N° 646

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, relatif à l' énergie et au climat ,

Par Mme Pascale BORIES,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Pascale Bories, MM. Patrick Chaize, Ronan Dantec, Alain Fouché, Guillaume Gontard, Didier Mandelli, Frédéric Marchand, Mme Nelly Tocqueville, M. Michel Vaspart , vice-présidents ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Jean-François Longeot, Cyril Pellevat , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Jérôme Bignon, Joël Bigot, Jean-Marc Boyer, Mme Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Pierre Corbisez, Michel Dagbert, Michel Dennemont, Mme Martine Filleul, MM. Jordi Ginesta, Éric Gold, Mme Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Olivier Jacquin, Mme Christine Lanfranchi Dorgal, MM. Olivier Léonhardt, Jean-Claude Luche, Philippe Madrelle, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Jean-Jacques Panunzi, Philippe Pemezec, Mme Évelyne Perrot, M. Rémy Pointereau, Mme Angèle Préville, MM. Jean-Paul Prince, Christophe Priou, Mme Françoise Ramond, M. Charles Revet, Mmes Esther Sittler, Nadia Sollogoub, Michèle Vullien .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

1908 , 2032 , 2031 , 2063 et T.A. 301

Sénat :

622 , 657 et 658 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

I - Une « petite loi énergie » aux ambitions limitées

A - Le projet de loi initial visait essentiellement à prendre en compte la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie

Transmis le 1 er juillet au Sénat, le projet de loi relatif à l'énergie et au climat comptait initialement 8 articles . Il visait principalement à prendre en compte la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui est actuellement en cours de révision.

Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'énergie, « la programmation pluriannuelle de l'énergie, fixée par décret , établit les priorités d'action des pouvoirs publics pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie sur le territoire métropolitain continental ». Elle constitue donc un outil de pilotage visant à atteindre les objectifs de politique énergétique fixés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du code de l'énergie.

En l'état actuel du droit, l'article L. 100-4 prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025. Or, le projet de PPE publié en janvier 2019 indique que cet objectif apparaît impossible à atteindre 1 ( * ) , « sauf à risquer des ruptures dans l'approvisionnement électrique de la France ou à relancer la construction de centrales thermiques à flamme, qui serait contraire à nos objectifs de lutte contre le changement climatique ». Le Gouvernement propose donc de décaler cet objectif à 2035.

Or, comme indiqué précédemment, la PPE est un acte règlementaire , qui ne saurait entrer en contradiction avec les objectifs fixés par la loi. Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat vise donc à modifier la loi en ce sens. Il devait donc initialement être une « petite loi » modifiant certains objectifs de la politique énergétique.

Il s'est toutefois progressivement enrichi , d'abord par une lettre rectificative 2 ( * ) lui ajoutant 4 articles relatifs aux tarifs réglementés de vente de gaz et d'électricité, puis au cours de son examen à l'Assemblée nationale, qui a notamment adopté plusieurs dispositions relatives à la rénovation énergétique des bâtiments. Le projet de loi compte désormais 55 articles .

B - Le champ de saisine de la commission

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a reçu une délégation au fond de la commission des affaires économiques sur 9 articles , notamment les articles 2 sur le Haut Conseil pour le climat et 4 sur la réforme de l'autorité environnementale.

La commission s'est par ailleurs saisie pour avis de plusieurs articles, parmi lesquels notamment :

- l'article 1 er relatif à la révision de certains objectifs de politique énergétique ;

- l'article 1 er bis A , qui crée une loi de programmation fixant les priorités d'actions et la marche à suivre pour répondre à l'urgence écologique et climatique ;

- l'article 1 er quater relatif au plan stratégique d'EDF ;

- l'article 3 , qui vise à permettre la fermeture des centrales au charbon d'ici 2022 par le plafonnement de la durée de fonctionnement des centrales les plus polluantes.

II - Un projet de loi insuffisant au regard de l'urgence climatique

A - Des délais contraints qui desservent l'intention de ce projet de loi

Malgré la multiplication par sept du nombre d'articles, la commission n'a disposé que d'une semaine pour étudier le texte tel qu'adopté à l'Assemblée nationale.

