N° 133

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

TOME V

Fascicule 1

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Recherche

Par Mme Laurence GARNIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, MM. Yves Bouloux, Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Annick Girardin, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

AVANT-PROPOS

Le budget consacré à la recherche en 2024 constitue la quatrième « marche » de mise en oeuvre de la trajectoire de crédits prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020. La loi de finances pour 2024 entérine les engagements pris par le Gouvernement, en augmentant notamment fortement les crédits alloués à l'Agence nationale de recherche (ANR). Ces augmentations de crédits permettent d'obtenir des résultats satisfaisants et conformes aux prévisions de la loi de programmation : ainsi, le taux de succès aux appels à projets de l'ANR avoisine les 25 %, tandis que le taux de préciput atteint 30 %. 

Néanmoins, dans un contexte fortement inflationniste, la compensation très partielle des mesures salariales décidées par le Gouvernement en juillet 2023 grève fortement les marges budgétaires des différents organismes de recherche.

Dans ce contexte et malgré l'ambition affichée par la LPR, la rapporteure regrette que la part du produit intérieur brut consacrée aux dépenses intérieures de R&D (DIRD) stagne depuis plusieurs années. Plus inquiétant, il semblerait que le taux de l'effort de recherche ait légèrement reculé en France entre 2021 et 2022, passant de 2,22 % à 2,18 %. Parallèlement, la rapporteure déplore que la France ait chuté de trois rangs dans le classement international des performances de la recherche, ainsi que dans le nombre et la valeur de ses publications scientifiques ou encore dans l'index international des innovations. Dans le même temps, les autres grands pays scientifiques voient leur DIRD augmenter (2,2 % du PIB en Allemagne en 1998, 3 % actuellement avec un objectif fixé à 3,5 %). Or la meilleure mobilisation des moyens vers des axes prioritaires de recherche et l'accentuation de l'effort de recherche fondamentale sont cruciaux pour notre souveraineté nationale à long terme, que ce soit en matière de recherche biomédicale, d'intelligence artificielle, de nucléaire...

Pour renforcer notre positionnement, le rapport Gillet a fait, en juin dernier, 14 propositions visant à « renforcer et à simplifier l'écosystème national de la recherche ». Il semblerait que le Gouvernement ait fait sienne celle qui donne à certains organismes nationaux de recherche un rôle d'agence de programme. Si l'on ne connait pas encore les éléments exacts de cette réforme substantielle du paysage de la recherche, elle suscite tout à la fois des espoirs et des craintes que la rapporteure a souhaité mettre en exergue.

Enfin, l'attention de la rapporteure s'est portée sur la lente féminisation des métiers de la recherche, et sur les inégalités de genre liées aux disciplines étudiées et enseignées. Les femmes restent encore minoritaires dans le milieu de la recherche ; cette inégalité est accrue dans les domaines des mathématiques, de la physique et des sciences numériques. Le retour d'un enseignement obligatoire des mathématiques à la rentrée 2023 pour tous les lycéens de la filière générale dès la classe de première était une mesure indispensable pour encourager l'égalité filles-garçons.

I. UNE HAUSSE DES CRÉDITS CONFORME À LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE DE LA LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE

A. LA PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE ISSUE DE LA LPR EST RESPECTÉE, POUR LA QUATRIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE

Le budget 2023 consacré à la recherche est la déclinaison de la quatrième annuité de mise en oeuvre de la LPR. Après trois premières marches (autour de 400 M€ en 2021 et 2023, et 470 M€ en 2022), la rapporteure se félicite que la trajectoire de crédits poursuive son déploiement en 2023 avec un apport de 468 millions d'euros1(*), répartis entre le programme 150, qui finance les établissements d'enseignement supérieur, et le programme 172, qui finance les organismes nationaux de recherche. Si l'on ajoute les crédits de la recherche spatiale du programme 193, cette quatrième « marche » de la LPR atteint 500 M€.

Sur la trajectoire d'emplois de la LPR, le PLF pour 2024 autorise, comme en 2023, 650 recrutements supplémentaires dans les métiers de la recherche, conformément à la programmation de la LPR, dont :

- 200 nouvelles chaires de professeur junior (CPJ) : 130 pour les universités et 70 pour les organismes nationaux de recherche ;

- 340 doctorants supplémentaires pour les universités (il n'est pas prévu de nouveaux recrutements de doctorants dans les ONR du programme 172 au-delà des 327 doctorants financés en 2021-2023).

En 2022, seuls 307 emplois temps plein travaillés (ETPT) ont été créés pour le programme 150 ; pour le programme 172, les effectifs des opérateurs ont décru de 27 ETP. Rappelons que 650 ETPT étaient prévus dans la loi de finances initiale pour 2023. Les données 2023 ne sont, à ce stade, pas encore disponibles.

L'année 2024 marquera la poursuite, pour l'ANR, de la trajectoire de l'augmentation de son budget d'intervention. Rappelons que sur les 5 Mds€ d'augmentation du budget de la recherche publique prévus par la LPR sur dix ans, 1 Md€ est destiné à l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour accroître ses capacités d'intervention. Les crédits de paiement de l'ANR pour 2024 s'élèvent à 1,046 Md€. Ils comprennent notamment le financement du dispositif des chaires professeurs juniors (CPJ), géré en compte de tiers à l'ANR pour un montant de 45 M€.

Évolution du budget d'intervention de l'ANR depuis 2005

Cet accroissement du budget d'intervention de l'ANR, au-delà du milliard d'euros, lui permet de consolider le taux de sélection des appels à projets et les montants attribués au financement des projets de recherche, ainsi que de poursuivre l'augmentation du taux de préciput.

· Le taux de succès à l'appel à projets

En 2022, le taux de succès a poursuivi sa progression, pour s'établir à 24 %. D'après les premiers résultats, en 2023, le taux de succès devrait être au moins égal à celui de 2022, voire très légèrement supérieur. Aujourd'hui, près d'un quart des projets de recherche proposés à l'ANR bénéficie donc d'un financement. La LPR fixe un objectif de taux de succès de 30 % d'ici 2027, qui devrait vraisemblablement être atteint sans difficulté.

Le nombre de projets déposés sur l'ensemble des appels à projets lancés en 2022 est en diminution : -14,3 % par rapport à 2021. Cette diminution s'explique, entre autres, par le fait que l'augmentation importante du taux de succès a permis de financer près de 500 projets supplémentaires en 2021, qui n'avaient donc pas à représenter une nouvelle candidature en 2022. Néanmoins, cette baisse est à nuancer puisque quelques appels avaient été reportés de 2020 à 2021 en raison de la crise sanitaire. En comparaison avec 2020, la baisse est seulement de - 4,4 %.

Évolution du nombre de projets déposés, sélectionnés
et du taux de succès depuis 2014

 

L'aide moyenne attribuée pour chaque projet de l'appel à projets générique de l'ANR en 2022 atteint 441 000 euros, soit une augmentation moyenne de 30 000 €.

Les appels à projets du plan d'action 2023

Principal appel de l'ANR, l'appel à projets générique englobe les trois quarts des projets lancés par l'Agence et utilise un ensemble d'instruments qui permettent de financer :

- des projets de recherche individuelle portés par des jeunes chercheurs ou des jeunes chercheuses (JCJC) ;

- des projets mono-équipe (PRME) ;

- des projets de recherche collaborative entre entités publiques dans un contexte national (PRC) ;

- des projets internationaux (PRCI) et /ou présentant une ouverture vers le monde de l'entreprise (PRCE).

L'aide à la recherche public/privé représente presque un quart des appels à projets du plan d'action 2023-2024. La recherche tournée vers l'international (Europe/international et PRCI) engrange quant à elle 13 % des appels à projets du plan d'action 2023.

· Le préciput

Chaque année, l'ANR verse un préciput2(*) afin d'encourager les organismes de recherche à se porter candidats à des appels à projets compétitifs. En 2022, conformément à ce qui avait été annoncé lors des débats parlementaires relatifs à la LPR et prévu dans sa programmation budgétaire, le taux de ce préciput a poursuivi sa croissance, atteignant les 28,5 % contre 19 % en 2020. Ce taux va être porté à 30 % en 2024, et devra atteindre 40 % en 2027.

L'année 2022 a été marquée par l'introduction d'une nouvelle part dans le préciput : la part « site », attribuée aux établissements hébergeurs pour contribuer à la stratégie scientifique du site. Cette part « site » est passée de 2 à 3 % en 2023.

Ces évolutions ont permis le renforcement du financement des établissements et des laboratoires avec un montant versé d'environ 209 M€ en 2022, contre moins de 100 M€ en 2020.

· Le nombre de chaires de professeurs juniors (CPJ)

Si la LPR prévoit l'ouverture, sur dix ans, de 300 chaires de professeur junior (CPJ)3(*) par année en moyenne, la lente évolution du nombre de contrats signés depuis 2020 sème le doute quant à l'atteinte de cet objectif. En 2023, la rapporteure regrette que la montée en charge de ce dispositif ne soit toujours pas conforme aux prévisions, puisque seules 177 CPJ ont été ouvertes ; les projections pour 2024 envisagent 200 CPJ ouvertes.

B. LA CRISE INFLATIONNISTE ET LA COMPENSATION TRÈS PARTIELLE DES AUGMENTATIONS SALARIALES ENTRAVENT L'EFFORT DE RECHERCHE FRANÇAIS

Structurellement, le glissement vieillesse technicité (GVT) représente, pour les organismes nationaux de recherche, une charge annuelle de 30 millions d'euros qui, en l'absence de compensation par l'État, grève structurellement leurs marges de manoeuvre budgétaires.

Conjoncturellement, les mesures de renforcement du pouvoir d'achat des agents publics, annoncées en juin dernier (mesures dites « Guerini »), représentent des surcoûts importants, aussi bien pour 2023 que pour 2024. Elles consistent notamment en la revalorisation des bas salaires et du point d'indice de 1,5 % (après celle de 3,5 % intervenue en juillet 2022) et en l'attribution de points d'indice supplémentaires.

Si la hausse du point d'indice intervenue en juillet 2022 avait été intégralement compensée pour 2023, le ministère a décidé de ne compenser qu'à hauteur de 50 % ces nouvelles mesures salariales pour 2024 : une enveloppe de 45 M€ est ouverte pour l'ensemble de la mission recherche et enseignement supérieur (MIRES). Le surcoût pour 2024 devra donc être prélevé sur les fonds de roulement des ONR, constitués de 300 M€, en excluant les investissements déjà engagés ou même uniquement programmés. Le choix de compenser partiellement ces mesures salariales permettra d'allouer, selon le Gouvernement, des marges supplémentaires aux établissements présentant une situation financière dégradée. D'après la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau4(*), cette mobilisation exceptionnelle des réserves concernera uniquement l'année 2024 et ne doit pas conduire les établissements à renoncer à leurs projets d'investissement en cours. Cette décision a néanmoins suscité une incompréhension, voire une inquiétude quant au financement des investissements futurs.

Si l'on prend l'exemple du CNRS, ces mesures représentent un surcoût de 51,2 M€ pour l'année 2024 - la hausse du point d'indice représentant à elle seule une somme de 32,5 M€. Ainsi, pour le plus important organisme de recherche, plus de 25 M€ ne seront pas compensés en 2024.

Plus généralement, la crise inflationniste et la non-compensation des mesures salariales entravent lourdement l'objectif fixé par le Traité de Lisbonne et par la LPR : atteindre une dépense de R&D (publique et privée) de 3 % à moyen terme. Ainsi, la rapporteure déplore que la France se laisse distancer par de nombreux États du G7. En 2022, on estime que l'effort de recherche a diminué en France, passant de 2,22 % en 2021 à 2,18 % en 2022.

Dépenses intérieures brutes de recherche et développement

Source : OCDE

Un autre objectif fixé par la LPR, l'atteinte de 1 % du PIB de dépense intérieure publique en R&D d'ici 2030, s'avère désormais inatteignable selon plusieurs acteurs de la recherche que la rapporteure a auditionnés.

II. UNE RÉORGANISATION MAJEURE DE LA GOUVERNANCE DE LA RECHERCHE AUX CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES ENCORE FLOUES

A. À LA SUITE DU RAPPORT GILLET, LE GOUVERNEMENT ENTEND ATTRIBUER UNE MISSION D'AGENCE DE PROGRAMME À CERTAINS ORGANISMES NATIONAUX DE RECHERCHE

Le rapport Gillet, remis à la ministre le 15 juin 2023, avait deux objectifs ambitieux : d'une part, « mieux structurer et organiser le monde de la recherche », d'autre part, « simplifier la vie des chercheurs ». Près de 200 acteurs de l'écosystème de la recherche et de l'innovation ont été consultés, consultations à l'issue desquelles 14 propositions ont été effectuées. Citons notamment la création d'une fonction de Haut conseiller à la science, le renforcement de la place des docteurs au sein de l'administration publique, ou le développement d'un cadre clair de gestion administrative des unités mixtes de recherche.

