Avis n° 143 (2020-2021) de M. Claude KERN , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEUR E DE L'ÉTAT

Par M. Claude KERN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

L'année 2020 a vu les acteurs de la diplomatie culturelle et d'influence de la France mis à rude épreuve par la crise liée à la pandémie de Covid-19 . La majorité des établissements d'enseignement français à l'étranger, des instituts culturels et des alliances françaises ont dû, à un moment ou à un autre, fermer temporairement leurs portes et réorganiser leurs activités à distance. Sur le terrain, les équipes ont souvent fait preuve d'une remarquable capacité de mobilisation et d'adaptation pour assurer la continuité pédagogique ou proposer une offre de cours de langues et de contenus culturels en ligne. Mais les conséquences économiques de la crise sanitaire se sont aussi traduites par une diminution importante des ressources propres des établissements , posant la question de la viabilité financière de certains d'entre eux.

Au printemps dernier, le groupe de travail de la commission consacré au suivi de la gestion de la crise pour le secteur de l'action culturelle extérieure et animé par votre rapporteur pour avis, avait dressé un premier bilan inquiétant de l'état du réseau de l'enseignement français à l'étranger . Compte tenu de l'urgence de la situation, il avait choisi d'axer ses recommandations sur le projet de plan de soutien au réseau, annoncé fin avril par le Gouvernement. Budgété dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ce plan est en cours de déploiement.

Aussi, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur l'état du réseau d'enseignement français et la mise en oeuvre des mesures d'aide exceptionnelle dont il a bénéficié. Il a également tenu à présenter un état des lieux de la situation des instituts culturels, des alliances françaises et de l'Institut français de Paris , qui a vu son rôle d'interface renforcé. Globalement, les réseaux d'enseignement et d'action culturelle apparaissent comme fortement fragilisés, mais dotés de réelles capacités de résilience . La situation actuelle se révèle aussi hétérogène d'une zone géographique à l'autre, d'un établissement à l'autre, et surtout très évolutive.

C'est dans ce contexte que le projet de loi de finances pour 2021 présente une stabilisation du budget des opérateurs et des réseaux de la diplomatie culturelle et d'influence . À l'heure où nombre de politiques publiques nécessitent un soutien financier accru de l'État, cette sanctuarisation mérite d'être accueillie favorablement , tout en maintenant la plus grande vigilance sur les conséquences encore non stabilisées de la crise , afin de ne pas laisser des dommages irréversibles atteindre les réseaux culturels et d'influence. Cette période sans précédent doit aussi être l'occasion de penser l'après et d'impulser des transformations comme autant de moyens permettant de redonner aux établissements une capacité de rebond et de relancer leur attractivité.

I. L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER : UN RÉSEAU DUREMENT ÉPROUVÉ PAR LA CRISE, MAIS GLOBALEMENT RÉSILIENT

A. UN RÉSEAU FORTEMENT FRAGILISÉ QUI FAIT L'OBJET D'UN PLAN DE SOUTIEN DÉDIÉ

1. Les fortes inquiétudes sur la survie du réseau lors de la première vague épidémique

Dans ses conclusions publiées au printemps dernier 1 ( * ) , le groupe de travail « action culturelle extérieure » de la commission avait dressé un état des lieux très inquiétant de la situation du réseau de l'enseignement français à l'étranger pendant la première vague épidémique , les acteurs du secteur la qualifiant unanimement de plus grave crise de son histoire.

Les établissements d'enseignement français à l'étranger ont en effet été parmi les premiers, dès février 2020, à être touchés de plein fouet par l'épidémie de Covid-19. Au fur et à mesure de la progression géographique du virus, les fermetures d'établissements se sont multipliées. Au pic de la crise sanitaire, courant avril, 99 % des 522 établissements que compte le réseau dans 139 pays avaient fermé leurs portes .

L'urgence, pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), a été de développer un dispositif de continuité pédagogique et d'accompagner les établissements à sa mise en oeuvre. Fin avril, la quasi-totalité d'entre eux avaient basculé vers des modalités d'apprentissage en ligne. Si ce passage à un enseignement à distance a été rendu possible grâce à une mobilisation exceptionnelle des équipes administratives et pédagogiques - que le groupe de travail avait tenu à saluer -, il a été diversement apprécié par les familles, certaines considérant que la qualité de cet enseignement n'était pas à la hauteur de leur contribution financière. Un mouvement de contestation du niveau des frais de scolarité a alors vu le jour dans certaines zones, entraînant parfois de vives tensions entre les familles et les équipes des établissements. Cette remise en cause des frais de scolarité a aussi été avivée par la baisse des revenus à laquelle ont été confrontés un grand nombre de parents du fait des conséquences économiques de la crise sanitaire.

L'ensemble de ces facteurs a exposé les établissements à des difficultés de recouvrement des droits d'écolage, engendrant une diminution de leurs recettes. Les problèmes de trésorerie auxquels ils ont été rapidement confrontés se sont traduits par une diminution de leur contribution à l'AEFE, qui s'est elle-même retrouvée fragilisée. L'emballement de cette mécanique récessive a fait craindre une crise financière globale du réseau , appelant la mise en oeuvre de mesures de soutien exceptionnelles.

2. Le plan de soutien au réseau tel que prévu par la troisième loi de finances rectificative pour 2020

C'est dans ce contexte que, le 30 avril dernier, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le ministre de l'action et des comptes publics et le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont annoncé, outre des mesures sanitaires et sociales, un plan de soutien pour aider le réseau de l'enseignement français à l'étranger à faire face à la crise sanitaire liée à la Covid-19 . Le groupe de travail avait salué cette initiative, tout en émettant deux réserves : d'une part, une méthode contestable, privilégiant l'effet d'annonce plutôt que le travail de fond, d'autre part, un calibrage budgétaire encore très imprécis.

