EXAMEN EN COMMISSION


MARDI 21 MAI 2019

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Comme la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi sur l'organisation et la transformation du système de santé. Notre rapporteur s'exprimera demain en notre nom devant la commission des affaires sociales.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis . - Alors que le projet de loi comptait 23 articles, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale en comporte 73, dont sept au moins concernent notre commission, au titre de ses compétences en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Toutefois, compte tenu du temps qui m'était imparti, j'ai centré mon rapport sur la réforme des études de santé proposée par le Gouvernement, c'est-à-dire sur les deux premiers articles.

Cette réforme a été annoncée par le Président de la République dans son discours de septembre 2018, dans lequel il a déclaré : « le numerus clausus sera donc supprimé pour cesser d'entretenir une rareté artificielle » et « dès la rentrée 2020, il n'y aura plus de concours à la fin de la première année, c'est-à-dire plus de Paces, cet acronyme synonyme d'échec pour tant de jeunes ». Ces orientations ont été confirmées dans le plan « Ma Santé 2022 » de Mmes Vidal et Buzyn, et font l'objet de l'article 1 er du projet de loi.

La création de la première année commune d'accès aux études de santé (Paces) remonte à 2010. Avant de la vouer aux gémonies, souvenons-nous qu'elle présente quelques avantages : en principe équitable, peu coûteuse, elle a constitué une filière d'excellence au sein de l'Université. Ces avantages sont toutefois largement compensés par des inconvénients nombreux et lourds. Avec son taux d'échec de 77 %, le système détruit de nombreux jeunes, pourtant excellents bacheliers, qui se retrouvent en échec, perdent confiance en eux, voire encourent des risques psycho-sociaux.

Si l'on suit 1 000 primo-entrants en Paces, on constate qu'un an plus tard, 120 d'entre eux ont réussi le concours, dont 87 en médecine. Presque 500 choisissent de retenter leur chance. Et deux petits quarts décident de jeter l'éponge et de se réorienter : 221 vers d'autres parcours universitaires, 206 en dehors de l'Université. Sur les 453 redoublants, une petite moitié va finalement réussir, dont 115 en médecine, mais l'autre moitié va se réorienter au bout de cette deuxième année de préparation qui a abouti à un nouvel échec. Bref, deux tiers des primo-entrants finissent par échouer à la Paces, en ayant perdu une voire deux années d'études. Et, sur les 1 000 candidats, à peine 200 intègrent les études de médecine.

De plus, le coût de la Paces pour les familles est lourd - et explique aussi l'autocensure de certains bacheliers à l'égard des études de santé. En somme, c'est un système inefficace en termes de diplômation, et cela a un coût pour la Nation. Enfin, l'année de Paces n'est pas une année très intéressante, tant du point de vue des contenus enseignés, orientés davantage vers la sélection que vers la formation, que des conditions d'études : amphithéâtres surchargés, cours en vidéo-conférences, polycopiés, quasi absence de travaux dirigés, bachotage...

On aboutit à ne sélectionner à l'entrée des études médicales qu'un seul profil. Le lauréat-type est un bachelier S : 90 % des étudiants de Paces ont un bac S, et tous les autres bacheliers ont des chances de réussir inférieures à 3 % même avec redoublement. Il est titulaire d'une mention « très bien » : les trois quarts des bacheliers S avec mention « très bien » passent en deuxième année des études de médecine, dont la moitié sans redoubler, alors que les bacheliers S avec mention « assez bien » ne sont que 3,7 % à accéder en deuxième année sans redoubler. Il est issu des classes sociales les plus favorisées : 4 étudiants sur 10 en sont issus et les études DE santé sont parmi les formations les plus clivées socialement, juste derrière les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Parmi les inscrits de première année de Paces, un enfant de cadre a 2,5 fois plus de chance d'intégrer médecine qu'un enfant d'ouvrier. Je n'ai pas réussi à obtenir de statistiques sur la provenance géographique des inscrits et des lauréats, mais tout laisse supposer une forte prédominance des milieux urbains.

Une première solution intéressante a été développée pour que des étudiants qui n'ont pas d'université à composante santé de proximité accèdent plus facilement à cette formation : la création d'antennes Paces, qui permettent de suivre les cours de Paces à distance grâce à leur diffusion vidéo. Alors qu'il existe aujourd'hui 34 Paces sur le territoire, on compte 70 antennes Paces.

