B. L'EFFORT RÉEL DE RELANCE POUR 2021 APPARAÎT INSUFFISANT

1. Une partie des crédits annoncés cible un horizon de moyen ou long terme

Une grande partie des crédits inclus dans les 100 milliards d'euros du plan « France relance » financent en fait des actions qui s'inscrivent dans des objectifs de moyen voire de long terme.

D'abord, le quatrième Programme Investissements d'Avenir (PIA), dont la création est prévue par le projet de loi de finances pour 2021, sera doté de 11 milliards d'euros comptabilisés parmi les dépenses consacrées à la relance. Cette catégorisation apparaît peu cohérente avec la nature des PIA, qui rassemblent des dépenses visant à soutenir l'innovation. Les actions de recherche et développement, si elles sont indispensables à la transformation de l'économie et à la compétitivité de long terme, ne présentent qu'un effet d'entraînement modéré dans une optique de relance rapide.

Certaines des dépenses de la mission «  Plan de relance » , en outre, apparaissent répondre à cette même logique d'innovation et de long terme, et auraient semble-t-il davantage leur place dans le PIA. À titre d'exemple, si le lancement d'une stratégie nationale pour le développement de l' hydrogène décarboné en France doit être salué, car il s'agit d'une technologie appelée à se développer au cours des décennies à venir et qui irriguera de nombreux secteurs d'activités, celle-ci consistera pour l'année à venir principalement en des aides à la R&D et à l'industrialisation. Les crédits correspondants, à hauteur de 205 millions d'euros en 2021, seront entre autres mobilisés dans le cadre d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC), qui n'a toutefois pas encore formellement vu le jour au niveau de l'Union européenne. L'impact économique réel de cette action se révèlera à un horizon de cinq à dix ans, mais son effet multiplicateur ou de stimulus à court terme est probablement faible.

C'est le cas d'autres actions du plan de relance, qui ne seront pleinement opérantes qu'en 2022 au mieux. Seules 17 % des autorisations d'engagement totales dédiées à l'économie circulaire et aux circuits courts seront mobilisées en 2021 : 18 % pour les actions liées à la mer ou encore 24 % pour les énergies et technologies vertes. Ces actions ont en commun de porter principalement sur la transformation de long terme des modèles économiques français .

Ensuite, les 20 milliards d'euros issus de la baisse des impôts de production prévue par les articles 3 et 4 du projet de loi de finances constituent une aide diffuse, dont l'effet se révèlera au cours des prochaines années. Il s'agit davantage d'une mesure de compétitivité que d'une mesure de relance spécifique. D'ailleurs, cette réforme de la fiscalité de production était prévue de longue date par le Gouvernement, devant initialement figurer dans le « Pacte productif ». On ne peut nier que l'allègement du poids fiscal, qui devrait représenter 10 milliards d'euros par an , représentera un soulagement bienvenu pour la trésorerie et les bilans des entreprises concernées. Cependant, son ciblage est remis en question : la récente étude de l'Institut des politiques publiques estime notamment qu'elle bénéficie prioritairement aux grandes entreprises des secteurs industriels et des services à l'industrie et peu aux entreprises de plus petite taille ou des secteurs du commerce ou de l'hôtellerie et de la restauration, pourtant lourdement touchés par la crise et en mal de relance.

Selon les données recueillies par la rapporteure, 41 milliards d'euros tout au plus - en interprétation large - devraient être effectivement injectés dans la relance en 2021. En excluant les crédits de paiement du PIA 4 et les impôts de production, ce chiffre tombe à moins de 30 milliards d'euros.

Source : Commission des affaires économiques, estimations d'après les documents budgétaires

2. Des mesures d'urgence sont incluses dans le périmètre de la relance

De surcroît, des financements dédiés à des mesures d'urgence ont été inclus dans l'enveloppe de la relance. Les sommes relevant réellement de la relance sont donc plus faibles qu'annoncé.

On trouve ainsi au sein de la mission « Plan de relance » près de 4,4 milliards d'euros dédiés aux dispositifs d'activité partielle. La mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » n'est dotée pour 2021 d'aucun crédit supplémentaire ; mais le financement de l'activité partielle, qu'elle portait en 2020, a été déplacé dans la mission « Plan de relance ».

Le programme « Cohésion » de la mission porte au total près de 12 milliards d'euros dédiés entre autre à la sauvegarde de l'emploi, à l'emploi des jeunes, à la coopération sanitaire ou encore au soutien aux personnes précaires. Les crédits de paiements correspondants seront presque entièrement débloqués dès 2021, à près de 95 %. Au total, 52 % des crédits de la mission « Plan de relance » pour 2021 relèvent de ce programme « Cohésion », orienté vers des mesures de soutien social et de sauvegarde de l'emploi. À l'inverse, le taux de consommation du programme « Écologie », qui porte les actions de rénovation énergétique, de décarbonation de l'industrie ou de transition agricole, ne serait que de 36 %, et celui du programme « Compétitivité » de 67 %.

