildeca », qui regroupe les dépenses de fonctionnement autre que celles de personnel (titre 3) et les dépenses d'intervention (titre 6) et finance donc directement la mise en oeuvre des politiques publiques dont la Mildeca a la charge, s'élèvent à 15,5 millions d'euros en 2017, soit une diminution de 6,5 % en un an (-1 million d'euros), et de 27,6 % depuis 2012 .

(en millions d'euros)

Parmi les dépenses de titre 3 ( 3,57 millions d'euros ; -1,6 %), l'essentiel (89 %) est constitué des subventions pour charges de service public (SCSP) versées aux deux opérateurs de la Mildeca, l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT ; 2,8 millions d'euros) et le centre de formation anti-drogues (Cifad ; 369 000 euros), dont la baisse (-2,1 % ; cf. infra ), reste plus mesurée que celle de l'ensemble du budget de la Mildeca. Le reste des dépenses de fonctionnement courant non prises en charge par la DSAF, comme la maintenance du site internet de la Mildeca ou les frais de déplacement de ses agents, s'élève à 0,4 million d'euros, sans changement par rapport à 2016.

Source : Mildeca

Ce sont les dépenses d'intervention qui subissent la plus importante baisse . Elles passeront, entre 2016 et 2017, de 13,12 à 11,93 millions d'euros ( -9,1 % ). La majorité (71,4 %) est déléguée , au niveau territorial, aux chefs de projet placés dans chaque préfecture afin qu'ils financent des actions locales visant à améliorer la prévention des conduites addictives (cf. infra ). Alors que la loi de finances pour 2016 leur accordait à ce titre 9,1 millions d'euros , ils ne devraient disposer en 2017 que de 8,5 millions d'euros (-6,6 %).

La différence est constituée de crédits gérés au niveau central par la Mildeca, visant notamment à soutenir des projets de recherche et à développer son action internationale . Ils s'élèveront à 3,4 millions d'euros en 2017, contre 4 millions d'euros en 2016 (-15 %), avec une baisse significative des crédits consacrés à l'action internationale , qui passent de 1,26 million d'euros à un million d'euros ( -20,6 % ).

(en millions d'euros)

Source : Mildeca

Enfin, malgré ce contexte de rigueur budgétaire sévère, les effectifs de la Mildeca ne devraient pas diminuer en 2017 , son plafond d'emploi étant maintenu à 22 équivalents temps plein travaillé (ETPT), dont la moitié relevant des catégories d'encadrement (A+ et A) de la fonction publique.

Il convient toutefois de souligner qu'en sus de ces emplois, la Mildeca bénéficie de plusieurs mises à disposition , contre remboursement de la part des ministères régaliens (police, gendarmerie, douanes, justice) 5 ( * ) et à titre gratuit de la part du ministère de l'Intérieur dans des fonctions de soutien, ce qui porte à 28 le nombre d'ETPT dont elle dispose et met en lumière la contrainte que fait peser ce plafond d'emploi, certes stable depuis 2009, sur son activité.

B. DES OPÉRATEURS FRAGILISÉS

La Mildeca assure la tutelle de deux groupements d'intérêt public (GIP) : l'OFDT et le Cifad . Votre rapporteur pour avis avait alerté le Gouvernement, l'an dernier 6 ( * ) comme l'année précédente 7 ( * ) , sur la nécessité de mettre un terme à la diminution de leurs ressources , au risque de compromettre leur capacité à remplir leurs missions. Bien que ce constat soit partagé par la Mildeca, il n'a été que très partiellement entendu.

Selon sa convention constitutive, l'OFDT a pour objet « d'éclairer les pouvoirs publics, les professionnels du champ et le grand public sur le phénomène des drogues et des addictions et de contribuer au suivi du phénomène au niveau européen ». Il a mis en place à cet effet un dispositif permanent d'observation et d'enquêtes portant sur les comportements de consommation, la nature des produits stupéfiants en circulation, les profils des consommateurs ainsi que les conséquences économiques, sanitaires, sociales et pénales des trafics.

La pérennité de celui-ci est aujourd'hui menacée par la baisse ininterrompue depuis 2012 de la subvention pour charges de service public (SCSP) que la Mildeca verse à l'OFDT. En 2017, celle-ci devrait s'élever à 2,8 millions d'euros , soit une diminution de 1,7 % par rapport à 2016 . Sur les cinq dernières années, les moyens de l'OFDT ont été abaissés de 20,2 % .

Évolution du montant de la subvention pour charges de service public de l'OFDT entre 2007 et 2017

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Montant
(en millions d'euros)

3,65

3,35

3,4

3,53

3,35

3,51

3,26

3,13

3,05

2,85

2,8

Variation n/n-1
(en %)

/

-8,22

+1,49

+3,82

-5,1

+4,8

-7,1

-4

-2,6

-6,4

-1,7

Evolution globale (en %)

-23,29

Source : Commission des affaires sociales à partir des projets annuels de performance annexés aux PLF pour 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017

Cette réduction de la SCSP est certes moins importante que celle subie en 2016, qui s'élevait à 6,4 % . La Mildeca a pris conscience que les limites de l'exercice avaient été atteintes, et qu'une nouvelle baisse d'une même ampleur compromettrait la capacité de l'OFDT à remplir ses missions.

Cette situation entre toutefois en contradiction directe avec l'objectif affiché du Gouvernement de « fonder les politiques de lutte contre les drogues et les conduites addictives sur la recherche et l'observation » 8 ( * ) , et envoie un signal très négatif sur sa volonté de développer la connaissance des phénomènes addictifs pour mieux y répondre.

Évolution de la subvention pour charges de service public de l'OFDT entre 2007 et 2017

Source : Commission des affaires sociales à partir des projets annuels de performance annexés aux PLF pour 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017

Alors qu' en dix ans l'OFDT a perdu 23,3 % de ses ressources budgétaires , il a également vu ses effectifs se réduire , perdant en moyenne un ETPT tous les deux ans. Son plafond d'emploi, qui était de 33 ETPT en 2007 et de 31 jusqu'en 2012, était descendu à 30 en 2013, 29 en 2014, puis 28 en 2015 et 2016 . Un ETPT supplémentaire lui sera retiré en 2017, ce qui représente une baisse de 13 % par rapport à 2012 alors que ce sont ses moyens humains qui conditionnent la capacité de l'observatoire de remplir ses missions et d'engager de nouvelles analyses.

L'OFDT bénéficie également de deux emplois hors plafond , l'un représentant 0,8 ETPT, mis à disposition sans remboursement par l'agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France, et l'autre, pour un ETPT, financé grâce à une subvention de l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) dans le cadre du réseau européen d'information sur les drogues et les toxicomanies (Reitox).

Ce contexte budgétaire contraint a d'ores et déjà conduit l'OFDT à réaliser d'importants efforts afin d' améliorer sa gestion financière , ce qu'il convient de saluer. Les dépenses de fonctionnement ont ainsi fortement diminué : alors qu'elles étaient très légèrement supérieures aux dépenses de personnel en 2010 et représentaient un montant équivalent à 93 % de ces dernières en 2012, elles ne comptaient plus que pour 69 % de celles-ci selon le compte financier 2015 et pour 51 % dans le budget initial 2016. La part des dépenses de fonctionnement par rapport au budget total de l'OFDT est quant à elle passée de 48,2 % en 2012 à 33,9 % en 2016.

Évolution comparée des dépenses de fonctionnement et des dépenses de personnel de l'OFDT entre 2007 et 2017

Source : Commission des affaires sociales à partir des projets annuels de performance annexés aux PLF pour 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017

Le contrôle de cet organisme par la Cour des Comptes en 2015 et 2016 a par ailleurs permis d'identifier certaines anomalies qui ont pu être corrigées. Ainsi, le niveau de son fonds de roulement , jugé « surabondant » à quinze mois de fonctionnement courant, a été ramené à trois mois par un prélèvement d'un million d'euros , réalisé en 2015 et répété en 2016, ce qui a permis de diminuer à due concurrence, en exécution, la SCSP. En 2017, selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par le directeur de l'OFDT, un dernier prélèvement de moindre ampleur, à hauteur de 400 000 euros, devrait être réalisé. Il pourrait notamment être consacré à des investissements destinés à améliorer les logiciels utilisés dans le cadre du dispositif Sintes (système d'identification national des toxiques et substances).

La Cour avait également souligné l'absence d'approbation par le pouvoir réglementaire, antérieurement à 2010 et entre juin 2013 et septembre 2015, de la convention constitutive du GIP , qui est renouvelée tous les trois ans. Cette situation entrainait une insécurité juridique forte , puisque l'OFDT était dans les faits dépourvu de personnalité juridique durant ces périodes , ouvrant la possibilité de poursuites de ses agents, devant les juridictions financières, pour gestion de fait . Le Gouvernement a procédé à sa régularisation dans le cadre de la loi de règlement du budget de l'année 2015 9 ( * ) .

L'OFDT a construit ses travaux autour de quatre axes : améliorer la compréhension des usagers de drogues et des trajectoires de consommation ; développer et adapter les systèmes d'information ; mieux comprendre l'impact des réponses publiques ; développer l'observation et l'évaluation au sein des territoires. Pour s'y conformer et surmonter les difficultés liées à la diminution de ses moyens , il doit désormais rechercher des financements complémentaires auprès d'autres acteurs. C'est particulièrement vrai s'agissant des projets ayant un champ local , pour lesquels les ARS sont régulièrement mises à contribution. Cette diversification forcée des ressources de l'OFDT conduit la direction de celui-ci à consacrer un temps croissant à la recherche de fonds, au détriment du pilotage du GIP et de son travail quotidien.

Plusieurs initiatives locales devraient dans ce cadre permettre de combler des lacunes identifiées de longue date et aggravées ces dernières années. Le dispositif d'observation des phénomènes émergents Trend (tendances récentes et nouvelles drogues), qui comptait douze sites dans l'hexagone et outre-mer au début des années 2000, ne repose aujourd'hui plus que sur sept sites, tous situés sur le territoire métropolitain.

L'identification des nouveaux comportements de consommation outre-mer doit donc constituer une priorité des travaux de l'OFDT. En ce sens, un financement de l'ARS Océan indien a été obtenu pour un projet de suivi de la toxicomanie à Mayotte, en particulier la consommation de la « chimique », cannabinoïde de synthèse très addictif importé d'Asie. Le ministère des outre-mer a quant à lui apporté son soutien financier à une étude ponctuelle sur les usages de drogues dans les départements d'outre-mer en 2014 10 ( * ) .

Cette situation financière précaire a d'ores et déjà mis l'OFDT dans l'impossibilité de reconduire l'ensemble de ses études . Si, en 2017, l'enquête triennale ESCAPAD menée auprès des jeunes de 17 ans, qui permet d'obtenir des résultats à l'échelle des régions et des départements, sera bien réalisée, malgré son coût de 120 000 euros, l'enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes des Français (Eropp) ne pourra pas être financée, le budget de l'OFDT ne permettant pas de la prendre en charge. Représentant une dépense d'environ 200 000 euros, elle devrait être reportée en 2018. Votre rapporteur pour avis estime que le peu de considération dont les pouvoirs publics font preuve à l'égard de l'OFDT , dont les travaux permettent pourtant d'établir le diagnostic préalable à la définition de la stratégie gouvernementale contre les addictions et de faire le bilan de celle-ci, traduit les limites de leur engagement en faveur d'une nouvelle politique de lutte contre les conduites addictives . De toute évidence, ce n'est pas en asséchant le thermomètre que de meilleurs résultats seront obtenus.

Le même constat peut être fait concernant le Cifad . Ce GIP, basé à Fort-de-France (Martinique), est chargé de contribuer à la lutte contre le trafic de stupéfiants dans les Caraïbes et les pays d'Amérique latine en proposant aux Etats concernés des formations à destination de leurs forces de l'ordre en matière de réduction de l'offre de stupéfiants, et en approfondissant la coopération internationale par le biais de colloques et de séminaires. Il organise également des actions de prévention en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

Les personnels travaillant au Cifad, policiers, gendarmes et douaniers, sont mis à sa disposition à titre gratuit par les ministères de l'intérieur et de l'économie et des finances. Au nombre de 14 en 2016, ils ne devraient être que 12 (-14,3 %) en 2017. Le Cifad bénéficie également de l'appui technique d'un magistrat de la cour d'appel de Fort-de-France et de l'ARS.

Source : Commission des affaires sociales à partir des projets annuels de performance annexés aux PLF pour 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017

Son unique financement provient de la SCSP que lui verse de la Mildeca. Elle devrait s'élever en 2017 à 369 000 euros , en baisse de 5,1 % par rapport à 2016. Comme l'OFDT, il subit depuis 2012 une diminution de ses ressources : sur cinq ans celle-ci s'élève à 25 % , et même à 28,8 % depuis 2007.

En 2015, alors qu'il percevait 408 000 euros , le Cifad avait été en mesure d'organiser 140 actions de formation, de prévention, ou de coopération internationale, soit 14 de plus qu'en 2014 (+ 11,1 %) et à 60 % à l'étranger, malgré un budget en baisse de 7,1 % . Il avait accueilli 6 476 stagiaires , soit une hausse de 6,5 % par rapport à l'année précédente. Au 1 er août 2016, selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, 94 actions ont déjà été conduites, à destination de 4 100 personnes 11 ( * ) , réparties de manière égale entre les départements français d'Amérique (46) et les pays voisins (48).

Votre rapporteur pour avis est satisfait que les activités du Cifad soient ciblées en direction de plusieurs pays prioritaires , qu'il s'agisse de ceux où la cocaïne est produite (Colombie, Bolivie, Pérou) ou d'autres, comme les Etats de la Caraïbe, le Brésil ou le Venezuela, qui jouent un rôle important dans le transit du trafic international. 85 % des actions conduites à ce jour en 2016 à l'étranger s'y sont déroulées. Il est toutefois douteux qu'un tel rythme d'activité puisse être maintenu dans les années à venir si la baisse de la SCSP de ce GIP se poursuit au rythme qu'elle a connu ces dernières années.