La proposition du rapport que le Gouvernement semble vouloir mettre en oeuvre avec le plus de célérité consiste à donner aux organismes nationaux de recherche (ONR) une mission d'agence de programme - en sus de leur fonction d'opérateur de recherche. Cela implique une nouvelle articulation entre les organismes de recherche et les universités.

L'évolution des systèmes de recherche occidentaux, conçus pour l'essentiel au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, doit en effet répondre aux nouveaux enjeux liés aux grandes transitions que notre monde connaît. Le besoin d'interdisciplinarité y est particulièrement marqué, nécessitant de très fortes interactions entre biologie, numérique, sciences de l'ingénieur, sciences de l'environnement, sciences humaines et sociales... Pour répondre à ces enjeux, les systèmes de recherche reposent très largement sur deux grandes fonctions :

- soutien aux projets relevant de l'initiative des chercheurs : il s'agit de donner une très grande liberté aux scientifiques en laissant ouverts tous les champs d'investigation. Par son plan d'action, l'ANR vise à répondre à cet axe de politique scientifique, avec des moyens renforcés par la LPR ;

- organisation de projets pilotés : ils permettent de mobiliser la recherche sur des objectifs prédéfinis pour répondre de façon structurée à de grands objectifs. Il s'agit par exemple des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR, cf. encadré infra).

La mise en place de ces nouvelles agences de programmes a pour ambition de mieux répondre à ce second objectif de politique scientifique. Ces agences de programmes se substitueraient aux alliances thématiques de recherche, créées il y a presque quinze ans - mais dont l'action n'a jamais été évaluée.

Quel bilan pour les alliances thématiques de recherche ?

Les cinq alliances thématiques de recherche, créées en 2009 et 2010, recoupent chacune un large champ de la recherche et réunissent les principaux acteurs publics de la recherche (organismes, université, école et, systématiquement, CNRS).

Ces alliances n'ont pas de personnalité morale ; à l'inverse de ce qui semble se dessiner pour les futures agences de programme, elles n'ont pas de moyens financiers spécifiques pour construire et lancer des programmes de recherche. Leur rôle est d'élaborer des politiques publiques de recherche et d'innovation en participant aux comités de pilotage de la programmation de l'ANR, en contribuant à la coordination des grands chantiers impulsés par le Gouvernement et à la mise à jour de la feuille de route nationale des infrastructures de recherche. Si l'activité et l'efficacité de ces alliances sont très hétérogènes, aucun bilan n'a été tiré de leurs presque quinze ans d'existence avant la probable mise en oeuvre des agences de programme destinées à les remplacer.

B. CETTE RÉFORME DOIT ÊTRE L'OCCASION D'UNE RÉELLE SIMPLIFICATION DE L'ÉCOSYSTÈME DE LA RECHERCHE FRANÇAISE

La mise en place de ces nouvelles agences de programme constitue une évolution charnière. Cette réforme de la gouvernance de la recherche, dont les grandes lignes vont être annoncées très prochainement, a fait naitre des doutes et des craintes, dont la rapporteure a voulu se faire l'écho. En effet, nul ne connait pour l'instant la forme, les missions et le budget exact dévolus à ces nouvelles entités.

La principale difficulté pointée par ses interlocuteurs réside dans la délicate conciliation, au sein d'une même structure, des missions d'agence de programme et d'opérateur de recherche.

Si son but est de mettre en oeuvre une simplification nécessaire de l'écosystème de la recherche, cette réforme aux contours encore flous pourrait, si l'on n'y prend garde, avoir l'effet exactement inverse et complexifier davantage l'organisation de la recherche en France. Le risque est en effet, pour reprendre les mots de l'un de ses interlocuteurs, de « rajouter quelques couches de simplification », dans un univers de gouvernance d'une complexité déjà redoutable et alors même que l'impact négatif de cette organisation en mille-feuille du système français n'est plus à prouver.

La rapporteure estime que pour éviter cet écueil, le rôle des nouvelles agences de programme ne saurait se limiter à une coordination des différents projets de recherche au sein d'une même discipline. Les agences de programme devront, à l'inverse, dicter des priorités et structurer les programmes de recherche, à l'instar de ce qui a été élaboré pour les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR).

Un autre enjeu sera de coordonner l'action des organismes chargés de mettre en place les PEPR avec les nouvelles agences de programme. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a récemment indiqué que les PEPR « préfiguraient » les nouvelles agences de programme. Pourtant, les pilotes scientifiques des PEPR ont d'ores et déjà été désignés par l'État. La rapporteure estime donc urgent de connaitre le rôle qu'auront les nouvelles agences de programme dans la mise en oeuvre des PEPR ces dix prochaines années.

Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) :

3 Mds€ sur 10 ans pour la recherche fondamentale
dans le cadre de France 2030

LES PEPR visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques considérés comme prioritaires par l'État. On distingue des PEPR d'accélération destinés à accélérer des transformations déjà engagées et des PEPR exploratoires (1 Md€) conçus pour accompagner et soutenir l'exploration du potentiel d'une transformation émergente.

Ces 3 Mds€ sont financés sur les crédits de France 2030 et ne figurent donc pas dans les crédits de la MIRES. Les PEPR ont été initiés et élaborés par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI). L'ANR est l'opérateur de France 2030 pour ces programmes, qui sont pilotés ou co-pilotés par des ONR. Le CNRS coordonne deux tiers de l'ensemble des PEPR.

III. LA LENTE FÉMINISATION DE LA SCIENCE MASQUE DES INÉGALITÉS PERSISTANTES ENTRE DISCIPLINES

A. UNE LENTE ET INÉGALE FÉMINISATION DES MÉTIERS DE LA RECHERCHE

En 2020, le Haut conseil à l'égalité déplorait que l'impact des mesures de la LPR sur les femmes n'ait pas été analysé, et qu'une loi de programmation pluriannuelle fasse l'économie d'inscrire l'égalité entre les femmes et les hommes au coeur même de son texte. Trois ans plus tard, la rapporteure a souhaité savoir ce que disent les statistiques relatives à la féminisation des postes de chercheurs.

En France, avec 29 % de femmes parmi les chercheurs, l'enseignement supérieur et la recherche sont toujours marqués par un déséquilibre sexué.

La part des chercheuses dans la recherche publique (40 %) est plus élevée que dans la recherche en entreprise (22 %), et la part de femmes progresse plus fortement dans la recherche publique que dans la recherche privée.

Les femmes dans la recherche en France par secteur institutionnel en 2010 et 2020

 

Source : ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Qui plus est, la part des femmes diminue au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie des postes académiques : le plafond de verre se maintient à 1,55(*). En 2021, seul un tiers des postes de direction des organismes de recherche était confié à des femmes.

Un tiers des projets déposés auprès de l'ANR dans le cadre de l'AAPG entre 2015 et 2022 a été porté par une coordinatrice. Les biais de genre ne semblent pas avoir d'impact dans le processus d'évaluation des projets de recherche, puisque la proportion des projets déposés pilotés par des femmes est en cohérence avec celle des projets sélectionnés par l'ANR. La rapporteure voit comme un signe d'espoir le fait que c'est au sein de l'instrument Jeune chercheur - jeune chercheuse (JCJC) que la proportion de coordinatrices est la plus importante (36,5 %, contre 20 % pour l'instrument PRME).

Proportion des coordinatrices parmi les projets financés dans l'AAPG 2015-2022

B. UNE RÉPARTITION FEMMES/HOMMES TRÈS DIFFÉRENCIÉE SELON LES DOMAINES SCIENTIFIQUES

Les filles se dirigent moins spontanément vers les filières scientifiques. Si le processus débute très tôt dans la scolarité, c'est entre la fin du collège et le début du lycée que les différences d'orientation prennent forme, puis elles s'accentuent au fil des années d'études. Il existe une inquiétude concernant les viviers dans plusieurs domaines scientifiques (au premier rang desquels les mathématiques, la physique, les sciences de l'ingénieur et du numérique). Avec le nouveau baccalauréat, le nombre des bachelières scientifiques a diminué de 60 % depuis trois ans. Ainsi 69 % des garçons étudient les mathématiques en terminale et seulement 45 % des filles l'an passé. Par ricochet, les classes préparatoires scientifiques sont touchées et les nouvelles classes préparatoires scientifiques accueillent une part de femmes d'environ 13 %, alors qu'elles sont près d'un quart dans les autres filières scientifiques. La rapporteure se félicite que, pour remédier partiellement à ce délaissement des mathématiques, elles aient été réintroduites à la rentrée scolaire 2023 de manière obligatoire en classe de 1ère générale, à raison d'une heure et demie par semaine.

Cette répartition genrée du travail scientifique perdure au-delà des études, dans le milieu de la recherche : les femmes représentent 64 % des enseignants-chercheurs en langue et littérature, mais seulement 14 % des enseignants-chercheurs en mathématiques. Au CNRS, la proportion de femmes est de 49,4 % à l'Institut national des sciences humaines et sociales mais de seulement 19,2 % à l'Institut national des sciences mathématiques. Entre 2015 et 2020, ces différenciations par discipline se sont même légèrement renforcées au sein des organismes de recherche.

De manière analogue, pour les projets sélectionnés à l'AAPG de l'ANR, 46 % des projets en sciences humaines et sociales sont menés par des femmes, contre seulement 16 % pour les projets numériques et mathématiques.

La féminisation des métiers de la recherche semble plus marquée à l'université que dans les six grands établissements publics à caractères scientifique et technologique (EPST6(*)). Au sein de ces derniers, la part des femmes parmi les chercheurs néo-recrutés en 2020 est de 37 %, soit une quasi-stabilité en l'espace de 5 ans (+ 1,5 point). Il semble que cette différence s'explique par la structure des EPST par discipline : les matières dans lesquelles les hommes sont le plus surreprésentés sont aussi celles qui sont le plus étudiées dans les EPST.

La rapporteure a été favorablement impressionnée par la quantité et la qualité des éléments statistiques permettant de mettre en lumière ces inégalités persistantes, ainsi que par la volonté des différents acteurs de la recherche (ANR, ONR, HCERES) de les combattre. L'ANR veille ainsi à ce que la parité dans les comités d'évaluation scientifiques soit recherchée. La mise en place de mentorat pour les doctorantes semble également fructueuse. Il est nécessaire de faciliter la reprise d'activité des chercheuses après un congé maternité, car l'on sait que l'arrivée d'un enfant est une période clé dans l'aggravation des inégalités hommes-femmes. Enfin, une attention particulière doit être accordée à l'évolution des carrières des femmes au sein des ONR afin qu'elles soient accompagnées pour y évoluer au plus haut niveau, et notamment dans les postes de direction.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 16 novembre 2023, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche dans le projet de loi de finances pour 2024.

EXAMEN EN COMMISSION

JEUDI 16 NOVEMBRE 2023

___________

Mme Laurence Garnier, rapporteur pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - J'interviens pour la première fois en qualité de rapporteure sur les crédits relatifs à la recherche à la suite de notre collègue Laure Darcos, que je remercie pour la qualité de son travail sur un enjeu aussi complexe que fondamental pour notre pays.

Le budget consacré à la recherche en 2024 est la traduction de la quatrième année de mise en oeuvre de la loi de programmation budgétaire.

Conformément à ses engagements, l'exécutif augmente les crédits du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » de 347 millions d'euros par rapport à l'année dernière, dont 324 millions au titre du déploiement de la loi de programmation de la recherche (LPR).

Je salue donc le respect des engagements pris par le Gouvernement, tout en regrettant l'affaiblissement structurel de la recherche française.

La crise du covid-19 et l'absence de découverte française d'un vaccin ont joué le rôle d'un électrochoc sur l'état de la recherche en France. Avec l'essor de la Chine, la concurrence scientifique internationale est de plus en plus rude. Et alors que les autres grandes nations scientifiques voient leurs dépenses de recherche et d'innovation augmenter, cette part stagne en France de manière désolante à 2,2 % du PIB depuis des années. Ce taux diminue même légèrement entre 2021 et 2022.

Pour mémoire, l'Allemagne est à 3 % et vise désormais 3,5 %, les États-Unis sont à 2,8 %, Israël et la Corée du Sud au-dessus de 4,5 %. Au-delà de la sphère fondamentale de recherche biomédicale, c'est bien la souveraineté de la France qui est en jeu au travers de la recherche française, qu'elle soit publique ou privée.

Dans le détail, le PLF 2024 autorise, comme en 2023, 650 recrutements supplémentaires dans les métiers de la recherche, dont 200 chaires de professeur junior et 340 doctorants supplémentaires.