Ce plan de soutien s'est finalement concrétisé budgétairement dans la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 (LFR 3) . Les crédits destinés au réseau ont été articulés autour de trois grandes mesures :

- un accompagnement aux familles françaises en difficulté , prenant la forme d'un abondement de l'aide à la scolarité à hauteur de 50 millions d'euros sur le programme 151 (bourses scolaires), portant sa dotation totale à 155 millions d'euros en 2020 (dont 105,3 millions d'euros au titre de la loi de finances initiale) ;

- une aide aux familles étrangères en difficulté et aux établissements quel que soit leur statut (établissements en gestion directe, conventionnés ou partenaires) - avec une attention particulière portée aux établissements partenaires, particulièrement touchés par la crise -, qui s'est traduite par le versement d'une subvention supplémentaire de 50 millions d'euros sur le programme 185 ;

- une enveloppe de 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor (AFT) sur le programme 823, permettant à l'AEFE d'aider les établissements à affronter leurs difficultés de trésorerie.

3. L'état de mise en oeuvre du plan de soutien

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur la mise en oeuvre des trois volets du plan de soutien au réseau.

L 'accompagnement des familles françaises en difficulté , qu'elles soient déjà boursières ou non, a consisté en un assouplissement du dispositif de recours gracieux de l'aide à la scolarité et en une adaptation du calendrier des demandes de bourses. Au 1 er octobre dernier, 102,6 millions d'euros avaient d'ores et déjà été validés, à l'issue des premiers conseils consulaires d'attribution des bourses (CCB). Il faut y ajouter 1,54 million d'euro consacré à des recours gracieux sur le troisième trimestre 2019-2020. Au total, le montant des crédits consommés sur l'enveloppe dédiée aux bourses s'élève à 104,1 millions d'euros . Ce chiffre, qui n'est normalement atteint qu'à l'issue des seconds CCB, illustre la forte augmentation des demandes de bourses de la part des familles françaises .

L'aide aux familles étrangères et aux établissements a fait l'objet d'une première phase de déploiement, soit par l'octroi de subventions aux établissements partenaires, soit par une diminution de la participation à la rémunération des résidents (PRR) versée par les établissements en gestion directe et les établissements conventionnés à l'AEFE. À ce jour, 23,3 millions d'euros sur les 50 millions d'euros votés en LFR 3 ont été consommés .

Sur ces deux premiers volets, les représentants de la Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (Fapée) ont fait part au rapporteur pour avis de leurs réserves sur le dispositif de soutien aux familles françaises qu'ils jugent trop rigide. Selon eux, les critères choisis, très restrictifs, auraient conduit au rejet de 40 % des dossiers par manque de pièces justificatives. Ils estiment en outre que la condition d'éligibilité, selon laquelle il ne fallait pas avoir payé les frais de scolarité au troisième trimestre, est injuste, certaines familles ayant fait beaucoup d'efforts pour s'en acquitter. A contrario , la mesure d'aide aux familles étrangères est perçue comme plus souple et moins sélective.

Le rapporteur pour avis a, pour sa part, eu écho de disparités dans l'application des aides selon les postes diplomatiques, qui semblerait être la résultante d'une mauvaise communication verticale , d'abord du ministère de l'Europe et des affaires étrangères vers les postes, puis de ces derniers vers les établissements.

S'agissant des avances de l'AFT accordées à l'AEFE , celles-ci ont permis à l'opérateur de mener deux types d'actions :

- le report des versements dus par les établissements à gestion directe et les établissements conventionnés,

- l'octroi de prêts aux établissements partenaires.

Au total, le montant des avances de trésorerie de l'AEFE aux établissements du réseau s'élève actuellement à près de 24 millions d'euros .

4. Une situation aujourd'hui maîtrisée et apaisée, mais encore fragile et évolutive

La mise en place du plan de soutien a permis à la rentrée 2020 de se dérouler de manière globalement satisfaisante, malgré la prolongation de la crise . Les modalités d'organisation des établissements se classent en trois catégories : 50 % des établissements ont repris l'enseignement en présentiel ; 21 % des établissements fonctionnent en mode « hybride » (alternance d'enseignements en présentiel et à distance) ; 29 % des établissements sont en distanciel complet.

Cette situation évolue néanmoins chaque jour en fonction de l'état sanitaire du pays et des décisions prises par les autorités locales. Ainsi, depuis septembre, des établissements ont été amenés à fermer partiellement ou totalement (par exemple, en Amérique latine ou au Moyen-Orient). Comme l'a indiqué le directeur de l'AEFE au rapporteur pour avis, cette instabilité permanente exige beaucoup de souplesse dans l'organisation et implique une gestion déconcentrée, au plus près du terrain .

Au niveau des établissements, les relations entre les équipes administratives et pédagogiques et les parents se sont apaisées, même si des points de crispation peuvent parfois perdurer. La ligne directrice de l'AEFE est clairement de promouvoir la qualité du dialogue dans les établissements pour créer du consensus . Une enquête menée en septembre auprès de l'ensemble des acteurs du réseau (élèves, parents, enseignants) et portant sur leur perception de l'enseignement à distance révèle des retours globalement positifs. Néanmoins, selon l'AEFE, trois points de vigilance en ressortent : l'accompagnement des enfants à besoins éducatifs particuliers, les difficultés de l'enseignement à distance pour les enfants de maternelle, la qualité de la communication entre les établissements et les familles. Ces préoccupations ont également été relevées par les représentants de la Fapée.

Concernant l'état des effectifs du réseau à la rentrée 2020 , lesquels avaient fait l'objet de prévisions pessimistes au printemps dernier, la baisse enregistrée est de l'ordre de 8 000 élèves. Mais, si l'on prend en compte les 5 000 nouveaux élèves arrivés dans le cadre de la dernière campagne d'homologation, le solde de la perte d'effectifs s'établit entre 3 000 et 3 500 pour le réseau . Au total, les effectifs à la rentrée 2020 devraient se stabiliser autour de 365 000 élèves et afficher une baisse de 1,2 %. Les effectifs connaissent par ailleurs des variations importantes selon les zones géographiques, la nationalité des élèves et le degré de scolarité 2 ( * ) .