C. UN FONDS DE CONCOURS QUI RESTE INABOUTI

En plus de sa dotation budgétaire, la Mildeca dispose d'une seconde ressource : un fonds de concours alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués par les tribunaux dans le cadre d'affaires de trafic de stupéfiants. Mis en place à partir du milieu des années 2000, son produit a dans un premier temps été limité en raison du manque de connaissance des magistrats à son sujet et de la complexité des procédures pour l'alimenter.

À partir de 2010, une réforme essentielle a permis d'améliorer le rendement du fonds de concours : la création de l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) 12 ( * ) , seule compétente (en théorie, cf. infra ) pour abonder le fonds de concours. Elle est chargée de la gestion des fonds et biens dont la saisie a été ordonnée au cours d'une enquête par un magistrat et de la vente de ceux confisqués définitivement en application d'une décision de justice, essentiellement du numéraire et des comptes bancaires, mais également des biens mobiliers (véhicules, etc.) et immobiliers.

Évolution du montant des sommes déléguées par la Mildeca au titre du fonds de concours depuis 2010

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Sommes déléguées
(en millions d'euros)

11,09

21,07

22,77

9,67

11,12

13,26

14,07

Note : les sommes déléguées et consommées en année N correspondent aux crédits rattachés au fonds de concours en année N-1

Source : Mildeca

Après avoir dépassé 20 millions d'euros par an en 2010 et 2011, en raison de l'apurement par les tribunaux des biens confisqués dans le cadre d'affaires définitivement jugées au cours des années antérieures, le fonds de concours s'est stabilisé ces dernières années aux alentours de 14 millions d'euros . Sachant que les crédits rattachés à la Mildeca à ce titre en année N sont redistribués et consommés l'année suivante, son montant a atteint en 2015, sur la base des saisies de 2014, 13,26 millions d'euros et, pour 2016 grâce aux sommes obtenues en 2015, 14,07 millions d'euros . Au 1 er novembre 2016, l'Agrasc avait déjà versé à la Mildeca 10,08 millions d'euros, qui seront délégués en 2017.

En application d'une décision interministérielle du 15 février 2007, les crédits du fonds de concours sont répartis , selon une clé inchangée depuis lors, entre les ministères participant à la lutte contre le trafic de stupéfiants et la Mildeca à hauteur de :

- 35 % pour la police (direction générale de la police nationale) ;

- 25 % pour la gendarmerie (direction générale de la gendarmerie nationale) ;

- 20 % pour la justice (directions de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse, des affaires civiles et des grâces, des services judiciaires, école nationale de la magistrature, école nationale de l'administration pénitentiaire, secrétariat général) ;

- 10 % pour les douanes (direction générale des douanes et des droits indirects).

La Mildeca conserve les 10 % restants, qu'elle consacre au financement d'actions de prévention et qui sont complétés, en fin d'exercice, par les autorisations d'engagement non engagées par leurs bénéficiaires. Ainsi, en 2016, la police nationale a perçu 4,93 millions d'euros , la gendarmerie 3,52 millions d'euros , le ministère de la justice 2,81 millions d'euros et les douanes 1,41 million d'euros .

Ces sommes sont consacrées au financement de matériel destiné aux services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants , afin de renforcer leurs capacités opérationnelles, que ce soit en matière d'investigation ou de renseignement. Elles permettent également d'améliorer la formation des personnels et de développer la coopération internationale. À titre d'exemple, devraient être financée, en 2016, l'acquisition, par la police, de moyens de déplacement et de filature ou encore de matériel informatique, d'outils de communication sécurisés pour la gendarmerie ainsi qu'une initiative de coopération judiciaire avec le Maroc pour la magistrature.

La Mildeca a pour sa part bénéficié en 2016 de 1,41 million d'euros . Votre rapporteur pour avis tient à réitérer sa position de principe sur ce fonds de concours : il ne saurait justifier la diminution des crédits budgétaires que la Mildeca subit depuis plus de cinq ans . Son objet est bien plus circonscrit que le champ de l'action interministérielle contre les drogues et les conduites addictives et l'approche intégrée sur laquelle elle repose. En effet , 90 % de son total vient soutenir l'action des services chargés de l'application de la loi et compenser la baisse de leurs moyens.

De plus, plusieurs constats récents de la Mildeca permettent d'affirmer que d'importants progrès pourraient encore être réalisés dans le pilotage et l'alimentation du fonds de concours , afin d'en augmenter le montant et, à terme, d'améliorer l'efficacité de la lutte contre les trafics. Tout d'abord, ainsi que l'a souligné à votre rapporteur pour avis le directeur général de l'Agrasc, celle-ci n'est pas le seul organisme à contribuer au fonds de concours. Selon la Mildeca, en 2015, 72 % des versements ont été effectués par cette dernière, 18,6 % par les Domaines et 8,5 % directement par les juridictions . Ainsi, dans certaines procédures où des sommes ne sont pas saisies mais directement confisquées 13 ( * ) , le greffe du tribunal concerné peut les verser directement au fonds de concours, sans l'intermédiaire de l'Agrasc.

Dans un souci de lisibilité et de cohérence des pratiques judiciaires en matière de saisie et de confiscation, il conviendrait de confier cette responsabilité à la seule Agrasc , qui est déjà chargée, en application du 2° de l'article 706-160 du code de procédure pénale, de la gestion centralisée de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales.

Par ailleurs, il est apparu que 20 % des juridictions ne contribuent pas au fonds de concours , certaines, notamment en Corse ou outre-mer, ne procédant presque à aucune confiscation. Cette application très variable des possibilités offertes par la loi pour sanctionner sur leur patrimoine les personnes condamnées pour trafic de stupéfiants est pour le moins étonnante, malgré les progrès réalisés dans ce domaine depuis 2010. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, il convient aujourd'hui de passer outre les particularismes locaux et d' assurer sur ce point une administration de la justice cohérente sur tout le territoire de la République . Il appartient au ministère de la justice d'étudier les origines de ces divergences et de les corriger.

De même, il est à noter que l'évolution du fonds de concours entre 2014 et 2015 (+ 9,4 %) est inférieure à celle du montant total des saisies des avoirs criminels sur la même période (+ 14 %). Il est donc probable qu'une mauvaise identification d'une partie de ces saisies entraine leur versement directement au budget de l'Etat, au détriment de la Mildeca , de la prévention et de la lutte contre les trafics. La traçabilité des biens saisis doit donc être garantie afin que le fonds de concours reflète avec précision l'activité des services enquêteurs et des juridictions et que soient attribués à ces derniers, à due proportion de leur implication dans l'application de la loi, des moyens supplémentaires pour remplir leurs missions.

D. UNE AMÉLIORATION DU PILOTAGE TERRITORIAL DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES CONDUITES ADDICTIVES À POURSUIVRE

La politique interministérielle de prévention des addictions prend la forme, au niveau territorial , du financement par des chefs de projet - traditionnellement les directeurs de cabinet des préfets de département et de région - d'initiatives locales portées par des structures associatives grâce à des crédits dévolus par la Mildeca (cf. supra ). En baisse de 6,6 % entre 2016 et 2017, ils devraient néanmoins représenter près de 55 % de la dotation budgétaire de la Mildeca , hors dépenses de personnel, soit 8,5 millions d'euros sur 15,5 millions d'euros .

Coeur de l'action de la Mildeca, cet échelon trop longtemps négligé est depuis plusieurs années en voie de modernisation . Dans le cadre de la modernisation de l'action publique (Map), une évaluation du pilotage territorial de la politique de prévention et de lutte contre la toxicomanie a été réalisée en 2014 par l'inspection générale des affaires sociales (Igas), l'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ) 14 ( * ) . Après avoir fait le constat sévère de la « faible maturité » du système de pilotage interministériel, de l'absence de stratégies régionales reposant sur des diagnostics locaux et du « saupoudrage financier » lié à la reconduction automatique de projets mal évalués, ce rapport proposait de revoir complètement l'architecture de cette politique , soit en créant une instance de pilotage régional qui serait secondée par l'ARS, soit au contraire en déléguant les crédits directement aux différents ministères, sous la conduite des administrations centrales concernées.

Sans que ces scénarios soient retenus par la Mildeca, cette dernière a néanmoins dû convenir de la justesse des remarques formulées par cette mission , en particulier le manque de disponibilité des chefs de projet , pour qui cette tâche vient s'ajouter à leurs responsabilités au sein des préfectures et à laquelle ils ne peuvent consacrer qu'à peine 1 % de leur temps 15 ( * ) . Il importait donc de développer , au sein de la Mildeca, des capacités d'appui et d' améliorer la coopération entre les chefs de projet , sous l'égide de l'échelon régional.

En effet, l'efficacité de cette politique territoriale est mesurée chaque année dans le cadre du PLF. L'amélioration de la coordination des actions interministérielles de lutte contre les drogues et les toxicomanies est l'un des objectifs de performance associés au programme 129 « Coordination du travail gouvernemental ». Son évaluation repose sur la capacité des chefs de projet à mobiliser des cofinancements locaux , en complément de la dotation de la Mildeca 16 ( * ) . Ainsi, le montant des crédits apportés par les partenaires locaux représentait 67 % du financement global des actions de prévention territoriales en 2015 (17,95 millions d'euros sur 27,13 millions d'euros, la différence étant constituée par la dotation de 9,18 millions d'euros de la Mildeca). L'objectif est de parvenir à 69 % en 2017 et d'atteindre, à terme, 70 % .

La Mildeca a apporté plusieurs modifications importantes au fonctionnement de son réseau de chefs de projet, afin de le dynamiser . Dès 2013, elle a régionalisé les financements qu'elle apporte, confiant aux chefs de projet régionaux, placés auprès du préfet de région, le soin de répartir leur dotation entre les départements, de coordonner leurs actions et d'assurer leur cohérence territoriale. Elle a ensuite insisté pour que les chefs de projet développent l'effet de levier des crédits dont ils disposent 17 ( * ) , les invitant à les orienter vers les publics désignés comme prioritaires 18 ( * ) par le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 (cf. infra ). La circulaire d'orientation 2016 rappelle également la nécessité de réévaluer chaque année les subventions versées et de favoriser les projets visant à mettre en place une prise en charge sur la durée des personnes exposées aux addictions.

Les critères de répartition des dotations régionales de la Mildeca

La modulation de la dotation annuelle attribuée par la Mildeca aux chefs de projet régionaux est réalisée selon quatre critères :

- une enveloppe forfaitaire par région , pour prendre en compte la dimension régionale ;

- le nombre de départements couverts , pour prendre en compte la dimension départementale ;

- l' effectif de la population de moins de 20 ans , principale cible de la politique de prévention ;

- le nombre de jeunes âgés de 17 ans concernés par les usages quotidiens de tabac, réguliers de cannabis et par les ivresses répétées.

Source : Mildeca

En 2015, sur les 9,18 millions d'euros délégués par la Mildeca, 49 % ont été consacrés à la prévention , 18 % à l'application de la loi , 17 % à l'accompagnement des populations les plus vulnérables et 5 % à la formation , qui sont les quatre domaines dans lesquels ces fonds peuvent être mobilisés. S'agissant des financements extérieurs , qui se sont élevés à 17,95 millions d'euros , les principaux contributeurs furent les ARS (31 %) et les collectivités territoriales (27 %). La majorité (53 %) des projets retenus ont été initiés par des associations . Enfin, le pilotage départemental et régional s'est développé puisqu'un comité de pilotage a été réuni dans 69 % des départements et 80 % des régions.

Si ces résultats peuvent sembler encourageants, plusieurs fragilités de cette politique , héritages de pratiques anciennes, n'ont pas encore été corrigées . Ainsi, les crédits de prévention restent encore utilisés , dans certains départements, pour financer l'achat de matériel d'investigation pour les forces de l'ordre ou des consultations médicales d'examen des personnes en état d'ivresse publique et manifeste, qui devraient pourtant relever d'un financement de droit commun des services concernés . 52 % des projets soutenus sont des reconductions de l'année précédente, ce qui constitue une amélioration par rapport au taux de 56 % observé en 2014. En revanche, la part des départements ayant réalisé l'évaluation d'au moins un projet a chuté de 57 % en 2014 à 50 % en 2015. De plus, la Mildeca elle-même souligne que, lorsqu'elles sont conduites, ces évaluations, qui ne sont pas à même de mesurer l'impact à long terme de l'action financée, reposent sur une logique quantitative . Enfin, seule une minorité de chefs de projet départementaux (25 %) a pu bénéficier d'un diagnostic local de la situation des addictions pour définir une stratégie pertinente visant à répondre aux enjeux locaux en la matière.

La réforme de la politique territoriale de lutte contre les drogues et les conduites addictives reste donc inachevée . Comme l'an dernier, votre rapporteur pour avis appelle la Mildeca à la poursuivre et à corriger les faiblesses qui persistent , qu'il s'agisse de l'évaluation lacunaire des actions financées ou du manque de connaissance des phénomènes addictifs locaux . Dans quatre régions pilotes (Occitanie ; Centre-Val de Loire ; Hauts-de-France ; Pays-de-la-Loire), elle a engagé une nouvelle étape de la modernisation de ce volet de son action, qui repose notamment sur l'adoption de nouvelles méthodes de travail : recours à des conventions pluriannuelles avec les organismes retenus dans le cadre des appels à projet, partenariat avec le service civique, cofinancement d'actions avec le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) et développement de l'évaluation des actions financées.