Comme nous l'a détaillé la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Sylvie Retailleau, lors de son audition du 7 novembre dernier, le Gouvernement a décidé de prélever sur les fonds de roulement des organismes nationaux de recherche la moitié du montant des augmentations salariales induites par les « mesures Guerini » de juillet 2023.

La ministre nous a assuré que cette mobilisation des fonds propres serait strictement limitée à l'exercice budgétaire 2024 et « tout à fait exceptionnelle » ; cela a néanmoins suscité un certain émoi chez les dirigeants des organismes nationaux de recherche (ONR) et des universités.

Les crédits de paiement accordés à l'Agence nationale de la recherche (ANR) s'élèvent à plus de 1 milliard d'euros pour la deuxième année consécutive. C'est une vraie montée en puissance financière de l'ANR qui lui permet des résultats satisfaisants sur deux points.

D'une part, le taux de succès à l'appel à projets a poursuivi sa progression pour s'établir à 24 % en 2023. Ainsi, ce sont près d'un quart des projets déposés qui se voient accorder un financement après examen par l'ANR. L'objectif fixé par la LPR d'atteindre un taux de succès de 30 % à l'horizon 2027 devrait être atteint sans difficulté. L'aide moyenne attribuée à chaque projet atteint 441 000 euros, soit une augmentation de 30 000 euros par rapport à l'an dernier. Un quart des projets financés par l'ANR a une dimension internationale, un quart fait appel à des financements publics et privés.

D'autre part, le préciput, c'est-à-dire la part des crédits destinés à financer les frais de fonctionnement des organismes abritant les projets de recherche, atteint désormais 24 %. Cela a permis le renforcement du financement des établissements et des laboratoires avec un montant versé d'environ 209 millions d'euros en 2022, contre moins de 100 millions deux ans plus tôt. Conformément à la LPR, le taux de préciput sera porté à 30 % en 2024 et atteindra 40 % d'ici à 2030.

En ce qui concerne l'écosystème de la recherche française, j'ai pu constater sa complexité, avec de multiples strates qui se sont accumulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette complexité et cette opacité sont reconnues, de manière unanime, comme une entrave réelle au bon fonctionnement de l'activité de recherche dans notre pays.

La ministre a missionné, courant 2023, Philippe Gillet et plusieurs experts du monde de la recherche afin qu'ils proposent des pistes de simplification. Ils ont remis leur rapport au mois de juillet dernier. Le Gouvernement a suivi l'une des propositions consistant à adjoindre aux différents organismes de recherche une fonction d'agence de programmes. Concrètement, nos organismes de recherche auraient aussi désormais vocation à coordonner l'activité de l'ensemble des universités et organismes de recherche sur une thématique donnée, dans le but d'améliorer leur coopération et de développer des synergies. Nous attendons des annonces prochaines du Gouvernement sur le sujet.

L'intention de simplification nous paraît louable, mais, outre qu'elle devra être confirmée par des décisions, elle suscite un certain nombre d'interrogations.

Les nouvelles agences de programmes ne sauraient être des alliances thématiques de recherche dont on aurait uniquement changé le nom.

Mises en place depuis plus de quinze ans, ces alliances, qui réunissent plusieurs acteurs publics de la recherche, n'ont eu qu'une activité variable selon les agences, le plus souvent assez limitée faute de moyens dédiés. Je déplore qu'avant d'instituer ces nouvelles agences de programme, aucun bilan n'ait été tiré des quinze ans de fonctionnement des alliances de recherche.

Plutôt que de se cantonner à une simple tâche de coordination, les nouvelles agences devront être au service d'une volonté politique d'axer la recherche sur certains enjeux saillants, à l'instar de ce qu'ont déjà engagé les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) pour les dix prochaines années.

La question se pose évidemment de l'articulation des agences de programmes avec les PEPR.

La ministre nous a indiqué que ces agences relèveraient de l'interministérialité. C'est la continuation d'un mouvement commencé avec la mise en place des PEPR, qui ne sont pas financés dans le cadre de la mission « Recherche et Enseignement supérieur », mais par les crédits de France 2030, gérés par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI). Il s'agit de montants significatifs, les PEPR sont financés à hauteur de 3 milliards d'euros sur dix ans.

Enfin, nous peinons à comprendre - et c'était également le cas de plusieurs des interlocuteurs que nous avons auditionnés - comment les nouvelles agences de programmes s'articuleront avec les organismes pilotes des PEPR.

La simplification tant espérée reste à démontrer ; les annonces gouvernementales attendues nous permettront, souhaitons-le, d'y voir plus clair sur le sujet.

Dernier point du rapport, nous avons apporté un éclairage spécifique à la question de la féminisation de la recherche.

Lors de l'adoption de la LPR en 2020, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) avait déploré que la féminisation soit l'impensé de la réforme. Trois ans plus tard, seulement 29 % des chercheurs français sont des femmes. La part des chercheuses dans la recherche publique, qui s'élève à 40 %, progresse plus rapidement que celle de la recherche privée, où nous ne sommes qu'à 22 %. Après avoir rapporté il y a deux ans le projet de loi pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, je note que le plafond de verre auquel elles se heurtaient alors dans un certain nombre de secteurs d'activité se vérifie dans la recherche française.

Je souligne l'importance que chacun des acteurs auditionnés accorde manifestement à ce volet de la féminisation de la recherche.

Les statistiques, rapports et études sont particulièrement riches et chaque structure, qu'il s'agisse de l'ANR, du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s'est dotée de plans en faveur de l'égalité femmes-hommes. L'ANR peut ainsi affirmer que les biais de genre n'ont pas d'impact dans son processus d'évaluation des projets de recherche, puisque la proportion des projets de recherche déposés par des femmes correspond à celle des projets sélectionnés.

Ces inégalités de genre sont évidemment plus marquées dans les domaines des sciences dures : les femmes représentent 64 % des enseignants-chercheurs en langue et littérature, mais seulement 14 % dans le domaine mathématique. On sait que dès l'école primaire les filles se dirigent moins spontanément vers les matières scientifiques que les garçons. Je cite souvent cet exemple d'un exercice identique donnée à deux classes de CE1 : dans la classe où on le présente comme un exercice de dessin, les filles réussissent mieux. Dans la classe où on dit qu'il s'agit d'un exercice de géométrie, ce sont les garçons qui performent.

Avec la réforme du baccalauréat, cette tendance s'est renforcée : l'an dernier, 70 % des garçons étudiaient les mathématiques en terminale contre seulement 45 % des filles. Par ricochet, les classes préparatoires qui forment nos futurs ingénieurs étaient touchées et accueillaient uniquement 13 % de jeunes femmes. Il était donc urgent et impératif de réintroduire les mathématiques de manière obligatoire en classe de première, ce qui a été fait à la rentrée dernière. Mais dans ce domaine, comme dans celui de la recherche française en général, le travail sera long et les marges de progrès sont importantes.

Nous constatons donc le respect de la trajectoire budgétaire fixée par la LPR, et ce dans un contexte extrêmement contraint pour notre pays. Je propose donc à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits « recherche » de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) du PLF 2024.

M. David Ros. - Je salue la rapporteure pour son travail. Je tiens à souligner que la complexité - pour ne pas dire la perplexité - qu'elle a évoquée est aussi partagée par ceux qui travaillent dans ce milieu sur la question de savoir qui fait quoi et avec quels moyens. Cependant, complexité ne signifie pas inefficacité. Nous devrions recourir plus systématiquement à des critères précis dans l'évaluation, qui n'est pas assez développée, de nos politiques publiques.

Sur la LPR, je constate la volonté d'augmenter les crédits de recherche. Mais c'est tardif par rapport à l'objectif de 2030 : nous devrions déjà être au-dessus des 2 milliards d'euros, au lieu de 1,8 milliard d'euros, sans compter l'inflation. Ce sont des dépenses vertueuses car chaque euro investi dans le monde de la recherche rapporte en retour 4 euros, et un emploi de la recherche aboutit à trois emplois. Ces dépenses sont génératrices de savoirs, de connaissances et d'intelligence.

Sur les huit programmes évoqués, il n'y en a que trois qui sont mis en avant : le programme 172, le programme 193 sur la recherche spatiale - même s'il ne va pas aussi loin que prévu - et le programme 150, sur lequel il est demandé de faire exceptionnellement un effort par rapport au fonds de roulement. Je partage le diagnostic, mais la réponse budgétaire est insuffisante. On regrette que le Président de la République n'ait pas précisé à la suite de ses annonces comment les organismes de recherche allaient être missionnés des différentes politiques en même temps que le budget.

Les attentes en matière de recherche sont importantes, notamment dans les domaines de la santé, de l'intelligence artificielle, du numérique, de l'adaptation aux changements climatiques - je pense notamment à l'évolution des bâtiments. Nous aurions préféré que l'État fasse un effort exceptionnel plutôt que de demander à la recherche de faire exceptionnellement un effort.

Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra, avec vigilance.

M. Jean Hingray. - Je félicite la rapporteure, qui a repris le flambeau de notre excellente collègue Laure Darcos, pour sa présentation. Il est regrettable qu'il y ait trop peu de chercheuses en France. Dans un budget limité au niveau national, les promesses sont plutôt tenues, avec une augmentation sensible dans tous les domaines. Il faut tenir le cap et soutenir le Gouvernement.

Le groupe centriste approuvera donc ce budget.

M. Stéphane Piednoir. - Ce budget nous tient à coeur. Je félicite également la rapporteure pour la rapidité de son immersion dans un écosystème particulièrement complexe. L'investissement dans la recherche est un investissement d'avenir, mais au-delà de l'augmentation substantielle des crédits, qui nous conduit à être plutôt favorables année après année à leur adoption, encore faut-il être sûr de l'efficience de ces investissements.

Aujourd'hui, certains acteurs pointent l'insuffisance du budget. Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) l'a rejeté récemment arguant que les mesures salariales n'étaient pas compensées. J'entends l'engagement de la ministre de cesser ces non-compensations à l'horizon 2025, mais ce n'est qu'une promesse et les organismes de recherche comme les établissements de l'enseignement supérieur doivent fonctionner avec des prélèvements sur leurs fonds propres.

L'efficience passe aussi par une simplification de l'écosystème qui repose aujourd'hui sur la LPR, sur de nombreux appels à projets et sur l'ANR - le bras armé de la recherche dans notre pays, dotée d'un budget de 1 milliard d'euros -, qui les pilote. Envisager la création de nouvelles agences de programmes va à l'encontre de cet objectif de simplification. Avec déjà 1 400 agences dans le pays, cette évolution n'est pas souhaitable.

Il est important de prendre en compte une strate supplémentaire : celle des annonces présidentielles, faites sans coordination avec le ministère de la recherche ou l'ANR. Lorsque le Président de la République promet 1 milliard d'euros d'investissements dans la recherche polaire alors même que nous sommes en pleine discussion budgétaire, le procédé est détestable.

Vous n'avez pas évoqué le statut du doctorant : avez-vous des précisions sur ce point ?

Enfin, à l'heure où l'on veut revaloriser les mathématiques, notamment en direction des filles, j'en appelle à un effort terminologique : qualifions les sciences dites « dures » de sciences exactes et expérimentales, à l'instar des sciences humaines et sociales que personne ne songerait à appeler les sciences « molles ».

M. Laurent Lafon, président. - Ces questions de terminologie sont sensibles, car les sciences humaines peuvent elles-mêmes être exactes...

Je m'associe au propos élogieux de Stéphane Piednoir à votre égard, madame Darcos.

Mme Laure Darcos. - Je vous remercie, madame la rapporteure, d'avoir abordé avec beaucoup d'intérêt et de clairvoyance ces sujets. Je remercie mes collègues pour leurs mots à mon égard - j'ai laissé à regret le suivi des crédits « recherche » !

Je note que la clause de revoyure de la LPR souhaitée par la ministre Retailleau est en train de s'éloigner à grands pas. Notre seule marge de manoeuvre consiste à essayer de resserrer la durée de dix ans. Souvenez-vous, mes chers collègues, que nous avions failli ne pas avoir de commission mixte paritaire (CMP) conclusive car nous voulions une durée de sept ans pour la LPR. Nous avions heureusement pu doubler l'abondement de l'ANR, ce qui était impératif car, en 2017-2018, avant l'arrivée de Thierry Damerval, le taux de réussite des appels à projets n'était que de 12 à 13 %, même parfois moins, contre 24 % aujourd'hui. Aujourd'hui, l'idéal serait de contraindre Bercy à continuer à abonder les prochaines années pour atteindre un budget plus significatif sur sept ans. On en est encore loin, en biosanté notamment.

Je vous remercie d'avoir évoqué la place des femmes dans les sciences. J'ai enfin obtenu que la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes fasse un rapport sur ce sujet !