Selon le rapporteur pour avis, cette résilience du réseau doit cependant être regardée avec prudence . Si celui-ci est globalement moins affecté par les effets de la crise sanitaire qu'on aurait pu le craindre au printemps dernier, la plus grande vigilance s'impose : d'une part, parce que la situation demeure très instable et évolutive, d'autre part, parce que certains établissements, notamment de petites structures, sont particulièrement concernés par les pertes d'effectifs.

C'est d'ailleurs au regard de ce constat mesuré qu' une deuxième étape du plan de soutien va être prochainement déployée . Conformément aux dispositions de la LFR 3, elle portera sur des dépenses rendues strictement nécessaires par la crise sanitaire et bénéficiera à toutes les familles (françaises et étrangères), ainsi qu'à l'ensemble des établissements. Est envisagée la mise en place d'un fonds de renforcement de la continuité éducative et d'un fonds de relance spécifique pour les établissements les plus durement touchés.

B. UN BUDGET 2021 ET DES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES QUI S'INSCRIVENT DANS LA CONTINUITÉ DE 2020

1. Une subvention à l'opérateur consolidée en 2021

La subvention pour charges de service public de l'AEFE représente 58 % des crédits demandés pour 2021 sur le programme 185 : elle s'élève à 417,6 millions d'euros, en hausse de 9 millions d'euros (+ 2,2 %) par rapport à 2020.

Cette évolution résulte :

- du maintien « en base » de l'augmentation de 24,6 millions d'euros (+ 6,4 %) à laquelle avait procédé la loi de finances initiale pour 2020 .

Le rapporteur pour avis salue la pérennisation de ce « rebasage » de la subvention qui, rappelle-t-il, était devenu indispensable depuis qu'en 2017, une réduction de 33 millions d'euros de son montant avait exposé le réseau à d'importantes difficultés budgétaires ;

- d'une contribution complémentaire de 9 millions d'euros pour permettre à l'AEFE de financer des mesures de sécurisation des établissements , en particulier les établissements privés conventionnés ou partenaires qui n'avaient pas pu bénéficier, pour leurs investissements à ce titre, du mécanisme, initié les deux années précédentes, d'avances depuis le compte d'affectation spécial (CAS) « Patrimoine immobilier de l'État » , auquel ne sont éligibles que les seuls bâtiments dépendants du domaine public.

L'attribution de cette enveloppe intervient dans un contexte où la problématique de la sécurité des établissements scolaires français connaît une attention accrue face à la menace terroriste .

2. Le maintien de l'objectif de développement du réseau par l'homologation de nouveaux établissements : un choix qui interpelle

Alors que l'état du réseau reste fragilisé, et que certains établissements connaissent d'importantes difficultés, le rapporteur pour avis estime que priorité doit être donnée à la sauvegarde et à la consolidation des structures existantes .

Telle n'est pas l'option choisie par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui continue de faire de l'expansion du réseau l'axe central de son action , conformément à l'objectif, fixé par le Président de la République en 2018, d'un doublement du nombre d'élèves scolarisés d'ici 2030. En pleine gestion de crise, le réseau a ainsi accueilli au cours de l'année, 14 nouveaux établissements sur décision des deux premières commissions interministérielles d'homologation (CIH). Une troisième vague d'homologation est actuellement en cours.

Au-delà du caractère quelque peu paradoxal du maintien de cette stratégie de développement dans la conjoncture actuelle, l'assouplissement des critères d'homologation sur lequel elle repose, fait courir, à terme, le risque d'une dégradation de la qualité de l'enseignement dispensé. Aussi, le rapporteur pour avis tient à réaffirmer que l'excellence pédagogique du réseau, qui constitue son atout historique, ne doit en aucun cas être sacrifiée sur l'autel de son élargissement.

II. UN RÉSEAU D'ACTION CULTURELLE GRAVEMENT ATTEINT MAIS EN CAPACITÉ DE REBONDIR

A. UNE CRISE AUX CONSÉQUENCES FINANCIÈRES IMPORTANTES AYANT NÉCESSITÉ UNE RÉALLOCATION DE MOYENS EN COURS D'ANNÉE

1. Les instituts culturels et les alliances françaises confrontés à un choc sans précédent, qui pose la question de la pérennité de certaines structures

L'activité du réseau culturel a été fortement affectée par la crise sanitaire, au plus fort de laquelle 105 des 117 instituts français étaient fermés, ainsi que 650 des 830 alliances françaises . Début octobre 2020, 36 instituts français étaient encore fermés, 45 avaient rouvert de façon partielle et seuls 13 avaient repris entièrement leurs activités. 577 alliances françaises étaient également toujours fermées, une trentaine avaient rouvert partiellement et 44 normalement. La situation est cependant extrêmement évolutive et suivie presque au jour le jour par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Sur place, les équipes ont fait preuve d'une grande mobilisation et d'une réelle capacité d'imagination pour réorganiser, autant que faire se pouvait, leurs activités à distance. Ces mesures d'adaptation n'ont cependant pas permis d'empêcher la baisse des recettes issues des activités rémunérées (cours de langue, organisation d'examens ou de certifications...), qui devrait se traduire par une diminution de 10 % du taux d'autofinancement des instituts français, alors qu'il atteignait 75 % en 2019 .

Le ministère distingue trois catégories d'établissements :

- un premier tiers d'instituts serait en situation budgétaire fragile , comprenant notamment de grands établissements ayant des coûts de structures élevés, alors qu'ils ont dû annuler leurs manifestations les plus lucratives (États-Unis, Chine, Japon, Turquie et certains établissements en Europe et au Moyen-Orient) ;

- un deuxième tiers serait sous surveillance accrue en Afrique du Nord, en Amérique Latine (Argentine, Mexique) et en Asie du Sud-Est (Indonésie, Vietnam) ;

- un dernier tiers aurait montré des signes encourageants de résistance (Algérie, Sénégal, Côte d'Ivoire, Inde, Russie et certains pays européens).