La loi « enseignement supérieur et recherche » (ESR) de 2013 a ensuite instauré deux mécanismes d'expérimentations pour diversifier les profils recrutés et construire des parcours de formation de réussite, que la loi « orientation et réussite des étudiants » (ORE) a prolongés et étendus. Sur les 34 universités à composante santé, 24 sont aujourd'hui expérimentatrices.

Il s'agit de l'AlterPaces, expérimentée dans 16 universités et qui permet à des étudiants ayant validé entre une et trois années de licence dans un autre domaine d'être admis directement en deuxième ou troisième année des études de santé, selon un quota défini par l'université, et qui s'impute sur son numerus clausus . Ce dispositif n'a pas rencontré un très grand succès, puisque seules 15 % des places offertes ont été pourvues en 2016-2017, notamment en raison d'un manque de communication. Mais les étudiants recrutés par ces passerelles sont souvent les meilleurs et les plus motivés ensuite dans les formations en santé.

Autre dispositif expérimental, le PluriPass, mis en place depuis 2015 à l'Université d'Angers, dont nous avons auditionné le Président, permet aux étudiants d'accéder aux études médicales ainsi qu'à une quinzaine de licences ou à des écoles d'ingénieurs, et donc inscrit tous les étudiants dans un parcours de réussite. Cela a permis d'inverser le ratio échec-réussite : 72 % des étudiants de PluriPass réussissent leur année. Par ailleurs, cette université a expérimenté de nouvelles modalités d'examen avec l'introduction d'épreuves orales, pour contourner ou compléter le questionnaire à choix multiples (QCM).

Le mécanisme de la Paces adaptée, que nous avions introduit dans la loi ORE à mon initiative, est expérimenté depuis la rentrée 2018 par trois universités parisiennes et par l'université de Brest. Il donne deux chances d'admission dans les études médicales sans redoublement et permet une poursuite d'études dans une pluralité de parcours de licence.

S'appuyant sur ces expérimentations plutôt réussies, le Gouvernement nous propose un dispositif rénové permettant la diversification des profits et la construction de parcours de réussite. L'article 1 er ne donne qu'un cadre très général à cette nouvelle organisation et l'essentiel des dispositions fera l'objet d'un décret et d'un arrêté en cours de préparation.

La Paces disparaîtrait pour être remplacée par des licences comportant soit une majeure santé - c'est ce qu'on appelle les « Portails Santé », qui seront certainement la transformation des anciennes Paces - soit une mineure santé, comme par exemple « droit et santé », « biologie et santé », etc. Ces mineures santé pourraient être proposées dans toutes les universités, même celles qui ne comportent pas de composante santé, et les antennes Paces actuelles devraient tout naturellement se transformer en mineures santé. L'accès en deuxième ou troisième année des études médicales pourrait se faire soit via une majeure soit via une mineure. L'avantage de cette organisation est qu'elle conduit, même en cas d'échec au concours, à une poursuite organisée d'études. Le concours serait transformé pour sortir du « tout QCM » et comporter également des épreuves rédactionnelles et orales, au moins au stade de l'admission.

Cette réforme de l'entrée dans les études de santé devrait concerner les étudiants qui rejoindront l'Université à la rentrée de septembre 2020. Les nouvelles maquettes de formation devront donc être publiées sur Parcoursup dès novembre prochain. Globalement, cette réforme fait l'objet d'un assez large consensus, que nous avons pu mesurer au cours de nos auditions.

Pour qu'elle réussisse, il faudra d'abord que l'information auprès des lycéens et de leurs familles soit bien faite, sur Parcoursup mais aussi dans les lycées. Le nouveau dispositif, qui laisse beaucoup d'autonomie aux universités dans leurs choix d'organisation, sera nécessairement plus complexe que la Paces actuelle. Par ailleurs, et c'est une bonne chose, il obligera les lycéens à se demander dès avant l'entrée à l'Université quelles études ils ont envie de suivre si ils ne réussissent pas à intégrer les études de santé, et quel métier ils souhaitent exercer s'ils ne deviennent pas médecin, dentiste, sage-femme ou pharmacien. L'effort d'orientation devra également se faire au sein des universités pour continuer à orienter les étudiants après un ou deux échecs à l'entrée des études de santé.

Si c'est une Paces qu'on recrée sous le nom de « Portail Santé », on n'aura pas beaucoup avancé ! Il faut donc garantir la diversité des voies d'accès aux études de santé. Pour cela, il faut que le Portail Santé ne préempte pas toutes les places au concours - le rapport du Professeur Saint-André proposait qu'un maximum de 60 % des places soit fléché vers les Portails Santé - et que les universités proposent une offre réelle de mineures santé.

