N° 129

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2024,

TOME IV

OUTRE-MER

Par Mme Micheline JACQUES,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le budget de la mission « Outre-mer » est proposé, à périmètre constant et hors fonds de concours, à hauteur de 2,904 milliards d'euros (Md€) en autorisations d'engagement (AE) et 2,658 Md€ en crédits de paiement (CP) pour 20241(*), en augmentation respectivement de 6,8 et 4,5 % par rapport à 2023.

Comme pour l'année précédente, la hausse des crédits s'explique, concernant les AE, essentiellement, et, concernant les CP, intégralement, par l'augmentation mécanique des compensations des exonérations de cotisations sociales (+ 123 M€ en AE et en CP). Certaines actions connaissent une forte baisse de leurs crédits.

À l'inverse, deux actions voient, dans la lignée des engagements issus du Comité interministériel des Outre-mer (Ciom) de juillet 2023 leurs moyens renforcés :

· une augmentation de 20 % des crédits en AE dédiés au logement, par l'intermédiaire de la ligne budgétaire unique (LBU) ;

· une augmentation de 41,5 % des crédits en AE dédiés aux dispositifs de continuité territoriale.

La rapporteure pour avis salue la hausse de ces crédits, et l'engagement de l'exécutif sur certains sujets prioritaires pour les ultramarins tels que le logement et la continuité territoriale. Ces initiatives en faveur des territoires ultramarins font écho aux récents travaux du Sénat, de la délégation sénatoriale aux outre-mer ainsi qu'aux recommandations de l'avis budgétaire 2022.

Reste que, dans un contexte où l'inflation a mis sous tension les ménages comme les entreprises ultramarins, la bataille du logement, ne saurait se résumer à une hausse, certes nécessaire, des crédits budgétaires. Un effort majeur d'adaptation des normes, notamment, demeure indispensable, de même que l'engagement dans la durée de tous les acteurs du logement, et singulièrement d'Action Logement, qui, ces dernières années, a massifié ses interventions en outre-mer. De même, si les crédits dédiés à la continuité territoriale progressent fortement, la question de la mobilité interne, au sein des territoires où se rendre à l'aéroport international pour y effectuer sa mobilité principale est déjà, en soi, une mobilité, demeure absente des annonces.

La rapporteure formule six recommandations et portera un amendement, au nom de la commission des affaires économiques, pour amplifier les efforts entamés suite au Ciom et en partie matérialisés par les crédits proposés pour 2024.

Dans ce contexte, consciente de toutes les limites de ce budget en faveur des outre-mer, mais aussi des avancées qu'il contient, la commission des affaires économiques du Sénat, suivant la recommandation de sa rapporteure pour avis, s'est prononcée en faveur des crédits de la mission « Outre-mer ».

La mission « Outre-mer » est loin de regrouper l'ensemble des crédits budgétaires à destination des outre-mer, disséminés au sein de 105 programmes budgétaires issus de 32 missions. En effet, avec une dotation d'un peu moins de 3 Md€ en AE, la mission « Outre-mer » regroupe environ 11 % des crédits budgétaires dédiés aux territoires ultramarins, qui s'élèvent, pour 2024, à un peu plus de 21 Md€ en AE. L'effort global en faveur des territoires d'outre-mer se monte à près de 26,5 Md€ si l'on y adjoint les plus de 5 Md€ estimées de dépenses fiscales pour 2024.

Crédits budgétaires demandés
(en Md€ et en % de l'effort global)

AE

CP

21,15 (80 %)

22,81 (81 %)

dont mission « Outre-mer »

2,90 (11 %)

2,66 (9 %)

Dépenses fiscales en faveur des outre-mer
(en Md€ et en % de l'effort global)

5,30 (entre 19 et 20 %)

Effort global de l'État en faveur des outre-mer (en Md€)

26,45

28,11

Variation avec le PLF 2023

- 1,7 %

- 1,4 %

Source : commission des affaires économiques,
d'après le document de politique transversale « Outre-mer »

I. UNE AUGMENTATION CIBLÉE DES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER » DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE GLOBALEMENT DIFFICILE

A. DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER FRAGILES MAIS RÉSILIENTS DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE TENDU

L'année 2022 a vu, en outre-mer comme en Hexagone, une reprise de l'activité économique, ainsi que la survenue d'une importante crise inflationniste, qui s'est poursuivie en 20232(*). Cette reprise de l'activité a notamment été tirée par le dynamisme du secteur touristique dans les océans Indien et Pacifique, secteur exerçant un fort effet d'entraînement pour les économies ultramarines. En témoignent également les indicateurs du climat des affaires en 2022, au-dessus de leurs niveaux sur longue période3(*).