L'impact de la réforme territoriale , avec la création des douze grandes régions métropolitaines, doit également être pris en compte. Sur ce point, un équilibre doit être trouvé afin que les plus petits départements ne soient pas délaissés au profit des zones urbaines plus peuplées. Si les addictions peuvent y paraître moins prégnantes, elles y sont en réalité en expansion. Les contraintes particulières liées à la mise en place d'une politique de prévention dans ces territoires (faible densité de population, éloignement, relief, etc.) ne doivent pas être négligées, et les chefs de projet doivent disposer des moyens appropriés pour y parvenir. Il apparaît par ailleurs indispensable de s'appuyer davantage sur l'OFDT pour établir des diagnostics locaux permettant de mieux cibler les appels à projet sur les problématiques spécifiques à chaque territoire.

E. UNE APPROCHE INTÉGRÉE QUI N'A PAS LES MOYENS DE SES AMBITIONS

La stratégie de l'Etat en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives, telle qu'elle a été élaborée par la Mildeca et adoptée le 19 septembre 2013 par le comité interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie et de prévention des dépendances, trouve sa traduction dans le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives , qui couvre la période 2013-2017 . Il incarne l'approche intégrée française en la matière, englobant prévention, réduction des risques, prise en charge sanitaire et sanction de l'usage et du trafic de stupéfiants.

Le plan a été accompagné d'une évolution sémantique dont il ne faut pas sous-estimer l'importance : la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ( Mildt ) est devenue à cette occasion la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ( Mildeca ) 19 ( * ) , afin de faire explicitement entrer dans son champ de compétence les addictions comportementales et de rompre avec une approche basée sur les substances .

Le plan 2013-2017 a été construit autour de trois priorités : fonder l'action publique sur l'observation, la recherche et l'évaluation ; prendre en compte les populations les plus exposées pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux ; renforcer la sécurité, la tranquillité et la santé publiques en luttant contre les trafics et contre toutes les formes de délinquance liées aux consommations de substances psychoactives. Ses cinq parties 20 ( * ) détaillent la feuille de route gouvernementale et en fixent les objectifs.

La mise en oeuvre opérationnelle du plan a été déclinée en deux plans d'actions , le premier portant sur les années 2013 à 2015 et le second sur les années 2016 et 2017.

Le coût du premier de ces plans, qui comprenait 131 actions , était initialement évalué à 58,84 millions d'euros , dont 14,22 à la charge de la Mildeca , 28,67 à celle des ministères et 15,95 à celle de l'assurance maladie . Agglomération d'actions d'importance et d'intérêt inégaux, de l'organisation d'un colloque sur les conduites addictives chez les jeunes (action 15) à l'expérimentation d'une salle de consommation à moindre risque (action 54), en passant par la formation des intervenants en éducation pour la santé et en santé scolaire au thème des conduites dopantes (action 108), il est aujourd'hui possible de faire le bilan de sa mise en oeuvre.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par la Mildeca , celle-ci y a consacré 15,13 millions d'euros , issus de sa dotation budgétaire et du fonds de concours (5,45 millions d'euros), le premier poste de dépense étant l'action internationale en matière de lutte contre les conduites addictives (4,76 millions d'euros, soit 31 % du total), qui ne représente pourtant que neuf actions . La prévention, la prise en charge et la réduction des risques viennent en second, avec 4,15 millions d'euros engagés (27 % pour environ 60 actions), soit un niveau très légèrement supérieur à celui des crédits destinés à la recherche (4,03 millions d'euros, 27 % du total également pour quatre actions).

Les ministères partenaires ont quant à eux alloué 68,6 millions d'euros au plan. Au 1 er septembre 2015, 25 actions étaient achevées , 80 en cours de mise en oeuvre , 23 reportées (18 %) et trois supprimées . Toutefois, les réserves formulées à son sujet l'an dernier par votre rapporteur pour avis sont toujours valables aujourd'hui : sans remettre en cause la pertinence de la très grande majorité des actions proposées , le saupoudrage de ressources limitées sur un trop grand nombre d'entre elles est un frein à l'efficacité globale de la politique menée . De plus, les mesures proposées ne sont pas hiérarchisées , ce qui nuit à la lisibilité de l'action publique et à son évaluation qualitative.

Par ailleurs, les financements de la Mildeca restent, en 2015 comme en 2016, d'un montant très inégal . Ils varient de 3 000 euros pour une « action pour les bars à chicha » à 900 000 euros pour la contribution volontaire de la France à l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). C et accent mis sur la coopération internationale , s'il n'est pas critiquable en tant que tel en raison du caractère éminemment transnational de la question du trafic de stupéfiants et des addictions, reste étonnant aux yeux de votre rapporteur pour avis . En effet, l'impact direct de ces crédits devrait être très limité sur la prise en charge des personnes souffrant d'une addiction en France , l'amélioration des politiques de prévention ou la réduction des risques et des dommages sanitaires liés aux stupéfiants, au moins à court terme. Il est étonnant que la contribution de la France à une organisation internationale ne soit pas prise en charge par le ministère des affaires étrangères et du développement international , et ce alors que le  redéploiement d'une part, même limitée, de ces crédits aurait sans nul doute permis de combler plusieurs des lacunes de la politique nationale de lutte contre les conduites addictives.

Ces faiblesses sont exacerbées dans le plan 2016-2017, qui s'inscrit dans un cadre budgétaire plus contraint que son prédécesseur . Il comprend pas moins de 254 actions , organisées autour de dix axes :

- prévenir et communiquer ;

- accompagner et prendre en charge ;

- réduire les risques sanitaires et les dommages collatéraux ;

- agir en outre-mer ;

- intensifier la lutte contre les trafics ;

- mieux appliquer la loi ;

- soutenir la recherche et l'observation ;

- harmoniser les contenus de la formation initiale et continue ;

- renforcer l'efficience de la gouvernance ;

- renforcer l'action de la France aux niveaux européen et international.

Il prend la forme d'un inventaire tout aussi hétéroclite que son prédécesseur , proposant tout autant de « renforcer la surveillance du darknet » (action 5.3) que « d'élargir l'enseignement en addictologie actuellement dispensé aux étudiants en médecine à l'ensemble des professionnels de santé » (action 8.1). Certaines de ces actions s'inscrivent dans le prolongement de celles menées entre 2013 et 2015 , notamment en matière de prévention (cf. infra ). Toutefois, ainsi que l'ont expliqué à votre rapporteur pour avis les représentants de la Mildeca lors de leur audition, sa contribution au financement du plan ne pourra qu'être inférieure e n 2017 au niveau qu'elle avait atteint les années précédentes . Alors que le choix va être fait de limiter la diminution des ressources déléguées aux chefs de projet territoriaux, seuls des financements complémentaires de la part des différents ministères concernés permettraient la mise en oeuvre effective de ce plan d'actions.

Dès lors, votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer que la Mildeca ait élaboré une feuille de route ambitieuse qui devrait rester virtuelle . Il faut tirer les conséquences de cette situation : la prochaine équipe de la Mildeca devra nécessairement mener une réflexion visant à bâtir une politique plus lisible , autour d'un nombre plus restreint d'actions , en adéquation avec les moyens qui lui sont accordés et dotée d'une visibilité renforcée auprès des acteurs du champ des addictions mais également de l'ensemble de la société civile qui en soit renforcée.

Cela passe notamment par l'évaluation des actions réalisées dans le cadre du plan gouvernemental actuel. L'an dernier, la Mildeca a confié au laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP - Sciences Po) l'évaluation qualitative de la mise en oeuvre de quatre des actions prévues par celui-ci : les étudiants relais-santé, la campagne de communication relative aux consommations jeunes consommateurs, le programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale et l'action « argent facile » engagée dans les quartiers Sud de Marseille afin de prévenir les conduites addictives et réduire l'attrait pour les trafics. D'un coût de 125 000 euros , elles devraient être remises à la Mildeca en décembre 2016.

De même, un tableau de bord d'indicateurs clés, construit autour d'une dizaine d'objectifs par axe du plan gouvernemental, a été élaboré par l'OFDT afin de mesurer les effets du plan et la pertinence des constats formulés lors de sa préparation. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, cette démarche doit être amplifiée et les moyens de l'OFDT davantage sollicités pour dresser le bilan qualitatif des actions menées dans le cadre du plan, en particulier celles financées directement par la Mildeca. Il est nécessaire, au vu des moyens réduits dont elle dispose, d'améliorer l'efficacité de la politique publique de lutte contre les conduites addictives .

De plus, si l'approche intégrée de cette problématique, par nature plus exigeante qu'une focalisation sur un seul de ses aspects, qu'il s'agisse de la prévention ou de la lutte contre les trafics, doit être préservée à l'avenir, il convient d'éviter de répéter, dans le prochain plan gouvernemental, les erreurs commises depuis 2013.

II. LA POLITIQUE GLOBALE DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS A PRODUIT DES EFFETS CONTRASTÉS

A. L'ÉVOLUTION DES CONSOMMATIONS TRADUIT UNE AUGMENTATION DES COMPORTEMENTS À RISQUE

Malgré les politiques volontaristes menées par les gouvernements qui se sont succédé et qui, quelle que soit leur orientation politique, ont bâti l'action publique autour du triptyque prévention - application de la loi - réduction des risques et des dommages, les conduites addictives restent aujourd'hui en France un problème de société majeur . Les conséquences sanitaires, sociales et économiques de la consommation de substances psychoactives, prohibées ou légales, dépassent de très loin l'impact direct sur les usagers eux-mêmes . Sur ce point, les évolutions constatées ces dernières années, si elles ne sont pas marquées par une augmentation forte des volumes consommés, sont caractérisées par le développement , à un rythme accéléré, des conduites à risque et par l'élargissement de la diffusion des opiacés et des nouveaux produits de synthèse.

La consommation de substances psychoactives en France

Produits illicites

Produits licites

Cannabis

Cocaïne

Ecstasy

Héroïne

Alcool

Tabac

Expérimentateurs

17 M

2,2 M

1,7 M

600 000

46,9 M

38,2 M

dont usagers dans l'année

4,6 M

450 000

400 000

//

42,8 M

16 M

dont usagers réguliers 1

1,4 M

//

//

//

8,7 M

13,3 M

dont usagers quotidiens

700 000

//

//

//

4,6 M

13,3 M

1 Dix fois par mois ou plus

Source : OFDT, Drogues chiffres clés, sixième édition, juin 2015

1. Les substances illicites

Le cannabis se situe en tête des substances psychoactives illégales consommées par les Français, avec 17 millions d'expérimentateurs , soit 42 % des adultes de 18 à 64 ans, en hausse de 26,9 % entre 2010 et 2014. Les principaux indicateurs suivis par l'OFDT connaissent une importante progression , qui ne correspond pas à l'évolution de la population : entre 2010 et 2014, le nombre d'usagers dans l'année a progressé de 21 % , celui des usagers réguliers de 17 % et celui des usagers quotidiens de 27 % alors que dans le même temps la population de référence, celle des 11-75 ans, est passée de 49 à 50 millions d'individus (+ 2 %).

Alors qu'il avait connu un fort recul entre 2002 et 2011 (- 18 % ), le niveau d'expérimentation du cannabis chez les jeunes de 17 ans (48 %) est reparti à la hausse depuis ( + 17,1 % entre 2011 et 2014). De même, l'usage régulier concerne 9 % des jeunes de cet âge, contre 6 % en 2011 ( + 50 % ), tandis que l'usage problématique de cette substance touche 8 % d'entre eux, contre 5 % en 2011 ( + 60 % ). En 2015, parmi les élèves de terminale, 54 % avaient expérimenté le cannabis, 25 % en avaient consommé dans le mois et 9 % en faisaient un usage régulier. Si on assiste, entre 2011 et 2015, à une diminution des niveaux de consommation en seconde et en première, ce retard est rattrapé durant l'année de la terminale 21 ( * ) .

Cette consommation , qui est plus souvent le fait des jeunes hommes que des jeunes femmes - une part deux fois plus importante chez les garçons que chez les filles faisant un usage régulier du cannabis - peut avoir des conséquences graves sur la santé des fumeurs . Les idées reçues sur l'innocuité du cannabis, encore malheureusement trop répandues, n'ont évidemment aucun fondement scientifique. Au contraire, la consommation régulière de cannabis a des effets physiologiques, psychologiques et psychiques indéniables , favorisant en particulier la survenue de certains cancers, comme celui du poumon.

La conduite sous l'influence du cannabis multiplie quant à elle par 1,8 le risque d'être responsable d'un accident de la route mortel. Les Français ne perçoivent malheureusement pas sa dangerosité : en 2013, seuls 54 % des 15-75 ans le jugeaient dangereux dès le premier usage.

Pourtant, sa teneur moyenne en principe actif , le tétrahydrocannabinol (THC ), a triplé en 10 ans pour la résine de cannabis , à 20,7 % en moyenne et s'élève, pour l'herbe , à son plus haut niveau depuis 15 ans , 13 % , contre 4,7 % en 2000. Selon l'analyse des dernières remontées issues du dispositif d'identification des phénomènes émergents TREND (tendances récentes et nouvelles drogues) de l'OFDT, l'offre de cette substance est « très dynamique », en réponse à une demande croissante 22 ( * ) . Cela s'explique par le fort développement de l'autoculture , par des particuliers, pour leur consommation personnelle ou des proches, et de la culture sur le territoire français par des réseaux de distribution contrôlés par le crime organisé . Ainsi, la saisie de plants par les forces de l'ordre a triplé entre 2010 et 2014 (158 000). Dans ces circonstances, l'interdiction de la consommation de cette drogue apparaît purement virtuelle aux yeux d'une partie de ses consommateurs, en particulier les plus jeunes, pour qui il s'agit d'une « pratique normale » 23 ( * ) .