La question des moyens accordés aux universités pour faire cette transformation se pose également. Le Gouvernement met en avant une économie de 55 millions d'euros liée à la disparition des redoublements en Paces. Mais, à court terme et à titre transitoire, la transformation de places de Paces en places de majeures ou mineures sera nécessairement coûteuse : une place de Paces coûte environ 2 000 € par étudiant et par an, soit deux fois moins qu'une place de licence - à multiplier par 57 000 étudiants chaque année. Il y aura aussi des augmentations de coût pérennes liées aux nouvelles épreuves du concours : le « tout QCM » était particulièrement économique ! Nous n'avons pas obtenu de chiffrage précis de la part du ministère, mais Mme Vidal a annoncé la semaine dernière lors de son audition par la commission des affaires sociales que « les moyens nécessaires à la transition seront mis à la disposition des universités ».

Je vous proposerai trois amendements relatifs à l'entrée dans le premier cycle des études de santé. Les deux premiers garantissent la diversité des voies d'accès. Le troisième repousse d'un an l'entrée en vigueur de la réforme, car les universités vont devoir être prêtes pour novembre prochain et l'ouverture de Parcoursup. Or le risque est grand, dans ce temps contraint, qu'elles se contentent de re-labelliser leur Paces en Portail Santé et remettent à plus tard une réflexion de plus grande ampleur sur leurs maquettes de formation. Ce serait très dommageable pour la bonne compréhension de la réforme et nous partirions sur de mauvaises bases. De plus, un décalage d'un an ferait coïncider le calendrier de la réforme du baccalauréat avec celui de la présente réforme.

Le Président de la République a annoncé la suppression du numerus clausus . Cela pourrait laisser penser que l'entrée dans les études médicales serait désormais libre et ouverte à tous ... Tel ne sera pas le cas - heureusement. Les capacités de formation en deuxième et troisième années des études de santé seront déterminées par les universités. Pour ce faire, ces dernières devront prendre en compte des objectifs pluriannuels d'admission en deuxième cycle qu'elles fixeront sur avis conforme des agences régionales de santé (ARS) et qui devront tenir compte des objectifs nationaux pluriannuels de l'État. Bref, l'État garde largement la main sur le nombre de places offertes aux concours d'entrée en deuxième et troisième années des études de santé.

Le principal obstacle à une augmentation du numerus clausus est d'abord constitué par les capacités de formation de nos universités et de nos centres hospitaliers universitaires (CHU) ! Les ministres ont d'ailleurs annoncé une augmentation transitoire du nombre de places du concours de l'ordre de 20 %, pour que les étudiants qui sont à cheval sur l'entrée en vigueur de la réforme ne subissent pas de perte de chances, mais cette augmentation transitoire du numerus clausus pourrait s'avérer très difficile à mettre en place. Les doyens de chirurgie dentaire, par exemple, sont extrêmement inquiets car leurs plateaux techniques ne sont pas extensibles. Les terrains de stage et le nombre de maîtres de stages sont aussi des éléments limitants pour l'accueil et la formation d'étudiants supplémentaires.

Faut-il regretter que l'on ne supprime pas réellement le numerus clausus ? Je ne le pense pas. D'une part, il me semble indispensable de conserver une sélection rigoureuse de nos futurs professionnels de santé. Il me semble également légitime que l'État conserve la main sur les effectifs de formation des médecins, à condition de bien les gérer. La gestion du numerus clausus entre le milieu des années 1970 et le début des années 2000 comme moyen de régulation des dépenses de santé est largement responsable des pénuries médicales que nous connaissons. Mais le numerus clausus a été significativement desserré depuis le début des années 2000 : les jeunes professionnels, qu'il faut entre neuf et douze ans pour former, arrivent progressivement sur le terrain. La France souffre peut-être d'un relatif manque de médecins - 310 pour 100 000 habitants contre 370 en moyenne dans l'Union européenne - mais surtout d'une très inégale répartition de ceux-ci sur le territoire. Et ce n'est pas en supprimant ou en desserrant le numerus clausus que nous apporterons une réponse efficace à la question des déserts médicaux.

L'article 2 porte sur la réforme de l'entrée en troisième cycle des études de médecine. Le Gouvernement nous propose de supprimer les épreuves classantes nationales (ECN), qui polarisaient toute la dernière année d'études du deuxième cycle en un bachotage digne de la Paces. Par ailleurs, à l'issue de ces ECN, tous les candidats sont classés et c'est le classement qui décide de votre spécialité.

