B. DES FRAIS DE JUSTICE EN AUGMENTATION

1. La sous-dotation des frais de justice

Les services judiciaires se sont engagés depuis plusieurs années dans un plan de maîtrise des frais de justice, dont la mesure la plus emblématique est la mise en place de l'application « Chorus Pro » à compter de l'année 2014 72 ( * ) . Cette plate-forme internet, qui permet la dématérialisation du paiement des frais de justice, a contribué à réduire le délai de paiement des prestataires et des auxiliaires de justice, le ramenant à 64 jours en moyenne 73 ( * ) , selon le dernier bilan transmis à votre rapporteur pour avis par la Chancellerie.

Les montants de la dotation initiale en matière de frais de justice sont régulièrement et parfois sensiblement sous-estimés et bien en-deçà des besoins réels des juridictions.

Selon le rapport annuel de performance pour 2015 74 ( * ) , les montants des engagements non payés en fin d'année étaient de 156,8 millions d'euros pour 2014 et de 133,8 millions d'euros pour 2015, ce qui représente respectivement près de 34 % et 30 % de leurs dotations initiales. Les engagements non payés en fin d'année sont ainsi très élevés, contribuant ainsi à reporter d'une année sur l'autre les paiements en retard. La prévision d'exécution pour 2016 s'élève, quant à elle, à 487,3 millions d'euros, ce qui représente un écart de 5,25 % par rapport à la dotation initiale.

Évolution de la dotation initiale des frais de justice
et de sa consommation réelle entre 2009 et 2017 (crédits de paiement en millions d'euros)

Crédits de paiement en M €

2009

2010

2011 75 ( * )

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Dotation initiale

409

393,3

459,6

470

475,9

455,3

449,8

463

474,6

Consommation réelle*

432,5

467,8

537,5

454,5

473,7

469,9

475,4

487,3

-

Écart entre la consommation finale et la dotation initiale

5,75%

18,94%

16,95%

-3,30%

-0,46%

3,21%

5,69%

5,25%

-

Évolution de la consommation réelle par rapport à l'année N-1

-

8,16%

14,90%

-15,44%

4,22%

-0,80%

1,17%

2,50%

-

* Pour 2016, il s'agit d'une prévision d'exécution.

Sources : ministère de la justice et commission des lois du Sénat.

2. L'augmentation apparente de la dotation pour 2017

Pour 2017, le Gouvernement prévoit de consacrer aux frais de justice une enveloppe de 474,6 millions d'euros, en augmentation de 11,6 millions par rapport à la dotation initiale de 2016, mais en recul de 12,7 millions par rapport à la consommation réelle estimée pour ce même exercice. La part des engagements non soldés en 2016 et demandés sur des crédits de paiement 2017 est estimée à 115,1 millions d'euros, ce qui représente un montant légèrement inférieur aux années précédentes.

Votre rapporteur pour avis a par ailleurs noté qu'un décret d'avance du 3 octobre 2016 76 ( * ) avait ouvert près de 25 millions d'euros en autorisations d'engagement et 40 millions d'euros en crédits de paiement sur le programme « Justice judiciaire ». Ces crédits de paiement sont, selon les informations transmises par la Chancellerie, destinés à apurer les dettes contractées par les juridictions auprès de leurs prestataires ou des auxiliaires de justice. En l'état, cette ouverture de crédits ne suffira toutefois pas à absorber la totalité du stock de dettes, puisqu'il restera près 75 millions d'euros non couverts par des crédits de paiement 2016, qui seront, de fait, directement reportés sur la dotation prévue pour 2017 77 ( * ) .

En matière civile, laquelle ne représente que 10 % du budget des frais de justice à hauteur de 47,7 millions d'euros, la programmation prévoit une baisse de 17 % par rapport à 2016, en raison de la baisse structurelle des frais de justice en matière commerciale qu'anticipe le Gouvernement 78 ( * ) .

La dotation pour 2017 est toutefois présentée comme tenant compte des mesures nouvelles et notamment la mise en oeuvre de la réforme concernant les mesures de rétention des étrangers, qui modifie les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) 79 ( * ) .

Les dépenses en matière pénale représentent près de 90 % de la dotation globale de frais de justice. L'enveloppe de 427 millions d'euros allouée pour 2017 est en hausse de 5,4 % par rapport à 2016 80 ( * ) . Toutefois, contrairement aux années précédentes, la programmation 2017 intègre le coût en année pleine du paiement, dans le cadre du budget des frais de justice, des cotisations sociales des collaborateurs occasionnels du service public de la justice à hauteur de 50,8 millions d'euros 81 ( * ) . À périmètre constant, l'enveloppe budgétaire est donc de 376,1 millions d'euros 82 ( * ) , en retrait de près de 30 millions d'euros (- 7,2%) par rapport à 2016 83 ( * ) , soit un recul trois fois plus important en valeur absolue que celui déjà intervenu entre 2015 et 2016. La programmation prévoit également une enveloppe de 16 millions d'euros (contre 5 millions d'euros seulement pour le projet de loi de finances pour 2016) attribuée dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme (PLAT).