La cocaïne est la substance stimulante dont la consommation a connu la plus forte croissance ces dernières années. Ainsi que le met en lumière l'OFDT 24 ( * ) , la part des 18-64 ans l'ayant expérimentée a presque quintuplé entre 1995 et 2014 ( + 367 % ), passant de 1,2 % à 5,6 % . Sur les quatre dernières années étudiées, de 2010 à 2014, elle a progressé de 47 % .

Produit désormais plus facilement accessible , en raison d'une augmentation de l'offre et d'une diminution de son prix , la cocaïne n'est plus l'apanage des catégories aisées, de certains milieux professionnels ou de certaines zones géographiques. 450 000 personnes en font un usage dans l'année, contre 400 000 en 2010 ( + 12,5 % ) et 250 000 en 2005 ( + 80 % ). A 17 ans, on constate une stabilité de son niveau d'expérimentation entre 2008 et 2014 ( 3,2 % ). Toutefois, sur une plus longue période, depuis 2000, ce dernier a plus que triplé , passant de 0,9 % à 3,2 % . Elle bénéficie encore d'une image positive, liée à la dimension festive qui a longtemps été la sienne.

Qui plus est, à côté de la traditionnelle voie de l'inhalation de la poudre de cocaïne, la cocaïne basée 25 ( * ) s'est implantée en France , bien qu'elle reste circonscrite à la région parisienne et aux départements français d'Amérique. Sous forme de crack 26 ( * ) ou de « free base » 27 ( * ) , elle est fumée et est source de graves problèmes sanitaires , en raison notamment du partage du matériel de consommation. Ses usagers, très souvent dans une situation de précarité extrême , sans logement fixe ni emploi, l'inscrivent dans une polyconsommation , au côté d'autres substances, légales ou non, ce qui rend nécessaire une prise en charge tout autant médicale que sociale, qui reste aujourd'hui encore insuffisante.

La cocaïne n'est pourtant pas une substance festive aux conséquences sanitaires et psychiques négligeables pour les consommateurs. Elle est à l'origine d' importants troubles cardiaques (le risque d'infarctus est multiplié par 24) et neurologiques (AVC, épilepsie). Son inhalation cause des lésions de la cloison nasale, tandis que sa consommation peut s'accompagner d'hallucinations, de paranoïa et être suivie d'une recherche compulsive du produit. Enfin, elle suscite une dépendance psychique chez 5 % des usagers la première année et chez 20 % d'entre eux à long terme.

Quant aux opiacés , et en particulier l'héroïne , leur consommation reste stable , sans connaître de diminution. Ils entraînent de nombreuses comorbidités , liées aussi bien au partage du matériel d'injection ou au risque de surdose qu'aux effets d'un usage prolongé sur la santé.

Ainsi, la contamination par les virus des hépatites B et C ainsi que du VIH est favorisée par la réutilisation des seringues. Si d'importants progrès en matière de réduction des risques ont été réalisés sur ce point, avec en particulier la généralisation des programmes d'échange de seringues, 64 % des usagers de drogue par injection étaient porteurs du VHC et 13 % du VIH en 2011.

L'image de l'héroïne a évolué : moins associée au VIH et aux surdoses dont elle était le synonyme dans les années 1980, elle connaît maintenant un usage récréatif et de nouvelles formes d'usage alternatives à l'injection . Pour autant, si le nombre d'expérimentateurs de cet opiacé en population générale reste limité ( 600 000 en 2014, + 20 % par rapport à 2010), il reste la drogue qui suscite les dommages sanitaires et sociaux les plus graves. Malgré le développement des traitements de substitution (TSO), qui permettent de faciliter la réinsertion sociale des usagers en stabilisant leur consommation et en diminuant les risques sanitaires associés à celle-ci, le sevrage reste inatteignable pour la plupart des personnes souffrant d'une addiction à l'héroïne.

La très forte dépendance physique et psychique est un facteur problématique qu'identifient les usagers eux-mêmes puisque, pour 46 % des personnes accueillies dans un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques (Caarud) en 2012, les opiacés constituaient la famille de produits leur posant le plus de problèmes 28 ( * ) . Le risque de surdose ( 237 décès chez les 15-49 ans en 2013) reste lui bien réel.

Enfin, les produits de synthèse ont connu un important développement ces dernières années. Entre 2010 et 2014 le nombre d'usagers d'ecstasy dans l'année a augmenté de 167 % , passant de 150 000 à 400 000 , tandis que celui des expérimentateurs a progressé de 55 % . Chez les jeunes de 17 ans, le taux d'expérimentation a doublé , passant de 1,9 % en 2011 à 3,8 % en 2014. Les nouveaux produits de synthèse (NPS), c'est-à-dire des substances psychoactives qui imitent la structure ou les effets de stupéfiants illicites, sont vendus sur Internet et ne figurent pas, au moment de leur apparition, sur la liste des stupéfiants. Alors que 60 d'entre eux avaient été identifiés entre 2008 et 2012, ce sont 116 produits supplémentaires qui sont apparus entre 2012 et 2015. Vendus sur plus d'une centaine de sites différents, ils sont souvent achetés par des usagers d'autres drogues, qui pour 85 % d'entre eux ont moins de 35 ans. Au total, 1,7 % des 18-64 ans avait, en 2014, consommé au moins une fois l'un de ces produits, qu'il se soit agi de cannabinoïdes , de cathinones 29 ( * ) ou, plus marginalement, d' opioïdes de synthèse . Ils s'inscrivent essentiellement dans une polyconsommation de produits stupéfiants : dans plus de 80 % des cas, leurs usagers ont eu recours à une autre drogue illicite au cours de l'année.

Ils font pourtant peser un risque sanitaire important , leur composition chimique précise n'étant pas connue par ceux qui en font usage. Ce n'est qu'à leur arrivée sur le marché, et souvent même une fois qu'une nouvelle molécule les a remplacés, que l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est en mesure d'analyser ces NPS et de les inscrire sur la liste des stupéfiants.

2. Les produits licites

L'impact sanitaire, économique et social de la consommation de produits stupéfiants illicites reste toutefois d'une ampleur bien plus faible que celui de l'usage de substances qui sont en vente libre à partir de 18 ans, l'alcool et le tabac , qui sont la principale source d'addictions en France.

Malgré les efforts des gouvernements successifs et la diminution du volume de tabac vendu par les buralistes (- 14 % entre 2010 et 2014 et - 5 % entre 2013 et 2014), la consommation de tabac n'est qu'en très légère diminution, 29 % des adultes étant des fumeurs quotidiens, soit 13,3 millions de personnes , contre 30 % en 2011. Cette évolution reflète la baisse de la consommation des femmes (de 27 % à 25 % ), le niveau de consommation des hommes ne connaissant aucun changement ( 33 % ).

Alors que le tabagisme quotidien avait diminué chez les jeunes de 17 ans entre 2000 ( 41,1 % ) et 2008 ( 28,9 % ), il est reparti à la hausse depuis lors, sans toutefois avoir à nouveau atteint, à 32,4 % le niveau qui était le sien. Après avoir connu une diminution de 30 % entre 2000 et 2008, il a crû de 12 % depuis cette date, et de 3 % entre 2011 et 2014.

On assiste simultanément à une forte diminution du nombre de fumeurs ayant recours à des traitements d'aide à l'arrêt du tabac . Alors qu'ils étaient 2,1 millions à le faire en 2010, ils n'étaient plus que 1,6 million en 2014 (- 31 % ), avec notamment une diminution de 24,5 % entre 2013 et 2014. Les consultations de tabacologie n'ont accueilli en moyenne que 12,8 nouveaux patients par mois en 2014, contre 14,6 en 2010 (- 12,3 % ).

68 % des fumeurs quotidiens déclarent fumer au moins dix cigarettes par jour . Le tabac est pourtant la première cause de mortalité évitable en France : selon une étude de 2015 30 ( * ) , 78 000 décès lui étaient attribuables en 2010, à 60 % en raison de cancers. La précédente estimation citée par l'OFDT, datant de 2000, ne faisait état que de 60 000 décès par an (+ 30 %).

Enfin, l'alcool est le produit qui connaît la diffusion la plus large dans la société française. La diminution de la consommation de vin, continue depuis les années 1960, entraîne avec elle une baisse des quantités consommées (- 3,4 % entre 2010 et 2013) et du nombre d'usagers quotidiens (de 5 à 4,6 millions de personnes entre 2010 et 2014, soit - 8 % ). Ce constat ne doit pas masquer le développement de comportements à risque comme l'alcoolisation ponctuelle importante (API ou binge drinking ), qui chez les jeunes est devenue la norme. 49 % de ceux de 17 ans en ont connu une dans le mois. Il s'agit d'un phénomène qui est principalement masculin puisque les hommes de 18 à 25 ans sont 70 % à en avoir connu une dans l'année ( + 9 % entre 2010 et 2014), contre 44 % des femmes du même âge ( + 10 % ) et 57 % de l'ensemble de cette tranche d'âge ( + 9,6 % ).

La consommation d'alcool est souvent associée à celle d'autres drogues et a des conséquences sanitaires graves (maladies du foie, cancers, lésions neurologiques), en particulier chez la femme enceinte. Chaque année, 49 000 décès lui sont attribués et elle multiplie par 8,5 le risque d'être responsable d'un accident de la route mortel.

Les premiers travaux visant à mesurer le coût social de la consommation de drogues en France 31 ( * ) viennent corroborer ce constat général. En 2010, le coût total de la consommation de tabac s'est élevé, pour la société française, à 122 milliards d'euros , soit un niveau légèrement supérieur à celui de l'alcool (118 milliards d'euros). Les substances illicites ne représentent quant à elles que 8,7 milliards d'euros de dépenses induites, en raison d'un nombre d'usagers bien plus réduit .

Il ne fait donc aucun doute, aux yeux de votre rapporteur pour avis, qu'un effort de prévention renouvelé doit être engagé en direction des consommateurs d'alcool et de tabac , en particulier les plus jeunes. Des résultats encourageants ont récemment été constatés avec une diminution, entre 2011 et 2015, pour la cigarette, des taux d'expérimentation , passé de 70,4 % à 60,9 % , et de consommation quotidienne , passé de 30,8 % à 23,2 % , chez les lycéens. La même tendance est observable pour la consommation d'alcool , avec une baisse de l'usage régulier 32 ( * ) , qui est passé 21,3 % à 14,8 % chez ces mêmes jeunes 33 ( * ) . Toutefois, les ressorts de ce phénomène restent , à ce jour, inexpliqués . S'il convient de s'en réjouir, il faut désormais bâtir une politique permettant de consolider, à l'âge adulte, cette évolution des comportements des lycéens.

B. L'ACCENT MIS SUR LA PRÉVENTION ET LA RECHERCHE TARDE À PRODUIRE SES EFFETS

1. Un renouveau de la prévention qui peine à s'imposer

Le plan gouvernemental 2013-2017 compte, parmi ses orientations , le développement d'une politique de prévention reposant sur une approche scientifique et construite sur des preuves . Il prévoyait la création d'une nouvelle structure chargée de sélectionner des projets innovants dans ce domaine et d'évaluer leur efficacité avant d'envisager leur éventuelle généralisation.

L'action de cette commission interministérielle de prévention des conduites addictives (Cipca), mise en place en 2014 par la Mildeca et regroupant douze ministères ainsi que plusieurs organismes publics ou associatifs intéressés, vise à remplir quatre objectifs :

- valoriser et diffuser de nouvelles méthodes de prévention s'appuyant sur des données probantes et une approche pluridisciplinaire de la prévention ;

- proposer des caractéristiques des programmes de prévention efficaces ne s'arrêtant pas à une action ponctuelle d'information des publics concernés ;

- favoriser une culture de l'évaluation pour améliorer la qualité des programmes de prévention ;

- faciliter les transferts de connaissances et les échanges entre le monde de la recherche et les professionnels de la prévention.

A la suite d'un appel à candidatures lancé au printemps 2014, cinq programmes de prévention parmi les quatre-vingt proposés ont été retenus pour faire l'objet d'une évaluation , actuellement en cours. Devant répondre à de stricts critères d'éligibilité (être constitués d'un ensemble structuré d'activités ; être fondés sur un mécanisme d'action explicite ; définir un objectif comportemental explicite), ces projets devaient viser prioritairement les publics prioritaires du plan gouvernemental 34 ( * ) . Sur les 260 000 euros consacrés à la Cipca par la Mildeca dans le cadre du plan d'actions 2013-2015, 250 000 euros ont été alloués, via une convention conclue avec l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) 35 ( * ) , au financement de ces évaluations .

La création de la Cipca visait à remédier aux lacunes françaises en matière de validation scientifique des politiques de prévention . Votre rapporteur pour avis est satisfait qu'une prise de conscience ait eu lieu à ce sujet, la multiplicité des acteurs et des intérêts en jeu ne favorisant pas , jusqu'à aujourd'hui, la lisibilité et l'efficacité des politiques menées. Elle a également contribué à l'amélioration des procédures de sélection des projets de prévention par les financeurs, avec l'élaboration en 2016 d'une grille d'instruction des dossiers établie sur la base des standards de qualité européens. Le maintien en activité de la Cipca , qui fait partie du plan d'actions 2016-2017, doit donc être salué .

Néanmoins, les remarques formulées l'an dernier par votre rapporteur pour avis restent pertinentes : le succès de la Cipca dépendra de sa capacité à impulser une nouvelle dynamique en matière de prévention, et il est indispensable qu'elle dispose de moyens supplémentaires pour développer son activité et son expertise et faire appel à des équipes d'évaluation supplémentaires. Il semblerait que sur ces deux points aucune avancée positive n'ait été constatée en 2016 ou ne soit à attendre en 2017 . La Mildeca souligne tout d'abord que la diffusion des concepts proposés par la Cipca rencontre « des résistances fortes au niveau des acteurs de terrain ». De plus, aucun autre appel à candidatures n'a été lancé depuis celui de 2014 , et votre rapporteur pour avis n'a été informé d'aucun projet d'allocation de crédits à cette fin pour 2017.