Bien que l'inflation, notamment alimentaire, soit plus faible en outre-mer, elle produit des effets beaucoup plus prégnants en raison, d'une part, des niveaux des prix structurellement plus élevés qu'en Hexagone, et, d'autre part, du plus faible revenu moyen des ménages ultramarins, ainsi que du grand nombre de ménages très modestes.

Aussi, sous l'effet conjugué de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt, la conjoncture économique sur la première moitié de l'année 2023 s'est globalement tendue, avec des signes de ralentissement dans l'ensemble des Drom. 

Il convient cependant de rappeler la très grande diversité des territoires ultramarins, de leurs histoires, et de leurs problématiques. Ainsi, en 2022, Saint-Barthélemy obtient d'excellents résultats économiques, malgré l'impact du passage de l'ouragan Irma en 2017 puis de la crise sanitaire4(*). À plus de 12 000 kilomètres, dans l'hémisphère sud, Mayotte, territoire qui a vu sa population plus que doubler en 30 ans5(*), connaît une profonde crise sociale doublée d'une nouvelle crise d'accès à l'eau potable. Malgré l'ampleur des difficultés que connaît la société mahoraise, il est important de souligner aussi la résilience de ses acteurs économiques, comme le mentionne l'indicateur du climat des affaires, qui évolue bien au-dessus de son niveau de longue période6(*).

 

Taux de chômage (en %)7(*)

2e trim. 2021

2e trim. 2022

2e trim. 2023

Guyane

13,4

13,3

13,8

La Réunion

16,7

18,9

18,8

Guadeloupe

19,6

18,5

19,5

Martinique

14,8

13,6

10,7

Mayotte8(*)

30

34

NC

Signe que la situation économique des outre-mer est globalement fragile, le nombre de défaillances d'entreprises est en hausse généralisée9(*) et le chômage, structurellement plus élevé dans les outre-mer, demeure, au deuxième trimestre 2023, à un haut niveau.

Ce contexte justifie pleinement une attention toute particulière du législateur à l'occasion du vote annuel des crédits que la Nation entend mobiliser en vue du rattrapage du niveau de vie des Ultramarins par rapport au niveau de vie des hexagonaux. Ces crédits visent aussi à compenser certains handicaps structurels liés aux situations d'insularité, aux environnements régionaux ou encore à l'étroitesse des marchés ultramarins.


* 1 À l'occasion de la LFI pour 2023, un ajustement de périmètre, à hauteur de 265 M€, avait été opéré, sans incidence sur les crédits effectivement dédiés aux diverses actions en faveur des outre-mer.

* 2 Iedom-Ieom, Conjoncture 2022 et perspectives 2023 en outre-mer : entre résilience et incertitudes, n° 708, mai 2023.

* 3 À l'exception de la Guyane, qui voit son très stratégique secteur spatial affecté par la guerre en Ukraine.

* 4 Iedom, Rapport annuel économique 2022, Saint-Barthélemy.

* 5 La population de Mayotte est estimée à 289 000 habitants, affichant en 2017 un taux de croissance annuel de 4 %. Dans un récent rapport, la Cour des comptes rappelle que ce chiffre est très probablement « fortement sous-estimé ». Le même rapport fait état d'une délinquance ayant atteint « un niveau hors norme ». Source : Cour des comptes, rapport public thématique, Quel développement pour Mayotte ?, juin 2022.

* 6 Iedom, Agence de Mayotte, Tendances conjoncturelles n° 764, septembre 2023.

* 7 Source : Insee, Taux de chômage localisés au 2e trimestre 2023 - Comparaisons régionales et départementales, septembre 2023.

* 8 Source : Enquête emploi 2022 à Mayotte.

* 9 Selon les chiffres de l'Ieom/Iedom, on observe entre le 2e trimestre 2022 et le 2e trimestre 2023, une hausse des défaillances de 79,4 % en Martinique, de 64,2 % à La Réunion et de 52,8 % en Nouvelle-Calédonie.

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