Je voterai le rapport.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail. C'est un dossier sensible qui, malheureusement, ne passionne pas la Nation. Je ne comprends pas comment l'Allemagne peut afficher, dans un parfait consensus politique, des ambitions aussi élevées - 3,5 % du PIB investis dans la recherche et l'innovation -, alors que la France stagne à 2,2 % depuis des années. La recherche est indispensable pour mener à bien la conversion économique que nous devons engager.

Vous l'avez dit, l'écosystème de la recherche est d'une extrême complexité, comme l'a montré le rapport Gillet - même si, de façon tout à fait paradoxale, il « rajoute une couche ». Si l'on se penche sur les grandes agences qui lancent des appels à projets, on est frappé par cette stratification : le Conseil européen de la recherche au niveau européen, l'ANR et France 2030. Ce dernier dispositif permet d'octroyer près de 1 milliard d'euros à la recherche. Hormis la présence de notre collègue Sonia de La Provôté dans le comité de surveillance, notre commission n'a pas beaucoup de moyens lui permettant d'évaluer France 2030. Je pense notamment à une annonce de Bruno Bonnell, qui dirige ce dispositif, sur l'utilisation future de l'intelligence artificielle pour sélectionner les dossiers des chercheurs. Et maintenant on rajoute une nouvelle strate, l'agence de programmes.

Le quotidien d'un chercheur aujourd'hui est partagé entre les réponses aux appels à projets et l'évaluation de ses collègues. Nous sommes face à une énorme bureaucratie - c'est comme le Gosplan soviétique qu'évoquait Max Brisson précédemment - qui nourrit des agences d'évaluation comme le Hcéres. Quand le CNRS recrute des chercheurs, il attire les meilleurs au monde, en particulier en sciences humaines et sociales (SHS), avec 50 % de candidatures internationales. Ces chercheurs, recrutés pour leur excellence, découvrent ensuite qu'ils n'ont pas de budget pour leurs travaux, les contraignant à courir après des financements.

Le rapport Gillet préconise une mesure judicieuse : accorder une enveloppe financière aux jeunes chercheurs recrutés pour une période de trois ans, équivalente à celle attribuée aux chaires de professeur junior. Malheureusement, de plus en plus d'universités et d'établissements de recherche ont des pratiques discutables, telles que l'utilisation du préciput pour leur fonctionnement, faisant pression sur les chercheurs pour qu'ils répondent aux appels à projets.

La simplification des unités mixtes de recherche (UMR), réclamée par le rapport Gillet, nécessite des moyens supplémentaires pour permettre aux universités de gérer plus efficacement les crédits extérieurs. Nous constatons des dérives inquiétantes, certaines universités incitant les chercheurs à créer leur association pour les financer sur factures, voire à adopter le statut d'autoentrepreneur. La Cour des comptes devrait peut-être se pencher sur ces expérimentations budgétaires qui me semblent souvent en marge de la légalité.

Je suis tout à fait d'accord avec une réforme de la recherche, réforme qui n'a pas été portée par la LPR mais qu'il faut bâtir avec les chercheurs. La captation des fonds de roulement par Bercy a eu un effet désastreux sur ces derniers, leur donnant l'impression qu'il s'agissait d'une compensation pour la LPR.

Je ne voterai donc pas ce budget.

M. Laurent Lafon, président. - Pour information, nous avions contacté Bruno Bonnell avant l'été, mais il n'avait pas été en mesure de répondre à notre invitation.

Mme Mathilde Ollivier. - Je remercie également Mme la rapporteure, qui a évoqué la part de la recherche dans le PIB - avec un taux de 2,2 %, nous sommes en dessous de la plupart des grandes Nations. L'enjeu est pourtant majeur pour faire des progrès décisifs dans différents domaines, comme le numérique, la transition énergétique, la santé. Le taux de 3 % du PIB est un objectif européen que la France devrait respecter.

La revalorisation des salaires des doctorants et post-doctorants est nécessaire, mais il faut également travailler sur leur statut pour freiner leur expatriation - les conditions de travail étant plus favorables à l'étranger en termes de moyens et de mise à disposition d'équipements de haute technologie. Dans le domaine de la santé par exemple, les États-Unis et le Canada sont très attractifs.

Concernant l'égalité femmes-hommes dans le domaine de la recherche, la distribution genrée aux différents échelons de responsabilité doit être examinée, notamment chez les professeurs ou les présidents d'université ; après le doctorat, les femmes ont-elles les mêmes possibilités d'évolution de carrière ?

Compte tenu de ces remarques en demi-teinte, nous nous abstiendrons sur le rapport et sur le budget.

Mme Sonia de La Provôté. - Je félicite Mme la rapporteure pour son travail.

Se pose en réalité la question de l'efficience et de l'optimisation du budget et celle de la prise de décision stratégique. Car il faut définir des priorités, et lorsque la stratégie n'est pas définie de manière collégiale cela soulève un problème démocratique. Des happy few décident de la destinée de la recherche dans notre pays.

La complexité de l'écosystème nous défavorise dans la compétition internationale pour l'innovation, et les brevets qui en découlent. La création d'agences de programmes dont on ne connaît pas les orientations suscite des préoccupations. Exiger une coconstruction, impliquant le Parlement, est essentiel pour assurer la transparence.

Certes, le budget suit la trajectoire, mais on ne voit pas clairement à quoi il sera utilisé de façon efficiente.

La question de l'interaction avec la recherche privée doit également nous interpeller. La situation en France diffère de celle de pays comme les États-Unis, où la recherche privée contribue à parité aux grands choix stratégiques. Cela soulève des questions sur notre capacité à prendre des risques : il est bien normal que lorsque le secteur public accompagne, on veuille limiter la prise de risques. Mais en termes d'innovation, c'est un désavantage.

Notre outil, le crédit d'impôt recherche (CIR), est absent de ce budget, alors que les grands laboratoires estiment qu'il représente un avantage compétitif certain. Les laboratoires s'engagent largement dans le rachat de start-up qui ont assumé les risques avec l'aide de l'État, et ils en retirent les bénéfices avec des productions rentables. L'accompagnement par le CIR se fait sans contrepartie, et sans vision stratégique ou organisationnelle.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - La complexité de l'écosystème, source de perplexité pour nombre d'entre nous, est vraiment préoccupante en termes d'efficience des crédits de recherche. Nous nous interrogeons sur les agences de programmes, cette couche supplémentaire censée améliorer les choses - nous en saurons peut-être plus dans les jours qui viennent.

La répartition des compétences est un autre sujet de préoccupation. Le CNRS pourrait avoir la responsabilité de la biodiversité et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) celle des forêts, ce qui suscite la perplexité des acteurs de la recherche.

Des questions se posent sur la délimitation entre le financement par appel à projets et le financement structurel de la recherche. Nous sommes allés au bout d'une logique dont on voit les limites en termes d'efficacité administrative et financière.

Concernant la compensation des augmentations du point d'indice, les détails restent en suspens. Cependant, le rapport insiste sur l'engagement de la ministre à ne faire de cette solution qu'une mesure ponctuelle pour 2024, sans reconduction, pour ne pas obérer les capacités de financement de la recherche à long terme.

Je ne peux répondre à la question sur le statut des doctorants, qui n'est pas abordée dans le document budgétaire.

Je salue la nouvelle d'un rapport à venir de la Délégation aux droits des femmes sur la place des femmes dans les sciences « exactes et expérimentales ». (Sourires.) Nous avons aujourd'hui 49 % de doctorantes, mais, pour répondre à Mathilde Ollivier, la question des parcours des femmes au sein des organismes de recherche est complexe. Antoine Petit, directeur du CNRS, soulignait la nécessité d'encourager activement leur participation à des postes de responsabilité car elles ne se sentaient spontanément pas légitimes à briguer ces postes.

J'évoque pour terminer les annonces présidentielles faites un peu ex nihilo, notamment pour ce qui concerne la recherche polaire. Il s'agirait de rebâtir une station en Antarctique et de construire un navire capable de manoeuvrer au travers des glaces, qui devrait prendre le nom de Michel Rocard. Nous n'en savons guère plus pour le moment !

Mme Laure Darcos. - Nous nous étions retrouvés dans la même situation l'année dernière : en pleine discussion budgétaire, l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (Ipev) avait sollicité un soutien du Gouvernement et nous avions dû valider in extremis des crédits pour lui éviter de mettre la clé sous la porte. Le Gouvernement a sans doute préféré, cette année, assurer ses arrières et conserver cette politique de recherche polaire.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - En tout état de cause, des annonces portant notamment sur la structuration de l'écosystème devraient être faites dans les semaines à venir. La ministre s'est, quant à elle, engagée à venir dresser un bilan de la LPR au début de l'année 2024.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2024.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 17 octobre 2023

Centre national de la recherche scientifique : M. Antoine PETIT, président-directeur général.

Mercredi 18 octobre 2023

- Agence nationale de la recherche : M. Thierry DAMERVAL, président-directeur général.

- Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur : MM. Stéphane LE BOULER, président par intérim, et Bernard LARROUTUROU, directeur du département d'évaluation des organismes.

Mardi 24 octobre 2023

M. Philippe GILLET, auteur du rapport sur l'écosystème de la recherche et de l'innovation.

ANNEXE

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

MARDI 7 NOVEMBRE 2023

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions liées à l'examen du projet de loi de finances (PLF) 2024 en recevant Mme Sylvie Retailleau.

Madame la ministre, nous restons particulièrement attentifs au sein de la commission aux problématiques relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche. À cet égard, je souhaiterais mentionner le projet de loi de programmation de la recherche (LPR), que nous avons profondément amendé lors de son examen en octobre 2020. Nous demeurons vigilants concernant la mise en oeuvre de ce texte, qui doit permettre de mieux financer la recherche française, d'améliorer l'attractivité de ses métiers et de replacer la science dans une relation ouverte avec la société.

L'an dernier, notre rapporteure nous avait alertés quant à la sous-exécution des créations de postes inscrites dans la loi ; les difficultés réglementaires rencontrées en la matière ont-elles été levées depuis ?

De même, nous souhaiterions en savoir davantage en ce qui concerne la clause de revoyure prévue dans la loi avant la fin de l'année 2023 ; celle-ci sera-t-elle décalée ?

La mission commune d'information sur les conditions de la vie étudiante, que présidait Pierre Ouzoulias et dont j'étais rapporteur, a souligné la nécessité d'un meilleur accompagnement des étudiants dans les domaines des études, de la santé ou du logement. Dans notre rapport, nous évoquions notamment la nécessité d'une refonte globale du système de bourses sur critères sociaux. Votre ministère s'est saisi de cette question et des consultations sont en cours. Pourrez-vous revenir sur l'avancement de ce dossier ? Quelles pistes étudiez-vous ? Quel calendrier comptez-vous suivre ?

Par ailleurs, à l'initiative de Pierre-Antoine Levi, le Parlement a adopté en avril 2023 la loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré à proximité de leur lieu d'études. Quand un tel accès n'est pas possible, les étudiants peuvent alors bénéficier d'une aide financière. Comment cette « loi Levi » sera-t-elle appliquée dès cette année ?

Enfin, en ce qui concerne la non-compensation intégrale des dernières mesures salariales annoncées par le Gouvernement, vous avez indiqué qu'il n'y aurait « pas de miracle », en invitant les opérateurs et les universités à recourir si nécessaire à la part mobilisable de leur fonds de roulement. Ces déclarations ont été accueillies avec une certaine inquiétude par les universités et l'ensemble des opérateurs de votre ministère. Mes collègues rapporteurs ne manqueront pas de vous interroger sur ce sujet.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Avant de répondre à vos questions, monsieur le président, je commencerai par présenter les grandes orientations de ce budget de l'enseignement et de la recherche, qui connaît une nouvelle augmentation en 2024. Ainsi, nous comptons 1,2 milliard d'euros de moyens nouveaux par rapport au tendanciel prévu, ce qui représente 20 % supplémentaires par rapport à 2017 et 8 % par rapport à 2022.

En premier lieu, ce budget vise à aider plus et mieux les étudiants. Les engagements que j'avais pris devant le Parlement sont tenus et le PLF traduit les mesures annoncées, qui bénéficieront de 500 millions d'euros supplémentaires. Cette enveloppe permettra de financer la première étape de la réforme des bourses, présentée en avril dernier, à hauteur de 400 millions d'euros. Elle sera également allouée à la pérennisation du repas à un euro pour tous les étudiants boursiers mais aussi pour les étudiants précaires, ainsi qu'au gel des tarifs de restauration et des loyers en résidence universitaire pour tous les étudiants. Ces dernières mesures sont compensées au niveau du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) à hauteur de 70 millions d'euros.