La Mildeca devrait par ailleurs consacrer 800 000 euros en 2017 au développement de la prévention . Ainsi, le soutien à plusieurs projets innovants devrait se poursuivre, comme le good behavior game (GBG) à destination des écoles primaires de la ville de Valbonne (Alpes-Maritimes), développé aux Etats-Unis et qui vise à améliorer les comportements des élèves en classe par le développement de leurs compétences psychosociales 36 ( * ) , réduisant ainsi les conduites perturbatrices et favorisant la qualité de l'apprentissage. Il diminue de 50 % le risque de dépendance aux drogues, de 35 % la dépendance à l'alcool et de 59 % le tabagisme régulier.

En direction des étudiants, la prévention par les pairs , à travers notamment les étudiants relais, est favorisée. Destiné au suivi des jeunes de moins de 25 ans en errance, le dispositif Tapaj (travail alternatif payé à la journée), devrait être étendu en 2017 . Débutée à Bordeaux, cette expérimentation concernait fin 2015 douze sites en France et 153 jeunes. Dix villes volontaires l'ont rejointe en 2016 , et dix candidatures supplémentaires ont été enregistrées à ce jour. Il s'agit d'un mécanisme d'insertion par l'emploi qui repose sur un partenariat entre un Csapa ou un Caarud, une association intermédiaire et plusieurs grandes entreprises 37 ( * ) qui offrent à ces jeunes marginalisés un emploi à temps partiel ne requérant aucune qualification et accompagné d'une rémunération horaire nette de 10 euros, versée le jour même, afin de développer des savoir-faire et des savoir-être professionnels mais surtout de revaloriser l'estime de soi de ses bénéficiaires.

En population générale et au vu de l'évolution des usages de drogues, les politiques de prévention conduites parfois depuis plusieurs décennies ont toutefois montré leurs limites .

Dans un rapport 38 ( * ) publié en juin 2016, la Cour des comptes a rappelé l'incapacité de l'action publique à agir sur les comportements de consommation d'alcool , soulignant l'évaluation insuffisante des actions de prévention menées , l'absence de mise en cohérence de l'activité des différents acteurs intervenant dans le champ de la prévention et mentionnant les difficultés de la Mildeca à « établir sa légitimité » 39 ( * ) pour assurer le pilotage de la politique de santé publique relative à l'alcool.

Quant au tabac , il est trop tôt pour mesurer les effets du paquet neutre , institué en application de la loi du 26 janvier 2016 40 ( * ) à compter du 20 mai 2016, avec une période de cohabitation de six mois avec les conditionnements traditionnels. L'adoption d'une telle disposition n'en reste pas moins un aveu d'échec des politiques de prévention de la consommation de tabac menées jusqu'à aujourd'hui.

2. Le soutien à la recherche

La recherche en matière de drogues et de conduites addictives, afin de comprendre les effets des produits stupéfiants et les déterminants des comportements de consommation, constitue une autre priorité du plan gouvernemental, qui a fixé quatre objectifs dans ce domaine :

- progresser dans la compréhension des conduites addictives ;

- renforcer la recherche clinique dans le domaine des addictions ;

- développer des études répondant aux besoins des administrations ;

- renforcer l' animation scientifique et l' ouverture internationale de la recherche française.

La Mildeca a apporté son soutien à vingt-et-un projets de recherche en 2015 , pour des montants allant de 7 000 euros pour un colloque de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à 200 000 euros pour un programme pluriannuel de recherche sur les comportements de dépendance aux psychotropes dans la société contemporaine porté par l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle y avait consacré 803 000 euros issus de sa dotation budgétaire et environ 590 000 euros provenant de son fonds de concours .

En 2016 , à ce jour, douze projets ont été financés par la Mildeca, dont le plus important est le suivi épidémiologique d'une cohorte d'usagers de drogues , engagé en 2015 par l'Inserm et qui a vocation à se poursuivre sur plusieurs années (280 000 euros). Une expertise collective a également été commandée à ce même organisme sur la réduction des dommages liés à l'alcool, afin d'identifier des stratégies de prévention et d'accompagnement. Les moyens sont stables par rapport à 2015, à hauteur de 812 000 euros , auxquels viennent s'ajouter 58 000 euros issus du fonds de concours . Pour 2017 en revanche, la diminution du budget de la Mildeca aura nécessairement un impact sur sa capacité à appuyer la recherche, et elle ne devrait plus disposer que de 700 000 euros ( -13,8 % ), hors fonds de concours, pour le faire.

La recherche est également financée par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à travers le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Comme le fait ressortir le document de politique transversale (DPT) relatif à la lutte contre les drogues et les conduites addictives, annexé au présent projet de loi de finances, ce sont environ 17 millions d'euros qui ont été répartis à ce titre, en 2015 comme en 2016, aux principaux organismes de recherche publics . Le premier bénéficiaire en est l'Inserm , avec 11,5 millions d'euros . Ces montants sont toutefois en baisse de 13,7 % par rapport à 2014 . Surtout, les crédits consommés en 2015 (16,86 millions d'euros) s'avèrent inférieurs de 8,9 % aux crédits qu'il était prévu d'allouer à cette politique selon le DPT annexé au projet de loi de finances pour 2016. Ces derniers chiffres démontrent le caractère limité des efforts réalisés en faveur de la recherche , qui comme l'ensemble de l'action interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives pâtit de la diminution de ses moyens .

C. RENFORCER L'ENCADREMENT ET L'ÉVALUATION DE LA POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES ET DES DOMMAGES

Mise en place à partir des années 1980 dans le contexte de la propagation rapide, chez les injecteurs d'opiacés, des maladies virales comme le VIH ou l'hépatite C, la politique de réduction des risques et des dommages (RDRD) est une politique sanitaire et sociale visant à inciter les personnes souffrant d'une addiction à modifier leurs comportements afin de diminuer les conséquences sur leur santé et leur insertion sociale de leur consommation de drogues . Elle a pour objectifs, selon l'article L. 3411-8 du code de la santé publique, de prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants.

Les mesures les plus emblématiques mises en place dans ce cadre, comme les programmes d'échange de seringues ou les traitements de substitution aux opiacés (TSO), initiés respectivement à partir de 1991 et de 1995 en France, ont effectivement permis de réduire fortement les décès par surdose , de maîtriser l'épidémie de VIH et d' améliorer la situation sanitaire des personnes souffrant d'une addiction aux opiacés . La RDRD est notamment exercée par les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), établissements médico-sociaux à bas seuil d'exigence, souvent sous statut associatif, qui s'adressent aux publics rendus les plus vulnérables par leur addiction.

Sous l'égide de la Mildeca, le plan gouvernemental 2013-2017 prévoit d'inscrire la RDRD « dans une logique de continuum avec les stratégies thérapeutiques » et rappelle la nécessité de prendre en compte les dommages individuels subis par les usagers de drogues ainsi que les conséquences que font peser ces consommations sur l'ensemble de la société. Ces deux orientations consensuelles ne suscitent pas d'observations de la part de votre rapporteur pour avis. En revanche, le plan promeut de nouvelles priorités en matière de réduction des risques qui ne sont pas adaptées à la situation française et ne cherche pas à corriger les dérives des politiques actuelles.

1. L'erreur de l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque

Le plan prévoit en effet l'expérimentation d'actions de réduction des risques innovantes . Il s'agit essentiellement de la création de salles de consommation à moindre risque (SCMR), sur le modèle des exemples qui se sont développés en Europe depuis la fin des années 1980 41 ( * ) . De tels centres d'injection supervisés sont, selon la définition de l'Inserm 42 ( * ) , des « structures où les usagers de drogues par injection peuvent venir s'injecter des drogues - qu'ils apportent - de façon plus sûre et plus hygiénique, sous la supervision de personnel qualifié ».

L'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 précitée fixe le cadre juridique de cette expérimentation , dont la durée est fixée à six ans à compter de l'ouverture de la première SCMR. Il en confie la mise en oeuvre à des Caarud désignés par arrêté, dans le respect d'un cahier des charges national 43 ( * ) . Il en définit le public : les personnes majeures usagères de substances psychoactives ou de stupéfiants souhaitant bénéficier de conseils en réduction des risques , notamment sur les modalités de consommation permettant de réduire les complications sanitaires et la transmission des infections. Enfin, il prévoit un régime juridique spécifique pour les professionnels intervenant dans ces structures, qui ne pourront pas être poursuivis pour complicité d'usage illicite de stupéfiants ou pour facilitation de l'usage illicite de stupéfiants, et leurs usagers , qui ne pourront pas être poursuivis pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants, dès lors qu'ils ne détiennent des stupéfiants que pour leur seul usage au sein de la SCMR.

Les estimations actuelles font état d'un coût de fonctionnement annuel compris entre 0,8 et 1,2 million d'euros , en fonction de la taille de la salle et de sa file active, ce qui représente environ 6 millions d'euros par projet sur la durée de l'expérimentation. Ces dépenses doivent être prises en charge par l'assurance maladie à travers le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires (FNPEIS). En revanche, il appartient aux collectivités territoriales de financer les investissements , notamment immobiliers.

Votre rapporteur pour avis met en garde le Gouvernement depuis maintenant deux ans sur les dangers de cette expérimentation et a déjà fait part à plusieurs reprises de son opposition totale à cette initiative . Sa mise en oeuvre récente avec l'ouverture le 17 octobre 2016 d'une SCMR à Paris, pilotée par l'association Gaia, et le 7 novembre suivant à Strasbourg, portée par l'association Ithaque, n'est pas de nature à lui faire changer de position.

En effet, ces SCMR viennent accentuer le caractère de plus en plus inaudible de la prohibition de l'usage de stupéfiants , qui ne saurait être levé mais au contraire davantage explicité en raison des conséquences sanitaires et sociales dramatiques de tels comportements. De plus, l'Etat va voir sa crédibilité écornée , en particulier auprès des jeunes, alors que c'est auprès d'eux qu'il doit promouvoir cet interdit.

Qui plus est, cet objectif du plan gouvernemental entre en contradiction directe avec un autre objectif du même plan : favoriser l'acceptabilité des actions de réduction des risques. Or l'opposition à l'ouverture d'une SCMR au sein de la population du quartier où elle est située à Paris est très forte , et n'a pas été apaisée par les tergiversations des pouvoirs publics sur sa localisation précise - finalement dans l'enceinte de l'hôpital Lariboisière - ou sur la conduite à tenir, en matière d'application de la loi, dans son environnement proche.

Ainsi, une circulaire de politique pénale 44 ( * ) adressée par le Garde des sceaux aux procureurs cherche à définir une doctrine dans ce domaine, sans pouvoir pleinement s'extraire de l' opposition entre la pénalisation de l'usage et de la détention de stupéfiants et les entorses nécessaires à ce principe pour le fonctionnement des SCMR. C'est par la litote que le ministère de la justice appelle non à une « extension de l'immunité pénale » des usagers de la salle mais à la mise en place d'une « politique pénale adaptée tenant compte de l'objectif de réduction des risques poursuivi ». De même, tout en prônant la fermeté à l'égard des trafics de stupéfiants les ciblant, il reconnaît que la poursuite des personnes se rendant à la salle et transportant des stupéfiants destinés à leur consommation « pourra être considérée comme inopportune ».

Le flou de ces orientations confirme que ces SCMR suscitent bien d'importantes difficultés pour le maintien de l'ordre public dans leur voisinage, qui pourraient être amenées à croître au fur et à mesure que leur nombre d'usagers augmente. Le risque de voir apparaître des zones de non-droit dans des quartiers déjà touchés par une très forte toxicomanie dans l'espace public, source de dégradation du cadre de vie, reste donc élevé, et ce d'autant plus qu'il est peu probable que la plus forte présence policière qui accompagne le début de cette expérimentation soit maintenue dans la durée.

Prenant acte de l'ouverture des deux premières SCMR 45 ( * ) , votre rapporteur pour avis ne peut désormais qu'insister pour qu'une évaluation scientifique très sérieuse de leurs effets sur la santé des usagers , de l'influence qu'elles peuvent avoir sur leurs comportements de consommation et leur décision d'engager une démarche de soin et des conséquences qu'elles ont sur leur environnement géographique proche et à l'échelle de la commune où elles sont installées soit conduite.

La Mildeca , qui assure la direction du comité de pilotage national de l'expérimentation, finance deux études en ce sens . Le programme de recherche « Cosinus » tout d'abord, conduit par des chercheurs de l'Inserm, qui porte sur le suivi socio-épidémiologique de plusieurs cohortes d'injecteurs vivant dans quatre villes françaises (Paris, Strasbourg, Bordeaux et Marseille), afin de comparer ceux fréquentant une SCMR à ceux n'en ayant pas la possibilité ou le souhait. Il devrait notamment examiner l'évolution des pratiques à risque, la santé mentale, l'insertion professionnelle et l'accès au logement chez les participants. Enfin, le centre de recherche « Médecine, sciences, santé, santé mentale et société » (Cermes3) du CNRS va mener une étude portant sur l'acceptabilité sociale de la SCMR à Paris , en analysant notamment l'évolution de la perception des nuisances liées à la consommation de drogues dans l'espace public après l'ouverture de la SCMR. Il est essentiel que ces travaux constituent le fondement scientifique du rapport d'évaluation de l'expérimentation que le Gouvernement devra remettre au Parlement six mois avant son terme 46 ( * ) et un préalable à tout débat sur le futur de cette initiative.