De façon générale, les incertitudes sur les dates de réouverture et sur la capacité des instituts à retrouver leurs publics lors de la reprise, constituent un véritable défi. Faute de réouverture, le taux d'autofinancement des établissements continuera à baisser et les fonds de réserves de certains instituts pourraient être entièrement épuisés d'ici la fin de l'année 2020 et le premier trimestre 2021, laissant craindre de possibles fermetures définitives .

Les alliances françaises sont confrontées aux mêmes problématiques de baisse du nombre d'apprenants, d'interruption de leurs activités culturelles, d'incertitude sur la date de réouverture et de capacité à retrouver leurs publics. Une première estimation des postes diplomatiques, restant à affiner, évaluait le montant des besoins supplémentaires d'appui d'ici la fin de l'année - si la situation ne s'améliorait pas - à une fourchette située entre 800 000 et 1,5 million d'euros. Les demandes concernent principalement des alliances situées en Amérique latine et en Afrique.

2. Des mesures de réallocation de crédits nécessaires, mais sans doute pas suffisantes

Si la troisième loi de finances rectificative pour 2020 n'a pas ouvert de crédits de soutien spécifiques en direction des instituts culturels et des alliances françaises, le ministère a procédé à des redéploiements de crédits depuis des enveloppes du programme 185 , dont la sous-consommation paraissait évidente dès le mois de juin, en raison de la crise. Sur une réallocation globale de moyens de 7 millions d'euros, 5 millions ont été attribués d'urgence aux instituts et 2 millions aux alliances .

En outre, les ambassades ont été invitées à effectuer, sur leurs crédits issus du programme 185, des économies sur plusieurs postes de dépenses pour venir en soutien de leurs instituts. Une enveloppe de 596 000 euros a par ailleurs été affectée aux alliances à mi-gestion au titre du renforcement des capacités numériques du réseau.

Le rapporteur pour avis salue cette gestion pragmatique des crédits, mais doute que celle-ci puisse suffire à sauver les établissements en situation de grande vulnérabilité financière . Des mesures de soutien spécifique devront être envisagées, si les réouvertures venaient à être encore repoussées.

3. L'Institut français de Paris : un rôle d'appui au réseau renforcé

Depuis le déclenchement de la crise sanitaire, l'Institut français de Paris a travaillé à une reprogrammation budgétaire au fil de l'eau en fonction des annonces de report, d'annulation ou de confirmation de ses projets, partenariats et programmes.

Sur le volet des aides aux établissements du réseau et aux équipes artistiques et culturelles françaises , dont certains connaissent des situations financières alarmantes, des modalités dématérialisées ont été mises en place pour répondre aux différents cas de figure (report, annulation, maintien), tout en garantissant le niveau d'engagement de l'Institut afin de ne pas les pénaliser davantage. Au-delà de ce soutien financier, l'opérateur a organisé le partage des bonnes pratiques entre les établissements et encouragé la formation à distance des équipes aux pratiques numériques.

Sur les projets menés en propre par l'Institut , à l'instar des Focus (BD, arts visuels, etc.), des dispositifs Langue française, ou encore des plateformes de partage des pratiques et des ressources (Culturethèque, panoramas numériques, IF Cinéma, etc.), de nouvelles formes d'actions entièrement digitales ont été développées , dans le respect du cadre budgétaire fixé. Les saisons culturelles (Africa 2020, France-Japon, France-Portugal) ont toutes été décalées et reportées à des dates ultérieures. La saison Africa 2020, s'inscrivant dans l'ambition d'un partenariat renouvelé entre la France et les pays africains, aura finalement lieu de décembre 2020 à juillet 2021, sur tout le territoire français.

Le rapporteur pour avis constate avec satisfaction que la crise aura au moins eu le mérite de clarifier le positionnement de l'Institut français de Paris par rapport aux réseaux des instituts culturels et des alliances françaises . Celui-ci s'engage de plus en plus dans un rôle d'interface, permettant de renforcer les interactions entre les établissements.

B. UN BUDGET 2021 STABLE ET AXÉ SUR LA MODERNISATION NUMÉRIQUE DU RÉSEAU

1. Des moyens de fonctionnement stabilisés, des ressources consacrées à la transformation numérique du réseau augmentées

Pour 2021, les dotations de fonctionnement aux établissements à autonomie financière (EAF), dont font partie les instituts français, sont stabilisées autour de 38 millions d'euros, de même que la subvention à la Fondation Alliance française et aux alliances françaises qui est maintenue à 7,3 millions d'euros .

Une enveloppe supplémentaire de 3 millions d'euros est en revanche dégagée pour accélérer la mutation numérique du réseau , dont le ministère souhaite faire un levier de son relèvement. La crise s'est en effet traduite, dans la plupart des instituts et alliances, par le développement de l'offre de cours et d'activités culturelles en ligne, ouvrant de nouvelles perspectives en termes de diversification des publics et de modes d'organisation « hybrides ». Cette orientation stratégique doit donner lieu, dans les prochains mois, à l'élaboration d' un plan de transformation numérique et à l'expérimentation de nouveaux outils auprès de plusieurs postes diplomatiques « pilotes », aux contextes technologiques et géographiques différents. Son déploiement s'appuiera aussi sur les dispositifs développés par l'Institut français de Paris et la Fondation Alliance française.

Le rapporteur pour avis souscrit pleinement à cette démarche de modernisation et de renforcement de l'attractivité du réseau par les technologies numériques, mais il estime que celle-ci ne doit pas prévaloir sur l'action de réponse à la crise, alors qu'un nombre important d'instituts et d'alliances connaissent encore une situation financière très préoccupante.

2. Le maintien, à son niveau de 2020, de la subvention versée à l'Institut français

La subvention pour charges de service public de l'Institut français se maintient au niveau retrouvé en 2020, soit 28,8 millions d'euros , après la hausse ponctuelle de 2 millions d'euros en 2019, liée à la mise en oeuvre du plan pour la langue française et le plurilinguisme et à la préparation de la saison Africa 2020.

