II. UNE ORDONNANCE QUI N'ÉPUISE PAS LES QUESTIONS FINANCIÈRES RELATIVES À LA CRÉATION DE LA COLLECTIVITÉ DE CORSE

A. DES MESURES FAVORABLES PRÉVUES PAR LA LOI DE FINANCES POUR 2017

La loi de finances pour 2017 8 ( * ) comprend trois mesures spécifiques favorables à la Corse :

- l'article 33 minore de 3,2 millions d'euros la contribution au redressement des finances publiques (CRFP) de la collectivité territoriale de Corse. « En effet, les recettes de la collectivité territoriale de Corse (CTC) comportent des ressources spécifiques (...) servant à financer l'exercice de certaines compétences que n'ont pas les autres régions. Le Gouvernement a donc souhaité retirer ces recettes de celles prises en compte pour calculer la répartition de la CRFP, dont le montant par habitant est plus élevé en Corse (23 euros) que dans les autres régions (5 à 8 euros). Le coût de 3,2 millions d'euros sera pris en charge par les autres régions » 9 ( * ) ;

- l'article 142 élargit les possibilités d'emploi des crédits de la dotation de compensation territoriale, jusqu'alors exclusivement affectés « à la réalisation d'équipements portuaires et aéroportuaires destinés au transport et à l'accueil de voyageurs et de marchandises » ;

- enfin, l'article 149 a prévu que la dotation générale de décentralisation (DGD) perçue en 2017 par la collectivité territoriale de Corse serait remplacée, à compter de 2018, par une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), afin de bénéficier de son dynamisme.

B. DES CONSÉQUENCES EN MATIÈRE DE PÉRÉQUATION ET DE DOTATIONS TRAITÉES ULTÉRIEUREMENT

1. Des incidences sur les fonds de péréquation départementale et sur la répartition des concours de l'État

La mise en place de la collectivité de Corse implique une fusion « verticale », entre la collectivité territoriale de Corse et l'échelon départemental, mais également une fusion « horizontale », entre les deux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse.

Comme pour la mise en place de la métropole de Lyon ou de la métropole du Grand Paris, se pose la question des conséquences de ces fusions sur les autres collectivités territoriales. La fusion « verticale » ne devrait pas avoir d'incidence particulière, dans la mesure où il sera toujours possible d'isoler les données financières relatives à l'échelon régional et à l'échelon départemental. En revanche, la fusion « horizontale » impliquera une agrégation des données financières des deux départements préexistants, retracée dans le tableau ci-dessous .

Données financières relatives aux départements actuels et à la collectivité de Corse (données départementales)

(en euros ou en nombre d'habitants)

Corse-du-Sud

Haute-Corse

Données départementales de la future collectivité de Corse

Moyenne nationale

Population INSEE

149 234

170 974

320 208

-

Population DGF

190 242

212 690

402 932

-

Revenu par habitant

13 591,35

11 883,62

12 679,51

14 415,29

Potentiel financier par habitant

817,35

623,51

713,85

632,77

Potentiel fiscal par habitant

576,24

407,59

486,19

532,56

DMTO par habitant

183,88

101,72

140,01

137,07

CVAE par habitant

90,59

66,91

77,94

121,71

Source : commission des finances du Sénat

Les deux départements corses sont aujourd'hui dans des situations différentes. La Corse-du-Sud a un revenu par habitant supérieur de 14 % à celui de Haute-Corse, tandis que son potentiel financier est supérieur de 31 % et son potentiel fiscal de 41 %. Son montant de DMTO par habitant est supérieur de 80 % et celui de CVAE de 35 %. Sur ces cinq indicateurs, la Haute-Corse se situe en dessous de la moyenne nationale, tandis que pour trois de ces mêmes indicateurs la Corse-du-Sud se situe au-dessus de la moyenne nationale .

Une prise en compte de la situation agrégée des données financières de ces départements conduirait à ce que la collectivité de Corse se situe au-dessus de la moyenne ou juste en dessous sur certains indicateurs (cf. tableau). Dès lors, cette fusion pourrait avoir des conséquences importantes en termes de péréquation horizontale et de répartition des concours de l'État .

En effet, ces indicateurs sont pris en compte pour le calcul de :

- la dotation de fonctionnement minimale ;

- la dotation de péréquation urbaine ;

- le fonds de péréquation des DMTO ;

- le fonds départemental de péréquation de la CVAE ;

- le fonds de solidarité des départements ;

- la répartition péréquée des frais de gestion.

2. Une question renvoyée au projet de loi de finances pour 2018

La présente ordonnance ne règle pas cette question, qui, dès lors, devrait être abordée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018. Le champ de l'habilitation aurait permis de la traiter, mais il est préférable d'aborder les questions de péréquation de façon globale, dès lors qu'elles ont des conséquences sur l'ensemble des départements. La loi de finances permettra d'avoir ce débat d'ensemble.

Néanmoins, l'assemblée de Corse a déjà formulé des observations sur le sujet 10 ( * ) :

Le Gouvernement a décidé que les dispositions tendant à préciser et compléter les règles relatives aux concours financiers de l'État et aux fonds nationaux de péréquation de recettes fiscales applicables à la collectivité de Corse seront traitées dans le cadre de la loi de finances.

Il est demandé :

- que l'exercice d'agrégation des dispositifs applicables à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements ne conduise ni à minorer les ressources qui seront attribuées à ce titre à la collectivité de Corse en 2018, ni à mettre en place des mécanismes de calcul qui s'avèreraient défavorables dans la durée ;

- que les dispositions figurant à ce titre dans la loi de finances soient soumises à l'examen préalable de la collectivité territoriale de Corse et des deux départements.

Il est légitime que la collectivité de Corse souhaite bénéficier d'une garantie de non baisse des montants perçus au titre des concours financiers de l'État et des fonds de péréquation. Néanmoins, le choix de mettre en place une collectivité unique implique une solidarité territoriale et, dès lors, il serait difficilement justifiable de continuer à calculer les dotations et les attributions ou prélèvements sans prendre en compte les données agrégées ou en mettant en place des mécanismes de garantie . C'est la logique même de la péréquation et de la mise en place d'une collectivité unique qui seraient remises en cause. En tout état de cause, calculer ces montants sur la base des caractéristiques des anciens départements ne pourrait être un choix pérenne, dans la mesure où les données nécessaires ne continueront pas forcément à être produites.


* 8 Loi n° 2016-1917du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

* 9 Rapport général n° 140 (2016-2017), annexe n° 27 de MM. Charles Guené et Claude Raynal , fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2016.

* 10 Délibération n° 16/204 AC de l'assemblée de Corse portant avis sur trois projets d'ordonnances relatives à la création de la Corse du 7 septembre 2016.

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