Le dispositif proposé prévoit toujours des épreuves, qui valoriseront non seulement les connaissances mais aussi les compétences des étudiants. Faute d'une note minimale, l'accès en troisième cycle ne sera pas permis. Quant à l'affectation sur les postes offerts à l'internat, il ne dépendra plus des seuls résultats aux épreuves. Devront également être pris en compte le parcours de formation et le projet professionnel du candidat. Cette nouvelle organisation devrait valoriser certains éléments du parcours de l'étudiant comme un diplôme supplémentaire, une expérience internationale, un stage dans un bloc opératoire spécialisé, etc. L'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, prévue dans le texte pour la rentrée universitaire de 2020, pourrait être décalée à 2021 pour permettre aux universités de revoir tout le deuxième cycle et de mieux préparer leurs étudiants aux nouvelles modalités d'entrée en troisième cycle.

Je suis globalement favorable à la réforme de l'entrée en troisième cycle qui nous est ainsi proposée dans ses grandes lignes. Car ici, comme pour l'article 1 er , beaucoup est renvoyé à des textes réglementaires.

Au-delà de la question de l'accès en premier ou en troisième cycle, ce projet de loi est l'occasion de nous interroger plus globalement sur l'organisation de nos études de santé en général et de médecine en particulier. Je vous proposerai quelques amendements. L'un prévoit que l'organisation des études de santé doit aussi contribuer à la répartition équilibrée des futurs professionnels sur le territoire ; car, au-delà de cinq années loin de chez lui, les chances que l'étudiant revienne s'installer là où il avait passé son bac s'amenuisent drastiquement. C'est pourquoi je suis un féroce défenseur du développement de mineures santé dans les universités de proximité, ainsi qu'au développement des stages en zones sous-denses, pour permettre le cas échéant à ces jeunes de revenir en stage sur leur territoire d'origine et d'y construire un projet professionnel. Cet amendement est commun avec Jean-François Longeot, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire.

Un autre amendement, plus technique, garantit la possibilité de changer d'université entre le premier et le deuxième cycle.

Mon troisième amendement propose une nouvelle rédaction pour faire passer, dans le texte du code de l'éducation, la référence à la pratique hospitalière après les questions de découverte de la diversité des modes d'exercice et des territoires. Symboliquement, c'est important.

Deux amendements favorisent les stages en zones sous-denses, sans pour autant les rendre obligatoires, car j'ai conscience que ce serait très difficile voire impossible à réaliser compte tenu du manque actuel de maîtres de stage. Ces amendements ont également été rédigés en commun avec Jean-François Longeot.

Enfin, deux amendements favorisent la participation des étudiants en médecine à des programmes d'échanges internationaux - totalement sous-développés actuellement.

Je remercie celles et ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions que nous avons organisées, en cette période chargée pour notre commission.

M. Pierre Ouzoulias . - Merci pour la qualité de ce rapport, que je partage entièrement. Le bilan est dramatique. Ma fille a vécu la Paces : c'est une épreuve familiale lourde ! Elle s'en est sortie à peu près indemne et sans addiction, mais ce système broie les enfants et génère chez eux des dépendances à des formes de travail qui sont préjudiciables par la suite, et dont il leur faut plusieurs années pour s'affranchir. Cela ne sert personne, puisque c'est, comme vous l'avez dit, un échec individuel, social et pédagogique : le contenu de la Paces, vouée à la sélection, ne laisse guère de trace.

Il sera nécessaire que cette réforme soit accompagnée par des moyens suffisants. Or les deux ministères de tutelle font le pari que les économies dégagées par la diminution du nombre de redoublements permettront de renforcer l'accompagnement ailleurs. Comme vous, ce calcul économique me laisse perplexe. L'exemple de la loi ORE montre bien que, un an après, le dispositif « oui, mais » n'a pas été mis en oeuvre partout. Nous devons favoriser des profils autres que les mathématiciens : pendant longtemps, les médecins étaient surtout des forts en thème. Il faut introduire des sciences humaines en plus large proportion.