Certes, le ministère de la justice attend, comme l'année passée, d'importantes économies, obtenues notamment grâce à la mise en oeuvre de la plateforme nationale d'interception judiciaire (PNIJ) et à la nouvelle réforme de la médecine légale, à hauteur, respectivement, de 35 et de 7 millions d'euros, ainsi que 3,5 millions d'euros d'économies supplémentaires 84 ( * ) . Toutefois, l'expérience enseigne que les économies escomptées ne sont pas toujours effectives. Concernant la PNIJ, d'après les informations transmises à votre rapporteur pour avis par la Chancellerie, les économies pour 2015 seraient in fine de seulement 1 million d'euros contre 7,5 millions d'euros initialement attendus et de 12 millions d'euros seulement pour 2016, au lieu des 25 millions attendus.

Lors de son intervention devant votre commission à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2017, le garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas , a affirmé à ce sujet qu'une enquête technique était en cours afin de travailler sur des hypothèses d'adaptation de l'outil.

Votre rapporteur pour avis relève également l'importance du rythme de délégation des crédits aux juridictions, qui, s'il n'est pas prévisible, peut poser des difficultés aux chefs de cours. Une ouverture plus régulière de crédits par l'administration centrale permettrait de limiter ces difficultés.

En conséquence, votre rapporteur pour avis réitère son constat des deux dernières années, selon lequel l'inflation continue des frais de justice risque, au moins à court terme, de se poursuivre, et déplore la sous-dotation importante de l'enveloppe budgétaire correspondante, comme on l'observe depuis la loi de finances pour 2015.

L'inquiétude de votre rapporteur pour avis est renforcée par le fait que la réduction des crédits de paiement et autorisations d'engagement de 8,2 millions d'euros, intervenue sur le programme « Justice judiciaire » suite à un amendement adopté en seconde délibération à l'Assemblée nationale 85 ( * ) , est notamment permise par « un effort supplémentaire d'optimisation des frais de justice (...) ».


* 72 Le décret n° 2014-461 du 7 mai 2014 a prévu, à titre expérimental, l'établissement, la transmission et la certification des mémoires de frais sous forme dématérialisée. Après un démarrage sur trois cours d'appel en avril 2014, l'expérimentation du portail Internet « Chorus Portail Pro » , destiné à permettre aux prestataires requis de déposer de manière dématérialisée leur mémoire de frais de justice, a été étendue, au cours de l'année 2015, à l'ensemble des cours d'appel en trois vagues successives. Le décret n°2016-479 du 18 avril 2016 relatif au traitement des états et mémoires des frais de justice a généralisé le dispositif.

* 73 Les délais de paiement étaient auparavant très variables et pouvaient atteindre une année.

* 74 Rapport annuel de performance pour 2015, mission « Justice », p. 56.

* 75 Jusqu'en 2011 les frais postaux étaient inclus dans le périmètre des frais de justice. Ils sont depuis l'exercice 2012 rattachés aux crédits de fonctionnement courant des juridictions. Le montant hors frais postaux pour l'exercice 2011 équivaut à 481,8 millions d'euros.

* 76 Décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 77 Sauf à ce que des autorisations de paiement et crédits de paiement supplémentaires soient ouverts pour 2016, par exemple à l'occasion d'une loi de finances rectificative.

* 78 Il s'agit de la mise en place du recouvrement des frais de justice commerciale et civile prévue par les articles R 91 et R 93 I du code de procédure pénale, la dématérialisation des avis de rétablissement personnel et des avis des procédures commerciales (TGI à compétence commerciale DOM/COM/Alsace-Moselle) publiés par le Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales.

* 79 L'impact est estimé à 600 000 euros de frais de justice supplémentaires.

* 80 Le projet de loi de finances pour 2017 présente un changement de périmètre de répartition par action des frais de justice. Les dépenses de frais de justice qui étaient prises en charge par le budget central des services judiciaires, jusqu'ici imputées sur l'action n° 6 « Soutien », sont désormais intégralement imputées sur l'action n° 2 « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales ».

* 81 Il s'agit de la poursuite du plan d'action en faveur de l'affiliation au régime général de la sécurité sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice initié en 2016, dont la liste a été redéfinie par les décrets n° 2015-1869 du 30 décembre 2015 et n° 2016-744 du 2 juin 2016. Ce plan prévoit de mettre en place le paiement des cotisations sociales, salariales et patronales, au titre de la prestation réalisée.

* 82 Projet annuel de performance pour 2017, mission « Justice », p. 72.

* 83 L'enveloppe prévue à périmètre constant en loi de finances initiale pour 2016 était de 405,2 millions d'euros.

* 84 Ces économies escomptées par le ministère correspondent à un effort de rationalisation de la gestion des frais de justice via deux principaux vecteurs : la mise en concurrence accrue des prestataires dans les domaines à fort enjeu (1,5 million d'euros), la maîtrise des frais de gardiennage de véhicules et la rationalisation des frais de conservation et de transport des scellés biologiques (2 millions d'euros).

* 85 Amendement n° II-144 au PLF 2017 présenté par le Gouvernement à l'article 29, Etat B, Mission « Justice ».

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