Le Gouvernement fait donc le choix net de faire porter l'effort budgétaire de l'année 2021 prioritairement sur des mesures relevant principalement de l'urgence , qui, bien qu'absolument nécessaires pour limiter les conséquences sociales de la crise, ne participent que partiellement à la relance de l'activité économique.

Source : Commission des affaires économiques, d'après les documents budgétaires

3. L'effet d'entraînement de certaines mesures de « relance » est discutable

Dans certains cas enfin, les actions bénéficiant de financements de la mission « Plan de relance » apparaissent n'offrir qu'un faible potentiel de relance.

À titre d'exemple, la mission porte des crédits dédiés au renforcement des barrages (pour 5 millions d'euros), à la protection du littoral (10 millions d'euros), à la numérisation et modernisation des ministères publics (925 millions d'euros), ou aux subventions pour la création de jardins partagés (15 millions d'euros). Si l'utilité à titre général de ces actions n'est pas remise en cause, leur contribution effective à la relance de l'économie frappée par une grave crise n'est pas flagrante. Un examen à l'aune de critères comme l'effet d'entraînement sur le reste de l'économie française, le soutien à la demande et à l'offre ou l'effet multiplicateur ne permet pas de les considérer comme de réelles mesures de relance.

Dans certains cas, la mission « Plan de relance » inclut d'ailleurs des dépenses habituelles du budget général de l'État transférées depuis d'autres missions budgétaires , desquelles elles ont été supprimées. C'est le cas de 150 millions d'euros en AE relatifs au soutien au secteur spatial et à la recherche duale, qui sont redéployés depuis la mission « Recherche et Enseignement supérieur », ou de 240 millions d'euros en AE dédiés au soutien au déploiement de la fibre optique, d'ordinaire portés par la mission « Économie ». Si ces financements sont bienvenus, ils relèvent néanmoins de l'effort ordinaire de l'État envers des politiques publiques prioritaires, et non d'un effort supplémentaire de relance.

4. Un plan qui ne répond pas à l'impératif de relance dès 2021

Alors que le ministre de l'économie, des finances et de la relance Bruno Le Maire déclarait le 20 octobre dernier, devant la commission des affaires économiques : « Ce que je sais, en revanche, c'est que c'est maintenant qu'il faut investir, maintenant qu'il faut relancer, maintenant que notre économie doit redémarrer », la rapporteure estime que l'objectif annoncé de concentration de l'essentiel des moyens sur l'année 2021 n'est pas atteint. L'étude des crédits révèle que le Gouvernement applique une vision très extensive de la notion de relance.

Seuls environ 17 milliards sur les 100 milliards annoncés par le plan « France Relance » seraient dédiés en 2021 à la relance au sens strict, c'est-à-dire à un stimulus budgétaire rapide et ciblé sur des actions à fort effet d'entraînement sur l'économie. Les autres crédits relèvent d'un mélange confus entre financements ordinaires, mesures d'urgence et politiques de long terme.

En outre, rien ne permet d'assurer que les crédits de paiement prévus pour 2021 soient effectivement consommés dans l'année , plusieurs des personnes auditionnées ayant estimé que les contraintes procédurales et la capacité d'investissement de certains acteurs pourraient y faire obstacle. Un récent rapport de l'Institut Montaigne estime que près d'un tiers des mesures de « France Relance » présenteraient des « risques soutenus ou très soutenus de décalage temporel », faisant écho aux mises en gardes du Haut conseil pour les finances publiques dans le cadre de son avis sur le projet de loi de finances pour 2021. Selon les éléments recueillis par la rapporteure, ces retards pourraient par exemple tenir au caractère insuffisamment incitatif de certaines aides, comme en matière de rénovation énergétique, à la complexité procédurale des dispositifs, ou encore à une faible capacité d'absorption de certains acteurs en matière d'investissements.

Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2021, le Haut conseil pour les finances publiques a d'ailleurs jugé optimistes les hypothèses retenues par le Gouvernement , qui se fondent sur un niveau d'activité pour 2021 de -2,7 % par rapport à 2019 et sur un effet du plan de relance sur la croissance à hauteur de 1,1 point de PIB en 2021. Le Haut conseil concluait déjà que « l'ampleur du rebond prévu pour 2021 est volontariste » - et ce, avant la mise en place du reconfinement qui devrait dégrader encore les perspectives économiques.

Si la rapporteure estime naturellement que la relance doit être conçue avec un regard vers l'avenir, en orientant l'économie vers les secteurs porteurs et vers un plus grand respect de l'environnement, toute relance doit avant tout répondre au besoin de stimulus budgétaire rapide, qui dynamise à la fois l'offre et la demande. Le plan de relance présenté par le Gouvernement semble davantage orienté vers la transformation de l'offre et la « France de 2030 » , comme l'annonce le livret de présentation de « France Relance », que vers une reprise dès 2021, au risque de rater le rendez-vous de la sortie de crise et du retour à la croissance.

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