2. Réduire le détournement et le mésusage des traitements de substitution aux opiacés

Par ailleurs, certains outils traditionnels de la RDRD mériteraient d'être mieux encadrés en raison des détournements dont ils sont victimes et du mésusage auquel ils donnent lieu. C'est le cas des TSO , qui regroupent essentiellement la buprénorphine à haut dosage (BHD, plus connue sous son nom de marque Subutex® 47 ( * ) ), médicament dont la primoprescription peut être réalisée par un médecin généraliste, et la méthadone , classée comme stupéfiant, dont le traitement doit débuter à l'hôpital ou dans un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), 187 000 personnes bénéficiaient d'une prescription pour un TSO en 2015, à 64 % de la BHD et à 36 % de la méthadone.

Le plan d'actions 2016-2017 fait figurer parmi ses priorités l'amélioration de la qualité de prise en charge des patients sous TSO et le développement de leur accessibilité , à travers notamment la primoprescription de méthadone par la médecine de ville ou encore la dispensation quotidienne des TSO en pharmacie d'officine , sur une base expérimentale et volontaire. Ces deux mesures pourraient se concrétiser en 2017. Le plan est néanmoins silencieux sur la lutte contre le dévoiement de ces traitements , qui n'en restent pas moins des outils essentiels de santé publique.

Ainsi, selon les résultats 2015 de l'enquête Oppidum 48 ( * ) , 23 % des usagers de TSO ne les obtiennent pas dans le cadre d'un protocole de substitution. Parmi ceux consommant du Subutex 49 ( * ) , 10 % des personnes sous protocole et 25 % des personnes hors protocole ont recours à l'injection . S'agissant de la méthadone, 15 % de ses utilisateurs, toutes formes confondues 50 ( * ) , consomment également de l'héroïne. De plus, on constate ces dernières années chez les personnes les plus précaires et les plus marginalisées, notamment des migrants d'Europe de l'Est 51 ( * ) , que les usages de drogues se concentrent sur le détournement , par voie injectable, de la BHD ou d'autres médicaments opiacés comme le Skenan®, antidouleur à base de sulfate de morphine.

Il faut également noter la place centrale que tiennent les TSO dans les surdoses . Alors qu'ils étaient la cause de 30 % d'entre elles en 2006 , ce taux est passé à 60 % en 2012 , avant de diminuer à 54 % en 2013 52 ( * ) . La méthadone est impliquée dans les trois quarts de ces cas.

Un sursaut est donc nécessaire, aussi bien face à cette situation inacceptable en matière sanitaire que pour mettre fin aux détournements de TSO en France, qui alimentent toute l'Europe centrale et parviennent même jusqu'au Caucase. La périodicité triennale des contrôles menés par la Cnam sur les prescripteurs reste insuffisante , et la lenteur des procédures de poursuite ordinale ou judiciaire nuit à leur efficacité. Quant au mésusage , des solutions existent qu'ils convient de favoriser, notamment le recours au Suboxone® , médicament qui associe la BHD à la naloxone , principal antagoniste des récepteurs de la morphine, et provoque des symptômes de sevrage en cas d'injection. Il ne concernait qu'environ 7 000 personnes en 2014, en hausse toutefois de 50 % par rapport à 2012, année de sa mise sur le marché.

3. Définir une véritable politique de réduction des risques en milieu carcéral

Enfin, de très importants progrès doivent encore être réalisés en matière de connaissance des addictions et de développement de la RDRD dans le milieu carcéral. Selon l'article L. 3411-8 du code de la santé publique, « la politique de réduction des risques et des dommages s'applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral ». Votre rapporteur pour avis espère que ces dispositions récentes, issues de l'article 41 de la loi du 26 janvier 2016 précitée, susciteront une dynamique nouvelle en la matière, pour rattraper le retard accumulé ces dernières années .

On peut tout d'abord déplorer que les dernières études épidémiologiques sur la consommation de stupéfiants chez les détenus remontent à la période 2003-2004 . A l'époque, un tiers des nouveaux détenus déclaraient consommer régulièrement des produits stupéfiants dans les douze mois précédant leur incarcération, et il était estimé que 38 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois étaient dépendants à une substance illicite 53 ( * ) . Sur ce point, il n'est pas suffisant de proposer, comme le fait le plan d'actions 2016-2017, d'organiser des « assises sur le thème des addictions en milieu carcéral » (action 2.10). Il faut renouveler l'ensemble des études conduites sur ce thème et mettre en place un dispositif de surveillance épidémiologique pérenne en milieu carcéral, ce qui passe par un soutien effectif de la Mildeca au développement d'une application de recueil des données sur l'état de santé des personnes entrant en détention, comme le prévoit l'action 3.7.

Une fois ces données actualisées obtenues, il ne sera plus possible de nier ou de sous-estimer l'ampleur des conduites addictives en prison et l'impact qu'elles font peser sur la santé et la sécurité des détenus et des personnels de l'administration pénitentiaire , et les mesures qui s'imposent pourront être prises. Le plan d'actions 2016-2017 prévoit à ce titre d'expérimenter la mise en place d'un programme d'échange de seringues , qui pourrait avoir lieu à la maison d'arrêt des Baumettes, à Marseille, après l'évaluation de son acceptabilité auprès des personnels et des détenus. D'ores et déjà, depuis une circulaire de décembre 1996 54 ( * ) , ces derniers peuvent en principe percevoir tous les quinze jours de l'eau de javel pour désinfecter le matériel d'injection dont ils pourraient disposer.

Toutefois, plusieurs études 55 ( * ) ont montré que sa disponibilité était en réalité plus aléatoire et qu'elle ne s'accompagnait pas d'une information sur sa correcte utilisation. Il appartient à la Mildeca d'accompagner la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice dans la mise en place effective d'une politique cohérente et homogène de RDRD dans l'ensemble des établissements pénitentiaires afin d'améliorer la situation sanitaire des personnes détenues souffrant d'une addiction et de préparer, sous cet aspect, leur remise en liberté.

D. REPENSER LA POLITIQUE PÉNALE DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS POUR AMÉLIORER SON EFFICACITÉ

La loi du 30 décembre 1970 précitée a élevé au rang de délit l'usage illicite d'une substance classée comme stupéfiant , rendu passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende . Depuis la loi du 5 mars 2007 56 ( * ) , l'obligation de suivre un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage des stupéfiants peut également être prononcée par le juge.

C'est autour de cette règle que sont bâtis le volet « application de la loi » du plan gouvernemental 2013-2017 et, plus généralement, les stratégies élaborées par tous les gouvernements en matière de lutte contre la toxicomanie depuis maintenant 46 ans. Son objectif affiché était, en criminalisant la consommation de drogues, d'avoir un effet dissuasif sur la population , en particulier les jeunes. Force est de constater, au vu du maintien d'un haut niveau d'usage de stupéfiants , de la diversification des produits disponibles et de la multiplication des comportements à risque , que cette approche carcérale a échoué .

Cela ne signifie pas qu'il faille cesser de faire de la réduction de l'offre et de la lutte contre les trafics une priorité essentielle de l'action des services de police, de gendarmerie ou des douanes, ou bien qu'il faille légaliser ces substances dont les effets sur la santé publique et la société sont désastreux. En revanche, il faut développer un cadre juridique alternatif à cette incrimination qui est à l'origine d'un contentieux de masse qui engorge les tribunaux correctionnels sans pour autant conduire les usagers, dès la première interpellation, à renoncer à l'usage de drogue.

Il existe en effet un décalage entre le niveau de la sanction , la gravité de l'infraction telle qu'elle est perçue par la société et la capacité du système pénal à la traiter . En conséquence, la peine d'emprisonnement reste très largement virtuelle , alors que les prisons françaises ont connu, en 2015, un taux d'occupation de 113 % . Néanmoins, une part significative de l'activité de la justice pénale est consacrée au traitement des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) 57 ( * ) . Ainsi, en 2014, les tribunaux correctionnels ont prononcé 60 053 condamnations à ce titre, dont 13 128 peines d'emprisonnement ferme ou avec sursis partiel 58 ( * ) , ce qui représente 11 % du total des condamnations. Cette même année, 163 116 nouvelles affaires ont été enregistrées par les parquets. Concernant l'usage simple de stupéfiants , ce sont 102 651 affaires qui ont été transmises aux parquets en 2015 , dont près de 18 000 impliquant un mineur , ce qui représente une hausse de 13,3 % par rapport à 2012 ( 90 638 affaires ).

Plusieurs solutions ont été développées pour accélérer le traitement de ce contentieux de masse avec des alternatives aux poursuites comme la composition pénale 59 ( * ) ou la plus récente transaction pénale , qui permet aux officiers de police judiciaire, avec l'autorisation du procureur de la République, de transiger avec les auteurs de certains délits comme la consommation de stupéfiants. Il peut être alors convenu du paiement d'une amende transactionnelle, dont le montant ne peut excéder le tiers de l'amende encourue 60 ( * ) et qui doit être homologuée par le président du tribunal de grande instance. Entrée en vigueur depuis moins de 18 mois 61 ( * ) , il est trop tôt, en l'absence de données sur sa mise en oeuvre, pour en tirer un premier bilan.

L'OFDT a néanmoins souligné l'an dernier le « mouvement inflationniste » suivi par le nombre d'interpellations et de condamnations d'usagers de stupéfiants au cours des trente dernières années 62 ( * ) . La diversification de la réponse pénale, dont cette étude souligne qu'elle a conduit au « relatif effacement des mesures à caractère sanitaire », n'est toutefois pas venue améliorer l'effectivité de la sanction de l'usage de stupéfiants , qui aujourd'hui n'est plus crédible.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il faut faire évoluer la réponse pénale sur ce sujet , tout particulièrement face au premier usage illicite constaté d'un produit stupéfiant. Le rendre passible d'une contravention de troisième classe , en retirant son caractère délictuel, le ferait entrer dans le champ contraventionnel , permettant sa sanction immédiate par une amende qui aurait vocation à être d'un montant forfaitaire de 68 euros 63 ( * ) . Elle devrait être acquittée directement à l'agent verbalisateur ou devrait l'être dans un délai de 45 jours suivant la constatation de l'infraction ou l'envoi de l'avis de contravention.

Cette proposition, formulée initialement par la mission d'information Assemblée nationale - Sénat sur les toxicomanies dont le rapport 64 ( * ) a été publié en juin 2011, permettrait de garantir une réponse pénale systématique et immédiate à la première infraction , offrant un caractère dissuasif bien supérieur à la lente et souvent vaine procédure actuelle , qui mobilise les tribunaux sans aucun résultat. Le 7 décembre 2011, le Sénat avait adopté une proposition de loi en ce sens dont votre rapporteur pour avis était l'auteur 65 ( * ) . Transmise à l'Assemblée nationale ce même jour puis à nouveau, après le renouvellement de cette dernière, le 2 juillet 2012, elle n'a toujours pas été inscrite à son ordre du jour.

En juillet 2015, dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la santé, la commission des affaires sociales avait, à l'initiative de votre rapporteur pour avis, inséré dans le texte un article additionnel 8 bis A reprenant le contenu de cette proposition de loi. En séance publique, le Sénat avait ensuite rejeté un amendement de suppression présenté par le Gouvernement. En nouvelle lecture, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale avait toutefois, sur proposition notamment de son rapporteur, retiré du texte cet article, qui ne figure donc pas dans la loi du 26 janvier 2016.

Il semblerait néanmoins que depuis cette date le consensus sur l'inefficacité du régime actuel de sanction de l'usage de stupéfiants se soit élargi. Lors des débats sur cette loi au Sénat, la ministre avait invoqué une réflexion interministérielle en cours sous l'égide de la Mildeca pour justifier son opposition à toute modification du statu quo . Finalement remis au Premier ministre le 30 octobre 2015, ce rapport n'a pas été rendu public et ce n'est que grâce à la presse que ses conclusions sont connues.

Elles n'ont à ce jour pas été suivies. Le groupe de travail chargé de réfléchir à l'amélioration de l'efficacité de la réponse pénale appliquée aux usagers de stupéfiants convenait de « l'effet dissuasif limité » du régime actuel et du « sentiment d'impunité » créé chez les usagers par l'absence, dans bien des cas, de poursuites ou par la durée des procédures. Il prônait la mise en place d'une contravention de cinquième classe pour sanctionner l'usage simple de stupéfiants , qui serait accompagnée d'une amende forfaitaire de 300 euros .

Votre rapporteur pour avis est satisfait que ce constat officiel rejoigne le point de vue qu'il essaie de faire prévaloir depuis maintenant cinq ans . Si les modalités pratiques de la substitution d'une amende à la peine de prison ferme aujourd'hui en vigueur pour le premier usage de drogue restent encore débattues, sa pertinence n'est plus contestée . La Mildeca annonce, dans son plan d'actions 2016-2017, rechercher l'efficacité de la réponse publique aux infractions commises après la consommation d'alcool et de stupéfiants, et invite notamment à « poursuivre les travaux sur le traitement judiciaire des usagers de stupéfiants » (action 6.5). Il est toutefois douteux que des évolutions législatives interviennent avant la fin de la législature : il appartiendra donc au prochain gouvernement , quel qu'il soit, de traiter ce dossier et de tirer un trait sur une politique qui a fait la démonstration de son incapacité à traiter les racines des addictions .

*

* *

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 16 novembre 2016, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Gilbert Barbier sur l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.

M. Gilbert Barbier , rapporteur pour avis . - La lutte contre les addictions a bénéficié d'une couverture médiatique très importante ces dernières semaines en raison de l'aboutissement du projet le plus emblématique du Gouvernement dans ce domaine : l'ouverture, à titre expérimental, d'une salle de consommation à moindre risque (SCMR) à Paris et à Strasbourg à destination des consommateurs d'opiacés. J'y étais personnellement opposé, en raison du message qui est ainsi envoyé à nos jeunes et de l'impact mal évalué en matière sanitaire et d'ordre public.