Cette stabilisation est perçue par les responsables de l'opérateur, auditionnés par le rapporteur pour avis, plutôt comme une bonne nouvelle au regard, d'une part, de la crise actuelle, d'autre part, de la baisse interrompue subie entre 2012 et 2017. En revanche, ceux-ci soulignent les perspectives peu favorables en matière de recettes de mécénat du fait de la crise, alors que ce levier de financement était en plein essor les années précédentes. L'Institut continue également à avoir une stratégie offensive pour obtenir des crédits de l'Union européenne dans le cadre d'appels à projets.

Au global, le taux de recettes propres par rapport aux recettes générales de l'établissement continue sa progression pour atteindre 26 % en 2020 , alors qu'il n'était que de 10,9 % en 2018. Cette augmentation est le résultat d'une politique de diversification des ressources destinée à compenser l'attrition des dotations publiques.

C'est dans ce contexte que le nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2020-2022 de l'Institut est devenu, en cours d'année, un contrat d'objectifs et de performance (COP), le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne souhaitant pas préciser les perspectives pluriannuelles des moyens qu'il met à sa disposition . Le rapporteur pour avis juge ce revirement irresponsable : l'État fixe de nouvelles priorités à son opérateur, mais ne lui donne aucune visibilité sur les ressources dont il disposera pour mener à bien ses missions.

Le rapporteur pour avis déplore par ailleurs le blocage matériel auquel se heurte toujours le rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française . Si ce dossier semble bien avancer sur le plan fonctionnel - des efforts de coordination étant faits de part et d'autre -, la question de la co-localisation semble loin d'être réglée. Aussi, le rapporteur pour avis s'interroge sur les raisons pour lesquelles le ministère s'abstient encore de tout arbitrage.

*

* *

Dans ces conditions, le rapporteur pour avis vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2021 .

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* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2021 .

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2020

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M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État ».

M. Claude Kern , rapporteur pour avis des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État » . - J'ai souhaité que mon avis budgétaire s'inscrive dans la continuité de l'état des lieux et des recommandations que notre groupe de travail « Action culturelle extérieure » a présentés au printemps dernier. Cette fin d'année est l'occasion de faire le point sur l'évolution de la situation des six derniers mois, d'analyser la réponse apportée par le Gouvernement et d'identifier les priorités pour 2021.

La crise sanitaire a eu, sur le réseau culturel et d'influence français à l'étranger, comme sur l'ensemble du monde de la culture, des conséquences importantes dont l'ampleur est encore difficile à évaluer précisément. Tous les acteurs ont été mis à rude épreuve : fermeture partielle ou totale des établissements, report ou annulation d'évènements, modification des modes de fonctionnement, perte de recettes. Face à cette situation particulièrement complexe et inédite, nous avons tous à coeur d'aider nos réseaux et nos opérateurs à se relever et à retrouver des conditions favorables à leur rayonnement.

Les auditions que j'ai menées, et auxquelles ont assidûment participé Catherine Morin-Desailly, Claudine Lepage et Monique de Marco, m'ont conduit à centrer mon rapport sur le réseau d'enseignement français à l'étranger et celui des instituts culturels et des alliances françaises.

Notre groupe de travail avait dressé un panorama particulièrement sombre de la situation du réseau d'enseignement français à l'étranger pendant la première vague épidémique, certains de nos interlocuteurs n'hésitant pas à parler de la plus grave crise de son histoire. La fermeture de la quasi-totalité des établissements au pic de la crise sanitaire s'est traduite par le basculement vers un enseignement en distanciel, qui a suscité un mouvement de contestation sur son inadéquation avec le niveau des frais de scolarité. Les établissements ont alors été confrontés à des défauts de recouvrement, engendrant des problèmes de trésorerie, provoquant eux-mêmes une diminution des contributions à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). L'emballement de cette mécanique récessive a fait craindre la faillite de certains établissements et la diffusion d'une crise financière à l'ensemble du réseau.

C'est dans ce contexte que, fin avril, le Gouvernement a annoncé un plan de soutien d'urgence. Notre groupe de travail avait salué cette initiative, tout en émettant deux réserves : une méthode contestable, privilégiant l'effet d'annonce plutôt que le travail de fond, et un calibrage budgétaire encore très imprécis. Nos critiques ont été entendues puisque ce plan a finalement fait l'objet d'une budgétisation dans la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020.

Les crédits destinés au réseau ont été articulés autour de trois grands volets : un accompagnement aux familles françaises en difficulté, grâce à un abondement des bourses scolaires de 50 millions d'euros supplémentaires ; une aide aux familles étrangères et aux établissements, avec une subvention supplémentaire de 50 millions d'euros ; une troisième enveloppe de 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor (AFT) permettant à l'AEFE de soutenir la trésorerie des établissements.

Au 1 er octobre dernier, le montant des crédits consommés sur l'enveloppe dédiée aux bourses s'élevait à 104,1 millions d'euros sur une dotation globale de 155 millions. Un tel chiffre, à cette période de l'année, illustre la forte augmentation des demandes de bourses de la part des familles françaises ; sur les 50 millions d'euros supplémentaires destinés aux familles étrangères et aux établissements, 23 millions d'euros ont été consommés.

Même si ces deux mesures ont été accueillies favorablement, certaines associations de parents d'élèves font état d'une trop grande rigidité du dispositif de soutien aux familles françaises, dont les critères seraient plus restrictifs que ceux retenus pour l'aide aux familles étrangères.

Nous avons eu aussi écho de disparités dans l'application des aides selon les postes diplomatiques, qui semblerait être imputable à une mauvaise communication du ministère vers les postes, puis de ces derniers vers les établissements.

Quant aux avances de France Trésor à l'AEFE, elles ont permis à l'opérateur de débloquer 24 millions d'euros sous la forme de report de contributions et d'octroi de prêts.

La mise en oeuvre de ces premières mesures de soutien, combinée à une mobilisation remarquable des équipes administratives et pédagogiques, a permis à la rentrée 2020 de se dérouler de manière globalement satisfaisante. La moitié des établissements ont repris l'enseignement en présentiel ; 21 % ont mis en place un mode « hybride » ; 29 % sont restés en distanciel complet. La situation évolue quasi quotidiennement, en fonction de l'état sanitaire des pays et des décisions prises par les autorités locales.