En cette rentrée, les étudiants perçoivent des bourses sur critères sociaux revalorisées. Il s'agit d'un investissement historique, qui était nécessaire dans le contexte d'inflation actuel. Cette première étape de la réforme dépasse la simple revalorisation des montants pour chaque échelon, puisque nous nous attaquons aux effets de seuil et que nous renforçons nos aides pour les étudiants en situation de handicap, comme pour les étudiants en situation d'« aidance ».

Le budget pour 2024 intègre donc une hausse des dotations d'investissement du Cnous de 25 millions d'euros, soit plus de 25 %, pour construire et rénover des restaurants et des résidences universitaires. Ces crédits permettront en particulier de poursuivre la réhabilitation des places d'hébergement, pour atteindre l'objectif de 12 000 rénovations d'ici 2027, annoncé par la Première ministre dans le cadre du CNR Jeunesse.

Nous prévoyons aussi 25 millions d'euros pour développer la restauration, en conformité avec la « loi Levi ». De nouveaux conventionnements ont été développés avec des organismes partenaires. De plus, une aide financière déployée de façon progressive permet de soutenir les étudiants qui n'auraient pas accès à des solutions collectives de proximité, malgré les conventions passées. En outre, le Cnous recevra une dotation de 5 millions d'euros pour financer le coût de fonctionnement lié à l'ouverture des nouvelles places de restauration et bénéficiera du recrutement de 38 agents supplémentaires.

Le Gouvernement s'apprête à déposer un amendement qui permettra de relever le plafond d'emplois des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) de 110 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Il s'agit d'une nouvelle importante, qui reflète l'augmentation des flux d'étudiants en raison des mesures prises. Ce relèvement du plafond est historique, puisqu'il n'avait pas évolué depuis 2014, et il permettra d'accompagner la croissance de l'activité du réseau. Il s'agissait d'une recommandation de votre rapport sur les conditions de la vie étudiante, monsieur le président : je suis heureuse de vous dire que vous aviez raison et que cette mesure était nécessaire.

Une enveloppe de 10 millions d'euros sera consacrée au renforcement de l'accompagnement des étudiants en situation de handicap, conformément aux annonces faites lors de la Conférence nationale du handicap (CNH) et à la loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation, dont la proposition avait été déposée au Sénat.

En deuxième lieu, ce budget permet de soutenir la recherche et les chercheurs, confirmant cette année encore la trajectoire en crédits et en emplois de la LPR. Ainsi, 468 millions d'euros supplémentaires seront consacrés au périmètre du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - une marge de 500 millions d'euros, si l'on inclut les crédits du programme 193, dédiés à la recherche spatiale.

Ces crédits financeront des dépenses en matière de ressources humaines, parmi lesquelles des revalorisations salariales pour 138 millions d'euros supplémentaires, mais aussi des recrutements additionnels de chercheurs, puisque le schéma d'emplois augmentera de 650 équivalents temps plein (ETP), ce qui permettra notamment de créer de nouveaux contrats doctoraux et des chaires de professeurs juniors supplémentaires. Cette augmentation entraînera une hausse de 91 millions d'euros des dépenses consacrées à la masse salariale.

En outre, je souhaiterais signaler 73 recrutements supplémentaires, qui seront autorisés pour la recherche sur le nucléaire civil au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Des projets de recherche sont également mis en oeuvre, dont ceux qui ont été sélectionnés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui connaissent une augmentation de leur budget de 123 millions d'euros. La somme de 52 millions d'euros sera consacrée à des investissements dans les équipements, les organisations scientifiques internationales et les organismes de recherche. Enfin, diverses autres mesures sont prévues dans le cadre de la LPR pour un montant de 65 millions d'euros.

Afin d'assurer la bonne atteinte de nos objectifs, il nous faut mesurer les effets de ce qui a été mis en place, en les comparant à ce que nous observons aux niveaux international et européen, en travaillant avec des organisations comme l'OCDE. Je souhaite ainsi nourrir le bilan de ces trois années de mise en oeuvre de la LPR, que je vous présenterai début 2024.

En troisième lieu, ce budget vise à accompagner les transformations des universités. À cet effet, une enveloppe de 15 millions d'euros sera consacrée au financement de la troisième année de bachelor universitaire de technologie (BUT) et à l'ouverture de nouveaux départements d'instituts universitaires des technologies, renforçant l'accès à l'enseignement supérieur dans tous les territoires.

Les financements alloués aux études de santé connaitront également une hausse de 7 millions d'euros.

Nous poursuivons aussi le déploiement des contrats d'objectifs, de moyens et de performance, qui avaient déjà été signés par 36 établissements et compteront 42 nouveaux signataires. Chaque année, 100 millions d'euros seront alloués à tous les établissements dans ce cadre, qui permet d'établir un dialogue stratégique rénové et d'offrir aux établissements une visibilité budgétaire pluriannuelle.

En quatrième lieu, ce budget vise à soutenir le pouvoir d'achat alors que l'inflation reste importante et que la dette s'alourdit. Dans ce contexte, le Gouvernement accompagne les Français et notamment les agents publics. Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a ainsi annoncé différentes mesures pour préserver le pouvoir d'achat des fonctionnaires, qui ciblent en particulier les agents des catégories B et C. Une enveloppe de 215 millions d'euros a été allouée afin de compenser les revalorisations salariales annoncées en juin 2023. Ce budget permettra de couvrir au moins 50 % des surcoûts liés aux mesures relatives au point d'indice, pour tous les établissements, et d'apporter des soutiens plus ciblés pour les plus fragilisés. Comme en 2022 et en 2023, le Cnous et les Crous feront l'objet d'une compensation intégrale de ces mesures salariales pour 2024.

Pour le reste, les établissements sont appelés à un effort exceptionnel compte tenu du niveau de leurs réserves financières. En effet, ces niveaux importants, en augmentation depuis plusieurs années, doivent leur permettre d'absorber cet effort pour 2024. Ces réserves, estimées à environ 1 milliard d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et à 300 millions d'euros pour les organismes de recherche, sont bien supérieures à l'effort exceptionnel demandé. D'après une enquête que nous avons menée, ces réserves sont libres de tout emploi. Pour les évaluer, nous excluons notamment les investissements, qu'ils soient engagés ou programmés par les conseils d'administration des établissements. Je leur ai donc demandé de mobiliser leur trésorerie sans renoncer à leurs projets en cours. Comme je l'ai fait devant les présidents des universités et à l'Assemblée nationale, je tiens à vous assurer que nous serons attentifs aux situations particulières de certains établissements. Ainsi, nous avons choisi de compenser à hauteur de 50 % l'ensemble des établissements afin de conserver les marges nécessaires pour mieux soutenir ceux qui connaissent une situation critique.

J'en viens aux dotations d'investissement, qui augmentent dans ce budget. Les contrats de plan État-région (CPER) se déploient et 1,2 milliard d'euros seront alloués pour les établissements dépendant de mon ministère pour la période 2021-2027, avec une poursuite de la montée en charge des projets l'an prochain. Les établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche bénéficieront de la hausse de 600 millions d'euros de l'enveloppe interministérielle consacrée à la rénovation des bâtiments de l'État.

Nous allouerons des financements spécifiques pour des projets emblématiques comme le campus hospitalo-universitaire de Saint-Ouen, le Paris Santé Campus du site du Val-de-Grâce ou le Centre national de la matière extraterrestre sur le site du Jardin des Plantes.

Enfin, au-delà de la mission « Recherche et enseignement supérieur », les établissements relevant de mon ministère continueront de bénéficier de financements extrabudgétaires importants, liés en particulier au plan France 2030.

Les grands défis écologiques, technologiques, industriels et sociétaux que la France doit relever restent inchangés et très importants. Pour y faire face, les contributions de l'enseignement supérieur et de la recherche demeurent essentielles, notre pays devant rester une grande nation scientifique qui découvre, forme aux métiers d'aujourd'hui et de demain, innove et attire les talents dans un paysage international complexe, mouvant et compétitif. Le budget de mon ministère pour 2024 répond à ces nécessités de façon responsable, en respectant les engagements pris.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Je commencerai par évoquer les conséquences du rapport de la mission Gillet sur l'écosystème de la recherche et de l'innovation, qui vous a été remis en juillet dernier et pourrait constituer un tournant majeur dans la structuration de l'écosystème de la recherche française. En ligne avec les préconisations de ce rapport Gillet, le Gouvernement semble avoir décidé de donner à des organismes de recherche un nouveau rôle d'agence de programmes, ce qui constitue une évolution majeure. Avez-vous tiré le bilan de l'activité des alliances de recherche ? Nos organismes nationaux de recherche (ONR) pourront-ils exercer cette fonction en plus de celle d'opérateur de recherche ? Quel sera le rôle de ces agences de programmes par rapport aux alliances ? Quelle place occuperont les sciences humaines et sociales (SHS) dans cette nouvelle organisation ? Quel sera l'impact de cette réorganisation en termes budgétaires ? Qu'en est-il de la clause de revoyure ?

En ce qui concerne la LPR, quelles raisons expliquent les difficultés rencontrées pour atteindre les objectifs en matière d'installation des chaires de professeurs juniors ?

Enfin, j'en viens à la recherche biomédicale, qui a constitué un sujet important cette année. En effet, le président de l'Académie des sciences, Alain Fischer, a publié son rapport, intitulé « La recherche médicale en France, bilan et propositions », qui évoque l'affaiblissement progressif de la recherche française et souligne l'état préoccupant de notre recherche médicale. France Universités a également rendu un rapport. Par ailleurs, vous avez confié une mission à Raymond Le Moign et à Manuel Tunon de Lara sur la rénovation de la recherche biomédicale. Quel est l'état de vos réflexions sur la souveraineté de la France en la matière ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Je commencerai par saluer un budget globalement en hausse pour les crédits relatifs à l'enseignement supérieur et à la vie étudiante.

Cependant, les critères utilisés pour calculer les crédits alloués aux Crous et aux établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) ne prennent pas en compte la hausse de la fréquentation. Ainsi, les Eespig comptent un nombre d'étudiants en forte augmentation et leur dotation pour charge de service public ne représente qu'environ 5 % - soit 600 euros - de ce que coûte en moyenne un étudiant dans l'enseignement supérieur. Une révision des critères est-elle envisagée afin de garantir plus de transparence et une meilleure lisibilité ?

Par ailleurs, les mesures salariales du plan de protection des agents publics, dites « Guerini », seront compensées à hauteur de 50 % pour cette année, ce qui est une bonne chose. Cependant, ces mesures représentent une somme d'environ 150 millions d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur, qu'ils doivent financer sur leurs fonds propres, dont les évaluations varient entre 600 millions et 1 milliard d'euros. Ainsi, si une telle dépense devait être consentie chaque année, les établissements ne pourraient tenir que quelques années. Vous engagez-vous à une compensation intégrale à partir de l'année prochaine ?

J'en viens à la plateforme Soltéa de répartition du solde de la taxe d'apprentissage, lancée en 2023. Aux dires de plusieurs responsables d'établissements que j'ai entendus pendant la préparation de mon avis budgétaire, il s'agit d'une « catastrophe industrielle ». À la fin du mois d'août, environ 20 % du solde était versé sur les comptes des établissements d'enseignement supérieur alors que, habituellement, à la même période, le solde est réglé à environ 80 %. Les budgets ont été construits sur une forte incertitude qui crée de l'inquiétude chez les acteurs. De plus, pour la première fois, un fonds libre restera puisque les entreprises n'ont pas pu attribuer facilement les montants via la plateforme, en raison de difficultés techniques de lisibilité. Quelles sont les modalités d'attribution de ce fonds ? Quelles mesures seront prises pour éviter que les mêmes difficultés ne surviennent l'année prochaine ?

Enfin, il semble important de mettre en place rapidement une labélisation et une accréditation par l'État des nouvelles formations proposées dans l'enseignement supérieur. Notre commission a récemment organisé une table ronde sur l'enseignement privé et nous avons constaté la façon dont certaines officines s'accaparent un secteur en l'absence d'alternative, proposent des formations non reconnues par l'État, dont la qualité n'est pas contrôlée, et bénéficient ainsi de crédits. Serait-il possible de favoriser des labélisations et accréditations pour des établissements reconnus par l'État ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - En ce qui concerne le schéma d'emplois, nous avons rencontré des difficultés en matière de déploiement, en raison de la pandémie de covid, de problèmes d'acceptabilité et de mise en oeuvre. Cette sous-exécution était particulièrement visible au niveau des organismes nationaux de recherche, qui ont perdu environ 27 ETP. Cette situation a été bien identifiée, en particulier au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Cependant, si les données ne sont pas encore tout à fait consolidées pour 2023, la situation semble meilleure et les schémas d'emplois sont réalisés. En 2022, nous comptions déjà 474 ETP supplémentaires. Les schémas votés en PLF respectent la LPR. Les mesures emblématiques telles que les contrats doctoraux et les chaires de professeurs juniors doivent respecter le schéma et l'année 2023 inaugure une phase de régime permanent, qui permettra de créer ces postes.