Je n'ai pas changé d'avis sur la question, malgré les quelques aménagements positifs, notamment la localisation sur des emprises hospitalières, qui sont intervenus depuis la présentation de ces projets. Surtout, l'attention qu'ils ont suscitée est venue masquer le champ plus large de la politique conduite par le Gouvernement et pilotée par la Mildeca pour faire face aux conduites addictives.

Le public potentiel de ces SCMR se compte en centaines de personnes, voire peut-être un millier. En revanche, des millions de nos concitoyens consomment des produits psychotropes et sont touchés par une addiction à une substance ou comportementale.

Comme vous le savez, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), ex-Mildt, est chargée d'assurer auprès du Premier ministre la coordination des politiques publiques menées par les différents ministères (Santé, Intérieur, Justice, Ville, Jeunesse, etc.) et d'en définir les priorités. A ce titre, l'année 2017 devrait être pour la Mildeca une année de transition, avec le départ annoncé de sa présidente et le terme du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017.

Ce budget s'en ressent, puisqu'il est en baisse de 5,6 % par rapport à 2016, à 17,83 millions d'euros. Hors dépenses de personnel (2,34 millions d'euros), qui restent inchangées, cette diminution est plus marquée puisqu'elle atteint 6,45 %. En 2017, la Mildeca disposera ainsi de 15,5 millions d'euros, contre 16,57 millions en 2016, 22 millions en 2012 et même 36,5 millions en 2007.

Certes, à cette époque, le fonds de concours alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués dans le cadre d'affaires de trafic de stupéfiants n'en était qu'à ses balbutiements, puisque son montant s'élevait à 1,5 million d'euros. Après 11 millions d'euros en 2015, déjà 10,9 millions ont été transférés à la Mildeca en 2016.

Cette ressource reste cependant aléatoire, et elle est redistribuée aux services enquêteurs afin de financer l'achat de matériel opérationnel, des formations ou des initiatives de coopération internationale. Seuls 10 % reviennent à la Mildeca pour prendre en charge des actions de prévention dans le domaine sanitaire. De plus, un travail de sensibilisation des juridictions à l'importance des saisies et des confiscations doit encore être réalisé : 20 % d'entre elles ne contribuent toujours pas au fonds de concours.

Cette situation budgétaire n'est donc pas satisfaisante, même s'il semblerait qu'elle constitue une amélioration importante par rapport aux propositions initiales de Bercy lors de l'élaboration du PLF. En effet, selon la Mildeca, le ministère du budget envisageait à l'origine une baisse de 30 % de ses crédits, et ce n'est que grâce à un arbitrage du Premier ministre que de telles velléités ont été mises en échec et qu'un compromis a été trouvé.

Cette dotation a trois objets. Elle assure le financement de deux opérateurs essentiels, l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad), situé en Martinique, qui ont déjà été sévèrement frappés ces dernières années par les réductions budgétaires. La subvention versée à l'OFDT a ainsi diminué de 20 % en cinq ans et s'élève à 2,8 millions d'euros. Si elle ne baisse que de 1,7 % cette année, c'est en raison de l'intervention de la Mildeca qui a estimé qu'une réduction plus importante mettrait en péril le fonctionnement même de la structure. Son directeur m'a d'ailleurs confié qu'il lui fallait désormais rechercher des financements extérieurs pour pouvoir réaliser certains projets et qu'il faisait face à des difficultés croissantes pour préserver son socle d'activité. Il a néanmoins obtenu l'appui d'acteurs locaux pour développer l'observation de la toxicomanie dans les territoires, comme l'impact de la « chimique » à Mayotte grâce au soutien de l'ARS.

Les crédits budgétaires assurent ensuite la dotation des chefs de projet placés dans les préfectures - traditionnellement les directeurs de cabinet des préfets - afin qu'ils puissent, grâce à des cofinancements locaux, mener des actions de prévention. Depuis deux ans, l'organisation de cette politique territoriale a été revue, afin notamment de favoriser un pilotage régional de la répartition des fonds disponibles.

Initiée par la Mildeca et sa présidente, cette modernisation risque toutefois d'être freinée en 2017 par la baisse de 6,6 % des crédits alloués, qui passent de 9,1 à 8,5 millions d'euros. En complément, près de 18 millions d'euros sont apportés par d'autres acteurs locaux, principalement les ARS et les collectivités territoriales. Toutefois, plusieurs fragilités n'ont pas encore été corrigées : plus de 50 % des projets sont renouvelés d'une année sur l'autre, alors que moins de 50 % des territoires réalisent chaque année l'évaluation d'une action qu'ils financent. Enfin, alors qu'ils sont en principe réservés à la prévention, une partie de ces crédits finance encore du matériel d'investigation pour les forces de l'ordre.

Environ un quart des ressources de la Mildeca sert à financer la mise en oeuvre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, qui a été décliné en deux plans d'actions, le premier portant sur la période 2013-2015 et le second sur les années 2016 et 2017. Il est construit autour de trois priorités qui font consensus : fonder l'action publique sur l'observation, la recherche et l'évaluation ; prendre en compte les populations les plus exposées pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux ; lutter contre les trafics et toutes les formes de délinquance liés aux drogues.

Cette ambition initiale avait conduit à élaborer 131 actions à mener entre 2013 et 2015, de nature et d'ampleur très hétéroclites. 80 % de ce total a été réalisé, pour un coût global de 62 millions d'euros, dont 15 millions à la charge de la Mildeca.

Le plan 2016-2017 comprend quant à lui pas moins de 254 actions. Dans le délai restreint qui lui est imparti et au vu des contraintes budgétaires, il semble possible d'affirmer que sa mise en oeuvre ne sera, au mieux, que partielle. Jusqu'à présent, la Mildeca avait réussi à y consacrer environ 4,4 millions d'euros par an. L'an prochain, alors que la présidente de la Mildeca souhaite privilégier le soutien aux chefs de projet territoriaux, elle ne disposera pas des moyens pour maintenir une telle contribution.

Il s'agit donc d'un catalogue de mesures à la portée inégale, dont la majorité devrait rester virtuelle. Il appartiendra à la prochaine équipe de la Mildeca d'en tirer les conséquences et, à mes yeux, de mener une réflexion visant à construire sa politique autour d'un nombre plus restreint d'actions.

Un tel sursaut est d'autant plus urgent que la situation française en matière de consommation de drogues et de conduites addictives reste très préoccupante.

En matière d'alcool, comme l'a souligné lors de son audition le directeur de l'OFDT, toute l'Europe adopte progressivement les comportements des pays nordiques : la diminution de la consommation quotidienne se poursuit, tandis que les comportements à risque, les phénomènes d'alcoolisation ponctuelle importante (binge drinking) se sont répandus durant les années 2010, en particulier chez les jeunes.

Alors qu'il est trop tôt pour évaluer les effets des dernières mesures de la loi de modernisation de notre système de santé en la matière, comme le paquet neutre, la consommation de tabac n'a pas été endiguée : environ 30 % de nos concitoyens fument quotidiennement, et même 32 % des adolescents.

S'agissant des substances illicites, le cannabis s'est bien évidemment banalisé. La tendance de consommation est à la hausse entre 2010 et 2014, avec 42 % d'expérimentateurs et 3 % d'usagers réguliers, soit au moins dix fois par mois, chez
les 18-64 ans, ce qui représente 1,4 million de personnes. Si, parmi les plus jeunes, l'âge d'entrée dans la consommation recule légèrement, l'usage problématique a fortement crû, puisqu'il est passé de 5 % à 8 % des jeunes de 17 ans entre 2011 et 2014. De plus, le développement de l'autoculture a renforcé la disponibilité de cette substance, dont la teneur en principe actif, le tétrahydrocannabinol (THC), a fortement augmenté ces dernières années en raison du développement de nouvelles variétés de cannabis, en particulier en provenance des Pays-Bas.

La consommation de cocaïne, en très forte croissance depuis vingt ans et qui a encore connu une légère progression entre 2011 et 2014, n'est plus l'apanage de certains milieux aisés. Elle s'inscrit dans le cadre de polyconsommations, et ce ne sont pas les cadres qui ont le niveau d'expérimentation le plus élevé mais les artisans et commerçants (7,2 % contre 4,9 %).

Les opiacés restent la source des plus importants dommages sanitaires et sociaux, bien que leur nombre d'usagers soit faible au regard de la population générale. 1 % des jeunes de 17 ans a néanmoins expérimenté l'héroïne, et 280 000 personnes peuvent être considérées comme des usagers problématiques, en faisant une consommation régulière par voie intraveineuse. Chez ces toxicomanes, la prévalence de l'hépatite C est de 64 % et celle du VIH de 13 %.

Les pouvoirs publics semblent démunis face aux nouveaux produits de synthèse. Bien que leur consommation en France n'atteigne pas les niveaux que connaissent certains de nos voisins européens, ils peuvent être plus dangereux que les drogues traditionnelles, en particulier pour les néophytes, car leur nocivité est souvent sous-estimée.

Il faut enfin mentionner l'existence de phénomènes addictifs localisés. Comme la délégation de notre commission qui s'y est rendue au printemps dernier l'a constaté, La Réunion est confrontée au détournement de certains psychotropes comme l'Artane ®, qui en association avec l'alcool produit une sensation d'euphorie et à un effet désinhibant qui favorise le passage à l'acte. Mayotte est quant à elle confrontée à la « chimique », drogue de synthèse dérivée du cannabis et importée d'Asie qui se révèle très addictive.

Consciente de cette situation, la Mildeca n'est pas restée inactive. Pour autant, aucun progrès n'a été réalisé ces dernières années sur l'un des aspects essentiels de la politique de lutte contre les addictions : la réponse pénale à la première consommation de stupéfiants.

A l'heure actuelle, toute personne interpellée pour usage simple de drogue est passible d'une peine d'un an de prison et de 3 750 euros d'amende. Cette sanction est bien évidemment virtuelle et a perdu son rôle dissuasif auprès des jeunes. A deux reprises, en 2011 puis dans le cadre des débats sur le projet de loi santé, le Sénat a proposé, à mon initiative, de lui substituer, pour le premier usage, une contravention de troisième classe d'un montant de 68 euros. Devant être acquittée dans un délai de 45 jours, l'effectivité de l'interdit qui lui est associé en serait grandement renforcée, la sanction étant quasiment immédiate.

Lors des débats au Sénat, la ministre avait justifié son opposition à cette mesure en invoquant une réflexion interministérielle alors en cours sous l'égide de la Mildeca. La presse nous a pourtant appris que celle-ci avait remis son rapport au Premier ministre dès octobre 2015, et qu'il s'est empressé de l'enterrer sans le rendre public.

On sait néanmoins que les auteurs de ce rapport partageaient mon constat de l'inefficacité du cadre pénal actuel et proposaient de le remplacer par une contravention. Il appartiendra au prochain gouvernement, quel qu'il soit, de traiter ce dossier et de tirer un trait sur une politique qui, en 46 ans, a fait la démonstration de son incapacité à traiter les racines des addictions.

Sur ces considérations, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.

M. Philippe Mouiller . Je prends note de la baisse marquée des crédits de la Mildeca depuis plusieurs années. Quand nous avions débattu de la mise en place des SCMR, le Gouvernement avait pourtant indiqué qu'elles seraient accompagnées de moyens conséquents en matière de prévention et de lutte contre la consommation de drogues. Je suis donc étonné par le décalage entre ce discours et la réalité des chiffres.

Par ailleurs, de nombreux acteurs interviennent dans le champ de la prévention, notamment en direction des jeunes. Existe-t-il un espace de coordination de leur communication, qu'il s'agisse des outils, des messages ou des opérations ?

Mme Catherine Génisson . - Le groupe socialiste se trouve dans une situation particulière. Nous nous félicitons, et la ministre l'a d'ailleurs souligné, de la qualité des débats que nous avons eus, en commission et en séance, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. En revanche, l'examen du projet de loi de finances, suivant le souhait de la majorité sénatoriale, ne devrait pas avoir lieu. Dès lors, il semble parfaitement inutile d'avoir un simulacre de débat au sein des commissions. Sans nier l'intérêt des rapports qui sont présentés, nous ne participerons ni aux débats, ni au vote.

M. Olivier Cadic . - La conclusion du rapporteur sur 46 ans d'échec d'une politique menée est assez cruelle !

Je me suis récemment rendu en Uruguay, premier Etat du monde à avoir légalisé la production, la distribution et la consommation de cannabis, afin de contrôler le marché et de le soustraire au crime organisé. Selon eux, la fin de la répression a permis de tarir le marché noir, de porter atteinte à l'économie parallèle, de garantir la qualité des produits et de promouvoir directement auprès des consommateurs des messages sanitaires sur la nocivité du cannabis. Est-il prévu de réaliser une évaluation de cette initiative et de celles, comparables, qui commencent à être mises en oeuvre dans d'autres pays étrangers ?

M. Michel Forissier . - Ce sont évidemment les préfets qui, au niveau local, répartissent les crédits de l'Etat. Sur ce point, je tiens à souligner les effets pervers des dernières réformes de la politique de la ville, qui ont réduit le périmètre des zones prioritaires. Les communes qui en sont sorties, après en avoir bénéficié pendant plus de vingt ans, ont subi une diminution des crédits consacrés au financement des ateliers santé ville, qui traitent notamment des conduites addictives. Ces actions de prévention ne devraient pas concerner une seule partie du territoire d'une commune : la consommation de drogue ne cesse pas lorsqu'on quitte une rue ou un quartier, mais elle doit être appréciée globalement sur l'ensemble d'une collectivité. Ce problème est particulièrement marqué en Auvergne-Rhône-Alpes, et la baisse des dotations ne nous permet pas de compenser le désengagement de l'Etat.