Les relations entre les établissements et les parents se sont apaisées, même si des points de crispation peuvent perdurer. La ligne directrice de l'AEFE est clairement de promouvoir la qualité du dialogue pour créer du consensus. Une récente enquête menée auprès de l'ensemble des acteurs du réseau fait état de retours globalement positifs sur l'enseignement à distance. Néanmoins, trois préoccupations en ressortent : l'accompagnement des enfants à besoins éducatifs particuliers, les difficultés propres à l'enseignement en maternelle, la qualité de la communication entre les établissements et les familles.

La baisse des effectifs est de l'ordre de 8 000 élèves ; en prenant en compte les 5 000 nouveaux élèves arrivés dans le cadre de la dernière campagne d'homologation, le recul serait donc de 3 000 élèves. Les effectifs connaissent aussi des variations importantes selon les zones géographiques, la nationalité des élèves et le degré de scolarité.

Le réseau apparaît globalement en moins mauvaise santé qu'on aurait pu le craindre il y a quelques mois. La plus grande vigilance s'impose cependant, car la situation demeure très instable et parce que certains établissements, notamment des petites structures, sont dans un état plus critique que d'autres. C'est au regard de ce constat prudent qu'une deuxième étape du plan de soutien devrait être prochainement déployée au bénéfice des familles et des établissements. Nous y serons très attentifs.

L'AEFE voit sa subvention pour charges de service public augmenter de 9 millions d'euros en 2021. Cette évolution résulte de la pérennisation du « rebasage » de 24,6 millions d'euros effectué l'an passé - nous l'avions appelé de nos voeux après la coupe budgétaire survenue en 2017 - et à l'attribution de 9 millions d'euros pour financer des mesures de sécurisation des établissements, face à la montée de la menace terroriste.

Hors cette enveloppe spécifique, la stabilisation de la subvention constitue, certes, une garantie, mais je doute qu'elle suffise à couvrir à la fois les effets de la crise et l'expansion du réseau, dont le Gouvernement fait toujours un axe stratégique. Alors que la situation reste fragile, j'estime que priorité doit être donnée à la sauvegarde et à la consolidation des établissements existants plutôt qu'à l'homologation de nouvelles structures.

J'en viens à mon second point, consacré aux instituts culturels et aux alliances françaises, que nous n'avions malheureusement pas pu traiter avec le groupe de travail faute, à l'époque, de remontées de terrain consolidées.

Au plus fort de la crise sanitaire, 105 des 117 instituts culturels étaient fermés, ainsi que 650 des 830 alliances françaises. Depuis la rentrée, certains établissements ont pu rouvrir, soit partiellement, soit entièrement ; d'autres sont restés fermés. Là aussi, la situation est très évolutive.

Sur place, les équipes ont fait preuve d'une grande capacité d'adaptation pour réorganiser leurs activités à distance. Cette mobilisation n'a cependant pas permis d'empêcher la baisse des ressources propres, qui devrait se traduire par une diminution de 10 % du taux d'autofinancement des instituts culturels. Selon le ministère, un premier tiers d'instituts serait en situation budgétaire fragile, un deuxième tiers serait sous surveillance accrue, et un dernier tiers serait résilient.

L'incertitude sur les dates de réouverture et sur la capacité des instituts à retrouver leurs publics lors de la reprise constituent un véritable défi. En l'absence d'amélioration de la situation, le taux d'autofinancement continuera à baisser et les fonds de réserves de certains instituts pourraient être entièrement épuisés d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine, laissant craindre de possibles fermetures définitives.

Les alliances françaises sont confrontées aux mêmes problématiques de baisse du nombre d'apprenants, d'interruption de leurs activités, d'incertitude sur les dates de réouverture et sur le niveau des inscriptions. Une première estimation évaluait le montant des besoins supplémentaires, d'ici la fin de l'année, entre 800 000 et 1,5 million d'euros.

Or, aucune enveloppe spécifique n'a été ouverte en loi de finances rectificative au bénéfice des instituts culturels et des alliances françaises. Le ministère a simplement procédé, en cours de gestion, à des redéploiements de crédits au sein du programme 185 ; 5 millions d'euros supplémentaires ont ainsi été attribués aux instituts et 2 millions d'euros aux alliances. Cette gestion pragmatique des crédits doit être saluée, mais elle ne permettra sans doute pas de sauver les établissements en situation de grande vulnérabilité financière.

Le PLF pour 2021 ne comporte pas non plus de mesures de soutien aux réseaux des instituts et des alliances, hormis une enveloppe supplémentaire de 3 millions d'euros pour accélérer leur transformation numérique. Ce statu quo devra être révisé, lors de prochaines lois de finances rectificatives, en fonction des difficultés qui émergeront en cours d'année prochaine. Car, si les réouvertures venaient à être encore repoussées, des aides exceptionnelles à certaines structures pourront s'avérer indispensables.

Un mot, pour finir, de l'Institut français, dont la crise aura permis de conforter son rôle d'interface et d'appui aux réseaux des instituts culturels et des alliances françaises. Bien qu'ayant dû lui aussi adapter et reprogrammer la plupart de ses activités, la crise ne l'a affecté que modérément. En outre, la stabilisation de sa subvention en 2021 est perçue par son équipe dirigeante plutôt comme une bonne nouvelle.

À l'heure où nombre de politiques publiques nécessitent un soutien financier accru de l'État, la sanctuarisation, en 2021, du budget de nos réseaux d'enseignement et de culture à l'étranger mérite d'être accueillie favorablement. Mais nous devrons, tout au long de l'année prochaine, prêter la plus grande vigilance aux conséquences encore non stabilisées de la crise, afin de ne pas laisser des dommages irréversibles atteindre les acteurs les plus fragiles de ces réseaux. Je m'y engage.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 consacrés à la diplomatie culturelle et d'influence.

Mme Claudine Lepage . - Je remercie Claude Kern pour son excellent rapport et pour nous avoir associés à ses auditions.