L'augmentation des emplois scientifiques devrait donc être constatée comme prévu. En 2024, nous devrions compter 650 ETP supplémentaires issus de la LPR et 725 au total, en incluant les postes du CEA. L'objectif de 5 200 ETP supplémentaires entre 2021 et 2030 devrait être atteint. Pour 2024, 200 chaires pour professeurs juniors et 340 contrats doctoraux supplémentaires doivent être créés. Ainsi, ces derniers auront augmenté de 1 100 depuis 2020, suivant la trajectoire tracée par la LPR, que nous continuerons à suivre.

J'en viens au rapport Gillet et à la question des agences de programmes. Nous avons travaillé avec les organismes, les universités, France Universités et Udice. Nous proposons aux opérateurs de recherche que sont les établissements et les organismes d'exercer le rôle d'agences de programmes pour coordonner les autres acteurs sur une thématique particulière. Ce rôle de coordination sera formalisé par une lettre de mission et les agences ont vocation à remplacer les alliances de recherche, avec lesquelles le lien devra être fait pendant cette première année expérimentale. Une gouvernance simple et légère est proposée.

Les agences de programmes travailleront autour de thématiques, pas de disciplines. Il nous faudra mener une réflexion particulière sur le domaine des sciences humaines et sociales, mais celle-ci ne fera pas partie des agences de programmes, qui mettront les acteurs autour de la table pour relever des grands défis de société, et non pour guider des stratégies de disciplines.

En ce qui concerne l'impact budgétaire et global, vous avez mentionné des tâches supplémentaires. Certes, nous formaliserons les missions mais nous travaillerons davantage dans un cadre interministériel. Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), aujourd'hui pilotés par un ou des ONR, pourraient constituer des projets scientifiques pilotés par ces agences. Il s'agit de formaliser ce qui est déjà fait pour traiter les grands défis avec l'ensemble des forces et des acteurs au niveau national.

Sur la question de la clause de revoyure de la LPR, nous prévoyons de vous présenter un bilan au début de l'année 2024. Ce bilan considèrera l'impact des mesures portant notamment sur les ressources humaines et l'ANR. Nous avons déjà conduit le travail en interne. Nous sollicitons à présent l'aide de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), mais aussi de l'OCDE, le bilan devant être envisagé dans un contexte européen et international.

Dans la mise en oeuvre de la LPR, nous avons déjà tenté de tenir compte de l'inflation, notamment en adoptant les mesures « Guerini », en élargissant le rehaussement des contrats doctoraux au stock des doctorants quand la LPR ne concernait que les entrants, ou en revalorisant la prime des enseignants agrégés et certifiés du secondaire affectés dans le supérieur (Esas) grâce à 50 millions d'euros supplémentaires. La réflexion est en cours et j'en présenterai l'avancement au moment du bilan.

Je reviens aux objectifs fixés en matière de chaires pour les professeurs juniors qui doivent ouvrir, après une période de contractualisation, sur des postes de professeurs ou de directeurs de recherche. Nous atteignons aujourd'hui le nombre fixé par la LPR, qui consacre plus de 1,3 milliard d'euros supplémentaires à ce dispositif, qui connaît un grand succès. En effet, nous avons compté près de 1 000 candidats pour 229 chaires ouvertes en 2021 et 2022, avant d'adopter le régime permanent des postes déployés. De plus, lors de ces deux premières campagnes, 49 % des lauréats venaient de l'étranger, alors que ce taux se situe entre 10 % et 15 % pour des postes de professeurs classiques. Ces chaires améliorent donc l'attractivité de nos postes. Elles sont également bénéfiques pour l'évolution de carrière des professeurs, selon les principes de repyramidage et de reconnaissance des missions accomplies, notamment pour les enseignants-chercheurs. Il faut cadrer ces nouveaux postes, sans oublier le reste.

S'agissant de la mission sur la rénovation de la recherche biomédicale, Anne-Marie Armanteras a remplacé Raymond Le Moign, devenu directeur de cabinet d'Aurélien Rousseau. La mission a donc pris un peu de retard et n'a démarré que début octobre. Il s'agit notamment de travailler à l'attractivité des carrières de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et nous avons déjà annoncé, avec Aurélien Rousseau, des mesures sur les retraites. Il faudra faire un bilan, en nous positionnant aussi par rapport à l'Europe et à l'international, en prenant en considération les résultats du plan Innovation Santé 2030, qui a permis la création de bioclusters ainsi que d'instituts hospitalo-universitaires (IHU) supplémentaires, lesquels constituent une force de frappe certaine en la matière. Pour entretenir le lien entre recherche fondamentale et recherche clinique, il faut associer l'ensemble des acteurs, dans les institutions mais aussi dans les laboratoires ou les hôpitaux. Il s'agit de regagner en souveraineté, ce que permettent notamment les 7 milliards d'euros du plan Innovation Santé, dont une partie porte sur la recherche et l'innovation et une autre sur le développement des marchés et de l'industrie. La mission considèrera ces enjeux au-delà du plan.

J'en viens à la question des critères. Je porte une attention particulière à la vie étudiante, ce que reflète ce budget. La première étape de la réforme des bourses a été accompagnée d'une enveloppe de 500 millions d'euros, pour agir dans les domaines de l'accès à la restauration, du logement, mais aussi afin de compenser le Cnous et les Crous pour les mesures salariales et les surcoûts énergétiques.

Pour réviser les critères, il s'agira d'abord de remettre à plat le modèle des bourses sur critères sociaux. La première étape a démarré et les étudiants peuvent déjà en mesurer les effets sur leurs comptes en banque. Par ailleurs, nous continuons de travailler avec le ministère des solidarités et des familles pour développer un nouveau modèle qui soit plus représentatif et qui permette d'aider plus et mieux ceux qui en ont le plus besoin. Il s'agit de revoir le périmètre d'attribution en faisant entrer des étudiants en difficulté. Nous avons donc choisi de ne pas appliquer un pourcentage d'augmentation aux échelons de bourse et avons préféré attribuer une somme de 37 euros, qui correspond à 6 % de l'augmentation de l'échelon le plus haut. Par ailleurs, cette première étape tient déjà compte de la question territoriale, puisque nous avons augmenté les montants de 30 euros par mois pour ceux qui étudient en outre-mer. En outre, quatre points supplémentaires sont attribués pour les étudiants en situation de handicap et les aidants.

La première étape ne constitue pas seulement une revalorisation, mais ouvre des pistes pour le nouveau modèle de bourses, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2025. La plateforme ouvrant en mars, il nous faudra être prêts au plus tard pour le début 2025. Il serait trop difficile d'y parvenir pour la rentrée 2024, d'autant que nous souhaitons rester cohérents avec le travail effectué par d'autres ministères sur la solidarité à la source et développer des références budgétaires communes pour disposer d'une vision globale des aides sociales.

En ce qui concerne les Eespig, vous l'avez dit : les subventions de l'État représentent un soutien très limité. Contrairement aux établissements publics d'enseignement supérieur relevant de mon ministère, les droits d'inscription jouent un rôle majeur pour ces Eespig, qui bénéficient d'un modèle économique plus souple. Pour autant, le PLF 2023 augmentait ses subventions de 1 million d'euros par rapport au PLF précédent, pour tenir compte de la hausse du nombre d'étudiants et de la reconnaissance de ces onze établissements dont les effectifs ont augmenté et que nous continuerons d'accompagner.

La plateforme Soltéa, gérée par la Caisse des dépôts et consignations, a été lancée cette année pour faciliter la collecte de la taxe d'apprentissage. Des dysfonctionnements sont apparus, auxquels l'État a tenté de remédier en temps réel. Cette première année de campagne donne lieu à un retour d'expérience et nous sommes bien conscients des difficultés rencontrées par les établissements comme par les industriels. Aujourd'hui, l'équivalent de 72 % des montants attribués en 2022 ont été affectés, ce qui témoigne de l'effort fourni. Dès l'année prochaine, les établissements auront accès beaucoup plus tôt à une visibilité des fonds alloués pour préparer leurs budgets. Le lien sera encore renforcé entre les industriels et les établissements. De plus, les contrôles seront développés pour éviter les fraudes, qui ont bloqué la plateforme cette année. Nous travaillons pour que les choses soient plus fluides.

Enfin, nous rencontrons avec certaines nouvelles formations privées un problème de manque de transparence, notamment en matière d'affichage des frais d'inscription, ou d'absence de cohérence pour des étudiants en formation initiale. Nous travaillons avec le ministère du travail, mais aussi avec des familles et des étudiants, pour renforcer des labels existants à court terme. Dans cette perspective, nous listons des critères de transparence en matière de prix et de conditions d'inscription, d'accompagnement et de gouvernance stable.

M. Laurent Lafon, président. - Une loi sera-t-elle nécessaire pour mettre en oeuvre la réforme des bourses ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Non. Il s'agit d'une réforme du modèle des bourses, qui ne relève pas du registre législatif.

M. Yan Chantrel. - On estime à 27 % le nombre d'étudiants vivant sous le seuil de pauvreté et nous devons répondre de façon urgente à cette précarité. À court terme, quel est l'impact des mesures prises en cette rentrée 2023 ? Vous aviez annoncé 35 000 étudiants boursiers supplémentaires et 140 000 étudiants passant à l'échelon supérieur ; où en est-on ? À plus long terme, deux propositions de réforme du modèle de bourses sur critères sociaux circulent. D'une part, une réforme systémique, défendue dans une tribune par quatorze présidents d'universités, prendrait la forme d'une allocation d'études, fondée sur l'idée d'un contrat avec les étudiants et inspirée du modèle danois. L'allocation permettrait d'offrir la garantie d'un revenu décent à tous les étudiants, ce qui favoriserait leur autonomie. D'autre part, une réforme paramétrique, proposée par le rapport de Jean-Michel Jolion sur la vie étudiante et la réforme des bourses, vise à généraliser une prime universelle de rentrée de 500 euros, à supprimer les échelons en faveur d'un mécanisme progressif sans rupture, à indexer le barème grâce à un mécanisme identique à celui qui est utilisé pour les aides sociales et à changer le revenu retenu pour le calcul, afin de privilégier le revenu fiscal de référence. Quelle option a votre faveur ?

M. Jean Hingray. - Je commencerai par saluer votre travail, madame la ministre : il est enthousiasmant de constater l'augmentation sensible du budget, même s'il reste beaucoup à faire pour les étudiants précaires.

J'associerai Pierre-Antoine Levi à ma première question, qui porte sur la loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. Le budget pour 2023 prévoyait 25 millions d'euros pour mettre en oeuvre la loi ; nous espérons 25 millions d'euros pour l'année prochaine. Ces dépenses supplémentaires ne devront pas se faire au détriment des projets lancés. Pouvez-vous revenir sur le calendrier d'adoption des décrets d'application de cette loi ? En ce qui concerne les hypothèses de travail, peut-on espérer passer de trois à cinq repas ?

Par ailleurs, en conséquence des conflits internationaux en cours, des universités ont subi de nombreuses dégradations ces dernières semaines, dont le coût peut représenter plusieurs centaines de milliers d'euros. Les frais engendrés pèseront-ils sur les budgets des universités ou les étudiants responsables seront-ils punis et intégrés au mécanisme de réparation ? Vous exercez un rôle par rapport aux présidents d'universités, qui ont bien répondu dans l'ensemble même si certains récalcitrants font preuve de lâcheté. Comment réaffirmer les valeurs de la République en ces temps difficiles ?

Mme Laure Darcos. - En ce qui concerne la biosanté, j'ai produit une note sur l'innovation thérapeutique en oncologie avec l'Opecst. Certains chercheurs ne peuvent terminer leurs essais cliniques. Il ne s'agit pas forcément de votre responsabilité et il faudrait que la mission « Santé » prévoie un fléchage vers la recherche.

Sur la question de la LPR et des chaires pour les professeurs juniors, je rappelle que les décrets d'application n'ont été adoptés qu'au bout d'un an et demi, ce qui a aussi ralenti la mise en oeuvre de la mesure. Qu'en est-il des CDI de mission, qui ont du mal à démarrer ? Ont-ils été abandonnés dans l'esprit de la loi ?

Enfin, je reviendrai une dernière fois - je l'espère - sur les logements d'étudiants réquisitionnés pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Sachant qu'une polémique latente demeure sur le sujet, pouvez-vous clarifier votre position ?

M. Pierre Ouzoulias. - Sur les questions de trésorerie, je peine à comprendre comment les universités pourraient amasser des trésors de guerre, au moment où elles font face à des déficits structurels qui, comme l'a noté Laurent Lafon, touchent principalement les universités nouvelles, souvent de province.