M. Stéphane Piednoir . - Merci pour les auditions intéressantes que nous avons eues, malgré un agenda chargé : étudiants, professionnels, universitaires... Je partage votre constat sur le fait que le mode d'évaluation est aberrant. Le tout QCM - que j'ai eu également l'occasion de tester dans ma famille - répond uniquement à une logique de sélection parmi un grand nombre de candidats. Comme professeur principal en Terminale, j'ai vu l'attractivité de ces études pour les élèves scientifiques. Je ne suis pas d'accord avec Pierre Ouzoulias sur le fait que les étudiants ne retiennent rien de leur première année. Il leur reste tout de même une base de connaissances. Mais ce système est trop monolithique sans doute, il ne serait pas mauvais d'introduire d'autres disciplines. Est-ce, pour autant, une machine à produire de l'échec ? Il me semble que cette caractéristique est inhérente à toute filière sélective, et que la sélection est indispensable pour dégager une élite. Or nous voulons tous ici disposer de médecins aussi compétents que possible. On retrouve d'ailleurs ces caractéristiques en CPGE. Pas question de brader la qualité de nos médecins !

Pour autant, je partage l'objectif de ne pas faire perdre une année aux étudiants. Le président de l'université d'Angers, avec PluriPass, a introduit d'autres matières dans la formation, ce qui aide les étudiants dans leur réorientation vers des études de kinésithérapie, de pharmacie ou dans le secteur paramédical. Et, au lieu de s'inspirer d'expérimentations qui ont fait leurs preuves, on veut généraliser autre chose, qui ne marche pas ! C'est regrettable.

Je ne partage pas vos conclusions sur le fait que l'esprit de la réforme ferait consensus. Il y a des voix dissonantes, notamment parmi les étudiants. Et les lycéens sont inquiets de la tournure que prend leur accès aux études médicales. Quant à la petite musique qu'on entend régulièrement sur la diversification, je suis pour ma part opposé à l'idée de quotas. On nous dit que les étudiants en médecine ont un profil unique : bac S, mention « très bien »... Et on veut fixer, pour ce type de profil, un maximum de 60 % des places ! Voulons-nous que, dans notre pays, les très bons élèves s'excusent de réussir ? Je ne comprends pas cette logique. En imposant un quota de 40 % de places pour des étudiants titulaires d'autres licences, on va pousser les très bons élèves à modifier leur profil... On reproche aux profils scientifiques de manquer d'empathie. Faut-il ne pas avoir de formation scientifique pour en avoir ? À mon sens, les bases scientifiques sont essentielles pour exercer ce métier. Si les candidats ont arrêté les sciences depuis la troisième, pourront-ils être de bons médecins ?

Mme Mireille Jouve . - L'enjeu est majeur car de plus en plus de territoires manquent de médecins. Les étudiants ne veulent plus du modèle actuel de bachotage à outrance, qui nuit à l'attractivité de la filière. Ma fille a connu le premier cycle d'études médicales. Nous devons améliorer les choses - et aussi pour le concours de l'internat. Aussi le groupe RDSE accueille-t-il favorablement ces propositions, tout en regrettant une insuffisance: l'article 1 er laisse une marge de manoeuvre non négligeable au pouvoir réglementaire.

Mme Sonia de la Provôté . - Cette loi porte une réforme majeure des métiers de la santé, dans le but de leur donner un nouveau souffle. La réforme de la Paces mettra un terme aux prépas payantes, qui revenaient à promouvoir une sélection sur critères sociaux. La diversité des profils s'améliorera, et nous mettrons un terme à la casse désastreuse de ceux qui ont loupé la Paces de très peu et qui voient quasiment la fin de leur vie arriver... Nous ne devons pas mettre nos jeunes dans de telles situations d'échec. Les étudiants qui ont le mieux réussi les QCM formeront-ils demain l'élite des médecins ? Je n'en crois rien.

M. Stéphane Piednoir . - Il faut revoir l'évaluation, sans doute...

Mme Sonia de la Provôté . - Ceux qui sortent de la Paces ne constituent pas une élite, dans la mesure où ils n'ont pas été sélectionnés sur les qualités d'un bon médecin. La preuve : combien choisissent d'aller sur le terrain et de mouiller leur chemise dans les territoires ruraux ? Pour cela, il faut aimer les gens et l'exercice médical, avoir un certain courage et vouloir promouvoir l'accès aux soins pour tous. Or nombre d'entre eux optent pour un exercice salarié de la médecine, mais pas dans le soin ! Sur les 310 médecins pour 100 000 habitants, peu sont sur le terrain. Il y a donc grand besoin de réformer ces études.