L'État a fait un gros effort, avec trois enveloppes de 50 millions d'euros chacune, pour aider les familles françaises, les familles étrangères et les établissements d'enseignement français à l'étranger. Cependant, les sommes dépensées sont encore loin de ces autorisations et les élus consulaires nous disent que l'interprétation des modalités budgétaires a varié selon les postes diplomatiques.

Pour les élèves français, les dépenses supplémentaires via les bourses ont atteint 23,2 millions d'euros, soit un total de 114,3 millions d'euros cette année ; compte tenu des rabots de ces dernières années, nous sommes au niveau de 2014, alors que le nombre d'élèves a augmenté. L'aide aux familles étrangères atteint 25,2 millions d'euros, et l'avance de trésorerie, 24,5 millions d'euros - ce sont les chiffres annoncés hier en conseil d'administration de l'AEFE. Des postes ont eu une lecture restrictive des instructions et, si la rigueur s'impose bien entendu, toutes les familles n'ont pas été informées des aides disponibles, certains documents demandés sont difficiles voire impossibles à fournir pendant le confinement, et des dossiers ont été traités avec une rigueur qui n'était pas exigée.

Le réseau a souffert, les alliances plus encore que les instituts. La mise en place rapide du numérique a permis une certaine continuité des cours, mais les inscriptions n'ont pas toujours été renouvelées. L'Institut français a été chargé de soutenir le réseau et le fonctionnement des établissements, en mettant les industries culturelles et créatives en contact avec les filières à l'export, en animant les partenariats autour de la langue française, en assurant le pilotage administratif et la modernisation du réseau. Le passage au numérique est une chance, même s'il a un coût, et le maintien du budget de l'Institut français est un bon signe pour le réseau.

Malgré nos quelques réserves sur l'AEFE, le groupe socialiste votera les crédits de cette mission, compte tenu des efforts de soutien au réseau. Les problèmes structurels demeurent, en particulier celui des pensions civiles des personnels résidents, qui sont à charge de l'AEFE depuis 2009 et dont le coût augmente chaque année du fait du glissement vieillesse technicité (GVT), sans compensation par l'État.

M. Damien Regnard . - J'avoue ma perplexité face à la situation des opérateurs - Institut français de Paris, instituts culturels, alliances françaises, réseau de l'AEFE - qui restent fortement fragilisés dans un environnement international pandémique instable. Un tiers des établissements culturels sont menacés de fermeture définitive, et l'on déplore une baisse des effectifs du réseau AEFE, alors que le nombre d'élèves progresse en général.

L'augmentation du budget total reste très faible : seulement 0,2 % grâce aux 9 millions d'euros fléchés sur la sécurité du réseau, tandis que d'autres crédits baissent. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de son côté, communique peu sur le plan de soutien au réseau. Et dans les conditions budgétaires actuelles, on voit mal comment l'objectif de doubler le nombre d'élèves d'ici 2030 serait tenu : il faudrait 35 000 nouveaux élèves par an, on en est loin.

L'incertitude planant sur le réseau culturel français reste très présente et constitue un vrai défi. L'autofinancement de la plupart des instituts continue de baisser, faute de mécénat et d'évènements payants. Ils manquent de ressources et paraissent peu viables financièrement ; n'est-il pas temps de s'interroger sur leur modèle et envisager de réformer leur fonctionnement, comme d'autres pays l'ont fait avec succès - notamment la Chine, l'Espagne et l'Allemagne ? Des instituts et des alliances françaises sont menacés de fermeture définitive, pas moins de la moitié sont encore fermés ou partiellement ouverts et de nombreux postes de représentants locaux ont été supprimés. On note également une baisse des postes de détachés.

Cependant, 7 millions d'euros ont été redistribués en cours de gestion au sein de l'enveloppe du programme et l'expansion du réseau reste un objectif central du ministère.

Des efforts sont à noter envers le réseau des établissements français à l'étranger, la mise en place du plan de soutien a permis que la rentrée 2020 se déroule de manière globalement satisfaisante, malgré la prolongation de la crise. Il y a eu une réactivité lors du troisième collectif budgétaire, qui a débloqué des fonds sur l'accompagnement aux familles françaises et aux établissements en difficulté. C'est le cas de l'abondement de l'aide à la scolarité à hauteur de 50 millions d'euros portant sa dotation totale à 155 millions d'euros en 2020 (dont 105,3 millions d'euros au titre de la loi de finances initiale), de l'aide aux familles étrangères en difficulté et aux établissements quel que soit leur statut (établissements en gestion directe, conventionnés ou partenaires) qui s'est traduite par le versement d'une subvention supplémentaire de 50 millions d'euros sur le programme 185. Une enveloppe de 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor (AFT) sur le programme 823, permettant à l'AEFE d'aider les établissements à affronter leurs difficultés de trésorerie a également été mise en place. Cependant, seulement la moitié a été utilisée car il faut les rembourser en un an.

Toutefois, trois établissements sur quatre seulement fonctionnent en mode présentiel et il en reste encore un sur cinq en mode distanciel. Les problèmes sont donc loin d'être réglés et il y a des dédommagements à faire. Plus de 35 établissements ont perdu au moins 20 % de leurs élèves. Une très mauvaise communication a été faite sur l'enveloppe allouée au réseau AEFE et aux aides afférentes, si bien que plus de 200 établissements n'ont pas fait de demande de bourses exceptionnelles. En cause, un défaut d'information et des difficultés à réunir les pièces administratives.

Avec ce projet de budget, les établissements retrouvent un niveau de dotation équivalent à celui de 2013, alors que le nombre d'élèves a progressé de plus de 13 %. Bien que des efforts aient été effectués sur les crédits dédiés à l'AEFE, l'enveloppe reste faible par rapport aux promesses du passé. Nous sommes encore loin du doublement des effectifs d'ici 2030, voulu par le Président de la République. Par ailleurs, les problèmes de sécurisation des établissements restent très concrets et nos structures ont besoin d'être mieux subventionnées. Les récentes attaques contre nos représentations à l'étranger ne doivent pas être prises à la légère. N'attendons pas un drame pour nous doter de vrais moyens financiers, matériels et humains pour sécuriser efficacement nos établissements. Et pour avoir plus d'élèves, on ne peut brader l'excellence pédagogique du réseau en baissant les critères d'homologation - au lieu de donner plus de moyens à l'AEFE pour atteindre ses objectifs.

