B. LES CONDITIONS D'UN RECENTRAGE RÉUSSI : LE MAINTIEN D'UNE ACTION COMPLÉMENTAIRE DE L'ÉTAT ET LE RENFORCEMENT DE SON RÔLE DE COORDINATEUR

1. Une évolution inévitable de l'action économique de l'État dans les territoires

Votre commission partage avec le Gouvernement le constat que l'intervention territoriale de l'État en faveur des entreprises doit être réexaminée. Trois évolutions majeures conduisent en effet à réévaluer les missions et les modalités d'intervention des services déconcentrés en matière d'accompagnement et d'aide aux entreprises :

- d'une part, la montée en puissance de la compétence économique des régions , matérialisée par l'adoption des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) par l'ensemble des régions, qui déclinent les priorités d'actions régionales ainsi que les moyens disponibles au profit des acteurs économiques locaux ;

- d'autre part, le rôle désormais joué par les opérateurs spécialisés de l'État, à commencer par Bpifrance et Business France, qui dans des domaines d'intervention très spécifiques ont acquis une compétence et une capacité d'action aujourd'hui plus importants que les services déconcentrés, à caractère généraliste ;

- enfin, la forte baisse au cours des dernières années des moyens humains et financiers de l'État dans les territoires, et notamment au sein des DIRECCTE, et des réseaux consulaires.

Votre commission estime que cette situation implique un recentrage fondé sur des principes de subsidiarité et de garantie des équilibres économiques nationaux . L'État, par le rattachement de l'ensemble de ses services déconcentrés à une administration « centrale », est seul à même d'avoir une vision du développement économique qui dépasse l'échelle régionale. Aussi doit-il s'efforcer, par son action, d'assurer une complémentarité d'intervention au profit des entreprises dans les territoires par rapport aux mesures proposées par les autres acteurs, afin de garantir la réalisation d'objectifs nationaux au nombre desquels un certain équilibre territorial dans le développement économique .

Sur ce point, votre commission rejoint pleinement les préconisations formulées dans le rapport de notre collègue Martial Bourquin dans le cadre de la mission d'information du Sénat sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, présidée par notre collègue Alain Chatillon, en élargissant le propos au-delà du seul secteur de l'industrie. 9 ( * )

2. Jouer le rôle de coordinateur des acteurs dans la mise en oeuvre d'une stratégie d'équilibre économique des territoires

Compte tenu de son positionnement et de la multiplication des acteurs menant des actions en faveur des entreprises au niveau local, les services déconcentrés de l'État en matière économique doivent s'efforcer de jouer un rôle de coordinateur, voire « d'ensemblier », en favorisant les synergies entre les acteurs. Ainsi que le soulignait la mission d'information précitée, « lorsque l'État n'est pas le seul compétent pour agir, il doit rester présent pour favoriser les synergies entre des acteurs que leur spécialisation poussée ou leur cadre territorial limité peuvent conduire à mener des actions mal coordonnées et non complémentaires. »

Dans ce cadre, les services déconcentrés doivent renforcer leur capacité d'initiative ou d'animation afin de relayer les priorités nationales , dans le respect des compétences des différents intervenants de la politique économique dans les territoires.

Or, ces priorités doivent notamment consister à mettre en oeuvre localement les stratégies d'équilibre territorial . C'est le cas, notamment, de la politique de réindustrialisation des territoires . Comme l'avait relevé la mission d'information, les référents uniques pour les investissements (RUI), désignés dans chaque région pour assurer le rôle de guide au sein de l'administration française - notamment dans les démarches de demandes d'autorisations, de négociations avec les opérateurs ou de besoins de financement, en lien en particulier avec les services de la région, les autres collectivités territoriales et Bpifrance - mériteraient d'être renforcés.

Les services déconcentrés de l'État doivent également favoriser l'information - et le cas échéant, l'accès - des entrepreneurs locaux aux offres abondantes et très diversifiées émanant des acteurs privés de l'aide à la création et de l'accompagnement d'entreprises (entre autres : l'Adie, les Boutiques de gestion, Positive planète, France active, Initiative France, Fondation entreprendre, Association 100.000 entrepreneurs, Association Tous repreneurs, Réseau Groupement de créateurs...).

Ce rôle apparaît d'autant plus important que le Gouvernement a décidé de l'absorption au 1 er janvier 2019 de l'Agence France entrepreneur (AFE) - de création pourtant récente - par Bpifrance et le recentrage de ses missions - jusqu'alors généralistes - aux seules créations d'entreprises dans les « quartiers ». Il est donc nécessaire que les DIRECCTE assurent une interface au niveau local, le cas échéant en lien avec les services compétents des régions, avec les entrepreneurs dans des territoires qui ne seraient pas dans les « quartiers » ou territoires « fragiles » .