Quid du programme des mineures santé ? Et, pour l'internat, sans nombre minimal de personnes reçues, on reste dans un système de numerus clausus . Mais, plutôt qu'un critère numérique, il faudrait un critère qualitatif. C'est la sécurité sociale qui a cherché à réduire le nombre de professionnels sur le terrain, avec l'objectif de réduire les dépenses sociales. Mais celles-ci sont vouées à croître compte tenu du vieillissement de la population et de l'accroissement de la qualité des prises en charge... Il faudra donc, de toute façon, des médecins sur le terrain.

Mme Samia Ghali . - Ce projet va révolutionner le monde de la médecine. J'ai aussi passé les épreuves, par procuration, avec mon fils : quelle angoisse ! Le numerus clausus fait de cette profession la seule qui oblige à entrer, pour ainsi dire, en religion...

M. Stéphane Piednoir . - Il y a aussi les CPGE.

Mme Samia Ghali . - Nous manquons de médecins. Il faut penser qualité plutôt que quantité, certes, mais nous devons tout de même faire venir des médecins étrangers qui, malgré leur niveau de qualification, sont sous-payés. Il y a un vrai problème, surtout que, dans le même temps, on ne propose rien aux étudiants qui ont échoué. Au fond, ce texte ne nous propose-t-il pas un numerus clausus déguisé ? Lorsqu'il y a de l'oral, il y a de la subjectivité. Cela m'inquiète. Au moins, les QCM étaient neutres. Et quid des écuries ? Vont-elles disparaître ? Quant aux moyens, seront-ils réellement donnés aux universités ? Laisserons-nous les doyens choisir le nombre de places ? Ce serait un numerus clausus , mais qui ne serait pas géré par l'État. Les études de médecine ne coûtent pas cher - elles rapportent même, à mon avis, aux hôpitaux, qui paient les internes cent euros par mois pour des gardes interminables, où ils sont souvent seuls. Si ce sont les doyens qui décident, il faudra peut-être changer de CHU, ce qui occasionnera des frais supplémentaires pour les familles. Et qui encadrera les étudiants ? C'est la question des maîtres de stage.

Mme Colette Mélot . - Avec la désertification médicale, cette réforme est attendue, et ne pourra qu'améliorer l'existant. Comment préparer les étudiants à s'engager dans les territoires ruraux ? La formation doit faire émerger des mentalités les y engageant. Il faut aussi développer les stages en zones sous-denses et les expériences à l'étranger, devenues indispensables. Je suis donc favorable au rapport présenté.

M. Jacques Grosperrin . - La profession de santé qui a vu son effectif diminuer le plus est celle des médecins. On a cru que cela ferait baisser les dépenses de santé. Les ajustements, sur avis conformes des ARS, se feront-ils en fonction des territoires ? De la population ? De la taille de l'université ? Cela pourrait créer des effets d'aubaine pour les étudiants parisiens, par exemple. Sans formation sur les territoires, il n'y aura plus de médecins pour y exercer. Face au gâchis humain actuel, il fallait faire quelque chose. Mais il y a une lame de fond bourdieusienne : lutter contre la reproduction sociale est une chose, mais il faut continuer à sélectionner les meilleurs. Réformer le concours, oui ; réfléchir à Parcoursup, oui ; mais qu'une jeune fille de Terminale, excellente depuis le primaire, ne soit pas prise en Paces, alors que des élèves très moyennes le sont parce qu'elles sont boursières, cela choque. Et les femmes doivent pouvoir cumuler l'exercice de la médecine avec leur vie personnelle.

Mme Céline Brulin . - Tout le monde s'accorde sur le fait qu'il y a un immense gâchis. La répartition du numerus clausus est infernale, puisqu'il profite davantage à l'Île-de-France qu'aux territoires qui manquent de médecins. Comment se répartiront les postes ? J'ai vu comment l'ARS définissait le nombre de places ouvertes aux ECN : il y a des questions de capacité d'accueil, certes, mais il y a aussi de grands professeurs qui trouvent que leur spécialité est assez noble pour qu'on ne crée pas trop de postes... Et il me semble que, sur ce point, il n'y a pas tous les garde-fous nécessaires. Nous voulons tous d'excellents médecins, mais il faut réfléchir à l'hyper-sélection, qui aboutit à des inégalités sociales et territoriales. Si l'on recrute plus de médecins dans les quartiers populaires, ils iront peut-être plus volontiers exercer dans ces quartiers. Et l'hyper-sélection donne aux médecins, ensuite, un niveau d'exigence que tous les élus locaux connaissent : ils en ont bavé pendant dix ans...