Je citerai l'exemple de celle de Créteil : l'effectif d'étudiants a augmenté de 20 % entre 2017 et 2022, la subvention pour charge de service public de seulement 8 %. Le déficit structurel est considérable - 10 millions d'euros - et conduit l'université à geler tous ses recrutements pour l'an prochain, avec, pour conséquence, un taux d'encadrement qui baisse et un niveau d'échec en licence sans doute appelé à s'accroître. De manière générale, il ne faut pas s'étonner du manque d'intérêt des jeunes pour les missions de recherche s'il n'y a aucune perspective d'embauche.

L'an dernier, madame la ministre, je vous avais alertée sur la situation de l'université de Nanterre et vous aviez débloqué des crédits. Cette année, je me permets de vous alerter sur celle de Créteil, avec, je l'espère, la même réussite.

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - C'est déjà fait, monsieur le sénateur !

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous en remercie.

Mme Monique de Marco. - Alors que la précarité étudiante s'installe durablement, il faut espérer que la réforme envisagée des bourses ne soit pas une énième rustine.

Vous avez confié une mission au professeur Jean-Michel Jolion sur les conditions de vie des étudiants. Ce rapport sera-t-il publié prochainement ?

Par ailleurs, accepteriez-vous d'envisager l'instauration d'une allocation d'autonomie universelle d'études et de demander à vos services de travailler sur un tel dispositif ? C'est une demande formulée par de nombreuses associations étudiantes et 14 présidents d'université se sont prononcés dans ce sens. Au moment où vous entendez remettre à plat le système des bourses, pourquoi ne pas en discuter ? Notre groupe a déposé une proposition de loi sur ce sujet qui sera examinée en séance le 14 décembre.

M. Max Brisson. - Au-delà des bilans dressés sur la LPR, un chiffre doit nous inquiéter, celui de la part des dépenses intérieures en recherche et développement, qui stagne à 2,2 % du PIB, un niveau inférieur à certains pays comme l'Allemagne - 3 % - ou la Suède - 3,5 %. Comment expliquez-vous cette stagnation ?

De nombreux investissements ont été réalisés pour assurer la protection des étudiants, des personnels et des biens sur les campus. Quel bilan tirez-vous des mesures déjà mises en oeuvre ? Ces investissements sont-ils suffisants ?

Je me permets enfin une remarque sans lien avec le budget. Je suis très choqué d'apprendre que, dans certains campus de mon pays, des étudiants vont en cours la peur au ventre parce qu'ils sont de confession juive. Des minorités agissantes, menaçantes, violentes font, ici et là, régner la terreur à force d'apologie du terrorisme ou de diffusion d'un antisémitisme d'ambiance tout à fait insupportable.

Je sais ce qu'est l'autonomie des universités ; je l'ai défendue ici même. Pour autant, la loi de la République doit s'appliquer partout et il est de votre responsabilité, madame la ministre, qu'elle le soit. Quelle mesure envisagez-vous de prendre pour lutter plus efficacement contre ce fléau de l'antisémitisme et contre ceux qui profèrent des menaces à l'encontre d'étudiants dans certains campus de France ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je vous remercie de vos propos liminaires et de l'implication dont vous avez fait preuve pour que la loi dont je suis à l'origine soit mise en application rapidement. La somme de 25 millions d'euros est une première étape, et nous espérons que les crédits pour les années suivantes évolueront de manière favorable. La discussion avec Bercy est, je le sais, compliquée, mais vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir dans ce dialogue car la précarité continue de gagner du terrain.

Je voudrais revenir un instant sur les propos de Max Brisson. Plusieurs étudiants m'ont fait part d'actes antisémites assez forts sur plusieurs universités toulousaines. À Toulouse Capitole, le président est intervenu rapidement : des sanctions ont été prises, avec signalement auprès du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce n'est pas le cas sur le campus du Mirail, bien connu pour ses tendances islamo-gauchistes, où plusieurs manifestations ont été tolérées, entraînant des débordements. Que comptez-vous faire ? Certains étudiants ne vont plus en cours par peur pour leur santé ou leur sécurité.

M. Jacques Grosperrin. - Les fonds de roulement des universités constituent des réserves importantes, mettant celles-ci en mesure de pouvoir engager des travaux de rénovation. Vous avez indiqué que vous seriez « vigilante » quant aux situations particulières. Quel sens donner à ce terme, quand on sait que la compensation accordée par l'État en lien avec les mesures salariales est insuffisante ?

Une somme de 500 millions d'euros est consacrée à la rénovation du parc immobilier universitaire, pour un besoin estimé à 7 milliards d'euros par France Universités et un tiers du parc à l'état de passoire énergétique. Alors que la France se veut un acteur de la transition écologique, ne serait-il pas intéressant de mettre en place un plan ambitieux dans ce domaine ?

Enfin, les annonces faites quant aux conditions de réquisition des appartements du Crous sont-elles budgétisées dans le PLF 2024 ?

M. David Ros. - Je salue votre volontarisme, madame la ministre, même si l'augmentation des crédits doit être pondérée de l'inflation et de la hausse des coûts de l'énergie.

L'accroissement des moyens devrait rassurer. Or, nous ressentons diverses inquiétudes dans la communauté scientifique.

Les premières sont liées aux statuts de chercheur et d'enseignant-chercheur, sujet récurrent, mais remis d'actualité par l'attente du rapport Gillet.

Les deuxièmes ont trait au sujet des fonds de roulement. Dès lors que l'on parle d'un effort exceptionnel ponctuel destiné à répondre à des problématiques structurelles, il faudrait un engagement à ce que, à compter de l'année prochaine, ces besoins structurels soient pris en charge par l'État, et ce d'autant que ces fonds pourraient servir à la rénovation énergétique des bâtiments.

Celle-ci, qui constitue une troisième source d'inquiétudes, m'amène à la question des postes d'excellence budgétés. Qu'en est-il des postes administratifs ? Les administrations des universités et centres de recherche manquent des compétences nécessaires pour pouvoir répondre à tous les enjeux. Ne faut-il pas, aussi, budgéter des postes de qualité dans ces secteurs très complexes, comme la rénovation énergétique ?

Que pouvez-vous nous dire sur les priorités face aux défis de santé, climatiques, énergétiques et numériques. Qu'envisageons-nous en termes, notamment, de travaux avec d'autres pays européens ou de liens entre recherche publique et recherche privée ?

Enfin, avez-vous des retours sur l'incidence de la réforme du bac et de Parcoursup sur la poursuite des études dans l'enseignement supérieur ? J'ai pour ma part constaté une baisse de l'orientation vers les mathématiques ou les sciences de la vie et de la terre. Quel travail est mené, avec le ministère de l'éducation nationale, pour favoriser ces filières et accroître, dans l'avenir, le nombre d'ingénieurs et de techniciens ?

Mme Catherine Belrhiti. - Parmi les coûts engendrés par la vie étudiante, le logement constitue la problématique principale. Alors que le nombre d'étudiants ne cesse de croître, le nombre de logements disponibles dans le parc locatif privé tend à diminuer. Ainsi, environ 250 000 logements manquaient à la rentrée et les loyers explosent. L'offre est aussi trop faible en cité universitaire et résidence universitaire : l'attribution est soumise à condition de ressources, mais le nombre d'étudiants boursiers est supérieur à celui des chambres en Crous ! Enfin, l'objectif de 12 000 rénovations d'ici à la fin du quinquennat est insuffisant par rapport aux besoins réels. Dans ce contexte, quelles mesures supplémentaires le Gouvernement entend-il prendre ?

M. Bernard Fialaire. - Le tutorat, dont on nous a beaucoup parlé, a toujours été salué comme une excellente idée. Mais où en est-on ? Et quelle ligne budgétaire pour ce tutorat ?

Mme Mathilde Ollivier. - Me joignant aux préoccupations exprimées sur la précarité étudiante, je souhaite également connaître votre position sur l'allocation d'autonomie universelle d'études que nous proposons.

L'attractivité de notre pays aux yeux des étudiants étrangers constitue également une de vos priorités. Or, en 2024, la période de forte activité des consulats en matière de délivrance de visas étudiants coïncidera avec les jeux Olympiques et Paralympiques, qui engendreront aussi une forte demande en visas. Cette situation a-t-elle été anticipée sur le plan budgétaire et organisationnel ?

Pouvez-vous faire un point sur l'état du parc universitaire et les objectifs en matière de rénovation thermique. Les besoins sont immenses et le défi de taille !

Mme Sonia de La Provôté. - Ma première question porte sur les agences de programmes. Quelles thématiques seront retenues ? Quelle articulation avec France 2030 et, sur la partie santé, avec l'Agence de l'innovation en santé ? Compte tenu du nombre croissant d'interlocuteurs, peut-être serait-il utile de dégager des orientations communes...

Ma deuxième question porte sur les masters. Nous devrions avoir le bilan de la rentrée et, en particulier, de l'activité de la plateforme MonMaster. Certains étudiants, on le sait, ont connu des difficultés. En sait-on plus aujourd'hui ? Existe-t-il toujours des filières en tension, comme celle du droit ? A-t-on avancé sur l'idée de travailler le contenu des licences en amont pour pouvoir garantir un accès au marché sans master ?

Mme Karine Daniel. - Je voudrais insister sur les enjeux en matière de précarité étudiante, en mettant l'accent sur les services de santé dans les universités. Il arrive que les plaquettes distribuées en début d'année ouvrent des perspectives de consultation ou de prise en charge, alors que les délais d'attente dépassent en réalité l'année universitaire...

Par ailleurs, la situation budgétaire des universités constitue effectivement un point d'alerte et les annonces faites ne sont pas de nature à rassurer les présidents et présidentes d'université. Les compensations sont partielles et floues sur certains aspects. La situation est alarmante. Pour ma part, j'évoquerai le cas de l'université de Nantes, qui a voté un budget en déficit de 11 millions d'euros pour 2023, alors que ses fonds de roulement sont parmi les plus faibles. Les équipes en sont à gérer des urgences et à faire des choix difficiles, alors que l'université devrait représenter aujourd'hui une ressource de taille face aux défis à venir.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Les Français ne peuvent qu'être fiers de leurs chercheurs. J'en veux pour preuve, encore, le prix Nobel de physique récemment attribué à Anne L'Huillier et Pierre Agostini. Cela étant, si l'on en croit le parcours de ces deux lauréats, ce n'est pas la France qui leur a permis d'atteindre un tel niveau. Avez-vous des pistes de travail pour faire en sorte que nos chercheurs nationaux continuent à travailler dans notre pays ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Je commencerai par la fin, en indiquant que nous pouvons nous réjouir des prix Nobel obtenus par nos chercheurs. Tout comme Alain Aspect l'an dernier, l'un des récents lauréats a effectué toute sa carrière en France et l'autre y a commencé sa carrière, avant de partir pour des raisons personnelles en Suède. Tous deux ont obtenu le prix Nobel sur une manipulation réalisée en France, au sein du CEA. Nous devons donc être fiers de ces récompenses, même si, c'est vrai, certains chercheurs partent et que l'attractivité doit rester un point de vigilance.

S'agissant de la précarité étudiante, je reviendrai tout d'abord sur le thème de la santé, notamment mentale. C'est en effet un point saillant depuis la crise du covid-19, nos jeunes ayant payé un lourd tribut à cette occasion. Je pourrai vous présenter, en 2024, le bilan qui va m'être adressé en décembre sur l'évolution des services de santé universitaires et qui traite, notamment, de la réduction des délais de visites ou de l'accès à tous les étudiants d'un même territoire. Le budget a été renforcé de 8 millions d'euros et 80 postes titulaires de psychologues ont été ajoutés dans les services en 2023. Enfin, nous avons demandé que le projet de recherche sur la santé mentale dit « Propsy » comprenne un volet dédié aux jeunes, en particulier aux étudiants.

Par ailleurs, plusieurs questions se posent s'agissant du modèle du système de bourses et j'y répondrai en trois points.

Premièrement, il est en effet urgent de traiter le problème de précarité étudiante, d'où la somme mise sur la table par le Gouvernement pour la première étape. Toutefois, les problématiques de précarité et d'autonomie n'appellent pas les mêmes mesures ni le même discours.

Deuxièmement, seul le Danemark a mis en place une allocation d'études, mais il faut prendre en compte le modèle dans son intégralité : ce pays compte beaucoup moins d'étudiants que la France ; son système d'entrée dans l'enseignement supérieur est plus sélectif ; l'allocation n'est versée qu'aux décohabitants.