La rapporteure regrette que des délais si courts soient imposés au Sénat. Ces délais contraints traduisent un important - et inquiétant
- manque de considération à l'égard du travail parlementaire et desservent l'ambition de ce projet de loi de répondre à l'urgence écologique et climatique.

B - Des ambitions modestes face aux attentes des citoyens

Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat entend répondre à l'urgence climatique et écologique. Pourtant, force est de constater que les mesures proposées ne sont pas à la hauteur des ambitions auxquelles il prétend répondre .

1. De nouveaux objectifs ambitieux qui peinent à trouver une réalité concrète

En premier lieu, la fixation de nouveaux objectifs ambitieux et a fortiori l'inscription de l'objectif d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 relèvent évidemment d'une intention louable, mais elles poussent à s'interroger quant à la portée concrète de ces engagements . En effet, le premier rapport du Haut Conseil pour le climat 3 ( * ) met en évidence l'insuffisance de l'action de la France pour contenir le réchauffement climatique planétaire à 1,5 ou 2°C . Il souligne par ailleurs le caractère isolé et peu opérationnel de la stratégie nationale bas carbone 4 ( * ) (SNBC). Ainsi, d'après le rapport « la première SNBC n'a pas permis de respecter le premier budget carbone que la France s'était fixé ».

À cet égard, la rapporteure regrette que la définition de tels objectifs ambitieux peine à trouver une déclinaison dans nos territoires . En effet, il est frappant de voir à quel point ces grands objectifs sont pensés sans y intégrer une dimension territoriale. Pourtant, et comme le souligne le projet de stratégie nationale bas-carbone, « plusieurs études s'accordent à dire que 70 % des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont liées à une décision de niveau local ». Le rapport du Haut Conseil pour le climat souligne en effet que « la coordination, l'harmonisation et la mise en regard des différents plans pourraient être encouragées dans la durée pour assurer la cohérence des actions conduites à toutes les échelles ».

2. La création du Haut Conseil pour le climat, instance déjà installée depuis novembre 2018

S'agissant du Haut Conseil pour le climat que l'article 2 du projet de loi prévoit de créer, la rapporteure rappelle que cette instance existe d'ores et déjà puisqu'il a été installé par le Président de la République le 27 novembre 2018 et que ses missions sont définies par un décret de mai 2019 5 ( * ) . Une simple inscription dans la loi d'un organisme consultatif déjà existant est une manifestation concrète de l'insuffisance de ce projet de loi, qui prétend pourtant répondre à l'urgence climatique actuelle .

La rapporteure approuve néanmoins les amendements adoptés à l'Assemblée nationale visant à encadrer la nomination des experts membres du Haut Conseil pour le climat.

3. Un important manque d'anticipation

En outre, la rapporteure déplore le manque d'anticipation des conséquences de la politique énergétique menée . À cet égard, ce projet de loi ne prévoit pas d'accompagnement spécifique pour les salariés concernés par la fermeture des 14 réacteurs nucléaires - conséquence directe de la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique tel qu'il est actuellement décliné dans la PPE - ni de feuille de route pour permettre à la filière du démantèlement de répondre à la demande et d'attirer des étudiants dans ce domaine.

Si l'article 3 du projet de loi renvoie quant à lui à une ordonnance le soin de définir des mesures d'accompagnement des centrales à charbon, force est de constater que, à un an et demi de leur fermeture, une grande incertitude subsiste quant à l'avenir des salariés et des sites en question.

4. Une solution peu satisfaisante concernant l'autorité environnementale

L'article 4 vise à permettre la désignation de deux autorités distinctes pour exercer respectivement les missions d'examen au cas par cas de la nécessité de soumettre un projet à une évaluation environnementale, qui seraient confiées aux préfets, et d'évaluation de la qualité de l'évaluation environnementale, qui seraient confiées aux missions régionales d'autorité environnementale (MRAe). La solution proposée par le projet de loi ne règle toutefois pas toutes les difficultés qui pourraient se poser en termes de conflits d'intérêts lorsque le préfet chargé du cas par cas est également l'autorité compétente pour autoriser le projet.