Pourquoi n'avons-nous pas été saisis sur les équivalences données aux médecins formés à l'étranger ? Comment avance l'universitarisation des études de kinésithérapie ?

Mme Maryvonne Blondin . - Nous avons voté en 2008 la création de la Paces, en donnant la possibilité de la prolonger par une deuxième année de licence dans d'autres disciplines - nous partions du même constat. Cela n'a pas fonctionné. Il est important que les généralistes ouvrent des lieux de stage, tout comme les médecins scolaires. Parcoursup est ouvert depuis cette année aux instituts de formation en soins infirmiers et cela pose des problèmes.

M. Jean-Pierre Leleux . - La sélection en médecine est un débat ancien dans notre assemblée. Un médecin doit avoir un esprit ouvert : scientifique et littéraire. Et les personnes des quartiers populaires doivent pouvoir accéder à cette profession. Mais je suis très réservé sur les quotas et l'élaboration, par décret, d'un double portail d'accès.

M. Laurent Lafon, rapporteur . - En réponse à Pierre Ouzoulias, je voudrais attirer votre attention sur un rapport scientifique fait par le docteur Marra qui a montré de manière assez claire le mal-être des étudiants de santé. C'est donc un problème avéré de manière scientifique.

Concernant le coût de la réforme, c'est un élément d'interrogation et il faudra être vigilant par la suite dans sa réalisation. On voit clairement à travers l'exemple de l'université d'Angers qui a initié le PluriPASS qu'il y a un coût et c'est une dimension qu'on ne peut pas occulter.

En réponse à la question de Stéphane Piednoir sur la sélection et le niveau scientifique attendu des étudiants en médecine, les professionnels de santé eux-mêmes portent ce souci de diversification. Il y a un nombre significatif d'étudiants en médecine qui ont réussi le Paces qui changent de parcours soit par abandon soit par réorientation. La sélection sur le seul niveau de connaissances n'est pas un gage de réussite sur toute la durée des études. Cette réforme, en essayant de sortir du tout QCM, propose une façon de tester la motivation de l'étudiant.

Concernant la notion d'élite, je comprends votre interrogation et elle est partagée. La réforme n'induit pas, comme nous l'ont exprimé les professionnels de santé que l'on a interrogés, une diminution du niveau. Les ministères concernés nous ont confirmé que les étudiants en mineures passeront des épreuves scientifiques. Dans le cadre des études de santé, il est aussi prévu un accompagnement des étudiants pour ceux qui viendront de voies autres que celles du Portail santé. Je pense qu'il y a un certain nombre de garanties qui sont apportées et une grande vigilance des universités médicales pour faire en sorte que le niveau scientifique ne baisse pas.

Dans la mesure où il y a deux voies d'accès prévues par la réforme il y aura obligatoirement un quota. La question est de savoir si ces quotas seront très orientés vers le Portail santé ou s'il y aura un équilibre plus marqué entre les mineures et le Portail santé. Il me semble que, plutôt que ces quotas soient uniquement décidés par un décret, il est important que les parlementaires se prononcent sur ce qu'ils souhaitent en la matière.

En réponse à Mireille Jouve concernant la faible visibilité de la réforme au travers du texte de loi, c'est vrai que ce texte renvoie à de nombreux décrets ce qu'on ne peut que regretter. Les amendements peuvent nous permettre de corriger le tir.

En réponse à Sonia de la Provôté sur le coût des études de médecine, je rappellerai que ces prépas privées pour la Paces coûtent entre 2 000 et 6 000 euros par an, ce qui constitue un élément socialement discriminant pour les familles.

Les dysfonctionnements actuels de la Paces ont abouti à un phénomène que l'on a tous constaté, un certain nombre d'étudiants français vont faire leurs études de médecine à l'étranger. Aujourd'hui 2 000 étudiants français font leurs études de médecine en Roumanie.

Je pense que la réforme conserve un numerus clausus , car on ne peut pas libérer complètement le nombre d'étudiants formés. Ce nouveau numerus clausus sera fixé par discussion au niveau local entre l'ARS et les universités tout en intégrant la vision pluriannuelle du ministère. Il y a donc un dialogue à trois qui s'instaure, on verra dans le temps comment cela se mettra en place concrètement.