Troisièmement, je suis personnellement contre un modèle d'allocation universelle et favorable à un modèle fondé sur des critères sociaux, même si je suis évidemment d'accord pour examiner toutes les solutions en faveur des étudiants. Sur un plan philosophique, nous avons la responsabilité d'inculquer aux étudiants, qui sont de jeunes adultes, les fondements d'un modèle social reposant sur la solidarité. Combattre la précarité étudiante, c'est aider mieux et plus ceux qui en ont le plus besoin : le système d'allocation universelle ne semble pas la meilleure solution pour cela. Sur un plan financier, un calcul très rapide montre qu'avec 2,4 millions d'étudiants en France, hors apprentis, 1 000 euros par étudiant pendant 10 mois, le budget atteindrait 24 milliards d'euros, soit le budget total de mon ministère. Ne vaut-il pas mieux conserver notre modèle et ses diverses formes d'allocations sociales - aides personnelles au logement (APL), demi-part fiscale, restauration universitaire -, plutôt qu'opter pour une règle unique coûtant extrêmement cher ?

Pour terminer sur cette question des bourses, je ne dispose pas de bilan final, mais à la fin du mois d'août, nous enregistrions 76 000 étudiants boursiers supplémentaires par rapport au même mois de l'année précédente, soit une croissance de 20 %. Cela ne signifie pas que nous resterons à ce niveau, mais nous sommes tout de même sur une pente positive, avec une croissance supérieure à ce que nous attendions.

Je suis par ailleurs tout à fait consciente des difficultés budgétaires de nos établissements. Je pense néanmoins que l'on peut relativiser ce que représente une somme de 600 millions d'euros, voire de 1 milliard d'euros, de fonds de roulement disponibles quand on la ramène à chacun des 130 établissements concernés.

Il est de bonne gestion de conserver des fonds de roulement face à des phénomènes inflationnistes ou aux risques de dépassements budgétaires inhérents à n'importe quel projet d'infrastructure. À cela s'ajoute, évidemment, l'autonomie des universités. Mais, depuis plusieurs années, nous constatons une progression régulière des fonds de roulement au moment des comptes du mois de mars. Par ailleurs, pour évaluer les fonds de roulement disponibles, nous avons bien retiré toutes les décisions prises en conseil d'administration ainsi que les 15 jours de réserve de précaution, en nous limitant aux seuls fonds disponibles pour les années à venir. Certes, ils pourraient typiquement être utilisés pour des projets de rénovation thermique - nous travaillons sur ces dossiers, notamment sur le tiers financement en lien avec la direction de l'immobilier de l'État -, mais pour l'heure nous avons des difficultés budgétaires, avec des problèmes de dettes, et il y a de l'argent disponible. J'insiste sur le caractère tout à fait exceptionnel de cette décision : ces fonds de roulement disponibles ne pourront pas être utilisés, sur les années suivantes, pour compenser la masse salariale.

J'ai annoncé, dans une interview récente au Parisien, une aide exceptionnelle de 3 millions d'euros pour la fin de gestion de l'université de Créteil, à laquelle s'ajoute une aide de 7 millions d'euros pour répondre à ses problèmes immobiliers. Il s'agit de sommes non négligeables.

Cela m'amène à la question des surcoûts énergétiques. Sur les 275 millions d'euros débloqués l'an dernier, 100 millions d'euros devaient être assis sur les coûts réels. Nous sommes donc en train de les distribuer. Je précise que ces surcoûts énergétiques, évalués en début d'année à 400 millions d'euros pour 2023, s'établissent à l'heure actuelle autour de 200 millions d'euros. Nous continuerons d'accompagner les établissements en 2024, mais il ne semble pas nécessaire, dans le contexte actuel, d'anticiper cet accompagnement.

Pour clôturer ce volet financier, j'insiste sur l'attention que nous portons au fait de ne pas pénaliser les projets ou les campagnes d'emplois des établissements avec cette autorisation exceptionnelle à utiliser les fonds de roulement pour compenser les efforts en matière de masse salariale.

S'agissant de la recherche, la mission confiée à Manuel Tunon de Lara et Anne-Marie Armanteras - mission commune du ministère de la santé et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - comportera bien un volet relatif aux budgets de recherche. Les agences de programmes ont vocation à réunir tous les acteurs autour de la table et à revoir les modalités de financement des budgets de recherche sur des enveloppes déjà existantes.

Je remercie ceux d'entre vous qui m'ont interrogée sur les jeux Olympiques et Paralympiques ; cela me permet de m'expliquer. L'accueil de cet événement planétaire engendre des besoins en termes de logements pour les agents qui viendront renforcer les services publics. Or, chaque année, 6 000 logements Crous se retrouvent vides à la fin du mois de juin en Île-de-France. Nous avons donc proposé de mettre 3 200 de ces logements à disposition, regroupés dans 12 résidences différentes. Nous avons choisi de déplacer les étudiants qui choisiront ces résidences car ceux qui restent en été le font souvent pour réviser d'éventuels concours prévus à la rentrée et leurs horaires ne nous semblent pas compatibles avec ceux d'agents publics tels que des pompiers, des membres des forces de l'ordre ou des agents médicaux. Nous leur proposerons des logements équivalents sans surcoût, en proximité, et enquêtons actuellement pour savoir à quel moment leur déménagement sera le moins dérangeant, étant rappelé qu'il s'agit de déménager une chambre étudiante, avec, en outre, un défraiement de 100 euros et 2 places offertes pour les jeux. Enfin, notons que nous récupérerons après l'événement 1 600 logements - 1 300 dans le village olympique et 300 à Lille - pour accroître l'offre de logement étudiant.

La question plus générale du logement comporte trois volets.

En matière de rénovation, nous avons lancé et financé un plan de rénovation des 12 000 logements étudiants restant à rénover, avec une enveloppe de 300 millions d'euros à l'échéance de 2027. Un complément de 25 millions d'euros a été apporté pour l'an prochain, et c'est sans compter le plan porté par le Crous.

En matière de construction de nouveaux logements étudiants, il manque environ 30 000 logements sur les 60 000 qui avaient été annoncés. Mais nous rencontrons des difficultés en termes de foncier et avons diligenté une mission sur le sujet. Nous poursuivons donc nos efforts. Nous avons déjà identifié du foncier pour bâtir 10 000 logements.

À ceux-ci, c'est le troisième point, s'ajoutent la surélévation de certaines résidences en cours de rénovation ou les projets en matière de résidences intergénérationnelles.

Nous travaillons bien, avec le ministère de l'éducation nationale, sur les réponses à apporter à la baisse d'attractivité de certaines filières. Je pense notamment à la formation des professeurs des écoles, au travail mené sur une orientation plus précoce et aux financements de France 2030 destinés à l'ouverture de formations d'ingénieurs ou sur des métiers en tension.

Nous travaillons également sur la question des postes administratifs dans le cadre des contrats d'objectifs, de moyens et de performance. Le plan France 2030 comprend par ailleurs un programme d'accélération des stratégies de développement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dit ASDESR, qui porte, par exemple, sur l'accompagnement des chercheurs dans les directions de projets européens, de développements économiques, de formations continues. Enfin, nous travaillons sur la montée en compétences des postes administratifs et techniques dans nos établissements ; nous pourrons en rediscuter lors de nos échanges sur le bilan de la loi de programmation de la recherche.

S'agissant du rapport Gillet, aucune modification des statuts de chercheur ou d'enseignant-chercheur n'est prévue.

Par ailleurs, les 25 millions d'euros cités par Pierre-Antoine Levi au titre de l'année 2024 constituent bien une somme supplémentaire. Nous allons travailler, d'abord, sur la multiplication des conventions pour donner accès à une restauration collective sur les campus, puis sur une carte de paiement prépayée pour les étudiants n'ayant pas accès à ces solutions de restauration. L'année 2024 nous permettra d'évaluer les coûts et le nombre d'étudiants concernés, ce qui nous offrira une meilleure perspective pour défendre le budget de 2025.

Comment expliquer la stagnation des dépenses de recherche et développement à 2,2 % de PIB ? C'est bien évidemment un point que nous devrons discuter dans le cadre du bilan de la loi de programmation de la recherche. Mais il faut bien faire la part entre ce que l'on dépense et ce que l'on injecte dans le système, et ce qui est de l'ordre du secteur privé et de l'ordre du secteur public. Or, alors que la France a perdu sur les dépenses de recherche publiques et privées, elle est très bien classée en matière d'investissement public. C'est donc une vraie question, qu'il faut regarder finement, et nous ferons un bilan sur le sujet.

Par ailleurs, nous ne lâchons rien sur les CDI de mission. Je reviens de Corse, où le président de l'université m'indique qu'il commence à y avoir fortement recours. La dynamique est donc en place.

Je tiens à clore ces réponses en évoquant la question du respect des valeurs de la République.

J'ai toujours défendu avec ferveur l'autonomie des universités et la liberté académique. Mais, je rejoins totalement les propos tenus : nos universités doivent aussi être les garantes des valeurs républicaines. J'ai écrit, le 8 octobre dernier, aux présidents de chacune d'entre elles pour rappeler ce cadre et donner une position claire : l'incitation à la haine ou à la violence, l'antisémitisme ou autres manifestations de cette nature n'ont pas leur place à l'université. Des consignes claires ont été données et nous avons construit un réseau entre les recteurs, les préfets et les présidents d'université, tel qu'on n'en a jamais vu, pour pouvoir réagir dès que possible : commissions disciplinaires, application de l'article 40, retrait des tags ou des affiches sur les campus. Pour reprendre l'exemple de l'université Toulouse 2, je précise que, pour pouvoir interdire une manifestation, y compris au sein d'une université, il faut des risques de troubles à l'ordre public et que, suite à la manifestation ayant eu lieu, la présidente a eu recours à la procédure de l'article 40. Donc, nous suivons ces phénomènes, avec des sanctions disciplinaires qui sont prises, et je peux vous assurer que, sur ces sujets, ma main ne tremblera pas.

Mais, pour finir sur un aspect plus positif, constatons aussi que, grâce à ce réseau performant et aux instructions claires, nous n'avons pas de réactions aussi catastrophiques que dans certains autres pays - ce qui n'enlève rien à la vigilance qui s'impose.

Concernant la question relative au bilan de la rentrée 2023 pour les masters, je ne dispose pas des éléments finaux. Mais, au moment de l'arrêt de la plateforme MonMaster, à la fin de l'été, le nombre de candidatures ayant reçu des propositions atteignait 156 000 candidats, soit 10 000 personnes de plus que l'an dernier, à la même date. Par conséquent, la plateforme fonctionne, même si elle peut être améliorée, sachant que nous avons ouvert plus de places en master que le nombre d'étudiants en licence, c'est-à-dire le nombre de candidats potentiels. Elle nous permettra d'établir une cartographie et d'identifier les territoires et les formations où les demandes sont trop nombreuses.


* 1 Conformément à la LPR, les 50 millions d'euros restants sont consacrés à la recherche spatiale, qui figure au programme 193 relevant désormais du ministère de l'économie.

* 2 Il consiste à réserver systématiquement une partie des crédits obtenus par une équipe de chercheurs au financement des frais de fonctionnement de l'organisme qui abritera leurs recherches.

* 3 Créé par la LPR, ce type de contrat constitue une nouvelle voie de recrutement permettant d'accéder à un emploi de titulaire dans le corps des professeurs des universités ou de directeurs de recherche. Le recrutement s'effectue sur un projet de recherche et d'enseignement porté par un titulaire de doctorat ou de diplôme équivalent. Chaque lauréat signe une convention de recherche et d'enseignement avec l'établissement ainsi qu'un contrat de pré-titularisation dont la durée est comprise entre 3 et 6 ans. Le financement de la CPJ est assuré par l'ANR à hauteur de 200 000 € auprès de chaque établissement bénéficiaire d'une chaire, pouvant être abondé par des financements complémentaires (Région...). La rémunération du lauréat est librement fixée par l'établissement.

* 4 Auditionnée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 7 novembre 2023.

* 5 Le plafond de verre dans l'enseignement supérieur dans les pays de l'Union européenne en 2018. Le plafond de verre est encore très présent dans le milieu académique. Le plafond de verre (Glass Ceiling Index, GCI) est un indice relatif comparant par niveau la proportion de femmes avec la proportion de femmes occupant des postes de niveau supérieur. Dans le milieu universitaire, les postes de niveau supérieur (postes de grade A) sont l'équivalent dans la plupart des pays des professeurs titulaires. Un GCI égal à 1 indique qu'il n'y a pas de différence entre les femmes et les hommes quant à la chance d'être promu. Un score inférieur à 1 signifie que les femmes sont plus représentées au grade A que dans le milieu universitaire en général (grades A, B et C). Un score supérieur à 1 signifie que les femmes sont moins représentées au grade A que dans le milieu universitaire en général.

* 6 Les 6 EPST sont le CNRS, l'Inrae, l'Ined, l'Inria, l'Inserm et l'IRD.

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