Même si nous déplorons la mauvaise communication du ministère, nous voyons comme un signe positif la prise en compte des alertes que nous avions lancées lors du troisième collectif budgétaire, ainsi que le report des sommes non dépensées cette année. Et si nous pensons que ce budget n'est pas à la hauteur des attentes, ni des besoins de nos établissements, pas plus que du rayonnement de notre diplomatie culturelle à travers le monde, nous suivrons l'avis de notre rapporteur.

Nous demandons que notre groupe de travail « Action culturelle extérieure de l'État » puisse se réunir au mois de mars pour suivre les engagements pris et pour adapter éventuellement notre position - et je souhaite que les élus consulaires soient consultés et associés à nos réflexions.

M. Jérémy Bacchi . - La situation sanitaire a troublé le fonctionnement de notre réseau d'établissements français à l'étranger, nous devrons suivre très précisément l'aide qui leur sera apportée l'an prochain, donc le fléchage des crédits. Nous regrettons que l'Éducation nationale ne détache pas plus de ses personnels dans ces établissements, ce qui serait un gage de qualité de l'enseignement mais aussi de pérennité pour ces structures.

M. François Patriat . - Notre groupe salue la hausse de 63 millions d'euros des crédits de cette mission qui progressent pour la troisième année. Les nouvelles homologations ont permis cette année d'accueillir 5 000 nouveaux élèves. Cependant, on constate un déséquilibre entre les établissements en gestion directe et les autres. Il est clair que l'objectif de doubler le nombre d'élèves d'ici à 2030 sera difficile à atteindre. C'est l'occasion sans doute de repenser les missions de l'AEFE, pour gagner en efficacité. Notre groupe votera les crédits de cette mission.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Lors de l'audition des services du ministère, j'ai attiré l'attention sur les alliances françaises présentes sur notre territoire, qui contribuent elles aussi au rayonnement de notre langue. Elles rencontrent aujourd'hui de grandes difficultés, mais nous ne pouvons pas les aider comme celles qui sont implantées à l'étranger. Elles nous interpellent, il faut faire quelque chose, trouver des solutions complémentaires.

M. Claude Kern , rapporteur pour avis . - Le doublement des effectifs pour 2030 fait toujours partie des priorités du Gouvernement, mais l'AEFE ne pourra pas y parvenir avec le budget qu'on lui alloue, et seule l'homologation pourra faire progresser significativement les effectifs ; cette année 14 nouveaux établissements sont déjà homologués, une troisième série d'homologation est en cours. La priorité, dans la crise, doit être donnée à la sauvegarde des structures existantes. L'excellence pédagogique du réseau ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de son élargissement.

Les 9 millions d'euros pour la sécurisation ont été accueillis favorablement, mais je ne pense pas qu'ils suffiront ; des demandes aux pays partenaires ont été faites pour contribuer à la sécurité de nos établissements, nous attendons ce que cette démarche donnera.

Nous avons évoqué le problème des alliances françaises présentes sur le territoire national, le ministère des affaires étrangères n'a effectivement pas la main sur leur budget, il faut se tourner vers l'Intérieur.

Enfin, je suis tout à fait disposé à ce que notre groupe de travail sur l'action culturelle extérieure soit réuni en mars, la décision en revient au bureau de notre commission

M. Laurent Lafon , président . - Les domaines sont nombreux où une analyse de la situation face à la crise sanitaire est nécessaire, il faudra en cibler quelques-uns.

M. Damien Regnard . - J'ai mentionné le mois de mars parce que les commissions d'attribution des bourses viendront tout juste de se tenir ; elles apporteront des données précises, que nous pourrons alors évaluer.

M. Claude Kern , rapporteur pour avis . - J'ajoute que les secteurs géographiques les plus en difficulté sont l'Amérique latine et le Proche-Orient, en particulier le Liban, qui est notre premier réseau - il est aujourd'hui fermé.

La commission émet un avis favorable sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 17 novembre 2020

- Institut français : MM. Erol OK , directeur général délégué, et Clément BODEUR-CRÉMIEUX , secrétaire général.

- Agence pour l'enseignement français à l'étranger : M. Olivier BROCHET , directeur.

- Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger : M. François NORMANT , président, Mmes Virginie ROYER , vice-présidente, et Catherine TERRAZ , secrétaire générale.

Mercredi 18 novembre 2020

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères - Direction de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau : M. Matthieu PEYRAUD , directeur.


* 1 Constats et recommandations du groupe de travail « action culturelle extérieure » sur la gestion de la crise sanitaire, rapport d'information n° 667 « Culture, éducation, recherche, sport et communication : penser l'avenir malgré la crise sanitaire », 22 juillet 2020.

* 2 Les effectifs enregistrent une forte baisse dans le réseau états-unien, en Asie, au Liban ; une baisse plus faible dans le reste du Proche-Orient et en Europe ; une quasi-stabilité en Afrique ; une croissance dynamique au Maghreb. Les baisses d'effectifs concernent principalement les élèves français (- 5,4 %, soit environ 6 800 élèves), essentiellement en raison du renoncement des expatriés à faire venir leurs familles, compte tenu des incertitudes sur la situation sanitaire et le mode de scolarité. Les élèves dits « nationaux », qui représentent les deux tiers des élèves, voient en revanche leur nombre croître de 1,8 % (+ 3 500 élèves), preuve du maintien de l'attractivité de l'enseignement français auprès des familles étrangères. La maternelle est le degré de scolarité le plus touché par les baisses d'effectifs, celui-ci ayant sans doute pâti d'un enseignement à distance plus difficile à mettre en oeuvre.

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