En réponse à Jacques Grosperrin, je pense qu'il y a clairement un équilibre entre les besoins locaux et le nombre de médecins formés puisque le projet de loi dit explicitement que les nécessités locales seront prises en compte.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous en venons à l'examen des amendements.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-343 vise à redonner une dimension territoriale à la formation de professionnels de santé. C'est une préoccupation que nous partageons avec la commission de l'aménagement du territoire.

Mme Dominique Vérien . - Y-a-t-il un moyen de pousser les médecins à devenir maîtres de stage ?

M. Laurent Lafon , rapporteur. - Il y a d'abord une question de rémunération, le ministère fait un effort actuellement pour l'accroître. Il y avait également un blocage dans les textes qui disaient qu'un jeune médecin devait avoir une certaine expérience avant de pouvoir être maître de stage, ce verrou devrait être prochainement levé.

L'amendement COM.343 est adopté.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-344 vise à permettre à des étudiants de changer d'université entre le 1 er cycle et le 2 ème cycle.

L'amendement COM.344 est adopté.

L'amendement CULT-3 est lié à l'amendement CULT-4. Le premier vise à éviter que la voie royale ne se reconstitue et que le portail de santé ne redevienne la Paces avec les limites décrites plus tôt.

M. Jean-Pierre Leleux . - Je m'opposerai à cet amendement, l'article n'est pas assez précis pour qu'on permette par décret de réaliser cette répartition de façon autoritaire entre les deux portails.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - Je rappelle que nous sommes saisis pour avis, la commission des affaires sociales étant saisie sur le fond. Le rapporteur de ladite commission m'a indiqué qu'il n'était pas opposé à cette diversification des voies et la voit même d'un assez bon oeil.

Les amendements CULT.3 et CULT.4 ne sont pas adoptés, le groupe socialiste et républicain ne prend pas part au vote.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-345 propose de décaler d'une année la mise en oeuvre de la réforme pour permettre une bonne appropriation par les universités et aussi une corrélation avec la réforme du bac.

Mme Dominique Vérien . - Décaler l'organisation de 2020 à 2021 décalera aussi le numerus clausus ?

M. Laurent Lafon , rapporteur. - Je ne crois pas que le problème se pose, il y a aujourd'hui une augmentation du numerus clausus .

Mme Dominique Vérien . - Aujourd'hui nous manquons de médecin, on ne peut pas reculer d'un an sur ce point.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - Je ne crois pas que décaler d'une année aura un impact car le mouvement d'augmentation du numerus clausus est lancé.

L'amendement COM.345 est adopté.

Article 2

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-346 vise à permettre les stages dans les zones sous dotées, où l'offre de soin est insuffisante, il s'agit d'un amendement commun avec la commission de l'aménagement du territoire. On ne peut l'imposer mais l'inciter, notamment en raison des difficultés liées au manque de maitres de stage.

L'amendement COM.346 est adopté.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-347 vise à inciter les étudiants en médecine à participer à des échanges internationaux.

Mme Samia Ghali . - Quand les français partent à l'étranger ils sont très accompagnés et bien accueillis. Le savoir-faire français est apprécié à l'étranger.

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Mais il faudrait aussi envisager de rendre obligatoire l'enseignement de l'anglais tout au long des études de médecine !

L'amendement COM.347 est adopté.

Article 2 bis (nouveau)

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-348 est un amendement rédactionnel.

L'amendement COM.348 est adopté.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-349 vise à permettre des stages en zones sous dotées en 2 ème et en 3 ème cycles des études médicales.

L'amendement COM.349 est adopté.

M. Laurent Lafon , rapporteur. - L'amendement COM-350 vise à offrir la possibilité de participer à des programmes d'échanges internationaux en 2 ème et 3 ème cycles des études médicales.

L'amendement COM.350 est adopté.

Mme Claudine Lepage . - Je suis favorable à ces échanges internationaux, mais je voudrais attirer l'attention de la commission sur le sort des jeunes médecins français, binationaux en général, qui ont fait leurs études secondaires et supérieures à l'étranger et dont la formation n'est pas reconnue en France tandis que leurs collègues qui ont le même diplôme étranger peuvent, dans certaines conditions, exercer ici. Je trouve qu'il s'agit là d'une grave injustice.

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Comme c'est l'usage, je vous propose d'autoriser notre rapporteur à procéder aux éventuels ajustements nécessaires lors de la réunion de la commission des affaires sociales, saisie au fond du projet de loi, et a redéposer en vue de la séance publique les amendements qu'elle ne retiendrait pas.

Le rapport pour avis est adopté .

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