La nécessité d'une présence minimale de l'État s'impose par ailleurs d'autant plus que les relais publics traditionnels que sont les chambres de commerce et d'industrie (CCI) connaissent une baisse drastique de leur financement public et doivent abandonner une partie de leurs missions en faveur des entreprises .

Est en effet assignée aux CCI une nouvelle trajectoire financière se traduisant par une baisse de 400 millions d'euros sur 4 ans, alors que depuis 2012 le montant de la taxe pour frais de chambres affectée a baissé de 46 % et que l'an dernier, après une nouvelle baisse de 150 millions d'euros, le Gouvernement s'était engagé à garantir la stabilité des ressources des CCI en 2019-2022... Il est certes indispensable que le réseau consulaire évolue, mais il faut lui laisser le temps de se réorganiser. Or, cette trajectoire n'est pas compatible avec cette réorganisation : une baisse de 100 millions de financement implique des suppressions d'emplois à hauteur de 1 000 ETP qui, elles-mêmes, génèrent 100 millions d'euros d'indemnités qui doivent être intégralement prises en charge par les CCI qui supportent elles-mêmes le coût des indemnités de licenciement et de l'assurance-chômage. En outre, elle remet même en cause les projets très pertinents, et pourtant « adoubés » par l'État, en matière d'appui à l'export et de mutualisation avec Business France.

3. Conserver des capacités d'intervention ponctuelles ciblées, complémentaires de celles des autres acteurs

Au contact direct des territoires, les services déconcentrés de l'État ont une connaissance de terrain dont ne dispose pas l'administration centrale. Leur apport peut donc s'avérer déterminant pour la mise en oeuvre de mesures décidées au niveau central. Il est donc souhaitable que, dans l'évolution envisagée par le Gouvernement, l'administration centrale s'appuie davantage sur ces services pour impulser des actions efficaces et ciblées en faveur des entreprises.

Parmi ces actions, outre le Fisac , le programme 134 prévoyait des actions collectives, en particulier dans le domaine de l'industrie, visant à favoriser la compétitivité des entreprises.

Le montant alors dévolu - quoique fort réduit, avec 3,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 4,4 millions en crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale pour 2018 - permettait de favoriser des concours financiers plus conséquents, par effet de levier. Une forte implication des services déconcentrés dans la définition de ces actions puis dans leur mise en oeuvre opérationnelle aurait été de nature à assurer la pleine application de ces mesures dans les territoires.

Pourtant, à l'instar du Fisac, le projet de loi de finances pour 2019 consacre la mise en extinction des actions collectives , en ne dotant plus celles-ci d'autorisations d'engagement en 2019, seuls des crédits de paiement, à hauteur de 4,5 millions d'euros, étant prévus pour « couvrir les restes à payer sur les engagements antérieurs au 31 décembre 2018 ».

Votre commission ne peut que déplorer cette suppression supplémentaire d'un instrument au coût budgétaire modique, mais qui peut s'avérer efficace pour assurer des actions d'accompagnement ponctuelles des entreprises, complémentaires à celles pouvant être menées par les autres acteurs publics et parapublics.

Les rares mécanismes d'intervention qui subsistent encore doivent quant à eux être dotés de moyens financiers suffisants. Ainsi que le relevait la mission d'information précitée, il conviendrait notamment d'envisager un relèvement du montant de l'aide à la réindustrialisation (ARI) et de la prime à l'aménagement du territoire , qui se sont élevées en 2018 respectivement seulement à 15 et 17 millions d'euros au niveau national. L'État doit en effet avoir des capacités suffisantes d'intervention pour le soutien à la localisation d'activités industrielles sur les territoires qu'il estime stratégique de favoriser.

Lors de son audition devant votre commission, le ministre de l'économie et des finances a évoqué l'inutilité du « saupoudrage » des crédits. À l'inverse de toute volonté d'émiettement des aides, la commission préconise que les dispositifs en cause soient utilisés et mis en oeuvre de façon extrêmement ciblée, en n'hésitant pas à discriminer entre les territoires , pour utiliser les instruments là où ils peuvent s'avérer les plus efficaces en tant que tels mais aussi en complémentarité des actions menées localement par les autres acteurs.

En tout état de cause, votre commission appelle solennellement l'État à ce que l'évolution engagée n'aboutisse pas à un abandon pur et simple de toute action « micro-économique » de ses services déconcentrés.


* 9 « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale », rapport n° 551 (2017-2018), pp. 226-231.

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