III - La position de la commission

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté 17 amendements sur les articles délégués au fond et 5 amendements sur les articles dont elle s'est saisie pour avis visant à améliorer ce texte selon 3 axes.

A - Anticiper les conséquences de la fermeture des réacteurs nucléaires et favoriser le développement des énergies renouvelables

En premier lieu, la commission a adopté un amendement COM-218 visant à ajouter à la politique énergétique l'objectif d' assurer la production d'une électricité décarbonée . En effet, la priorité doit être donnée à la production d'une telle électricité décarbonée pour respecter nos engagements dans le cadre de l'Accord de Paris. S'il est prévu de fermer 14 réacteurs nucléaires d'ici 2035, ces fermetures ne sauraient conduire, paradoxalement, à augmenter les émissions de gaz à effet de serre lors des pointes de consommation.

La commission a également cherché à pallier le manque d'anticipation du Gouvernement vis-à-vis de la fermeture des réacteurs nucléaires. Elle a ainsi adopté un amendement COM-219. Cet amendement prévoit la publication, en annexe de chaque PPE, d'une feuille de route relative à la stratégie de démantèlement des réacteurs concernés, afin d'anticiper les conséquences de ces fermetures.

Elle a également adopté un amendement COM-221, qui modifie l'article 1 er quater et qui prévoit que le plan stratégique d'EDF détaille les dispositifs d'accompagnement mis en place pour les salariés concernés par la fermeture des réacteurs nucléaires. La réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique doit en effet aller de pair avec un véritable accompagnement des salariés concernés .

En outre ; l'amendement COM-238 vise à favoriser le développement des installations photovoltaïques dans les zones littorales dégradées définies par décret . Cette mesure s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat sur la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux de Michel Vaspart 6 ( * ) .

B - Clarifier les modalités d'action du Haut Conseil pour le climat

10 amendements adoptés par la commission visent en outre à clarifier les modalités d'action du Haut Conseil pour le climat . Les amendements COM-224 et COM-228 visent notamment à supprimer l'audition par les commissions permanentes du Parlement, avant sa nomination, du président du Haut Conseil pour le climat, disposition contraire à la Constitution. L'amendement COM-226 vise à intégrer dans le rapport du Haut Conseil pour le climat un volet relatif à la formation et à l'emploi. Les amendements COM-230 et COM-229 visent respectivement à donner plus de souplesse au travail du Haut Conseil, en lui permettant de rendre des avis et non uniquement des rapports, et à clarifier les suites données par le Gouvernement au rapport du Haut Conseil pour le climat.

C - Sécuriser la réforme de l'autorité environnementale

S'agissant de l'article relatif à la réforme de l'autorité environnementale , l'amendement COM-234 vise à sécuriser la solution juridique retenue par le Gouvernement, en précisant que l'autorité chargé de l'examen au cas par cas doit bénéficier d'une autonomie fonctionnelle par rapport à l'autorité compétente pour autoriser le projet .

Enfin, un amendement adopté à l'article 1 er octies prévoit que le rapport que le Gouvernement remettra au Parlement lors de la présentation du projet de loi de finances devra mesurer les incidences de ce projet sur l'atteinte des objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations Unies et que la France s'est engagée à atteindre d'ici 2030.


* 1 Sur la base notamment du Bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande d'électricité en France établi par le Réseau de transport d'électricité, édition 2017.

* 2 Lettre rectificative n° 2032 de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre, déposée à l'Assemblée nationale le 12 juin 2019.

* 3 Haut Conseil pour le climat, Agir en cohérence avec les ambitions, juin 2019.

* 4 Aux termes de l'article L. 222-1 B, la stratégie nationale bas-carbone, fixée par décret, « définit la marche à suivre pour conduire la politique d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes ».

* 5 Décret n° 2019-439 du 14 mai 2019 relatif au Haut Conseil pour le climat.

* 6 Proposition de loi n° 176(2016-2017) portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique adoptée par le Sénat le 30 janvier 2018.

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