M. Daniel Chasseing . - Il faut rappeler à ceux qui souhaitent légaliser le cannabis qu'il est à l'origine de troubles du comportement et d'une détérioration de la mémoire, en particulier chez les jeunes. Sa consommation favorise le passage aux drogues dures. Il serait donc dangereux de le légaliser, mais il faut renforcer la prévention sur les territoires.

M. René-Paul Savary . - Le problème des polyaddictions n'est pas suffisamment pris en compte. Comme en matière de handicap, nous raisonnons trop en silo alors qu'une approche globale est nécessaire.

De plus, il faut souligner que le milieu rural est tout autant touché par les addictions que le milieu urbain. Ce n'est pas un problème lié à la politique de la ville mais un problème de société.

Est-ce que le caractère cancérigène du cannabis a été évalué, alors qu'il a fallu des décennies pour identifier les effets négatifs du tabac ? La politique actuelle, sur ce produit légal, n'est pas suffisamment dissuasive au vu du nombre de consommateurs. La légalisation du cannabis produirait les mêmes effets dans 30 ans. Il faut plutôt aller dans la voie de la contraventionnalisation de l'usage.

Mme Pascale Gruny . - L'impact des addictions sur les accidents de la route et les accidents du travail a-t-il été mesuré ? C'est un sujet qui prend de l'importance en entreprise : la prévention est limitée, et le dépistage est presque impossible. Seul le médecin du travail peut intervenir. L'employeur peut éventuellement réaliser un test global, de tous ses salariés, mais ne peut cibler certains d'entre eux.

La prise en charge des toxicomanes est souvent réduite à ses aspects sanitaires, voire parfois sociaux, sans se préoccuper de leur retour sur le marché du travail. C'est la cause de bien des échecs. Dans mes travaux précédents sur cette question, j'avais pu constater qu'en Italie un centre réalise un travail remarquable de réinsertion. Nous devrions nous en inspirer.

M. Gérard Roche . - Ce rapport donne une vision très claire des différentes problématiques liées aux conduites addictives. Elles ont certes des répercussions directes sur la santé des personnes, indirectes aussi, mais leur corollaire est la désintégration sociale qu'elles engendrent. L'économie souterraine qu'elles alimentent met en jachère de la République certaines zones où il n'y a plus d'Etat de droit. Il faut s'y attaquer de manière résolue.

M. Jean-Marie Morisset . - Je voudrais revenir sur la diminution des crédits délégués au niveau territorial. Les associations départementales subissent une double peine : tout d'abord cette baisse des financements, mais également la nouvelle organisation régionale. Dans la Nouvelle-Aquitaine à douze départements, de nombreux refus sont opposés à des associations qui menaient pourtant des actions de longue date. Dans le même temps, la contribution des conseils départementaux a la plupart du temps disparu.

Mme Élisabeth Doineau . - Je partage le point de vue de mes collègues sur la question de la lutte contre les conduites addictives. Il faut aussi rappeler l'impact de la consommation de drogue dans les familles, comme l'illustre l'ouverture cette semaine du procès des parents de la petite Fiona. Les comportements violents qui en découlent ne sont pas suffisamment portés à la connaissance du public, tout comme les conséquences dramatiques qu'elle peut avoir pour de jeunes enfants.

M. Gilbert Barbier , rapporteur pour avis . - Pour répondre à Philippe Mouiller, c'est bien le rôle de la Mildeca d'assurer la coordination des actions de communication et des campagnes de prévention, qui ne sont d'ailleurs pas exemptes de critiques.

La dépénalisation du cannabis soulève à mes yeux de très importantes difficultés. L'OFDT va d'ailleurs réaliser une étude comparant les expériences étrangères en la matière et leurs conséquences. Il faut toutefois avoir à l'esprit que les effets du cannabis varient en fonction de la teneur de celui-ci en principe actif, le tétrahydrocannabinol (THC). Si l'Etat venait à commercialiser du cannabis, sa concentration en THC serait sans doute très inférieure aux 25 % aujourd'hui atteints par certaines variétés importées des Pays-Bas. Elle serait plus modérée, entre 5 % et 7 %. Les réseaux de trafic continueront donc à prospérer en proposant du cannabis ayant un niveau de THC plus élevé.

De plus, si le cannabis est dépénalisé, il est à craindre qu'un report vers des produits de synthèse ou la cocaïne se produise. Je partage le point de vue de René-Paul Savary et de Daniel Chasseing : la consommation de cannabis a des effets néfastes sur la santé indéniables, notamment cancérogènes, en particulier lorsqu'il est mélangé avec du tabac pour être fumé.

Tout le territoire est touché par le cannabis : ce n'est pas une problématique limitée aux quartiers de la politique de la ville. Il s'est désormais répandu dans les zones rurales, où les niveaux de consommation sont proches de ceux des zones urbaines.

La consommation en milieu professionnel est souvent un phénomène collectif. Dans ma commune, la moitié des 225 salariés d'une usine était concernée. Il s'agit d'un moment de détente entre collègues. En ce qui concerne la sécurité routière, des tests salivaires de dépistage rapide permettent désormais de multiplier les contrôles qui étaient jusqu'à présent très fastidieux puisqu'ils impliquaient une prise de sang. De plus, il faut avoir une approche basée sur la santé globale de la population, pas uniquement une politique visant à faire diminuer le nombre d'accidents de la route.

L'exemple italien du centre Don Mario Picchi, qui travaille à la réinsertion des toxicomanes, mériterait d'être reproduit en France. Sur ce sujet, je vous invite à consulter le rapport de la mission commune d'information Assemblée nationale - Sénat sur les toxicomanies de 2011, dont j'étais le rapporteur pour le Sénat et qui s'était penché sur la question.

Enfin, je comprends les inquiétudes des associations qu'a exprimées Jean-Marie Morisset. Si les crédits du dispositif territorial sont en légère baisse, la régionalisation de son financement a nécessairement des conséquences au niveau de chaque département.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

_______

• Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts)

Catherine Bismuth , directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la répression des fraudes

Dominique Ludwig , directeur adjoint chargé des relations avec les autorités régaliennes

Laurence Cros , médecin conseil

• Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc)

Charles Duchaine , directeur général

• Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Gilles Lecoq , délégué

Jean-François Pons , secrétaire général

• Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

François Beck , directeur


* 1 En application de l'article 43 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 2 Admise à faire valoir ses droits à la retraite, par limite d'âge, à compter du 1 er mars 2017 par un arrêté du 27 septembre 2016 (NOR : AFSJ1627369A).

* 3 Depuis la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses, codifiée à l'article L. 3421-1 du code de la santé publique.

* 4 D'abord le 7 décembre 2011 avec l'adoption de la proposition de loi n° 19 (2011-2012) visant à punir d'une peine d'amende tout premier usage illicite constaté de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants, puis en octobre 2015, dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la santé.

* 5 Un commissaire de police, un colonel de gendarmerie, un inspecteur principal des douanes et un magistrat.

* 6 Rapport pour avis n° 167 (2015-2016), p. 33.

* 7 Rapport pour avis n° 111 (2014-2015), p. 24.

* 8 Intitulé de la partie 4 du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017.

* 9 Loi n° 2016-999 du 22 juillet 2016 de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015, art. 10.

* 10 François Beck et al., « Les usages de drogues dans les DOM en 2014 chez les adolescents et les adultes », Tendances n° 111, juillet 2016.

* 11 Dont 1 629 en Martinique, pour 36 actions, et 574 en Guadeloupe, pour 10 actions.

* 12 Par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

* 13 Par exemple en cas de comparution immédiate.

* 14 Marie Morel, Isabelle Yeni (Igas), Olivier Diederichs, Anne Tagand (IGA), Françoise Pieri-Gauthier, Catherine Mocko (IGSJ), « Evaluation du pilotage territorial de la politique de prévention et de lutte contre les drogues et la toxicomanie », mars 2014.

* 15 Ibid., p. 17.

* 16 Indicateur 4.1 : « Niveau de mobilisation des partenaires locaux dans la lutte contre les drogues ».

* 17 Une subvention ne pouvant cofinancer une action à plus de 80 %.

* 18 Les populations en errance, les femmes usagères de drogue et les jeunes.

* 19 En application du décret n° 2014-322 du 11 mars 2014 relatif à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

* 20 Prévenir, prendre en charge et réduire les risques ; intensifier la lutte contre les trafics ; mieux appliquer la loi ; fonder les politiques de lutte contre les drogues et les conduites addictives sur la recherche et la formation ; renforcer la coordination des actions nationales et internationales.

* 21 OFDT, Les drogues durant les années lycée, Tendances n° 112, septembre 2016.

* 22 OFDT, Substances psychoactives en France : tendances récentes (2014-2015), Tendances n° 105, décembre 2015.

* 23 Ibid.

* 24 OFDT, Les niveaux d'usage des drogues illicites en France en 2014, Tendances n° 99, avril 2015.

* 25 Poudre de cocaïne destinée à être fumée après transformation en galette par sa dissolution dans l'eau et l'adjonction d'un agent alcalin (bicarbonate de soude ou ammoniac).

* 26 Cocaïne basée vendue au consommateur sous forme de caillou ou de galette.

* 27 Transformation par le consommateur de la poudre de cocaïne en caillou de cocaïne basée pour son usage propre.

* 28 OFDT, Profils et pratiques des usagers des Caarud en 2012, Tendances n° 98, janvier 2015.

* 29 Substances dérivées de la feuille de khat.

* 30 Laureen Ribassin-Majed, Catherine Hill, « Trends in tobacco-attributable mortality in France », European Journal of public health, mai 2015.

* 31 Pierre Kopp, Le coût social des drogues en France, OFDT, décembre 2015.

* 32 Soit au moins dix fois dans le mois.

* 33 Source : OFDT, op. cit., Tendances n° 112, septembre 2016.

* 34 Les jeunes, les femmes enceintes et les publics précaires.

* 35 Intégré depuis dans l'agence nationale de santé publique.

* 36 Estime de soi, résistance à la pression des pairs, etc.

* 37 Enedis, SNCF, Auchan, Orange, etc.

* 38 Cour des Comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, 13 juin 2016.

* 39 Ibid., p. 117.

* 40 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, art. 27.

* 41 Selon le rapport européen sur les drogues 2016 de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, environ 70 structures de ce type seraient ouvertes en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Norvège, au Luxembourg et au Danemark. Par ailleurs, le Canada et l'Australie en comptent respectivement deux et une.

* 42 Inserm, « Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues », expertise collective, 2010, p. 209.

* 43 Défini par l'arrêté du 22 mars 2016 portant approbation du cahier des charges national relatif à l'expérimentation d'espaces de réduction des risques par usage supervisé, autrement appelés « salles de consommation à moindre risque » ; NOR : AFSP1601434A.

* 44 Circulaire du 13 juillet 2016 de politique pénale relative à l'ouverture des premières salles de consommation à moindre risque, espace de réduction des risques par usage supervisé ; NOR : JUSD1619903C.

* 45 Le plan d'actions 2016-2017 prévoit l'expérimentation d'une SCMR dans trois villes, dont Paris et Strasbourg (action 3.4).

* 46 En application du IV de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 précitée.

* 47 Et qui est disponible sous forme générique depuis 2006.

* 48 Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse, réalisée chaque année dans des Csapa, Caarud et en milieu carcéral.

* 49 Qui prend la forme de comprimés sublinguaux.

* 50 Sirop ou gélule.

* 51 Source : OFDT, op. cit., Tendances n° 105, décembre 2015.

* 52 Source : OFDT et enquête DRAMES (décès en relation avec l'abus de médicaments et de substances) de l'ANSM.

* 53 Source : Frédéric Rouillon et al., Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison, 2006.

* 54 Circulaire DGS/DH/DAP n° 96-739 du 5 décembre 1996 relative à la lutte contre l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine en milieu pénitentiaire : prévention, dépistage, prise en charge sanitaire, préparation à la sortie et formation des personnels ; NOR : TASP9630649C.

* 55 Dont l'étude PRI 2 DE conduite en 2009, cf. Laurent Michel et al., « Prévention du risque infectieux dans les prisons françaises. L'inventaire ANRS-PRI 2 DE, 2009 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 39, 25 octobre 2011.

* 56 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, art. 48.

* 57 Qui regroupent la production, le trafic, la vente, la détention et la consommation de stupéfiants.

* 58 La plupart faisant l'objet d'aménagements et ne se traduisant donc pas nécessairement par une privation de liberté.

* 59 Qui permet au procureur de la République de proposer une amende, un travail d'intérêt général ou un stage de sensibilisation aux auteurs de certains délits, comme l'usage illicite de stupéfiants, contre l'arrêt des poursuites.

* 60 Soit 1 250 euros dans le cas de l'usage de stupéfiants.

* 61 Instituée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, ses modalités d'application ont été définies par le décret n° 2015-1272 du 13 octobre 2015 pris pour l'application des articles 41-1-1 du code de procédure pénale et L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure.

* 62 OFDT, « Trente ans de réponse pénale à l'usage de stupéfiants », Tendances n° 103, octobre 2015.

* 63 Après son inscription, par un décret en Conseil d'Etat, sur la liste mentionnée à l'article 529 du code de procédure pénale.

* 64 Toxicomanies : rejeter la fatalité, renouveler les stratégies ; rapport de la mission d'information sur les toxicomanies, Françoise Branget, Gilbert Barbier ; Assemblée nationale (XIII ème , n° 3612), Sénat (2010-2011, n° 699), 30 juin 2011.

* 65 Proposition de loi n° 19 (2011-2012) visant à punir d'une peine d'amende tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants, adoptée le 7 décembre 2011.

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